«Personne n’entre à Venise en étranger», disait un guide de voyage en 1842. «Et personne n’entre chez Beyeler sans avoir un avis sur Venise», pourrait-on ajouter.
A vrai dire, j’y suis allée un peu méfiante, ayant été relativement déçue il y a 3 ans, par le même sujet exposé au Grand Palais.
Ici rien de tel, l’architecture du bâtiment, l’accrochage judicieux des oeuvres et leur choix sont tout simplement fascinants.
La magie de la nouvelle exposition de la fondation Beyeler à Riehen, dans la campagne bâloise, n’en est que plus saisissante: tout le monde a en mémoire un Canaletto ou un Turner, un Monet ou un Guardi inspiré par la célèbre cité. Mais l’éclairage donné par le commissaire d’exposition Martin Schwander leur (re)donne une beauté et un sens particuliers.
L’exposition «Venise, de Canaletto et Turner à Monet», sera visible jusqu’au 12 février 2009. Elle est un retour sur mythe. Le mythe d’une cité qui a attiré les artistes du monde entier, artistes qui, en retour, ont nourri ce mythe en diffusant de la ville force images poétiques.
«Trop beau pour être peint», avait décrété Claude Monet, qui s’était longtemps refusé au voyage vénitien avant d’y séjourner deux mois, en 1908, à l’âge de 68 ans. La série de 37 tableaux qu’il commença à y réaliser (il les a terminés dans son atelier de Giverny les années suivantes) lui donnent tort.
De façon pertinente, l’exposition commence avec les derniers peintres vénitiens de la grande époque de Venise, Canaletto (1697-1768) et Francesco Guardi (1712-1793). Le départ du bucentaure, la barque de parade du doge. C’est à la fois une fête et un acte politique. Le doge accomplit le sposalizzio del mare, le mariage rituel avec la mer, en jetant à la mer un anneau d’or et en prononçant la phrase riruelle si importante à Venise « Nous t’épousons, mer, en signe de notre domination véritable et constante »
Nés après les luttes permanentes contre les Turcs au 17e siècle, les deux artistes mourront juste avant l’abolition de la République de Venise par Bonaparte en 1797.
Des deux grands «védutistes» (les vedute sont les vues de villes, typiquement celles de Venise) au Monet d’il y a un siècle, le fil rouge est constant.
Le Grand Canal, le Palais ducal à la lumière si particulière fondant terre, mer et ciel se retrouvent d’une époque à l’autre, d’un style à l’autre. Mais ils ne sont jamais aussi clairs et transparents que chez Canaletto, qui ouvre l’exposition.
Pour l’historien d’art André Chastel («L’art italien»), Canaletto et Guardi sont ceux «qui iront le plus loin possible vers une peinture pure, sans thèmes antiques ou religieux, ce qui annonce déjà le 19e siècle.»
Deux maîtres bien différents. A la netteté cristalline de Canaletto, Guardi oppose des vues plus «floues», où la touche est plus présente. Comme si l’impressionnisme n’était pas loin.
Mais, avant cela, il y aura encore d’autres voyageurs. Centre artistique, culturel et intellectuel au 16e siècle, Venise a commencé à attirer des pèlerins de toutes sortes au plus tard au 17e siècle. Ce flot ne s’interrompra jamais.
Après Guardi, le visiteur plonge dans une presque pénombre qui met encore plus en valeur les tableaux de William Turner (1775-1851), qui y fit trois voyages (1819, 1833 et 1840).
Les deux tableaux «En allant au bal» et «En retournant du bal» (1846) laissent éclater la lumière de façon abstraite. Le ciel est comme déchiré par la lumière du peintre.
Puis viennent deux étonnants Manet,
Renoir et surtout Monet, qui a droit à un des plus grands ensembles de cette exposition. L’obsession du Français pour la «ville-nénuphar» (expression de Paul Morand) le pousse à explorer les matières comme nul autre.
L’eau d’abord, les palazzi ensuite
Sa série du Palais Contarini coupe systématiquement le bâtiment au deux tiers de sa hauteur, pour donner tout le premier plan aux miroitements de la lagune, bleue, verte ou violette. Magnifiquement mise en valeur, seule au milieu d’une paroi, la «Gondole à Venise» est une intrigante tache beige au milieu de l’eau.
L’autre grand ensemble de l’exposition est consacré à James McNeill Whistler (1834-1903), qui avait ramené de Venise 100 pastels et 52 eaux-fortes merveilleuses de simplicité. Les sujets moins glorieux l’intéressent, les arrières-cours, les passants, pas forcément riches. Ces derniers sont exposés dans une semie-pénombre.
On est saisi lorsque l’on revient vers la lumière de John Singer Sargent (1856-1925), un Américain hôte régulier de Venise, comme nombre de ses compatriotes à la fin du 19e siècle. A grands traits expressifs, le peintre dessine un monde moins glorieux, choisissant souvent de surprenants angles de vues.
Intéressant contre-point, un choix de la collection de photographies historiques Herzog, de Bâle, permet de voir Venise «telle qu’elle était» dans les années 1870, sous l’objectif de Carlo Ponti et de Carlo Naya. Eux aussi ont contribué au succès désormais pleinement touristique de la Venise italienne depuis 1866. La première Biennale ouvrira ses portes en 1895.
Autre photographe, mais contemporain, le Belge David Claerbout propose une expérience sensorielle intéressante: ses clichés architecturaux de Venise sont projetés dans le noir et il faut un moment à l’œil pour commencer à distinguer les contours des bâtiments. Des ombres que les peintres des siècles passés ont heureusement depuis longtemps immortalisés.
A la fin de l’exposition des fauteuils vous accueillent, où vous pouvez écouter des compositeurs de musique classique, vous plongeant dans l’ambiance vénitienne.
Une exposition à voir et à revoir.
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