Brancusi

Constantin Brancusi
La Muse endormie 1910
Bronze poli
Don de la Baronne Renée Irana Frachon, 1963
Centre Pompidou - Musée national d’art moderne, Paris
© Succession Brancusi - All rights reserved
Adagp, Paris 2024
Crédit photographique : Centre Pompidou, Mnam-Cci/Adam Rzepka/Dist. Rmn-Gp
Au Centre Pompidou jusqu'au 1er juillet 2024
Galerie 1, niveau 6
Commissariat
Ariane Coulondre, conservatrice, service des collections modernes, Musée national d’art moderne
Commissaires associées
Julie Jones, conservatrice, Cabinet de la photographie, Musée national d’art moderne
Valérie Loth, attachée de conservation, Cabinet d’art graphique, Musée national d’art moderne
Prologue

Avec plus de 120 sculptures, ainsi que des photographies, dessins et films de l’artiste, la grande rétrospective « Brancusi », organisée au Centre Pompidou, constitue un événement exceptionnel. Elle offre l’opportunité de découvrir toutes les dimensions de la création de cet immense artiste considéré comme l’inventeur de la sculpture moderne.
La dernière exposition rétrospective Brancusi en France, et la seule, remonte à 1995 (sous le commissariat de Margit Rowell au Centre Pompidou). À la fois lieu de vie, de création et de contemplation, l’atelier de l’artiste, joyau de la collection du Musée national d’art moderne depuis son legs à la nation en 1957, forme la matrice de ce projet. En effet, le déménagement intégral de l’Atelier Brancusi dans le cadre des travaux de rénovation du Centre Pompidou est l’occasion unique de mettre en regard son contenu avec  Constantin Brancusi                                         Autoportrait avec la chienne Polaire
                                                                                      dans l’atelier
Vers 1921de nombreux autres chefs-d’oeuvre de l’artiste provenant des plus importantes collections internationales.

Un ensemble exceptionnel de sculptures, jouant sur le dialogue entre les plâtres de l’Atelier Brancusi et les originaux en pierre ou bronze, prêtés par de nombreuses collections privées et muséales (Tate Modern, MoMA, Guggenheim, Philadelphia Museum of Art, The Art Institute
of Chicago, Dallas Museum of Art, Musée national d’art de Roumanie, Musée d’art de Craiova…) sont ainsi réunies.

Parcours de l’exposition

Il y a 120 ans, un jeune artiste roumain traversait l’Europe à pied pour venir s’installer à Paris.
C’est là, dans la capitale en pleine effervescence culturelle, que Constantin Brancusi (1876-1957) invente une nouvelle manière de sculpter, un langage universel privilégiant la taille directe et les formes simples.
Très vite, son oeuvre exerce une grande fascination sur ses contemporains : nombre d’artistes et d’admirateurs se pressent dans son atelier, situé impasse Ronsin (15e arrondissement).

À la fois lieu de vie, de création et de présentation de son travail, cet atelier est conçu par l’artiste comme une oeuvre en soi et légué à sa mort à l’État français. Cet ensemble exceptionnel forme la matrice de l’exposition, complété de prêts majeurs de collections internationales.
Proposant de découvrir à la fois le parcours de Brancusi, les sources de son oeuvre et les grands thèmes que l’artiste n’a cessé d’approfondir, l’exposition met en avant la diversité de sa création : la sculpture, la photographie, le film, le dessin… Cet hommage au père de la sculpture moderne célèbre sa puissance d’invention et sa quête inlassable de beauté.
Il entend montrer un artiste vivant, pleinement inscrit dans son époque, dont la création se doit d’être toujours réactivée :
« Il ne faut pas respecter mes sculptures. Il faut les aimer et jouer avec elles. », disait-il.

Constantin Brancusi
Le Baiser
1907
Pierre
Musée d’art de Craiova, Craiova
© Succession Brancusi – All rights reserved
Adagp, Paris 2024
Crédit photographique : The Art Museum
of Craiova, Roumanie

Blancheur et clarté

« Constantin Brancusi habite un atelier de pierre dans l’impasse Ronsin, rue de Vaugirard.
Ses cheveux et sa barbe sont blancs, sa longue blouse d’ouvrier est blanche, ses bancs de pierre et sa grande table ronde sont blancs, la poussière de sculpteur qui recouvre tout est blanche, son Oiseau en marbre blanc est posé sur un haut piédestal contre les fenêtres, un grand magnolia blanc est toujours visible sur la table blanche. À une époque, il avait un chien blanc et un coq blanc. »
Ces mots de l’éditrice américaine Margaret Anderson témoignent de l’extraordinaire impression de clarté qui saisit les visiteurs de l’atelier, accueillis par de multiples figures de Coqs, dressées vers le ciel. Symboliquement associé à la France, terre d’accueil de l’artiste, l’animal évoque aussi par son chant le lever du jour, l’idée de commencement qui imprègne tout l’art de Brancusi.

Aux sources d’un nouveau langage

Après avoir suivi une formation académique en Roumanie, Brancusi arrive à l’âge de 28 ans à Paris. Remarqué par Auguste Rodin, il devient brièvement son assistant en 1907.
La puissante figure du maître fait office de repoussoir pour le jeune sculpteur. En 1907-1908, trois oeuvres majeures, Le Baiser, La Sagesse de la Terre et La Prière, montrent sa volonté de trouver sa propre voie. Brancusi rompt avec le modelage pour privilégier la taille directe.
Il abandonne le travail d’après modèle pour réinventer la figure de mémoire. Tout en étant profondément original, son art apparaît comme le creuset de ce qu’il peut alors voir à Paris :
les oeuvres antiques ou extra-européennes au musée du Louvre et au musée Guimet, mais également l’art de Paul Gauguin ou les recherches cubistes d’André Derain. Sa série autour du motif de la tête d’enfant éclaire son processus de fragmentation et de simplification des formes, visant à exprimer
« l’essence des choses ».

Ligne de vie

Brancusi conservait tout : lettres, articles de presse, agendas, factures… Ses archives, acquises par le Musée national d’art moderne en 2001 et conservées à la Bibliothèque Kandinsky, réunissent plus de dix mille lettres, livres, disques, documents… Elles constituent une mine d’or pour connaître la vie de l’artiste, ses amitiés, ses goûts, le replacer dans son époque et saisir la fascination qu’il exerce sur ses contemporains. Cet ensemble exceptionnel, dont une partie est exposée dans l’exposition, témoigne de la place centrale de Brancusi au sein de l’avant-garde internationale pendant plus d’un demi-siècle.

L’atelier

Dans l’atelier de Brancusi, tout ou presque naît de sa main : la grande cheminée en calcaire, les tabourets en bois ou les tables en plâtre servant à la fois de mobilier ou de socle…
Dans ses photographies, l’artiste se met lui-même en scène au travail, taillant, sciant ou modelant. Après la Seconde Guerre mondiale, s’il arrête quasiment de sculpter, il déplace, regroupe et combine sans cesse ses oeuvres. Quand une oeuvre est vendue, il la remplace par son tirage en plâtre ou en bronze pour conserver l’unité de l’ensemble. C’est à l’intérieur de ce lieu, à la fois musée de sa création et oeuvre en soi, que Brancusi impose sa vision d’un environnement total. À son décès en 1957, Brancusi lègue à l’État français son atelier, à charge pour celui-ci de le reconstituer. L’ensemble est installé d’abord de manière partielle au Palais de Tokyo puis intégralement au Centre Pompidou. L’un des quatre espaces de l’atelier, celui avec les outils, est reconstitué au coeur de l’exposition. (ci-dessus)

Féminin et masculin

Chez Brancusi, la simplification des formes et la suppression des détails sont paradoxalement sources d’ambiguïté. Dès 1909, l’artiste entame une réflexion sur le motif du torse féminin.
De sa Femme se regardant dans un miroir, nu encore classique, il ne retient que la courbe unissant les formes arrondies de la tête et de la poitrine pour aboutir à l’ambivalente
Princesse X. Est-ce une vierge ou une verge ? L’image idéale de la femme ou un phallus dressé ? L’aspect équivoque de la sculpture fait scandale et lui vaut d’être refusée au Salon des indépendants de 1920. L’art de Brancusi joue du double sens et de la métamorphose.
Le masculin et le féminin fusionnent en une même image, évoquant le thème de l’androgyne, déjà présent dans Le Baiser. Un même trouble s’exprime dans son Torse de jeune homme, au genre incertain. Perturbant l’ordre symbolique de la division des sexes, ces oeuvres font écho à l’esprit contestataire de Dada, porté à la même époque par ses amis Marcel Duchamp, Man Ray et Tristan Tzara.

Des portraits ?

Depuis ses débuts, le genre du portrait occupe une place centrale dans l’art de Brancusi.
En s’éloignant du visible pour aller à l’essentiel, le sculpteur n’en délaisse pas moins la figure humaine, en particulier féminine. Alors que les titres des sculptures conservent les noms des amies ou compagnes qui inspirent le sculpteur (Margit Pogany, la baronne Frachon, Eileen Lane, Nancy Cunard, Agnes Meyer…), leurs personnalités tendent à se fondre et se confondre
en un visage stylisé, ovale et lisse. Elles ne sont
« ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ».

Chacune se distingue par quelques signes élémentaires : yeux en amandes, chignon, bouclettes… Travaillant sans modèle, préférant reconstruire la figure de mémoire, Brancusi pose à travers ses portraits la question de la ressemblance et de la représentation.
Dans ses portraits dessinés, une même ligne souple décline les figures en profils et silhouettes.

L’envol

Le motif de l’oiseau, qui comporte plus de trente variantes en marbre, bronze et plâtre, occupe Brancusi pendant trois décennies. Initiées en 1910, les Maïastras au corps bombé, cou allongé et bec grand ouvert font référence à un oiseau fabuleux des contes populaires roumains.
Dans les années 1920, le sculpteur simplifie la forme, l’amincit et l’étire verticalement jusqu’à la limite de la rupture pour créer la série des Oiseaux dans l’espace. L’envol symbolise pour Brancusi le rêve de l’homme échappant à sa condition terrestre, son ascension vers le spirituel.
En 1927-1928, un procès oppose le sculpteur aux douanes américaines qui refusent le statut d’oeuvre d’art à un Oiseau en bronze, perçu comme une pièce industrielle métallique.

Vers 1930, le maharajah d’Indore lui commande deux Oiseaux pour un temple en Inde qui restera à l’état de projet. Ce caractère sacré, transcendant, transparaît dans le sous-titre de l’exemplaire exposé à New York en 1933 :
« Projet d’Oiseau qui, agrandi, emplira le ciel ».

Lisse et brut

Dans les photographies prises dans l’atelier, Brancusi cadre souvent ses sculptures au plus près, exploitant le pouvoir d’évocation des matériaux. Les surfaces patiemment polies, sur lesquelles toute trace du geste est effacée, contrastent avec des morceaux bruts ou taillés grossièrement. Ce jeu de matière est autant tactile que visuel, comme le souligne par son titre sa Sculpture pour aveugles. Avec le travail en série, chaque sculpture est à la fois unique
et multiple, souvent posée sur des socles superposés auxquels Brancusi porte un soin tout particulier. Composés de formes géométriques simples (croix, cube, disque…), ces supports créent un rythme ascensionnel dynamique et des jeux de correspondances. Brancusi remet en question le statut conventionnel de cet accessoire, traditionnellement utilisé pour surélever la sculpture et la distinguer de son environnement. Il convertit à plusieurs reprises certains
socles en sculpture autonome, refusant toute hiérarchie entre le haut et le bas, entre le banal et le noble.

Reflet et mouvement

« Nous ne voyons la vie réelle que par les reflets. »,
écrit Brancusi.
En polissant longuement le bronze, l’artiste obtient une surface brillante comme un miroir. De cette manière, la sculpture se projette au-delà d’elle-même et échappe à son strict contour. Les photographies et les films
de l’artiste confirment sa fascination pour les éclats de lumière, parfois aveuglants, et leur pouvoir de métamorphose des formes. L’oeuvre en métal poli absorbe, reflète et distord l’image de son environnement et celle de toute personne qui s’en approche. Animée par ce jeu de reflets, perpétuellement mouvants et changeants, la sculpture devient, comme Brancusi la définit,
« une forme en mouvement ». En posant certaines de ses oeuvres sur des roulements à bille, Brancusi fait véritablement tourner ses oeuvres sur elles-mêmes, à l’instar de Léda animée d’un mouvement circulaire comme un disque 78 tours sur un gramophone.

L’animal

Dans les années 1930 et 1940, plusieurs séries consacrées à la thématique de l’animal marquent une évolution vers des formes obliques ou horizontales. Au sein de ce bestiaire, deux groupes se distinguent : les volatiles (coqs, cygnes, oiseaux…) et les animaux aquatiques (poissons, phoques, tortues…). Avec de multiples versions, dans des matériaux et des formats variés, ses sculptures semblent répondre au principe naturaliste de l’espèce.
Par la simplification des formes, Brancusi vise à la fois à atteindre une figuration symbolique de l’animal et à retranscrire son mouvement.
Il explique : « Quand vous voyez un poisson, vous ne pensez pas à ses écailles, n’est-ce pas ? Vous pensez à sa rapidité, à son corps filant comme
un éclair à travers l’eau… »


Les images photographiques ou filmiques réalisées par le sculpteur
témoignent également de son lien étroit à la nature et au vivant.


Le socle du ciel

Brancusi a toujours nourri l’espoir de réaliser des oeuvres monumentales, comme en témoigne la reprise inlassable du motif du Baiser, stylisé et développé à l’échelle architecturale, sous forme de colonne et de porte. Une première occasion s’offre à lui en 1926, quand il plante sa Colonne sans fin dans le jardin de son ami Edward Steichen à Voulangis.
Née d’un modeste socle en bois, cette oeuvre radicale procède de la scansion verticale de l’espace par la répétition du même module, évoquant les piliers funéraires du sud de la Roumanie. C’est d’ailleurs dans son pays natal, à Târgu Jiu en 1937-1938, qu’il mène à bien son unique projet monumental. Sur un axe d’un kilomètre et demi traversant la ville, il place trois éléments symboliques : La Table du Silence, La Porte du Baiser et La Colonne sans Fin. Érigée en fonte métallisée à près de trente mètres de haut, cette dernière figure l’axis
mundi, le trait d’union entre la terre et le ciel, offrant au regard de multiples perspectives.

Informations pratiques

Un documentaire sur Arte
L’exposition « Brancusi » pour les familles
Un dépliant dédié au jeune public est librement disponible pour accompagner les enfants et leurs parents dans leur découverte active des oeuvres du père
de la sculpture moderne.
Tous les dimanches à 15h, la visite « Tribu » de l’exposition « Brancusi » permet d’explorer en famille l’univers de l’artiste.
Un dossier ressources dédié à l’artiste
Un dossier ressources numérique est dédié à Constantin Brancusi et son oeuvre. Il propose :
une approche biographique, une sélection d’oeuvres et des focus. Accessible sur le site internet du Centre Pompidou, les responsables de groupes y trouveront de nombreuses pistes pour préparer la visite ou en tirer profit après leur venue.
Retrouvez ici nos dossiers ressources sur l’art.
Le podcast de l’exposition
Disponible en français et en anglais, un podcast accompagne le parcours dans l’exposition.
Les paroles de Constantin Brancusi et de ses contemporains résonnent avec les propos d’Ariane Coulondre, commissaire de l’exposition, pour présenter les oeuvres phares et le travail de l’artiste.
Les visites guidées
Poser un regard curieux, critique et documenté sur la création, découvrir les enjeux esthétiques et historiques de l’exposition voici quelques-uns des temps forts que réservent les conférencières et conférenciers aux publics.
Visite guidée de l’exposition « Brancusi » en français : le samedi à 16h, le dimanche à 14h et à 16h (durée : 1h30).
Visite guidée de l’exposition « Brancusi» en anglais : le samedi à 12h (durée : 1h30).
Des visites adaptées sont également proposées aux personnes en situation de handicap.

Bijoy Jain / Studio Mumbai

A la Fondation Cartier jusqu'au 21 avril 2024
avec les artistes :
Alev Ebüzziya Siesbye et Hu Liu
Commissaire de l’exposition : Hervé Chandès,
Directeur Général Artistique de la Fondation Cartier
Commissaire associée : Juliette Lecorne,
conservatrice à la Fondation Cartier

En tant qu’architecte, j’apporte la plus grande
considération à la façon dont sont créées les choses.
L’essentiel est d’être attentif à l’environnement naturel,
aux matériaux et aux habitants.
L’espace et l’architecture doivent être inclusifs.
Bijoy Jain

Du 9 décembre 2023 au 21 avril 2024, la Fondation Cartier
pour l’art contemporain présente Le souffle de l’architecte,
une exposition spécialement créée pour l’institution par
larchitecte Bijoy Jain, fondateur du Studio Mumbai en Inde.
Il est l’auteur d’une oeuvre témoignant d’une profonde préoccupation pour la relation entre l’homme et la nature, et dont le temps et le geste sont des facteurs essentiels.
Il est l’auteur d’une oeuvre témoignant d’une profonde préoccupation pour la relation entre l’homme et la nature,
et dont le temps et le geste sont des facteurs essentiels.
Explorant les liens entre l’art, l’architecture et la matière, Bijoy Jain propose à la Fondation Cartier une création totale :
un espace de rêverie et de contemplation en dialogue avec
le bâtiment iconique de Jean Nouvel.

Le souffle de l’architecte

Bijoy Jain imagine une exposition qui se vit comme une expérience
physique et émotionnelle.
Le souffle de l’architecte offre aux visiteurs une véritable
invitation à respirer, à errer en toute quiétude, à redécouvrir
le silence :
« Le silence a un son, nous l’entendons résonner
en nous. Ce son connecte tous les êtres vivants. C’est le souffle
de la vie. Il est synchrone en chacun de nous. Le silence, le
temps et l’espace sont éternels, tout comme l’eau, l’air et la
lumière, qui sont notre construction élémentaire. Cette abondance
de phénomènes sensoriels, de rêves, de mémoire, d’imagination,
d’émotions et d’intuitions provient de ce réservoir d’expériences,
ancré dans les coins de nos yeux, dans la plante de nos pieds,
dans le lobe de nos oreilles, dans le timbre de notre voix, dans
le murmure de notre souffle et dans la paume de nos mains
Convoquant l’ombre et la lumière, la légèreté et la gravité,
le bois, la brique, la terre, la pierre ou encore l’eau,
l’architecte dessine une traversée sensorielle, en résonance
avec la matière. Élaborée au rythme du souffle et façonnée
à la main, l’exposition déploie une installation composée
de fragments architecturaux.

Sculptures en pierre ou en terracotta, façades d’habitats
vernaculaires indiens, panneaux enduits, lignes de pigments
tracées au fil, structures en bambou inspirées des tazias
– monuments funéraires portés sur les épaules à la mémoire d’un
saint lors des processions musulmanes chiites – ces constructions
transitoires et éphémères présentent un monde à la fois infini
et intime et nous transportent dans des lieux aussi proches
que lointains.

Bijoy Jain convie également l’artiste chinoise vivant à Pékin
Hu Liu et la céramiste danoise d’origine turque demeurant
à Paris Alev Ebüzziya Siesbye. Accordant la même importance
à la maîtrise rituelle du geste, à la résonance et au dialogue
avec la matière, tous trois partagent le même ethos et la même
sensibilité. Les dessins monochromes noirs de Hu Liu sont
entièrement réalisés au graphite, par l’itération d’un même
mouvement, afin de révéler l’essence d’éléments naturels :
l’herbe caressée par le vent, le ressac des vagues ou la
silhouette des branches d’un arbre.

Les céramiques d’Alev Ebüzziya Siesbye, comme en apesanteur,
sont également le fruit d’une grande dextérité et d’un dialogue
intense avec la terre.


Pour Bijoy Jain, le monde physique que nous habitons est
un palimpseste de notre évolution culturelle. L’humanité
traverse un paysage en constante évolution, dont les écritures
successives s’entremêlent.

Le souffle de l’architecte tente de donner un aperçu, aussi
fugace soit-il, de la sensorialité qui émane de l’architecture,
de la force intuitive qui nous lie aux éléments et de notre
rapport émotionnel à l’espace.

Bijoy Jain et le Studio Mumbai

Né en 1965 à Mumbai, en Inde, Bijoy Jain a étudié l’architecture à l’Université
de Washington à Saint-Louis, aux États-Unis.
Entre 1989 et 1995, il développe sa pratique architecturale à Los Angeles
dans l’atelier de maquettes de Richard Maier pour le Getty Museum, tout en
étudiant sous la direction de Robert Mangurian, fondateur de Studio Works.
Il a également travaillé à Londres avant de retourner en Inde en 1995.
Les créations de Studio Mumbai ont fait l’objet d’expositions dans
de nombreuses galeries à travers le monde, ainsi que d’acquisitions dans
les collections permanentes du Canadian Centre for Architecture, du MOMA à San Francisco et du Centre Pompidou à Paris.


Le travail de Studio Mumbai a fait l’objet d’expositions internationales notamment au Victoria and Albert Museum de Londres
en 2010, mais aussi à la Biennale de Sharjah en 2013, à Arc en rêve centre
d’architecture à Bordeaux en 2015, ainsi qu’à la Biennale d’architecture
de Venise en 2010 et 2016.
la Grande Médaille d’or de l’Académie d’Architecture de Paris (2014), le BSI
Swiss Architecture Award (2012), le Spirit of Nature Wood Architecture Award, décerné en Finlande (2012), le Aga Khan Award for Architecture (2010) dont il était finalistepour la 11e édition, et le Global Award in Sustainable Architecture (2009).

Informations pratiques

Visites guidées
LES MATINÉES GUIDÉES
Un moment privilégié hors des horaires
d’ouverture pour explorer en groupe l’exposition
en compagnie d’un médiateur culturel.
– Les mercredis, jeudis et vendredis matin à 10 h
Horaires d’ouverture
Tous les jours de 11 h à 20 h, sauf le lundi.
Nocturne le mardi, jusqu’à 22 h.
La fermeture des salles débute à 19 h 45
(21 h 45 les mardis).
Fondation Cartier
261 bld Raspail Paris

Sommaire du mois de mars 2024

Carreau du Temple Paris

30 mars 2024 : La Vierge Du Chancelier Rolin
29 mars 2024 : Drawing Now Art Fair
18 mars 2024 : MINISTÈRE DE L’IMPRESSION
13 mars 2024 : L’Olympisme, une invention moderne, un héritage antique
10 mars 2024 : NELKEN LINE
7 mars 2024  : Femmes de génie – les artistes et leur entourage
6 mars 2024  : Dan Flavin dédicaces en lumière
4 mars 2024  : Holbein et la Renaissance au Nord

La Vierge du chancelier Rolin

du 20 mars –au  17 juin 2024 au musée du Louvre
AILE SULLY,
1ER ÉTAGE,
SALLE DE LA CHAPELLE
Commissariat :
Sophie Caron, conservatrice au département des Peintures du musée du Louvre

Œuvre majeure de l’art occidental, à la dimension fortement méditative,
la Vierge Rolin peut aujourd’hui sembler difficile à comprendre.
C’est pourquoi l’exposition est
guidée par des questions, qui sont autant d’étapes du regard sur le tableau : pour quel(s) usage(s)
Van Eyck a-t-il conçu cette œuvre
si spéciale, à l’intention de Nicolas Rolin, chancelier du duché de Bourgogne ?
Pourquoi a-t-il peint à
l’arrière-plan un paysage tellement miniaturisé qu’il en est presque invisible ? Comment comprendre les deux petits personnages du jardin ? Quels dialogues l’œuvre entretient-elle à la fois avec l’art de l’enluminure et les bas-reliefs funéraires sculptés ? Peut-on savoir comment les artistes du XVe siècle ont compris cette œuvre ?

Le parcours déploie une narration en six sections permettant au visiteur d’entrer plan par plan dans le tableau, à la manière d’une lecture, La Vierge du chancelier Rolin étant placée au centre de la salle. Quatre de ces parties s’articulent autour d’au moins une œuvre de Jan van Eyck.

La première section est consacrée à la rencontre entre Nicolas Rolin et la Vierge à l’Enfant, ce dernier étant figuré de manière très inhabituelle en Salvator Mundi nu. L’œuvre est une scène de présentation à la Vierge particulièrement audacieuse, dans laquelle Rolin se fait représenter à la même échelle, à la même hauteur et dans le même espace que la Vierge et le Christ, qui le bénit, et ce sans être introduit par son saint patron. Le spectateur est exclu de la scène. Le prêt exceptionnel de la Vierge de Lucques du Städel Museum de Francfort offre un saisissant contrepoint, en plaçant le même spectateur dans la position de Rolin, à genoux et en prière devant la Madone.

Dans ce face-à-face, le visage fortement individualisé de Rolin est l’élément le plus frappant du tableau et la deuxième section permet de s’arrêter sur la question du portrait, si centrale dans l’art de Van Eyck et de ses grands contemporains comme Robert Campin ou Rogier van der Weyden. Deux des autres effigies de Rolin exposées sont d’ailleurs de la main de ce dernier (panneau du polyptyque du Jugement dernier des Hospices de Beaune et le manuscrit enluminé des Chroniques de Hainaut de la Bibliothèque royale de Belgique). La singularité de la représentation de Rolin par Van Eyck s’exprime aussi dans le somptueux costume, tout à fait inhabituel, dont Van Eyck a vêtu son commanditaire. Ce rapprochement d’œuvres d’artistes en constante émulation les uns avec les autres est encore enrichie par la présentation du Portrait de Baudoin de Lannoy (Berlin, Gemäldegalerie), autre dignitaire de la cour bourguignonne, qui est probablement le portrait eyckien le plus proche, par sa technique, de celui de Nicolas Rolin. Dans les deux cas, l’impression de vie est stupéfiante et
se manifeste par la représentation du passage du temps sur les visages.

Mais ces personnages se rencontrent dans un lieu par rapport auquel elles sont clairement disproportionnées. La troisième section s’attache à l’architecture peinte par Van Eyck, qui crée un lieu purement imaginaire, précieux et onirique mélange d’église romane et de palais aux touches méditerranéennes. Il s’agit avant tout d’un décor, conçu pour souligner le caractère hors normes de la rencontre. Les chapiteaux, qui n’imitent pas vraiment des chapiteaux romans réels, représentent des épisodes de la Genèse et évoque les fautes commises par les hommes, peut-être pour guider la prière de Rolin. La sublime Annonciation (Washington, National Gallery of Art), bien que d’une composition très différente de la Vierge Rolin, témoigne d’un répertoire commun dans le traitement de l’architecture par Van Eyck.

Par les trois arches aux chapiteaux richement ouvragés, le regard plonge dans le paysage, élément essentiel de la composition et sur lequel est centrée la quatrième section. Dans aucune autre de ses œuvres peintes, y compris le Saint François recevant les stigmates (Philadelphie, Museum of Art), Van Eyck n’a déployé un paysage d’une telle ampleur, d’un telle profondeur et d’une telle richesse de détails.

                                                              clic

Avec toute la virtuosité de son talent de miniaturiste, il crée un territoire dans lequel Rolin peut se projeter de façon à la fois familière et idéalisée. Il ne s’agit pas, en effet, d’un lieu réel mais seulement vraisemblable, qui permet une immersion presque hypnotique, favorable à la prière. L’œil peut se promener très précisément dans cette ville idéale des Pays-Bas bourguignons, guidé en un crescendo émotionnel et spirituel, à mesure qu’il se déplace de la gauche (derrière Rolin) vers la droite (derrière la Vierge et l’Enfant). Dans la Vierge Rolin, le paysage n’est pas plus miniaturisé que dans le bas de page du manuscrit dit des Heures de Turin-Milan de la main du maître.

L’avant-dernière section revient sur le plan médian du tableau, à savoir le jardin et les petits personnages qui ont fait couler tant d’encre.

Le jardin intérieur est marqué par une échelle incongrue par rapport aux autres plans du tableau, ce qui souligne le côté autonome et transitionnel de cet espace. Allusion au thème traditionnel de la Vierge dans un jardin clos, peuplé d’animaux et de plantes réels peints avec un souci illusionniste, cet espace est l’occasion de rapprochement avec l’art des peintres de Cologne, première source de la culture visuelle de Van Eyck mais aussi avec celui des orfèvres, notamment pour les petits objets émaillés qui connaissent, vers 1400, leur apogée technique, et avec celui de son contemporain, Pisanello.
Quant aux deux petits personnages, dont la taille dans le tableau ne dépasse pas deux centimètres de haut, ils sont issus de la tradition médiévale, tant littéraire que figurée dans les manuscrits, dans laquelle déjà ils orientent le regard du lecteur. Ici, ils nous invitent littéralement à plonger dans le paysage. L’homme au turban rouge, allusion possible et probable à l’artiste, semble être le guide de cette exploration. Un demi-siècle plus tard, des artistes comme Hieronymus Bosch (Ecce Homo, Francfort, Städel Museum) détourneront leur signification en la moralisant : ils deviennent ceux qui se détournent de l’essentiel en ignorant la scène principale.

La redécouverte la plus notable de la restauration est celle du revers peint représentant en un trompe-l’œil éblouissant un faux marbre vert que l’on peut aujourd’hui attribuer avec certitude au pinceau de Van Eyck. Il appuie l’hypothèse selon laquelle le tableau avait vocation à être manipulé et à être vu sur ses deux faces. La dernière section de l’exposition aborde donc cette question des deux fonctions de l’objet, probablement conçu pour deux rôles successifs : un tableau de dévotion mobile, proche de l’esprit des petits livres orfévrés, pouvant accompagner le chancelier Rolin dans ses incessants déplacements dans le vaste duché de Bourgogne, ayant à terme vocation à lui servir d’épitaphe dans l’église de Notre-Dame du Châtel à Autun. La composition du panneau révèle des affinités profondes avec les épitaphes sculptées et présente des enjeux similaires de représentation, tels que le montrent deux bas-reliefs de Tournai présentés dans l’exposition.

A la fin du parcours, grâce au projet closertovaneyck, conduit à l’initiative de l’Institut royal du Patrimoine artistique belge (KIK-IRPA), les visiteurs pourront s’immerger grâce à des images de très haute définition dans le paysage créé par Van Eyck, comme pouvait le faire Nicolas Rolin, penché sur son tableau.

La Vierge du chancelier Rolin cristallise à bien des égards les tensions qui traversent l’art flamand dans le premier tiers du XVe siècle, entre tradition médiévale et expérimentations révolutionnaires. En favorisant les rapprochements et comparaisons éloquentes, l’exposition lui permet d’exprimer au mieux à la fois sa singularité et son inscription dans son époque, et contribue à enrichir notre compréhension des dialogues menés par Van Eyck avec les artistes de son temps.

Seul tableau de Jan van Eyck (vers 1390/95-1441) conservé en France, la Vierge du chancelier Rolin est l’un des chefs-d’œuvre des peintures du Louvre. Il est pourtant aujourd’hui étonnamment méconnu.
La restauration dont il vient de faire l’objet au Centre de recherche et de restauration des musées de France est historique : l’œuvre n’avait jamais été restaurée depuis son entrée au musée en 1800. L’allègement des couches de vernis oxydés qui assombrissaient la peinture offre une redécouverte spectaculaire du tableau.
Le Louvre consacre une exposition exceptionnelle à cet événement, mêlant la présentation d’œuvres prestigieuses prêtées par de grands musées internationaux et un dispositif d’immersion numérique permettant de plonger le regard au cœur du tableau de Van Eyck. Une occasion de revoir la Vierge d’Autun et d’interroger autrement ce que l’on pensait savoir de cette œuvre iconique.

Informations pratiques

Horaires et jours d’ouverture
Le musée du Louvre est ouvert tous les jours, sauf le mardi.
La dernière admission se fait 1 h avant la fermeture. L’ évacuation des salles commence 30 min avant la fermeture.
9HT à 18H
lundi, mercredi, jeudi, samedi et dimanche
9HT à 21H45
vendredi
L’entrée principale du musée est la Pyramide du Louvre.
Elle se répartit en 4 files : les visiteurs sans billet, les visiteurs avec billet, les porteurs de carte (adhérents, ministère de la Culture, Pass Éducation, ICOM, etc.) et les accès prioritaires (PMR, personnels, etc.).
En cas d’affluence, un accès est aussi possible par le Carrousel du Louvre, le passage Richelieu ou la porte des Lions, en fonction de votre profil. Pensez à vérifier sur le plan ci-dessous la praticabilité de l’accès choisi :

EN MÉTRO

Lignes 1 et 7, station « Palais-Royal / Musée du Louvre »
Ligne 14, station « Pyramides »

EN BUS

N° 21, 27, 39, 67, 68, 69, 72, 74, 85, 95

Femmes de génie – les artistes et leur entourage

Elisabetta Sirani, la pénitente Marie Madeleine, 1663
Besançon, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie

Jusqu'au 30.6.2024, au Kunstmuseum Basel | Hauptbau
Commissaires : Bodo Brinkmann, Katrin Dyballa (Bucerius Kunst Forum), Ariane Mensger
Prologue

L’exposition Femmes de génie propose un nouvel éclairage sur l’histoire de l’art de l’Époque moderne en présentant une centaine d’oeuvres d’artistes femmes ayant rencontré du succès entre le XVIe et le XVIIIe siècle ainsi que de leurs proches masculins. Elle réunit des portraits, des peintures d’histoire, des natures mortes, des dessins et des oeuvres graphiques de la Renaissance, du baroque et du classicisme.
Entre 1500 et 1800, il y avait, au Nord comme au Sud de l’Europe, bien plus de femmes peintres, instructrices, éditrices et graveuses qu’on ne l’imaginerait. Certaines d’entre elles furent comblées de succès. Même s’il n’était pas impossible pour une femme de mener une carrière d’artiste, des conditions favorables devaient être réunies car cela allait à l’encontre du rôle de la femme dans la société.
L’exposition Femmes de génie retrace pour la première fois le parcours de plusieurs artistes femmes à travers de pertinentes mises en regard avec des oeuvres de leurs pères, frères, époux et rivaux et les intègrent dans le contexte des siècles prémodernes. Des rapprochements d’oeuvres concis révèlent de manière fascinante les correspondances et les divergences de contenu et de traitement. Le contexte social et familial est également mis en lumière. En outre, l’exposition offre l’occasion de découvrir, aux côtés d’oeuvres de peintres plus connues, celles d’artistes femmes tombées dans l’oubli, mais travaillant souvent à un haut niveau d’exigence.

Filles, épouses et peintres de cour

                                      Catharina van Hemessen (1528 – après 1565
Les corporations et les académies refusèrent longtemps l’accès aux femmes. Ainsi, les artistes étaient très souvent issues de familles d’artistes où elles étaient formées. Catharina van Hemessen (1528 – après 1565), qui réalisa à l’âge de 20 ans le premier autoportrait connu d’une artiste au travail figurant aujourd’hui au sein de la collection du Kunstmuseum Basel, apprit sans doute à peindre dans l’atelier de son père Jan Sanders van Hemessen (vers 1500 – vers 1556). Par ailleurs, nous savons que Marietta Robusti, dite la Tintoretta (vers 1554/55–1614), a, très jeune, assisté son père Jacopo Robusti, dit Tintoretto (1518/19–1594), dans la réalisation d’oeuvres de commande avant de devenir elle-même une peintre à succès.

                   Marietta Robusti, dite la Tintoretta (vers 1554/55–1614)
D’autres femmes eurent moins de chance et travaillèrent dans l’ombre des membres de leur famille. Leur style est souvent difficile à repérer, celui-ci se mêlant aux oeuvres de leurs maîtres selon les habitudes alors en vigueur dans les ateliers.
Michaelina Wautier (1604–1689) fut l’une d’entre elles. D’autres encore se marièrent avec un artiste. Rachel Ruysch (1664–1750) épousa le peintre Juriaen Pool (1666–1625) qui lui permit non seulement de peindre, mais on sait également que les natures mortes de Rachel se vendaient même mieux que les siennes et qu’il la soutenait véritablement dans son travail. Elle fut la première femme à être admise au sein de la guilde des peintres de La Haye

                                                           Rachel Ruysch (1664–1750)
En règle générale toutefois, le mariage entraînait l’abandon du métier exercé par la femme et la subordination à son époux, comme ce fut le cas pour Judith Leyster (1609–1660). Certes, la femme pouvait apporter en maints endroits son soutien à celui-ci dans son atelier, mais ses responsabilités familiales figuraient en réalité bien souvent au premier plan. Dès lors, des artistes comme Maria van Oosterwijk (1630–1693) choisirent de ne pas se marier.
Bien qu’il s’agisse de cas plus rares, il est intéressant de remarquer ces femmes artistes nées loin de la profession qui apprirent pourtant à peindre. Elles appartenaient à la noblesse, à la bourgeoisie comme au milieu de l’artisanat. Sofonisba Anguissola (1532–1625) fut l’une d’entre elles. Formée par le peintre Bernardino Campi (1522–1591), elle fut en engagée comme peintre à la cour d’Espagne grâce à son père qui fit sa promotion de manière ciblée. Leur lien avec la cour permettait aux femmes artistes de connaître la gloire et les honneurs en toute autonomie, plus tard cela leur facilitait l’accès à l’académie. Katharina Treu (1743–1811) fut ainsi la première femme disposant d’un titre de professeure au sein d’une académie allemande grâce au soutien du prince-électeur Charles-Théodore du Palatinat. L’enseignante la plus connue parmi ces artistes femmes est peut-être Angelika Kauffmann (1741–1807) qui fut, entre autres, membre de la Royal Academy de Londres. Toutefois, sans le soutien d’un entourage masculin, ces femmes n’auraient jamais connu le succès.

Au cours de ces siècles, les thèmes du portrait et de la nature morte florale prédominent chez les artistes femmes. Néanmoins, des exceptions pouvaient se produire : la peinture d’histoire, le plus noble des genres, constituait parfois le sujet du tableau. Il n’existe pas de thème « typiquement féminin », les motifs étant surtout l’expression du lieu de la pratique artistique et de l’époque où vivait chaque artiste. Le cercle des commanditaires déterminait également le sujet : tandis que la bourgeoisie s’affermit comme commanditaire aux Pays-Bas et en Allemagne, la noblesse conserva sa suprématie en Italie et en Espagne où s’ajoutaient des commandes ecclésiastiques encore plus importantes. Ces commandes déterminaient également les formats. Ainsi, le tableau de genre (d’un rang inférieur) s’imposa dans certaines régions du Nord à partir du XVIIe siècle face au tableau d’histoire qui perdura dans le Sud. Le portrait et la nature morte florale se retrouvent toutefois de la même façon chez les artistes du Nord comme du Sud.

De l’Italie à l’Allemagne

Les 19 artistes femmes sont regroupées selon leur origine géographique dans les cinq salles d’exposition au rez-de-chaussée du Kunstmuseum Basel | Hauptbau. Une première salle spacieuse est consacrée aux peintres italiennes Sofonisba Anguissola, Lavinia Fontana (1552–1614), Marietta Robusti, dite la Tintoretta, et Elisabetta Sirani (1638–1665).

Fedele Gallicia

Anne Vallayer-Coster

Une seconde salle, plus petite, expose des natures mortes romanes de Fede Galizia (vers 1574/78–1630), Louise Moillon (vers 1610–1696) et Anne Vallayer-Coster (1744–1818), avant une troisième qui présente les peintres flamandes Catharina van Hemessen, Michaelina Wautier et Judith Leyster. La quatrième salle se concentre sur les natures mortes du Nord avec Rachel Ruysch, Maria van Oosterwijk, Maria Sibylla Merian (1647–1717) et Alida Withoos (1662–1730), tandis que la cinquième salle se referme sur Katharina Treu et Dorothea Therbusch (1721–1782) originaires d’Allemagne, ainsi qu’Anna Waser (1678–1714), Anna Barbara Abesch (1706–1773) et Angelika Kauffmann natives de Suisse.
L’exposition réserve, en outre, une place aux femmes graveuses. Au sein des ateliers de gravure sur cuivre où se pratiquait aussi la gravure à l’eau-forte, les femmes travaillaient également dans le cercle familial avant tout. Comme il était habituel de munir les gravures d’informations détaillées sur le fabricant, le nom de ces femmes nous sont parvenus. Au sein des cabinets d’art graphique situés au premier étage du bâtiment principal du musée, des études de cas présentent trois des représentantes majeures de ce type d’art : Diana Mantovana (vers 1547–1612) issue de la famille éponyme de graveurs de Mantoue et de Rome, Magdalena de Passe (1600–1638) qui joua un rôle des plus actifs dans l’atelier de son père Crispijn de Passe à Cologne puis à Utrecht, ainsi que Maria Katharina Prestel (1747–1794) qui se maria avec son maître, Johann Gottlieb Prestel, avec lequel elle se lança, avec succès, dans le commerce alors florissant de la gravure de reproduction.

Des prêts internationaux

L’exposition est le fruit d’une coopération entre le Bucerius Kunst Forum d’Hambourg et le Kunstmuseum Basel, quoique l’étape bâloise plus circonscrite ne présente qu’une sélection des oeuvres exposées à Hambourg et publiées dans le catalogue accompagnant l’exposition. Elle rassemble des prêts d’oeuvres de collections publiques et privées internationales, dont la Galerie degli Uffizi à Florence, le Kunsthistorisches Museum à Vienne, le Rijksmuseum Amsterdam, les Staatliche Museen de Berlin, le Städel Museum de Francfort, la Staatsgalerie Stuttgart et la Gemäldegalerie Alte Meister à Dresde.
La publication richement illustrée contenant des contributions de Bodo Brinkmann, Katrin Dyballa, Sabine Engel, Ariane Mensger, Rahel Müller, Sandra Pisot, Sarah Salomon, Andreas Tacke, Iris Wenderholm et Seraina Werthemann a paru aux éditions Hirmer Verlag.

Informations pratiques

Kunsmuseum-neubau
St. Alban-Graben 8, Postfach
CH-4010 Basel
Tel. +41 61 206 62 80

Depuis la gare SBB tram n° 2 arrêt Kunstmuseum

Holbein et la Renaissance au Nord

photo Pierre Henninger

 
Conservateur du Musée Städel : Prof. Dr. Jochen Sander (Musée Städel, directeur adjoint et chef de la collection de peintures hollandaises, flamandes et allemandes avant 1800)
Durée de l'exposition : du 2 novembre 2023 au 18 février 2024

Elle est considérée comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la Renaissance allemande : la Madone du maire Jacob Meyer zum Hasen (1526-1528) de Hans Holbein le Jeune.

Le célèbre tableau était présenté dans la grande exposition
« Holbein et la Renaissance au Nord » au Musée Städel. L’œuvre était à nouveau visible à Francfort après plus de 10 ans.
Le tableau était en possession des grands-ducs de Hesse et du Rhin depuis la première moitié du XIXe siècle et a été exposé au Schlossmuseum de Darmstadt jusqu’en 2003, avant d’être exposé au Städel Museum à partir de 2004. En 2009, les propriétaires décident de vendre le tableau. Malgré les efforts conjoints des propriétaires et du musée Städel, le musée Städel n’a pas pu acquérir la toile, ni la rendre accessible au public. Le tableau, qui figure sur la liste des biens culturels de valeur nationale et est donc protégé contre l’exportation.Il a ensuite été acquis par l’entrepreneur, collectionneur et mécène Reinhold Würth, qui le rend accessible au public dans la Johanniterkirche de Schwäbisch Hall depuis 2012. Prêt important de la collection Würth, la Madone de Holbein était présentée dans l’ exposition aux côtés d’environ 130 peintures, dessins et gravures exceptionnels d’autres artistes pionniers de la Renaissance provenant des plus importants musées d’Europe.

                                              Holbein le Jeune

Le directeur du Städel, Philipp Demandt, déclare :

« La Madone de Holbein est une œuvre clé de notre grande exposition de peinture de la Renaissance. En tant que directeur du Städel, je suis
très heureux de cet important prêt de la Collection Würth. C'est grâce à l'entrepreneur Hohenloh, collectionneur d'art et mécène, que ce chef-d'œuvre peut encore être vu - c'est lui seul qui a assumé l'obligation de sécuriser cette œuvre et de la conserver pour le public. Le Musée Städel, fondé il y a plus de 200 ans par des donateurs privés, considère également ce prêt généreux comme une reconnaissance de son travail. Car avec Reinhold Würth, qui met gratuitement à la disposition du public son importante collection d'art dans cinq musées et dix dépendances d'art, nous partageons l'intention de rendre l'art accessible aux gens et de le regarder encore et encore."  


une La Madone de Solothurne avec St Martin et St Ursus

Le collectionneur et entrepreneur Reinhold Würth à propos de son
engagement :
« L’art relie les gens et les incite à penser et à s’immerger dans d’autres mondes. Nos musées sont fondamentalement les lieux les plus démocratiques, où tout le monde est égal . Depuis 2012, la Madone de Hans Holbein le Jeune enchante les visiteurs d’ici et d’ailleurs au Schwäbisch Hall. C’est un grand plaisir pour moi que le tableau soit présenté cet automne à la grande exposition sur la peinture de la Renaissance du Nord à Francfort. Je suis sûr que le Städel Museum saura une fois de plus créer une exposition aussi innovante que belle. Un point culminant de l’exposition est la rencontre de la Madone de Holbein de la collection Würth avec la Madone de Soleure (1522, Musée d’art de Soleure), également peinte par Holbein le Jeune. L’exposition Städel « Holbein et la Renaissance dans le Nord » (2 novembre 2023 – 18 février 2024) donne un aperçu de l’évolution de l’art entre le gothique tardif et le début des temps modernes avec une vue sur l’importante ville impériale et métropole commerciale d’Augsbourg « .

Les pionniers

Ce sont surtout les peintres Hans Holbein l’Ancien et Hans Burgkmair l’Ancien qui ont testé de nouvelles possibilités picturales à Augsbourg. Ce n’est pas pour rien qu’ils sont considérés, aux côtés d’Albrecht Dürer, comme les pionniers de la Renaissance allemande, que Holbein le Jeune a finalement fait connaître dans toute l’Europe.

                                             Albrecht Dürer
L’exposition – Holbein et la Renaissance au Nord– Le Musée Städel a présenté un aperçu complet, des débuts de la peinture de la Renaissance au nord des Alpes. L’accent est mis sur la métropole impériale et commerciale d’Augsbourg, qui a connu une prospérité culturelle et économique au début du XVIe siècle. Cela est dû à divers facteurs : le sens artistique de la scène internationale.

Les maisons de commerce comme le Fugger ou le Welser, les nombreux séjours de l’empereur Maximilien Ier et le Reichstag qui s’y réunissait souvent. Augsbourg se caractérise par un climat particulièrement ouvert d’esprit dans lequel les positions de l’art de la Renaissance influencées par la culture humaniste de l’Italie sont mises à l’épreuve. Outre Albrecht Dürer, les pionniers comprenaient également des collègues artistes et concurrents

Hans Holbein l’Ancien (environ 1460/70–1524)
et Hans Burgkmair l’Ancien (1473-1531).


Ils ont emprunté des voies nouvelles et très différentes dans leur art : alors que Holbein s’est d’abord intéressé aux innovations de la peinture hollandaise depuis Jan van Eyck,

                                                               Jan van Eyck,
Burgkmair s’est orienté vers l’art le plus récent en Italie. Les deux artistes représentent différentes possibilités stylistiques de la peinture de la Renaissance, qui a également inspiré d’autres artistes d’Augsbourg à des degrés divers à cette époque. L’influence de cet art sur la génération suivante d’artistes peut être vue dans les œuvres de Hans Holbein l’Ancien. J., qui développa les positions apparues à Augsbourg et diffusa son travail dans toute l’Europe.
Pour la première fois, un nombre important de peintures, dessins et gravures les plus importants de Holbein et Burgkmair sont rassemblés pour l’exposition, y compris le monumental «Autel dominicain» (1501) de Holbein de la collection du musée Städel, «Sainte Catherine» (environ 1509/10, Fondation Schloss), Friedenstein, Gotha) ou la « Madone sur l’Altan » (vers 1519/20, Gemäldegalerie, Berlin) ainsi que le « Christ sur le mont des Oliviers » de Burgkmair (1505, Hamburger                        Donatello
Kunsthalle), le «Mise au Tombeau» (vers 1520, Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid) ou les portraits du couple Schellenberger (1505/07, Musée Wallraf-Richartz & Fondation Corboud, Cologne). Ces œuvres sont complétées par des œuvres d’autres artistes d’Augsbourg datant d’environ 1480 à 1530 ainsi que par des œuvres sélectionnées d’artistes allemands, italiens et hollandais. Il y avait entre autres : également Albrecht Dürer, Donatello et Hugo van der Goes, qui ont influencé l’œuvre de Holbein l’Ancien, et Burgkmair a eu un impact durable.

Hugo van der Goes

Informations pratiques

staedelmuseum.de
Service aux visiteurs et visites guidées : +49(0)69-605098-200, info@staedelmuseum.de
Lieu : Musée Städel, Schaumainkai 63, 60596 Francfort-sur-le-Main

LACAN, L’EXPOSITION

Quand l’art rencontre la psychanalyse

Magritte

Au Centre Pompidou Metz jusqu'au 27 mai 2024
Galerie 2
Commissariat : Marie-Laure Bernadac et Bernard Marcadé, historiens
de l‘art, associés à Gérard Wajcman et Paz Corona, psychanalystes

LE PODCAST DU CENTRE POMPIDOU-METZ

Présentation

La pensée de Jacques Lacan est avec celles de Roland Barthes, Michel Foucault, Jacques Derrida et Gilles Deleuze, essentielle pour comprendre notre contemporanéité.
Or, si des hommages et des expositions ont déjà considéré la plupart de ces figures intellectuelles, la pensée de Lacan reste à ce jour, sur le plan muséal,
inexplorée, alors que ce dernier a entretenu une relation très forte avec les oeuvres d’art.
Lacan n’a-t-il pas déclaré dans un texte consacré à l’oeuvre de Marguerite Duras que « en sa matière, l’artiste toujours […]
précède [le psychanalyste] et qu’il n’a donc pas à faire le psychologue là où
l’artiste lui fraie la voie » (« Hommage fait à Marguerite Duras du Ravissement
de Lol V Stein » (1965), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001).

Plus de 40 ans après la mort du psychanalyste, il apparaît en effet essentiel
d’envisager une exposition liée aux relations privilégiées de Lacan avec l’art, en mettant en résonance à la fois les oeuvres qu’il a lui-même indexées, les artistes qui lui ont rendu hommage, ainsi que les oeuvres modernes
et contemporaines qui peuvent faire écho aux grandes articulations conceptuelles de sa pensée.

Lacan ouvre un champ novateur qui s’inscrit au coeur de notre modernité et de notre actualité. On se débat aujourd’hui avec des problèmes de sexe, d’amour, d’identité, de genre, de pouvoir, de croyances ou d’incrédulité, autant de questions sur lesquelles le psychanalyste a apporté des repères précieux.

Le parcours est à voir et à expérimenter comme une traversée des notions spécifiquement lacaniennes.

Liste des artistes

Saâdane Afif, Jean-Michel Alberola, Francis Alÿs, Ghada Amer, Carl Andre, Art & Language, Hans Bellmer, Marianne Berenhaut, Julien Bismuth, Pierre Bismuth, Olivier Blanckart, Louise Bourgeois, Constantin Brancusi, Brassaï, Marcel Broodthaers, Claude Cahun, Sophie Calle, Mircea Cantor, Caravage, Jean-Baptiste Carhaix, Maurizio Cattelan, Jean-François Chabaud, Nina Childress, Gustave Courbet, Salvador Dalí, Gaëtan Gatian de Clérambault, Deborah De Robertis, Brice Dellsperger, Hélène Delprat, Wim Delvoye, Edi Dubien, Marcel Duchamp, Jean Dupuy, Éric Duyckaerts, Latifa Echakhch, Tracey Emin, Sammy Engramer, Leandro Erlich, Cerith Wyn Evans, Lucio Fontana, Dora García, Alberto Giacometti, Robert Gober, Pascal Goblot, Jean-
Luc Godard, Nan Goldin, Felix Gonzáles-Torres, Douglas Gordon, Raymond Hains, Camille Henrot, Gary Hill, Pierre Huyghe, Benoît Jacquot, Michel Journiac, Anish Kapoor, Mike Kelley, Anselm Kiefer, Sharon Kivland,
Joseph Kosuth, Arnaud Labelle-Rojoux, Suzanne Lafont, Suzy Lake, Laura Lamiel, Bertrand Lavier, Claude- Nicolas Ledoux, Jean-Jacques Lequeu, Olivier Leroi, Pascal Lièvre, Jacques Lizène, Lea Lublin, Ghérasim Luca,
Sarah Lucas, Urs Lüthi, René Magritte, Benoît Maire, Victor Man, Man Ray, Piero Manzoni, Maria Martins, André Masson, Nelly Maurel, Paul McCarthy, Clémentine Melois, Ana Mendieta, Mathieu Mercier, Annette
Messager, Miss.Tic, Pierre Molinier, François Morellet, Jean-Luc Moulène, Bruce Nauman, ORLAN, Jean- Michel Othoniel, Juan Perez Agirregoikoa, Francis Picabia, Pablo Picasso, Domenico Piola, Michelangelo
Pistoletto, Michel Powell, Jean-Charles de Quillacq, Carol Rama, Pablo Reinoso, Madeleine Roger-Lacan, François Rouan, Éléonore Saintaignan, Niki de Saint-Phalle, Carolee Schneemann, Martin Scorsese, Alain Séchas, Cindy Sherman, Mira Shor, Walter Swennen, Alina Szapocznikow, Agnès Thurnauer, Betty Tompkins, Rosemarie Trockel, Clovis Trouille, Tatiana Trouvé, Gavin Turk, Ida Tursic & Wilfried Mille, Valie Export, Diego Vélasquez, Jean-Luc Verna, Dominique-Vivant Denon, Andy Warhol, Martha Wilson, Peter Whitehead, Gil
Joseph Wolman, Wou-Ki Zao, Francisco de Zurbarán.

GRANDS AXES DE L’EXPOSITION

LE STADE DU MIROIR

Inaugurale et fondamentale, la théorie du stade du miroir, élaborée par Jacques Lacan en 1936, met au jour le rôle remarquable de l’image pour l’Homme et livre le secret de l’étrange amour qu’il voue à sa propre image. Cette expérience,
primordiale pour le développement psychique de l’enfant, engendre la prise de conscience de sa globalité, par son reflet.
Le stade du miroir révèle le drame intime que chacun doit traverser afin de s’identifier à lui-même, d’accéder à l’unité de son corps et de pouvoir dire
« Je ». Cette théorie est donc révélatrice de la question de l’identité, qui se constitue dans une aliénation, à l’image du Narcisse peint par Caravage
ou de la fameuse scène de Taxi Driver de Martin Scorsese.
Opaque ou effacé chez Marcel Broodthaers et chez Bertrand Lavier, scindé en deux chez Felix Gonzalez-Torres, métaphore du tableau chez Michelangelo Pistoletto, le miroir est au coeur de l’expérience analytique, comme l’incarne l’installation de Leandro Erlich.

LALANGUE

Jacques Lacan tient en 1955-1956 son séminaire intitulé Les Psychoses, au cours duquel il explique que « l’inconscient est structuré comme un langage », explication poursuivie lors de La Troisième. En 1971, il précise son point de vue en inventant le néologisme « lalangue », formulé à la faveur d’un lapsus, pour désigner une fonction du langage en prise avec ce qu’il qualifie de Réel. Autour d’une grande installation de Marcel Broodthaers reliant le « coup de dés » poétique de Stéphane Mallarmé à la pensée analytique de Lacan, les artistes fêtent les jeux de mots et d’esprit, déjà chers à Michel Leiris (François Morellet, Bruce Nauman, Jean Dupuy), la littéralité (René Magritte, Olivier Leroi), les lapsus, les jaculations sonores (Ghérasim Luca), le babil, voire la langue
des oiseaux avec la palissade de skis « rossignolesques » de Raymond Hains, artiste lacanien par excellence, comme en témoignent ses annotations des nombreux livres du psychanalyste.

LE NOM-DU-PÈRE

Cette notion est élaborée dans les années 1950 par Jacques Lacan comme signifiant de la fonction symbolique paternelle, pensée comme un semblant, une fiction. Le Nom-du-Père fait initialement référence à la tradition chrétienne, désignant un Père tout puissant, l’instance de la Loi et de l’interdit. Lacan va rompre avec cet ordre patriarcal, se faisant ainsi l’écho des
mutations sociales contemporaines, en différenciant le père réel et le père imaginaire. Ce terme peut aussi être compris comme le « Non du Père », père contre lequel se révolteront des artistes comme Louise Bourgeois, Niki de Saint Phalle, Camille Henrot, qui ont hérité du patronyme, et fonderont leur oeuvre
sur le meurtre ou sur la destruction du Père. Nina Childress, quant à elle, évoque la relation de la fille au Père, avec Film Freud. Avant elles, Hans Bellmer ou Claude Cahun avaient déjà mis à mal la figure paternelle. Enfin, Lacan opérera à la fin de sa vie un glissement sémantique du « Nom-du-Père » à la formule
« Les non-dupes errent », que reprend ironiquement Sophie Calle en voilant
« La mère veille ».

Maurizio Cattelan, Sans titre, 2007
Résine, vêtements, cheveux humains, tissu d’emballage,
bois, vis et ancre en bois, 235 × 137 × 47 cm
Milan, collection particulière
Courtesy de Maurizio Cattelan’s Archives

OBJET a

Invention cardinale de Jacques Lacan, l’objet a, qui dès la fin des années 1950 qualifie « l’objet cause du désir » en tant que manque, reste et chute, trouve de spectaculaires échos dans les arts moderne et contemporain. La liste que Marcel Duchamp dresse, en 1912, pour son « transformateur des petites énergies gaspillées » apparaît comme une préfiguration de cette notion.
Aux quatre objets emblématiques – le Sein, la Merde, la Voix et le Regard – s’ajoutent, par capillarité, la Chute, le Rien, le Corps morcelé, mais aussi le Phallus en tant qu’il est, pour Lacan, le signifiant du Manque. Dressés, anamorphosés, voilés et détumescents, les avatars phalliques de l’objet a sont légion dans les arts antique et renaissant (de la villa des Mystères aux
Ambassadeurs de Hans Holbein), mais aussi, singulièrement, dans l’art de notre temps. Au sein de cette galaxie, l’objet Regard occupe une place centrale, jusqu’à nous faire glisser vers le Trou, par lequel le regardeur peut scruter le corps de la femme d’Étant donnés, l’oeuvre ultime de Marcel Duchamp revisitée par Mathieu Mercier.

REGARD

Depuis l’Antiquité, la science et la philosophie n’ont cessé de
se poser la question : qu’est-ce que voir ? Lacan a parcouru
toutes les théories de la vision, des conditions de la vision
posées par Aristote aux théories ondulatoires et corpusculaires
de la lumière du XXe siècle, en passant par la perspective
géométrale de la Renaissance, l’optique de Johannes Kepler
et d’Isaac Newton ou La Dioptrique de René Descartes. C’est
finalement une parole du Christ dans l’Évangile de Matthieu
qui mène à tout éclairer : « Ils ont des yeux pour ne pas
voir. » Lacan s’interroge alors : « pour ne pas voir quoi ? »
si justement les choses les regardent. Renversement radical
et décisif, ce qui détermine foncièrement les sujets voyants
dans le visible, dit Lacan, c’est le regard, qui est au-dehors.
De Marcel Duchamp et René Magritte à Anish Kapoor,
d’Alberto Giacometti, Hans Bellmer à Lea Lublin et Mathieu
Mercier, les peintres, dessinateurs et sculpteurs brandissent
le regard comme objet non pas seulement dans l’art, mais
de l’art lui-même. Nous voyons les oeuvres, mais nous aussi
sommes regardés par les oeuvres.

Michael Powel 1960 Peeping Tom

L’ORIGINE DU MONDE

L’Origine du monde de Gustave Courbet a été acquise par Jacques Lacan et sa femme Sylvia en 1955. La même année, le psychanalyste commande à André Masson, beau-frère de Sylvia, ami du couple et de Georges Bataille, un cache sous la forme d’un mince panneau de bois peint coulissant, qui vient masquer ou qui révèle l’oeuvre de Courbet.

Devenue mythique, L’Origine du monde a fait l’objet de nombreuses interprétations de la part d’artistes femmes, qui ont soit pris le parti d’afficher plus ouvertement le sexe féminin, soit d’y ajouter, dans une démarche plus conceptuelle, des patronymes célèbres féminisés ou bien un visage.

LES MÉNINES

Au mois de mai 1966, lors de son séminaire XIII, consacré
à L’Objet de la psychanalyse, Jacques Lacan s’est employé
méticuleusement à analyser l’allégorie cardinale de la peinture
que constituent Les Ménines de Diego Vélasquez. Ce tableau
déjoue tous les codes de la perspective, mais, en tant que mise
en abîme du processus de la représentation, il se présente aussi
comme un écran qui cache autant qu’il donne à voir. Lacan
perçoit un « objet secret », dans la « brillante vêture » de l’infante doña Margarita Teresa, « personnage central, modèle préféré de Vélasquez, qui l’a peinte sept ou huit fois ». Sertie dans la robe de l’Infante, la fente est à la fois évidente et cachée, visible et invisible. Il n’est pas meilleure définition de l’objet a, l’oeuvre Les Ménines faisant appel aux registres du fantasme et de la pulsion scopique freudienne. La fente, cet « objet central », se référant à la théorie freudienne de la division du sujet (Spaltung), trouve,
selon Lacan, un écho visuel dans les lacérations des « Concetti spaziali » de Lucio Fontana.

LA FEMME

La formule lacanienne « La femme n’ex-siste pas » signifie qu’aucune définition universelle de la femme n’est possible.
Les femmes existent, incontestablement, mais sans qu’aucune catégorie ou article défini puisse les qualifier. Selon Lacan, elles sont plurielles, par essence, et leur existence ne peut être liée à aucun signifiant : « on la dit-femme, on la diffame » (Encore, Le Séminaire, Livre XX). Avec ce postulat, Lacan propose de déconstruire, par le langage, la vision normative qui prend racine dans
les structures patriarcales, en y opposant la multiplicité de la construction du féminin. Dans Ma collection de proverbes (1974) oeuvre contemporaine du séminaire Encore, que Lacan dédie à la jouissance féminine, Annette Messager se fait couturière en écrivant point par point les préjugés à l’encontre des femmes. Les corps féminins que Tracey Emin dessine et peint inlassablement
ne sont jamais fixés, pour leur part, dans une forme, du fait que « pas-tout » le féminin ne peut se dire, se montrer ou se peindre.

Jouissances

Pour Jacques Lacan, dire tout de la jouissance est impossible,
car elle est d’un autre ordre que le signifiant ; la parole
ne suffit pas à exprimer ce qui affecte le corps, elle rate
toujours son objet et, donc, elle se répète. La psychanalyse
lacanienne définit la jouissance comme étant au-delà du
plaisir et du désir. Selon Lacan, il existerait en effet deux types
de jouissance : l’une, phallique (attachée à l’acte sexuel, à
l’interdit, oedipienne) ; l’autre féminine (au-delà du phallus,
éprouvée dans le corps, dans le réel et dans l’imaginaire).
Les deux sexes y ont accès. Blow Job d’Andy Warhol tout
comme Arched Figure de Louise Bourgeois mettent ainsi en
évidence le fait que chez l’homme la jouissance peut très bien
se passer de la parole et que jouissance et amour ne sont
pas nécessairement liés. Dans son séminaire Encore, Lacan
commente la Transverbération de sainte Thérèse de Bernin, et
s’intéresse aux extases mystiques qui fascinent et parcourent
aussi la scène artistique contemporaine

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LE CENTRE POMPIDOU-METZ
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VAN GOGH à Auvers-sur-Oise


 à Auvers-sur-Oise, Vincent  van Gogh, Champ de blé sous des nuages d’orage, 1890, huile sur toile, Amsterdam

Au musée d’Orsay jusqu'au 4 février 2024
Commissariat :
Emmanuel Coquery,
conservateur général, directeur du développement culturel et du musée de la Bibliothèque nationale de France, Paris ;
Nienke Bakker,
conservatrice des peintures au Van Gogh Museum, Amsterdam.
En collaboration avec Louis van Tilborgh et Teio Meedendorp, chercheurs au Van Gogh Museum, Amsterdam.
Exposition organisée par l’Établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie – Valérie- Giscard-d’Estaing, Paris, et le Van Gogh Museum, Amsterdam.

Les derniers mois

Cette exposition événement – d’abord présentée au Van Gogh Museum
à Amsterdam jusqu’au 3 septembre 2023 – est consacrée aux œuvres
produites par Vincent van Gogh durant les deux derniers mois de sa
vie à Auvers-sur-Oise, près de Paris : un véritable chant du cygne
où l’artiste, plus prolifique que jamais, livre toutes ses dernières forces
dans son art. L’exposition constitue l’aboutissement d’années de recherches sur cette phase cruciale de la vie de l’artiste.

Arrivé à Auvers-sur-Oise le 20 mai 1890, Vincent van Gogh y décède
le 29 juillet à la suite d’une tentative de suicide. Durement éprouvé par
les différentes crises subies à Arles puis dans l’asile de Saint-Rémy,
Vincent van Gogh se rapproche de Paris et de son frère Théo,
désormais marié et père d’un petit Vincent, pour retrouver un nouvel
élan créatif. Le choix d’Auvers tient à la présence dans le village du Dr Gachet, médecin spécialisé dans le traitement de la mélancolie, et par ailleurs ami des impressionnistes.

Van Gogh s’installe au centre du village, dans l’auberge Ravoux, et explore tous les aspects du nouveau monde qui s’offre à lui, tout en luttant contre des inquiétudes multiples, alors même qu’il connaît une notoriété naissante dans la critique.
Aucune exposition n’a encore été consacrée exclusivement à cette ultime période de sa carrière, alors qu’à Auvers, l’artiste a produit 73 tableaux et 33 dessins, parmi lesquels des chefs-d’œuvre iconiques comme Le Docteur Paul Gachet,

L’église d’Auvers-sur-Oise, ou encore Champ de blé aux corbeaux. L’exposition met en lumière cette période prolixe, à travers une cinquantaine de tableaux et une vingtaine de dessins. Elle présente notamment une série unique dans l’œuvre de van Gogh : onze tableaux d’un format allongé en double carré, et se conclut par une plongée dans la dimension cinématographique du mythe van Gogh.

Biographie

La vie de van gogh
30 mars 1853 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Vincent van Gogh
naît à Zundert (Pays-Bas), dans une famille bourgeoise.
Son père, Theodorus van Gogh, est pasteur.
1869 – 1876 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Van Gogh est employé
chez Goupil & Cie, maison de commerce d’art, à La Haye,
Londres puis Paris.
1878 – 1880 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Après des études
abandonnées de théologie, il devient prédicateur laïc dans
le Borinage, près de Mons, en Belgique, auprès d’une
population de mineurs de charbon.
1880 – 1886 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Il décide de devenir
artiste, prend des cours de peinture mais se forme surtout
en autodidacte, à La Haye, dans la Drenthe, et à Nuenen.
Son frère Theo subvient à ses besoins.
février 1886 – février 1888 . . . . . . . . Il vit chez Theo
à Paris, côtoie Émile Bernard, Paul Gauguin, Henri de
Toulouse-Lautrec ou Paul Signac, et expose ses oeuvres.
février 1888 – mai 1889 . . . . . . . . . . . . Il s’installe à Arles.
Le 23 octobre, Gauguin le rejoint et travaille avec lui.
Le 23 décembre, après une dispute, Van Gogh se tranche
l’oreille gauche. Ses premières crises de démence apparaissent.
mai 1889 – mai 1890 . . . . . . . . . . . . . . . . . Il est interné à l’asile
Saint-Paul-de-Mausole, près de Saint-Rémy-de-Provence.
20 mai – 29 juillet 1890 . . . . . . . . . . . . Van Gogh s’installe à
Auvers-sur-Oise, à l’auberge Ravoux. Il meurt des suites
d’un coup de revolver dans la poitrine, tiré le 27 juillet.

Sa dernière toile

Les Racines 1890

Autour de l’exposition

En visite
Réalité virtuelle « La palette de Van Gogh »
Activité proposée pendant toute la durée de l’exposition
Réservation obligatoire sur billetterie.musee-orsay.fr
Durée : 10 min / tarif : 6 € (n’inclut pas le droit d’entrée
au musée)

Picasso. Dessiner à l’infini

Pablo Picasso
Portrait de Françoise, Paris, 20 mai 1946
Musée national Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso, 1979 – MP1351
© Succession Picasso 2023
Photo © RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau

À l’occasion de la célébration des cinquante ans de la mort de Pablo Picasso, l’exposition « Picasso. Dessiner à l’infini », organisée par le Centre Pompidou en collaboration avec le Musée national Picasso - Paris, met en lumière la part la plus foisonnante de sa création à travers la présentation de près de mille œuvres (carnets, dessins et gravures).
(18 octobre 2023 – 15 janvier 2024)  Galerie 1, niveau 6
qui explore toutes les possibilités du dessin.

Commissariat
Anne Lemonnier, attachée de conservation, Musée national d’art moderne
Johan Popelard, conservateur du patrimoine, en charge des arts graphiques, Musée national Picasso-Paris
Réalisation : Clara Gouraud
Montage et mixage : Antoine Dahan
Habillage musical : Sixième son

Conférence : à écouter

Prologue

L’exposition met en lumière la part la plus foisonnante de sa création en réunissant près de mille oeuvres : carnets, dessins et gravures dont la plupart sont issues de la collection du Musée Picasso-Paris.
Depuis les études de jeunesse jusqu’aux oeuvres ultimes, le dessin est le lieu, pour Picasso, d’une invention toujours renouvelée autour des puissances du trait, allant de la ligne serpentine au dessin hachuré et aux compositions proliférantes, des nuances délicates du pastel aux noirs profonds de
l’encre.
Cette traversée de l’oeuvre graphique, sorte de journal intime tenu compulsivement, dont les carnets sont les exemples les plus précieux, offre une immersion au coeur du travail du dessinateur. L’exposition met en avant l’extraordinaire collection du Musée national Picasso-Paris, issue des ateliers de l’artiste et conservée par lui jusqu’à sa mort. Le parcours proposé, non linéaire, bousculant la stricte chronologie, permet de créer des échos entre
différentes périodes et met en regard des chefs-d’oeuvre reconnus et des dessins présentés pour la première fois.
Plus grande rétrospective de l’oeuvre dessiné et gravé jamais organisée,
« Picasso. Dessiner à l’infini » plonge le visiteur dans le tourbillon de la création picassienne.

Parcours de l’exposition

Visages

Au cours de son oeuvre, Pablo Picasso n’a cessé d’inventer et d’expérimenter, prenant souvent le contrepied de ce qu’il avait fait dans la période précédente. Dans ses ateliers étaient rassemblées des oeuvres de toutes les périodes et de tous les styles, accrochées ou simplement posées contre le mur, créant des dialogues inattendus, des jeux d’échos ou de dissonances. S’il est impossible d’avoir une vue globale de l’oeuvre prolifique de l’artiste, les douze dessins rassemblés ici autour du motif du visage permettent d’en saisir l’extraordinaire variété technique et stylistique, témoignant d’un questionnement
toujours renouvelé sur les moyens de la représentation :

« Qu’est-ce qu’un visage, au fond ? » se demandait Picasso en 1946, « sa photo ? son maquillage ? […] Ce qui est devant ? Dedans ? Derrière ? Et le reste ? Chacun, ne le voit-il pas à sa façon ? »

Ligne pure et prolifération
En bleu

À partir de 1902, la couleur bleue devient dominante dans les oeuvres de Picasso, définissant une période de quelques années dans la production de l’artiste. Guillaume Apollinaire sera le premier à évoquer rétrospectivement ces « peintures bleues » dans un article de 1905. Les figures de marginaux et les scènes nocturnes dans les cafés, presque monochromes, acquièrent une dimension tragique. Le critique Christian Zervos note le « charme étrange » de ces figures qui reviennent « souvent hanter » le spectateur.
Dans les écrits de Picasso, le bleu revient aussi avec insistance, notamment dans Les Quatre Petites Filles, une pièce de théâtre qu’il compose en 1947-1948, où il rend un hommage vibrant à cette couleur : « le bleu, le bleu, l’azur, le bleu, le bleu du blanc,le bleu du rose, le bleu lilas, le bleu du jaune, le bleu du rouge, le bleu citron, le bleu orange… ».

Saltimbanques

En 1905, les peintures, dessins et gravures de Picasso se peuplent de saltimbanques.
Le cirque Medrano dresse alors son chapiteau à quelques pas de son atelier du Bateau‑Lavoir, au pied de la butte Montmartre. Mais plutôt que les feux de la piste, c’est l’envers du décor – la pauvreté, la marginalité, l’errance – que Picasso dépeint ; en cela, il s’inscrit dans une lignée poétique, celle de Charles Baudelaire et de Paul Verlaine. Les échanges avec Guillaume Apollinaire, rencontré cette même année 1905, sont fondateurs. Dans « Crépuscule »,
le poète évoque une arlequine « frôlée par les ombres des morts », un charlatan
« crépusculaire », un arlequin « blême » et un aveugle qui « berce un bel enfant » – à l’intersection entre deux mondes, les saltimbanques sont des passeurs vers l’au-delà.

Nus rouges

Entre la fin de l’année 1906 et l’été 1907, Picasso multiplie les esquisses, notamment dans seize carnets de formats divers, à travers lesquels se cristallise progressivement la composition des Demoiselles d’Avignon. Le poète André Salmon décrit « l’inquiétude » de l’artiste dans les mois qui précèdent l’élaboration du tableau : « Il retourna ses toiles et jeta ses pinceaux. Durant de longs jours, et tant de nuits, il dessina, concrétisant l’abstrait et réduisant à l’essentiel le concret ». De grands nus féminins, dessinés à la
gouache ou à l’aquarelle rouges, sont parmi les premières oeuvres qui annoncent cette intense phase de travail. Comme absorbées dans un rêve intérieur, les yeux souvent clos, ces apparitions féminines deviennent des images entêtantes, répétées d’un dessin à l’autre.

Liste des sections

derniers jours

Les trois Rois Mages

Albrecht Dürer (1471-1528), L’Adoration des Mages (peinture à l’huile sur bois de pin, 1504), Musée des Offices, Florence, Italie.

En France, la tradition de la galette des rois vient célébrer l'épiphanie. Mais qui sont vraiment ces trois rois mages ? Que dit le texte biblique sur ces personnages ?
Sont-ils trois ? Sont-ils rois ? Sont-ils mages ?

Les Inconnus incarnent les Rois Mages ! Mais les mages ne sont-il pas les véritables inconnus de l’affaire ?

De bon matin, ils ont rencontré trois grand rois

Ils chantent la venue des Rois Mages : 300 petits chanteurs affiliés aux Pueri Cantores entonnent La marche des rois dans la magnifique cathédrale de Saint-Louis des Invalides à Paris. De notre côté, on vous fait découvrir une nouvelle chose sur ces fameux rois dans L’éclairage !

Le texte biblique qui raconte la venue des Mages à Bethléem pour adorer Jésus

Jésus étant né à Bethléem de Judée aux jours du roi Hérode voici que des mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem disant :
– Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Car nous avons vu son étoile à l’orient et nous sommes venus l’adorer.

Ce que le roi Hérode ayant appris il fut troublé et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple et il s’enquit auprès d’eux où devait naître le Christ.

Ils lui dirent :
– À Bethléem de Judée car ainsi a-t-il été écrit par le prophète : Et toi Bethléem terre de Juda tu n’es pas la moindre parmi les principales villes de Juda car de toi sortira un chef qui paîtra Israël mon peuple.

Alors Hérode ayant fait venir secrètement les mages s’enquit avec soin auprès d’eux du temps où l’étoile était apparue. Et il les envoya à Bethléem en disant :
– Allez, informez-vous exactement au sujet de l’enfant et lorsque vous l’aurez trouvé faites-le-moi savoir afin que moi aussi j’aille l’adorer.

Ayant entendu les paroles du roi ils partirent. Et voilà que l’étoile qu’ils avaient vue à l’orient allait devant eux jusqu’à ce qu’elle vint et s’arrêta au-dessus du lieu où était l’enfant. À la vue de l’étoile ils se réjouirent avec une très grande joie.
Ils entrèrent dans la maison, trouvèrent l’enfant avec Marie sa mère et se prosternant, ils l’adorèrent puis, ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent des présents : de l’or de l’encens et de la myrrhe. Et ayant été avertis en songe de ne point retourner vers Hérode ils regagnèrent leur pays par un autre chemin.

Chapitre 2 de l’Évangile de Matthieu dans le Nouveau Testament, versets 1 à 12. Traduit par les équipes de notre programme de recherches La Bible En Ses Traditions
Fray Juan Bautista Maino (1581-1649), L’adoration des mages (Huile sur toile, 1611-13), Musée du Prado, Madrid, Espagne.
Les trois Rois Mages : une invention de la tradition chrétienne

On passe au tapis 3 points de ce récit à travers 3 questions :

  • sont-ils trois ?
  • sont-ils rois ?
  • d’où sortent leurs prénoms ?

Trois mages, vraiment ?

En fait, rien n’assure qu’ils sont seulement trois. Les trois « rois mages »,
« Gaspard, Melchior et Balthasar », sont l’un des fruits de la tradition.

En effet, le texte du Nouveau Testament ne précise pas le nombre de mages. Plusieurs traditions ont existé. Celle qui a fini par dominer est celle qui compte trois rois, d’après les trois dons qu’ils apportent : l’or, l’encens et la myrrhe.

Des rois ou des conseillers royaux ?

Rien n’atteste non plus que les « mages » sont aussi des « rois ». C’est d’ailleurs étranger à l’esprit du texte biblique : les mages orientaux ne sont pas des rois mais plutôt des conseillers royaux. Tertullien (au tournant du IIème et du IIIème siècle) est le premier à avoir vu dans ces mages des rois, car, dit-il, l’orient était gouverné par des mages (Contre Marcion, 3,13)

Une tradition qui remonte au VIème siècle

Progressivement la tradition a aussi nommé les rois. Les prénoms Gaspard, Balthazar et Melchior apparaissent pour la première fois dans le Livre de la Caverne des trésors, ouvrage écrit en langue syriaque et attribué par plusieurs traditions manuscrites à Éphrem de Nisibe.

Pierre Paul Rubens (1577-1640), L’adoration des mages (huile sur toile, 1617-18), Musée des Beaux-Arts de Lyon, France.

Le mot de la fin

Bernanos s’était visiblement donné la peine de lire le texte biblique puisqu’il parle d’eux comme de simples « Mages ». Dans un petit écrit sur Luther, datant de 1943, il fait parler le Christ et propose une méditation magnifique de ce qu’est l’Eglise :

«  Dès le commencement, mon Église a été ce qu’elle est encore, ce qu’elle sera jusqu’au dernier jour, le scandale des esprits forts, la déception des esprits faibles, l’épreuve et la consolation des âmes intérieures, qui n’y cherchent que moi.

Oui, frère Martin, qui m’y cherche m’y trouve, mais il faut m’y trouver, et j’y suis mieux caché qu’on le pense, ou que certains de mes prêtres prétendent vous le faire croire – plus difficile encore à découvrir que dans la petite étable de Bethléem, pour ceux qui ne vont pas humblement vers moi, derrière les Mages et les Bergers.

Car c’est vrai qu’on m’a construit des palais, avec des galeries et des péristyles sans nombre, magnifiquement éclairés jour et nuit, peuplés de gardes et de sentinelles, mais pour me trouver là, comme sur la vieille route de Judée, ensevelie sous la neige, le plus malin n’a encore qu’à me demander ce qui lui est seulement nécessaire : une étoile et un cœur pur. « 

« Martin Luther », 1943, cité par A. Béguin, Bernanos par lui-même, Paris, Seuil, 1954.

texte les  Bernardins