Le curieux

Il est curieux ce personnage à la raie au milieu, dont on aperçoit le bout du nez et le regard derrière le phylactère vierge tenu des deux mains, au-dessus et au-dessous.

Quatorze fois répété sur l’archivolte qui surplombe le tympan de Conques : c’est la perfection Numérique 14 : 2. Avec le huitième qui termine chaque série à l’horizontale, c’est la plénitude. S’agit-il de figures angéliques ? Nul ne le sait en vérité, aussi les a t’on nommé Les « Curieux »

Le tympan polychrome de Conques
est une œuvre unique de la sculpture romane. La matière employée est le calcaire de Lunel. Les couleurs d’origine sont encore là en demi-teinte. La composition est une merveille d’équilibre et de sens spirituel. Le jugement de Conques se tisse comme une immense toile de fond théologique, liturgique, intellectuelle, féodale, morale. Pénétrer dans l’abbatiale de Conques est une démarche particulière, un mélange de spiritualité, de recueillement et d’admiration pour ce lieu extraordinaire. Dans une belle tranquillité nous avons eu la chance de monter jusqu’aux tribunes, afin de contempler les vitraux de Pierre Soulages qui complètent admirablement l’ architecture romane et aussi d’en repérer tous les détails.

photos de l’auteur
Visite virtuelle de l’abbatiale de Conques

autres détails en 7 pages

Livia de Poli à Mulhouse

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Livia de Poli a investi certaines places de la ville, avec ses sculptures colorées.
On se souvient de ses  « Morts Joyeuses » en 2008.
L’oeuvre de Livia de Poli est marquée par une virtuosité technique maîtrisée que l’artiste dépasse afin d’atteindre un art plus contemporain et torturé, non dénué d’humour. Si le corps reste une souce d’inspiration constante pour cette artiste venue d’Italie, le visage sera le fil d’Ariane qui nous conduira jusqu’à ces mystérieuses, Morts Joyeuses, rencontre entre Eros et Thanatos.
Vues l’été 2007, lors de l’exploration de la ligne bleue des Vosges, j’ai revu dans le jardin du musée des Beaux Arts de Mulhouse, ses sculptures, j’ai été intriguée par ce minotaure au féminin, « La Licorne du Fayé », rappelant autant Niki de St Phalle que le thème si cher à Picasso. Je suis ressortie du musée, enchantée, amusée, ravie même je dirai à l’idée de mourir en laissant une image hilarante, aux dents bien blanches et à la bouche cramoisie, couchée aux côtés d’un amant-aimant ….
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Hommage à Courbet
Virtuosité, rondeurs, couleurs (rouge et blanc), cette magicienne nous démontre toutes les facettes de son talent, avec un mélange d’humour, d’érotisme mais aussi d’émotion et un net penchant pour la morbidité, en un portrait contrasté de la Femme.
 
Tremblements Rouges
Les céramiques de Livia, virevoltent entre bouches, êtres hybrides, têtes et autres noeuds, Arcimboldo n’aurait pas renié Vertumne et Primavera.
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photos et vidéo grâce à l’aimable autorisation de l’artiste

La petite fille au ruban bleu

Suite à la projection sur France 5, je remonte mon article de 2009, sur le portrait d’Irène Cahen d’Anvers peint par Renoir en 1880.

J’ai été émue, mais aussi très admirative, de ce portrait croisé à la fondation Bürhle à Zurich. J’ai tenté par mes lectures d’en remonter l’histoire.

Voici ce qu’en disait Henri Michaux :

« Dans le visage de la jeune fille est inscrite la civilisation où elle naquit. Elle s’y juge, satisfaite ou non, avec ses caractères propres. Le pays s’y juge encore plus, et si l’eau y est saine, légère, convenablement minéralisée, ce qu’y valent la lumière, le manger, le mode de vie, le système social…Le visage des filles, c’est l’étoffe de la race même, plus que le visage des garçons…Le visage est leur oeuvre d’art, leur inconsciente et pourtant fidèle traduction d’un monde…visages mystérieux portés par la marée des ancêtres… visage de la jeune fille à qui on n’a pas encore volé son ciel… visage musical qu’une lampe intérieure compose plus que ses traits et dont le visage de madone serait l’heureux aboutissement »

Le portrait de Mademoiselle Irène Cahen d’Anvers, peint par Renoir en 1880, aujourd’hui unanimement reconnu comme un pur chef-d’œuvre. Traduisant avec délicatesse la rêverie mélancolique d’une jeune fille, ses grands yeux ingénus, sa chevelure rousse déployée sur le dos et ses mains sagement posées sur les genoux – « peu d’œuvres ont réussi comme celle-ci à capter tout ce qui nous demeure inaccessible du monde intérieur d’un enfant », écrit à son propos Pierre Assouline –, ce tableau n’eut pourtant pas une vie facile. Dès sa conception, l’œuvre déplaît fortement à la famille Cahen d’Anvers, et plus encore à la jeune Irène, qui déteste ce portrait d’elle-même et le détestera toute sa vie. Le chef-d’œuvre, comble d’infamie, sera relégué dans un placard, avant d’être recueilli, en 1910, par la propre fille d’Irène, Béatrice, offert par sa grand’mère la Comtesse Cahen d’Anvers.
Renoir et les Cahen d’Anvers se séparèrent dans de mauvaises conditions. Mécontents du travail de l’artiste, ils firent accrocher ces 2 tableaux (le pendant étant les 2 sœurs Elisabeth et Alice – Rose et Bleu) dans les communs de leur hôtel. On ne pouvait être plus méprisant, il mirent du retard à régler Renoir, d’autant plus qu’aucun prix n’avait été fixé par avance. Finalement avec mauvaise grâce, ils lui firent remettre 1 500 francs (1880). C’était plus qu’il n’avait jamais touché, mais nettement moins que ce qui se pratiquait ailleurs. D’autant plus que les Cahen d’Anvers étaient parmi les commanditaires présentés les plus riches.
Fort déçu de tant de pingrerie Renoir en eut des accès de mauvaise humeur antisémite que seule put tempérer la présence du portrait d’Irène dans une expositionà la galerie Durand-Ruel deux ans après.
Pour la petite fille au ruban bleu ce fut le début d’une presque légende.
Irène Cahen d’Anvers se laissa épouser par le comte Moïse de Camondo, à 19 ans le 15 octobre 1891. Elle se sépara du comte Moïse de Camondo, se convertit au catholicisme pour épouser celui qui avait entraîné les chevaux des écuries des Camondo, le comte Charles Sampieri.
C’est ainsi que la toile retourna dans la famille Cahen d’Anvers.
Trois décennies plus tard, la guerre s’abat sur les Cahen d’Anvers et les nazis raflent familles et tableaux. Le portrait de Mademoiselle Irène Cahen d’Anvers, dont la valeur, entre-temps, est devenue inestimable, (tombe entre les mains de Goering, qui le cède à un certain Georg Bührle), riche industriel suisse d’origine allemande, pourvoyeur d’armes lourdes pour la Wermacht et gros acheteur de tableaux volés. Léon Reinach époux de Béatrice de Camondo tente en vain de récupérer le tableau.
Mais à la Libération, Irène Cahen d’Anvers, ex-de Camondo et désormais comtesse de Sampieri, découvre dans l’exposition
« Chefs-d’œuvre des collections françaises retrouvés en Allemagne » une liste d’objets d’art pillés, la trace de son Renoir, et entreprend de le récupérer. La spoliation est manifeste, pour un tableau aussi connu et maintes fois exposé, et dont les légitimes propriétaires, Béatrice et Léon Reinach, ont disparu dans les camps. Aussi Irène héritière de sa fille, récupère-t-elle son tableau, mais c’est pour s’apercevoir qu’il lui déplaît toujours autant..
L’ex-épouse de Moise de Camondo, Irène devenue catholique et comtesse de Sampieri, divorcée du compte Sampieri, échappa aux nazis. Elle récupéra la fortune des Camondo par l’héritage Reinach après la guerre, et la dilapida.
Pauvre Renoir ! Rarement œuvre fut plus haïe par son modèle ! En 1949, elle le met en vente dans une galerie parisienne. Un amateur, aussitôt, s’en porte acquéreur. C’est… Georg Bürhle. Le portrait reprend le chemin de la Suisse, en toute légalité cette fois, et c’est ainsi qu’il se trouve aujourd’hui à Zurich, à la Fondation Bührle.
Dans le film que je viens de voir sur France 5, la cession par Goering à Bührle semble moins sûre.

D’après les dernières informations connues, il semblerait que c’est Irène Cahen d’Anvers qui aurait mis elle-même son  portrait en vente. Ce serait à  cette occasion que Monsieur Emil Bührle s’en est porté acquéreur. Il aurait aussi rendu les oeuvres spoliées à leurs propriétaires ou héritiers.

Kunsthaus, la Collection Emil Bührle

En 2021, à l’occasion de l’ouverture de l’extension du Kunsthaus, la Collection Emil Bührle, collection privée de renommée internationale, entrera au Kunsthaus. Le projet prévoit de placer les 166 tableaux et 25 sculptures de cette collection près de la section consacrée à l’art moderne afin d’offrir au public une continuité temporelle dans la présentation, dans un espace d’environ 1000 m2 spécialement conçu pour elles. Le regroupement des collections du Kunsthaus et de la Fondation Bührle dans un seul espace donnera naissance au plus important pôle européen de peinture impressionniste française après Paris.

Pour Zurich et la Société zurichoise des beaux-arts, la participation active d’Emil Bührle aux destinées du Kunsthaus a toujours été précieuse. Des dons comme les monumentaux tableaux de nymphéas de Claude Monet ou la Porte de l’Enfer d’Auguste Rodin sont désormais des incontournables de la collection. En finançant l’aile destinée aux expositions, Emil Georg Bührle a permis dans les années 1950 la naissance d’une plateforme dédiée à des événements originaux, où aujourd’hui encore, le public entre directement en contact avec l’art. Le travail de médiation culturelle auquel cette spectaculaire collection privée donnera lieu abordera bien sûr l’histoire de l’art, mais envisagera également la problématique des recherches de provenance, en replaçant les activités de l’entrepreneur et collectionneur Emil Georg Bührle (1890-1956) dans le contexte de l’histoire suisse.

De Holbein à Tillmans au Schaulager de Bâle

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Depuis le 4 avril, l’exposition «Holbein bis Tillmans» propose, dans le Schaulager de Bâle, 200 œuvres – peintures, sculptures, installations ou vidéos – étalées sur cinq siècles. Ces créations sont la propriété du Kunstmuseum, mais ont dû en sortir en raison de l’exposition que le musée bâlois consacre à Vincent van Gogh
A la frontière avec Bâle-Campagne, le bâtiment Schaulager, «le plus grand coffre au trésor de Bâle», monolithe signé des architectes Herzog & de Meuron, apparaît comme surgi du sol, cerné d’usines et de dépôts. On traverse la ligne de tram pour pénétrer dans une grotte de luxe. C’est ici que la commissaire et directrice des lieux Theodora Vischer a proposé ce déménagement inédit qui rapproche, par exemple, les Accidents et les  Ten-foot Flowers d’Andy Warhol des photographies du jeune allemand Wolfgang Tillmans.
Mais «Holbein bis Tillmans» est d’abord l’essai d’une rencontre entre les époques. La première œuvre, symbole de cette exposition, une photographie de l’artiste Rodney Graham représentant un savant, en selle à l’envers sur un cheval mécanique, lisant l’annuaire téléphonique de Vancouver la ville où il réside,  pour Allegory of Folly (2005), s’amuse du parallèle qui naît avec le portrait d’Erasme signé Hans Holbein (1530), vieux de cinq siècles, suspendu dans la salle contiguë. Parce que «l’art d’autrefois vu avec les yeux d’aujourd’hui peut parfois retrouver son actualité d’origine», explique Theodora Vischer.rodney-graham-allegory-of-folly.1249646830.jpg
C’est l’Etude d’un monument équestre « In the Form of a Wind Vane » L’artiste canadien reprend la pensée d’Erasme et fait allusion à son écrit provocateur, imprimé à Bâle, Das Lob der Torheit (1509) qui fit scandale à son époque. La modernité du sujet est évidente ainsi que le clin d’œil aux portraits présentés
Parmi les portraits peints par Hans Holbein le Jeune, on peut admirer celui de Bonifacius Amerbach, ami d’Erasme et de Holbein, grand collectionneur, qui céda sa collection au Kunstmuseum de Bâle en 1662.hans-holbein-portrait-de-bonifacius-amerbach.1249646913.jpg
La collection du musée des Beaux Arts de Bâle est ainsi la plus ancienne collection publique du monde.
Etrangement c’est une photo de Candida Hofer (1944) de la peinture d’un portrait de l’épouse de Holbein, en compagnie de leur fille Katharina et de leur fils Philippe, (car cette toile comme le  Christ Mort, ne doit jamais quitter le Kunst) est mise en coïncidence avec une toile de Picasso, Homme, Femme, Enfant.
Ce couloir vous conduit à l’installation de Llya Kabalov, « Mutter und Sohn » « das album meiner mutter » (1993) des lampes de poche sont à votre disposition pour découvir, ce que Beila Solodonkirna a rassemblé en souvenir de son fils, des objets usuels dérisoires, suspendus par  des fils, sur des cordes, comme une immense lessive, dans la pénombre, tout au long des murs des photos de famille.
Une autre étrangeté la vidéo «  Annex » de Tacita Deans filmant Mario Merz au visage menaçant.
La vidéo de Bill Viola, « Anthem » montre une jeune asiatique, laissant échapper un cri par moments, marchant dans une civilisation post-industrielle au son d’une étrange complainte,  seule humaine à L.A.
Les photos d’Andreas Gursky , montrant les bourses de Tokyo et de Frankfort  sont d’une technique plus actuelle.
David Claerbouts, dans sa vidéo nous emmène dans un « Happy Moment » où un groupe joue au ballon en toute quiétude.
Des tableaux noirs avec des dates d’On Kawara (1933) entourent une installation de Peter Fischli et David Weiss (1992/93) peter-fischli-david-weiss-tisch-1992-1993-detail.1249647123.jpgSur une immense table où ils ont déposé 750 objets reproduits en polyuréthane  significatifs de leur travaux en atelier.
Merian Maria Sibylla avec sa petite souris et ses fraises, voisine avec le RattenKönig de Katharina Fritsch, joli clin d’œil.
Les vanités et allégories de l’éphémère, se répondent avec le présentoir de Katatharina Fritsch, où une multitude des petits cerveaux (comme la pensée unique – formatée)katarina-fritsch.1249647514.JPG avec la toile de Remy Zaugg, gris sur gris, la vidéo de Gary Hill projetant un arbre minimaliste.
Toutes les associations ne sont pas pertinentes. Certaines toiles gagnent à être vues de loin :  telle Damascus de Frank Stella voisinant avec  Cedra de Donald Judd.
La madone de Robert Gober, transpercée par un énorme tuyau, à travers lequel apparaît un escalier où coûle l’eau purificatrice, trône toujours au-dessus de sa grille, flanquée de 2 coffres tout aussi aquatiques.
Les grands murs bénéficient d’un accrochage à touche-touche, muni d’un guide panoramique vous pouvez découvrir les noms des auteurs des toiles, quelques belles surprises.
Une exposition riche en découvertes, une occasion d’approcher les fonds souvent cachés du Kunstmuseum et de la Fondation Laroche. Il faudrait citer d’autres artistes et leurs oeuvres.
 Exposition visible jusqu’au 4 octobre.

Pas de documentation, ni de catalogue en français, vous  vous guidez seul à l’aide du texte allemand ou anglais. Encore moins de possibilité de photos.
 

Passions partagées

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« N’oublions pas que nous sommes ici face à un somptueux gâteau de fête. Normal dans ces conditions qu’il s’agisse moins d’une exposition que d’une suite de tableaux. A tout anniversaire, il faut de lumineuses bougies. »
la Tribune de Genève

Pour ses 25 ans, l’Hermitage de Lausanne a sorti le grand jeu. L’institution propose un florilège de 108 œuvres allant
 «de Cézanne à Rothko». Il s’agit de parcourir, l’art du XXe siècle. Mais les collections privées suisses, seules sollicitées, ne semblent-elles pas inépuisables?
Située dans une belle demeure du XIXe siècle, la Fondation de l’Hermitage accueille des expositions temporaires consacrées aux Beaux-Arts.cimg0006.1249129464.JPG
Elle est entourée d’un parc magnifique, ouvert en permanence au public sur lequel s’ouvrent les fenêtres et vous assistez à des tableaux sur l’extéreur au milieu des tableaux.
Vingt-cinq ans d’engagement passionné au service de l’art et des artistes, ont vu la belle demeure construite par la famille Bugnion au milieu du XIXe siècle accueillir des centaines de milliers de visiteurs enthousiastes.
A la fois directrice de l’Hermitage et commissaire de l’exposition, Juliane Cosandier accorde un reconnaissant
tribut à la clairvoyance des collectionneurs suisses.
Elle fait passer le visiteur de Renoir à Soulages et Richter en bonne maîtresse de maison. Il y en a pour tous les goûts. Aucun genre ne semble favorisé,
La Genevoise s’est pourtant offert le luxe de former quelques ensembles. On pense notamment aux quatre Braque fauves,georges-braque-paysage-a-lestaque.1249129285.jpg dont deux de toute beauté, ou aux Forêts de Max Ernst, qui datent comme par hasard des meilleures années du peintre.
Ont ainsi été favorisées les œuvres de grande taille, faites pour être vues de loin. Celles qui frappent, en un mot. Il s’agit de séduire, tout en impressionnant, mission accomplie.
Que citer : les admirables  Paul Klee ou l’inoubliable No 15 (1952) de Mark Rothko.
La petite salle du sous-sol consacrée à Giacometti est tout à fait remarquable, plaisante à retrouver même si l’on a admiré l’expostion de la Fondation Beyeler toujours en cours.
Voici la liste des artistes présentés :
Bacon, Baselitz, Braque, Bonnard, Calder, Cézanne, Dalí, Sonia Delaunay, Derain, Dubuffet, Ernst, Francis, Giacometti, Hodler, Kiefer, Klee, Klein, Léger, Magritte, Matisse, Miró, Monet, Picasso, Renoir, Richter, Rothko, Rouault, Signac, Soulages, Vallotton, Van Velde, Vlaminck, Warhol… et tant d’autres encore.

Musée Pouchkine de Moscou – de Courbet à Picasso

paul-gauguin-matamoe.1248968000.jpgLa Fondation Pierre Gianadda de Martigny présente les œuvres collectionnées par  Serguei Chtchoukine et Yvan Morozov prêtées par le musée Pouchkine de Moscou. Ces oeuvres taxées d’art bourgeois, par la Russie soviétique, ont été confisquées par le gouvernement par la suite. Ces deux collectionneurs ont fait preuve d’un goût sûr en s’intéressant aux impressionnistes, mais aussi pour Gauguin, Matisse et Picasso, . En moins de 25 ans Chtchoukine avait formé une collection de 259 peintures, aujourd’hui dispersées entre le musée de l’Ermitage à St Petersbourg et le musée d’état des beaux Arts Pouchkine à Moscou.
De son côté Morozov, acquiert  des œuvres de peintres russes, avant de se tourner vers la peinture contemporaine française.
C’est ainsi qu’il acquiert plus d’une dizaine de Gauguin dans la galerie parisienne , dont Matamoe (la mort) du marchand d’art Vollard. Gauguin rassemble dans la même image plusieurs symboles forts, le paon, la hache, le feu, dans un Eden verdoyant, un homme débite un arbre mort pour alimenter le feu, élément renvoyant à la vie, en présence du paon  (qui n’existe pas à l’origine en Polynésie) allusion aux vanités du monde. Gauguin tire le motif de l’homme à la hache d’un modèle antique, d’un détail de la frise du Parthénon.
Une autre toile qui n’est absolument pas mise en valeur, dans la présentation de ce lieu sombre aux murs écrasants, vincent-van-gogh-la-ronde-des-prisonniers-1890.1248968181.jpgen acquiert encore plus de gravité. C’est la « Ronde des prisonniers de Vincent van Gogh » acquise auprès  du marchand d’art Druet en 1909. Cette ronde est tirée d’une gravure de Gustave Doré,( au MAMCS) « Le Bagne » Le cercle de la ronde des prisonniers s’inscrit dans la géométrie très stricte des murs, que l’absence de ciel, comme à la Fondation, rend encore plus oppressant . Le pavement rappelle les briques des murs, contribuant ainsi l’enfermement complet des prisonniers. La gamme chromatique est réduite à des verts, des
bleus, des gris, sans aucune touche de couleur vive, l’ombre  bleus des silhouettes accentuent la géométrie du cercle. Les prisonniers sont d’anonymes silhouettes, seul un visage est apparent, tourné vers nous, rongé de tristesse, ne nous regardant pas, reflète l’inhumanité du lieu, autoportrait de Vincent, aux cheveux blonds- roux, ? Lui seul pourrait le dire. Seuls 2 papillons qui volètent contre le mur du fond offrent une touche d’espoir et de liberté.
N’est-ce pas aussi l’expression de son tourment de sa maladie, qu’il ressasse et représente ici.
J’aurai bien aimé y voir la Vigne Rouge
Jusqu’au 22 novembre.
rene-kung-roue-2005.1248968433.JPGDans le parc une nouvelle sculpture  a fait son apparition, une Roue en granit de René Küng – 2005, bizarrement abandonnée sur le gazon suisse, fraîchement tondu, enlevant tout charme de jardin un peu sauvage, la folle de Richier, la fontaine de Pol Burri, l’homme de Marino Marini avaient tous l’air un peu nu et sans défense, trop propre sur eux.
Le pavillon à côté de la fondation, s’est enrichi d’une mosaïque de Sam Szafran, auteur du mur en céramique aux Philodendrons, « Escalier, Variation I, »  dont on peut voir la déclinaison des dessins, aquarelles sur soie, empruntées aux peintres chinois, sujet qui avec les philodendrons font partie de son univers halluciné. D’autres photos, dont l’une d’Henri Cartier Bresson dont il a été le professeur de dessin, ornent les murs du passage. Sam Szafran au parcours chaotique, dormant dans le métro, passant ses journées au Louvre avec son fusain et son pastel, fréquentant St germain des Prés, galérant, jusqu’au jour où sa rencontre avec le galériste Claude Bernard met un terme à sa vie de misère.

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Titus Carmel – suite Grünewald

Une autre découverte au collège des Bernardins
(merci à Gérard, merci à Malou, merci à mon sympathique guide)
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Le retable d’Issenheim, chef-d’œuvre du peintre allemand Matthias Grünewald, créé de 1512 à 1516 pour l’église du couvent des Antonins d’Issenheim, est présenté au musée d’Unterlinden de Colmar. (Alsace)
Il s’agit d’un polyptyque à transformations formé de quatre panneaux peints représentant neufs tableaux de la vie de saint Antoine, de la Vierge et du Christ, encadrant une caisse et une prédelle sculptées par Nicolas de Haguenau, actif à Strasbourg autour de 1500.
Titus Carmel en parle :
Sa découverte suscite un choc émotionnel lié à la qualité picturale de l’oeuvre, mais aussi à sa forte expressivité et à sa monumentalité (3m30x5m90).
Contrairement à ses contemporains Dürer, Holbein et Lucas Cranach, dont on connaît les vies et l’oeuvre, le mystère qui entoure l’identité et la vie de Grünewald  ne fait qu’accentuer cet aspect pour le visiteur d’aujourd’hui.
Cette oeuvre a fasciné Huysmans, Picasso, Bacon et tant d’autres!
La peinture, de dimensions proches du panneau central de l’original, a été réalisée en même temps que les dessins, ceux-ci reprenant dans le détail tel ou tel fragment de la scène de la crucifixion, en en isolant les acteurs, tout en les situant titus-camel-dapres-le-retable-dissenheim-3.1247852158.JPGdans l’économie générale de la composition dont l’artiste met à nu, dirait-on, les lignes de force qui les commandent : il se livre à une véritable entreprise de déconstruction de la dramaturgie du tableau en en traitant les séquences à l’aide de toutes les techniques du dessin : fusain, mine de plomb, craies, pastel, encre, aquarelle. Il a aussi recours à la peinture acrylique et, très souvent, au papier collé. Certaines de ces feuilles sont d’ailleurs exclusivement consacrées au collage, spéculant sur les rehauts, les chevauchements, les transparences. Cette âpre descente vers toujours plus de gravité semble même, à certains moments, connaître une sorte de paix par la libération des formes et des gestes, et du dispositif formel qui les rassemble. L’ombre se trouve ici réinvestie par une lumière spécifique qui l’envahit toute et finit par la gagner.
 La crucifixion est à la fois abstraite et figurative, les visages ne sont pas esquissés, mais tout y est, par les pigments et par le trait. D’abord Marie Madeleine, titus-camel-dapres-le-retable-dissenheim-4.1247851737.JPGun  travail remaquarble sur  les mains, fait de collages de craie bistre, de rehauts de pierre noire sur lavis d’acrylique, Marie et Jean, on peut se reférer au magnifique ouvrage de Pantxika de Paepe, « Grünewald et le retable, regards sur un chef d’oeuvre », St Jean Baptiste avec son doigt pointé comme chez Léonard de Vinci.
Titus-Carmel propose une suite qui s’offre comme une longue méditation, marquant l’arrêt sur chacun des détails et des personnages de la Crucifixion de Grünewald. La Suite Grünewald devient ainsi, au terme de ce long travail de peinture et de dessin, une interrogation sur les enjeux mêmes de la représentation.
P. N.-D. : Pourquoi ce travail sur le retable d’Issenheim?
Gérard Titus-Carmel :
 – Depuis bien longtemps, comme beaucoup, je connaissais ce retable par des reproductions lorsque
m’a été donnée l’occasion de le contempler en réalité, seul,
souvent et longuement, à une époque où je lisais justement le très intéressant texte de Huysmans,
Trois Primitifs, qui s’attardent particulièrement sur le chef-d’oeuvre de Grünewald. La peinture, pour moi, marque dans son histoire quelques forts repères, et le retable en est un– et non des moindres –, somptueux dans sa violence comme dans sa composition, et terrible
dans la fixité de sa dramaturgie. De plus, le retable d’Issenheim s’offre à la vue par séquences, les scènes se découvrent lorsque les volets pivotent en occultant d’autres : c’est comme
feuilleter un grand livre ou comme démonter un corps en « écorché »titus-camel-dapres-le-retable-dissenheim.1247851855.jPG pour le comprendre dans sa totalité. Le panneau central, celui de la crucifixion, apparaît comme un opéra glaçant et pourtant plein de compassion. L’ensemble est d’une grande économie de couleurs– on dira essentiellement
blanc, rouge et noir –, ce qui lui confère une force et une puissance à la fois calme et solennelle.
Bien sûr, c’est le corps d’un crucifié qui est représenté là ; bien sûr, c’est la douleur et
l’imploration ; bien sûr aussi, c’est le Livre qui y est mis en scène, il n’y a pas lieu d’évacuer
le sujet. Mais bien plus qu’une terrifiante image pieuse, c’est avant tout un chef-d’oeuvre de la peinture. Et c’est en tant que peintre que je me suis interrogé sur cette oeuvre, m’intéressant avant tout à la géométrie interne qui la gouverne, à l’organisation
de l’espace et des formes, à la situation des personnages
– c’est-à-dire à l’ensemble du dispositif formel qui la commande, toutes ces exigences
rassemblées au seul service de la peinture. En tout cas,pour moi , de la haute idée que
je me fais de la peinture.
Ainsi les dessins sont devenus de plus en plus abstraits, chacun s’attachant à faire apparaître les lignes et les forces qui les faisaient si instamment participer au tableau.titus-camel-dapres-le-retable-dissenheim-2.1247851978.JPG
Et cela jusqu’au 159e où, presque à mon corps défendant– et à ma grande surprise –, je me suis vu refaire le geste du bras de saint Jean-Baptiste désignant le Christ, comme s’il récapitulait tous les autres dessins qui le précèdent,
en les pointant du doigt.Comme l’injonction d’un retour.Et pourmoi, comme une fin.
titus-camel-dapres-le-retable-dissenheim-1.1247851531.JPG
Jusqu’au 9 août au Collège des Bernardins
Photos de l’auteur

La Cavalier Bleu au Frieder Burda de Baden Baden


Une belle suite à l’exposition Kandinsky du Grand Palais, si l’on peut parler ainsi de ce qui précède sa pédiode abstraite.
Jusqu’au 11 octobre 2009, environ 80 chefs-d’œuvre de la célèbre collection du Lenbachhaus à Munich sont présentés au Musée Frieder Burda. Parmi les travaux exposés se retrouvent des tableaux connus comme le « Cheval bleu I » (1911) de Franz Marc,franz-marc-le-cheval-rbleu.1248094684.jpg
« Méditation » (1918) d’Alexej von Jawlensky, « Jawlensky et Werefkin » (1909)
 de Gabriele Münter ou « Promenade » (1913) d’August Macke.

« Nous n’avons jamais prêté autant d’œuvres du mouvement Der Blaue Reiter, » souligne Helmut Friedel, directeur de la Galerie Municipale du Lenbachhaus, qui sera fermée en raison d’importants travaux de rénovation pendant les trois années à venir, Le musée Frieder Burda sera le seul lieu d’exposition en Allemagne pendant la période de rénovation.
jawlensky-meditation.1248094786.jpgLes œuvres du mouvement Der Blaue Reiter retrouvent dans ce musée entouré de nature, ouvert en plusieurs endroits sur le jardin environnant, un lieu qui reflète à merveille le caractère des tableaux, souvent peints face à la nature. Le portrait d’Alexandre Sakharoff » d’Alexej von Jawlensky est prêté pour la première fois, bien qu’il soit extrêmement fragile.  Il porte les trâces d’’un séchage trop rapide, d’une toile non finie, le danseur, ayant rendu visite à Jawlensky dans son atelier, avant une représentation, en tenue de scène, grimé de blanc, lèvres rouges, les yeux charbonneux, au physique androgyne l’emporta aussitôt peint. Helmut Friedel, qui est aussi commissaire de l’exposition  le souligne, et fait remarquer que le tableau ne sera plus jamais prêté ultérieurement.jawlensky-alexej-sacharof.1248095292.jpg Cela est aussi valable pour la toile « Das Blaue Pferd (le Cheval Bleu) » de Franz Marc, un des joyaux de la collection du Lenbachhaus.
En outre, l’exposition comprend beaucoup de portraits d’artiste que les membres du mouvement ont peint l’un de l’autre dans de différentes situations de leur vie  ( je vous la recommande) et qui traduisent leur relation intime.kandinsky-peingant-gabriele-munter-a-murnau.1248096141.jpg Ainsi, ils permettent au spectateur de connaître les artistes non seulement en tant que peintre mais aussi en tant qu’homme privé.
Le caractère intime de l’exposition est renforcé par la présentation simultanée de 64 photographies de Gabriele Münter, évoquant la vie à Murnau et les multiples rencontres amicales des artistes.  Bien qu’il s’agisse de photos à caractère plutôt privé, elles ont une valeur artistique en soi. Aucun autre mouvement d’artistes ne fut aussi bien documenté en photos que le Blaue Reiter. Elles témoignent sans pareil de l’histoire et du développement du mouvement « Der Blaue Reiter » ainsi que de la relation amoureuse de Gabriele Münter avec Kandinsky entre 1902 et 1914.

Mouvement dans lequel ils développent la conception d’art du mouvement : l’absence de toute restriction stylistique, l’inclusion de toute sorte de manisfestations créatrices – des dernières réalisations de l’Avant-garde internationale à l’art folklorique, des arts ethniques aux dessins d’enfants ou d’amateurs. Même la musique de l’époque jouait un rôle central.
On y apprend aussi que le premier cavalier a été dessiné par Gabriele Munter, représentant l’image iconographique de St Georges terrassant le dragon, il sera la couverture de l’almanach du Cavalier bleu, mais aussi très présent dans les toiles de Kandinsky.
Une exposition à voir absolument.

Kandinsky – La saga d’Improvisation 10

Je ne vous parlerai pas de l’exposition au Centre Pompidou d’autres sites le font ici et
Je regrette juste que lors de ma visite au musée Guggenheim de New York, toutes les toiles de Kandinsky prêtées à Beaubourg étaient absentes, je n’ai vu que des choses sans intérêt dans le fonds du musée, présentées en mars 2009.
En voici  le récit lu dans le livre d’Ernst Beyeler, propriétaire de la Fondation qui porte son nom, si chère à mon coeur, extrait de : La passion de l’art
Ernst Beyeler  raconte :
kandinsky-improvisation-10.1247609988.jpgJ’ai acheté cette toile à Cologne auprès du marchand Ferdinand Moeller, qui m’avait assuré la tenir du musée de Hanovre, lequel avait dû ou voulu l’abandonner en tant qu’ « art dégénéré » Elle faisait partie d’un lot de toiles que Moeller avait sorties de leur cadre et sauvées en les roulant dans des boîtes en fer et en les enterrant dans son jardin. Il les avait emportées de Berlin à Cologne à cause des Russes qui s’approchaient de la ville. On savait que ça finirait mal. A Cologne donc, Ferdinand Moeller me la présenta parmi d’autres toiles. J’eus un vrai choc et lui dis vouloir immédiatement l’acheter, mais lui demandais de patienter un mois, pour le règlement. Je parvins dans ce délai à réunir les 18 000 frcs exigés. J’ignorais alors que cette toile, avant d’être reprise par FM, avait fait partie d’une collection privée.
Des années plus tard, Jen Lissitzky, le fils de l’ancienne propriétaire, m’a accusé et accablé. Selon lui, j’avais profité de la situation en pleine connaissance de cause. Il s’est adjoint les services d’un détective privé, pour retrouver cette toile, la récupérer et l’emporter aux Etats Unis, où il avait apparemment fait une promesse de vente. Des cabinets d’avocats m’ont menacé. Or Lissitzky n’était pas le seul héritier à pouvoir revendiquer un éventuel retour de la toile à son lieu d’origine. J’ai donc rencontré tous les héritiers. Je me suis mis à leur place et leur ai proposé un dédommagement auquel je n’étais pas contraint. Mais je ne pouvais pas me séparer de ce tableau qui constitue un des piliers de ma collection. Je me suis défendu en arguant de ma bonne foi, expliquant comment je l’avais acquis. Ce tableau aurait pu être détruit par les nazis. Il a été sauvé par Moeller, puis acheté et conservé par mes soins. Finalement j’ai pu garder cette œuvre importante.
Je n’en ai d’abord pas saisi l’importance historique, mais j’ai été sensible à son rythme fort. Sur la droite, vous voyez des lignes et trois coupoles, probablement une évocation du Kremlin. Lorsque vous regardez Improvisation 9,kandinsky-improvisation-9.1247610251.jpg qui est maintenant au musée de Stuttgart vous voyez quelque chose d’analogue, mais de très figuratif encore, avec le château et le cavalier sur les collines. Ici, ce ne sont que des formes, qui s’inscrivent autour de ce triangle jaune, dynamique qui s’ouvre. D’après une esquisse, il s’agirait d’une Résurrection de la Pâque russe. A gauche, les trois courbes peuvent être les femmes au tombeau. Tout s’organise autour du tombeau ouvert, comme éclaté. Il est très beau de fragmenter ainsi les éléments pour trouver une chemin propre singulier. Oui, cette action de résurrection probable donne toute sa force à ce tableau, l’un des premiers tableaux abstraits de l’histoire de l’art. Quand je l’ai reçu à la galerie, je l’ai tout de suite accroché.
Puis un jour arriva celle qu’il appelle la repasseuse de Winterthur.
Un dame assez simple, sans âge, regardait les toiles, parcourait les salles, au cours d’une exposition d’été et s’exclama devant le Kandinsky : « Oh, quel beau tableau ! » Je la rejoignis.
Elle me demanda combien il coûrait. Je répondis « Vingt-huit mille francs »
– je souhaite l’acheter. De qui est-il ?
–  Kandinsky
– Qui est-ce etc …

– 
Ah c’est bien, et cette aquarelle combien ? et ce tableau là combien ?
Elle avait été repasseuse à Winterthur, avait fait un héritage, et n’avait besoin de rien, voulait faire quelque chose de son argent. Elle partit avec les 3 tableaux.
Quelques années plus tard, elle est revenue à la galerie pour me proposer de reprendre les trois tableaux.  Je me suis étonnée : « Comment ils ne vous plaisent plus ?
– Oh si !  »
Mais elle avait besoin d’argent, car elle avait continué ses achats et s’était considérablement endettée.
La morale de cette histoire dit Ernst Beyeler :
 il y en a deux. La première dans l’achat de l’art il faut se fier à son instinct. La seconde : il faut garder une exigence de qualité. L’épisode marqua pour moi le retour définitif d’Improvisation 10 dans ma collection.
Je le sortis de la galerie et l’accrochai dans mon salon.

Pina Bausch

 
pina-bausch1.1247015024.jpgComme beaucoup d’entre nous, j’ai été choquée par la disparition brutale de cette grande dame, que demeure Pina Baush, que j’avais eu l’occasion de voir à la Filature de Mulhouse pour Kontatkhof.
Cette fois-là, ce sont des non-acteurs danseurs qui étaient en scène, âgés de plus de 60 ans,
Ma réflexion sur l’usure du temps me ramenait droit à l’opéra de  GF Haendel ‘Il Trionfo del Tempo e del Disinganno  (Le triomphe du Temps et de la décrépitude) et la vue de corps plus très jeunes, laissa un sentiment partagé, à la fois d’admiration devant, la performance, le courage de ces personnes qui se montraient sans fard, mais aussi de gêne et d'angoisse, pour être confrontée aux modifications du corps du à la vieillesse.
Cela valait toutes les vanités et memento mori de nos musées.

Je ne savais trop comment exprimer mon sentiment, sur le sujet, c’est sur un blog que j’ai trouvé cet hommage de Cécile et que je publie ci-dessous avec son aimable autorisation :
 Madame,
Je désirais vivement voir votre troupe danser. Un désir de quinze années. Je n'en avais jamais eu l'opportunité. Trop peu d'argent, il fut un temps, pour m'offrir ce plaisir ; impossibilité d'être en Avignon ou en Allemagne, ou de l'autre côté de l'Atlantique quand il l'aurait fallu ; le nez cogné au guichet pris d'assaut de cette forteresse qu'est le Théâtre de la ville.
Je laissais donc d'autres me raconter, partager leurs impressions et leurs émotions ; d'autres qui vous suivaient, vous critiquaient, vous admiraient, se nourrissaient de votre travail, de votre langage des corps, de votre révolution depuis vingt ans et plus. Ils semblaient vous connaître si bien. pina-bausch-2.1247055442.jpg

Par comparaison, je ne savais rien de vous, si ce n'est que j'ai toujours été intimement persuadée, au travers des mots rapportés et des photos, de la nécessité de voir, un jour, un spectacle de vous.
Cet automne, puis cet hiver 2008-2009 si froid.
La crise économique. Des rumeurs de licenciements pour les uns, pour les autres. Une accélération des restructurations douloureuses et des licenciements, de fait. Battre le pavé pour l'éducation, les droits des salariés, contre les délocalisations, les abus de pouvoir et financiers. Une grève générale, dure et violente dans les territoires d'Outre-Mer, perpétuels oubliés de la république. Des guerres épouvantables. L'Homme qui dévore l'Homme. Continuer à aimer l'art à tout prix ? Mais comment concilier, dans certaines conditions, amour de l'art et les réalité brutales du monde ? Inquiétude, impuissance, sentiment pessimiste pour la énième fois d'un monde dans l'impasse et moral en berne.

Hiver 2009 encore …
Pour la toute première fois de ma vie, avec bien du retard et beaucoup d'impatience, j'ai vu danser votre troupe. Le Tanztheater de Wuppertal.
"Wiesenland" :
Bruits d'eau. L'eau. Longues, soyeuses et fluides robes colorées. Ces femmes qui fumaient, bavardaient. Humour. De seaux déversés. Ces femmes qui se faisaient baigner le visage et tremper les cheveux. Cette femme blonde au visage atypique et aux lèvres si rouges, à la présence de gingembre. Ces hommes aux apparences désinvoltes. Parlant avec volubilité. criant. Mains dans les poches. Danse très maîtrisée. Cette femme aux cheveux fins et ternes, au visage ramassé, au profil d'oiseau, pas très belle de prime abord mais qui dégageait un charme envoûtant dès que son corps se mouvait, dansait, se déployait dans l'espace. Chaleur. Canicule. Des siestes. Des corps alanguis. Effluves d'Europe de l'Est et de Méditerranée. Vos musiques. Une table que l'on dresse, bruit de vaisselle et de verres choqués, des chaises, pas de chaises. Cette liesse. Presqu'hystérie. Cette prairie d'herbe si verte.
(Je tente simplement de rattraper l'unique souvenir qui s'effrite en bribes que j'aie de votre travail …) pina-bausch.1247015309.jpg

Vous m'avez emmenée, transportée, installée au sang, aux nerfs, au ventre, au sein, au coeur d'une beauté artistique infiniment sensuelle, folle et fulgurante. J'ai vécu grâce à vous une étreinte éphémère mais intense avec la danse. Plus que de la danse : en réalité une chance. Un de ces rares moments dont on voudrait que jamais pareil effet ne s'estompe et cesse.
A la toute fin, d'un élan, je me suis levée pour vous applaudir à tout rompre, à m'en brûler les mains. Enthousiasme et plénitude. Vouloir vous jeter des roses pâles, des pivoines, des lys, que sais-je ? Vous jeter mon coeur. Toute cette vie insufflée. Je n'étais, bien entendu, pas la seule à tanguer sur cette nef de beauté. Cet amour débordant du public pour vous, ô combien palpable et fort dans l'air de ce soir-là … Cette ferveur et cette fièvre pour votre art qui contrastait avec vous, simple silhouette noire, bien droite à quelques pas du bord de la scène, qui saluait, face à nous.

Vous êtes morte, hier, Pina Bausch. A vous qui m'avez donné, cet hiver, envie d'être, de reprendre confiance et envie de vivre, de vivre encore : MERCI.
Cécile - mercredi 1er juillet 2009