Doris Salcedo, suite

Plegaria Muda, 2008–2010. ( prière silencieuse)

Jusqu'au 17 septembre 2023,  la Fondation Beyeler consacre en tant que premier musée en Suisse une importante exposition individuelle à l’artiste colombienne Doris Salcedo (*1958)
L’exposition est placée sous le commissariat de Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, et de Fiona Hesse, responsable de projet et Associate Curator à la Fondation Beyeler.
Introduction

Simultanément à son installation Palimpsest, 2013–2017, présentée à la Fondation Beyeler depuis octobre 2022, la Fondation présente huit séries d’oeuvres majeures datant de différentes périodes de son travail. Sur 1300 mètres carrés, l’exposition donnera à voir une centaine d’oeuvres, parmi elles des oeuvres clés en provenance de collections internationales de
premier plan ainsi que des oeuvres rarement exposées détenues dans des collections particulières. Les objets, sculptures et interventions in situ de Doris Salcedo ont pour thème les expériences et les répercussions de conflits violents dans le monde. Ses travaux ont souvent pour toile de fond des événements spécifiques mais leur portée et leur résonance sont universelles et imparables. Ils tournent souvent autour de réflexions sur la perte, la souffrance individuelle et la manière dont les sociétés gèrent le deuil collectif.

Le thème

Doris Salcedo a grandi à Bogota, la capitale colombienne qu’elle décrit comme un épicentre de catastrophes. Confrontée incessamment à l’effroi des structures de pouvoir politiques et de la détresse humaine de son pays natal, elle a développé une conscience sociale et politique marquée. Il en résulte des
oeuvres qui donnent forme aux émotions déclenchées par ces expériences. Au lieu de représentations simplistes, Salcedo quête les sentiments et les sensations que partagent les spectateurs·rices. Comme elle le dit elle-même :

« Ce que je cherche à tirer de ces travaux, c’est cet élément qui nous est commun. »
Doris Salcedo

Les oeuvres

Les oeuvres de Doris Salcedo nécessitent souvent des années de préparatifs, de recherches et de travail de terrain, débouchant sur des processus de conceptualisation complexes et minutieux. Les horreurs que thématise l’artiste ne sont jamais montrées directement. Au lieu de cela, elle choisit des matériaux et des moyens d’expression qui rendent visibles la terreur et l’effroi de manière oblique tout en étant porteurs de beauté et de poésie. Avec son travail, Doris Salcedo cherche à établir des ponts entre la souffrance et la détresse de l’existence humaine d’une part et les espoirs et les aspirations d’une autre.

Doris Salcedo
Solo Exhibition
Museum of Contemporary Art Chicago
21 February – 24 May 2015

OEuvre majeure de l’exposition, A Flor de Piel, 2011–2014, consiste en des centaines de pétales de rose cousus ensemble en un linceul filigrane dont les plis se drapent sur une vaste surface au sol. L’oeuvre a pour point de départ un crime commis contre une infirmière colombienne, qui avait été torturée à mort et dont le corps n’a jamais été retrouvé. Le titre A Flor de Piel est une expression espagnole proche de l’expression française « à fleur de peau » : avec sa double référence aux fleurs et à la peau, elle décrit des émotions d’une telle intensité qu’elles en deviennent clairement apparentes aux autres, par exemple par un
rougissement de la peau. Pour Salcedo, le geste consistant à suturer les pétales les uns aux autres est une part importante de l’oeuvre, qui rassemble ainsi les corps martyrisés et illustre la précarité et la fragilité de la vie.

Salle 3

Dans la salle suivante s’alignent les tables de Plegaria Muda, 2008–2010. En 2008, Salcedo se penche sur la criminalité des gangs à Los Angeles et constate que les victimes et les agresseurs partagent souvent des
contextes socio-économiques semblables et des circonstances pareillement défavorisées. Partant de cette observation, elle a empilé dos à dos et séparées par une couche de terre des paires de tables de la taille de cercueils. Chacune de ces paires symbolise l’une de centaines de dyades bourreau/victime dont les destins restent tragiquement liés. Évoquant un cimetière récemment aménagé, l’oeuvre reflète également la douleur des mères endeuillées de Colombie à la recherche de leurs fils disparus dans des fosses communes. Plegaria Muda, qui signifie « prière silencieuse », témoigne de l’importance universelle d’une
inhumation et d’un adieu personnels et dignes. L’herbe qui pousse à travers les plateaux des tables faits à la main, comme autant de lueurs d’espoir, exprime la conviction de Salcedo que la vie s’impose même face aux abus les plus terribles.

Salle 6

Disremembered, 2014/15 et 2020/21, illustre plusieurs aspects importants de l’oeuvre de Salcedo : il s’agit d’une sculpture presque immatérielle, à peine tangible, qui ne se révèle à nous que de près. Une étoffe de soie semblable à une chemise, conçue par Salcedo suivant le modèle de sa propre blouse, est traversée de très nombreuses petites aiguilles qui opposent quelque chose de menaçant à la délicatesse évanescente de la sculpture. En amont de ce travail, Salcedo a parlé avec des mères ayant perdu des enfants lors de violences armées dans des quartiers difficiles de Chicago. La douleur constante et inconsolable de ces femmes est symbolisée par les plus de 12’000 fines aiguilles piquées directement dans l’étoffe et clairement visibles en raison de la transparence de la sculpture.

Salle 4

Cette polarité entre délicatesse et violence est commune à beaucoup d’autres oeuvres de Salcedo.
Atrabiliarios, 1992–2004, montre ainsi des chaussures usées, insérées dans des niches aménagées dans la paroi d’exposition et recouvertes d’une peau animale tendue qui en opacifie la vue. Salcedo cherche ainsi à préserver la mémoire de leurs anciennes propriétaires : des femmes victimes de disparition forcée
en Colombie.

salle 5

La série Untitled, 1989, comporte plusieurs meubles de bois saisis dans du béton. Pour cette oeuvre, Salcedo a passé du temps avec les familles de victimes de la violence endémique et de la guerre civile en Colombie. Elle s’est saisie d’objets du quotidien des victimes, rendus inutiles par leur mort, pour symboliser leur absence.

Salle 8

Unland, 1995–1998, s’appuie sur des interviews menées dans le nord de la Colombie avec de jeunes orphelins qui avaient été témoins du meurtre de leurs parents. Les moitiés de tables reliées par un mélange de soie et de cheveux humains représentent l’équilibre fragile de familles déchirées par la violence.

Doris Salcedo
Solo Exhibition
Museum of Contemporary Art Chicago
21 February – 24 May 2015
Salle 1

Untitled, 1989–93, a été conçu en réaction à deux massacres commis en 1988 dans le nord de la Colombie dans les plantations bananières de La Negra et La Honduras. Les sculptures se composent de chemises de coton blanches coulées dans du plâtre et transpercées de barres d’acier. Faisant allusion à
l’absence du corps humain, les chemises évoquent la tenue de travail standard des ouvriers de ces plantations ainsi que la tenue mortuaire des défunts.

Palimpsest

Dans la vaste installation, 2013–2017, Salcedo se penche sur le sort des réfugié·e·s et des migrant·e·s mort·e·s noyé·e·s ces 20 dernières années lors de la dangereuse traversée de la Méditerranée ou de l’Atlantique en quête d’une vie meilleure en Europe. Cinq années durant, elle a recherché les noms
des victimes qui apparaissent et s’estompent sur les dalles couleur sable des quelque 400 mètres carrés au sol que recouvre l’installation.

À propos de Doris Salcedo

Doris   Salcedo est née en 1958 à Bogota en
Colombie, où elle vit et travaille encore aujourd’hui. Elle a étudié la peinture et l’histoire de l’art à l’Université de Bogota, puis au début des années 1980 la sculpture à l’Université de New York. En 1985, elle retourne en Colombie. Elle sillonne alors le pays à la rencontre de rescapé·e·s et de proches de victimes d’actes de violence et de brutalité. La sensibilisation provoquée en elle par ces échanges par rapport aux thèmes de la guerre, de l’aliénation, du manque de repères et du déracinement forme depuis la base de son travail . Salcedo a attiré l’attention avec des installations à grande échelle telles Untitled, 2003, Shibboleth, 2007, ou Plegaria Muda, 2008–2010. Untitled, 2003, réalisé pour la 8ème Biennale internationale d’Istanbul, se composait d’environ 1550 chaises en bois empilées entre deux bâtiments pour rendre compte de la
migration et de l’expulsion de familles arméniennes et juives d’Istanbul. Pour Shibboleth, 2007, à la Tate Modern à Londres, elle a conçu une longue faille crevassée parcourant le sol de la Turbine Hall, inscrivant ainsi dans l’espace de manière sensorielle les expériences de délimitation et d’exclusion sociales ainsi que de séparation. En 2015, le Museum of Contemporary Art Chicago a présenté une première rétrospective de son travail. Le musée de Glenstone dans le Maryland lui a consacré l’année dernière une exposition
individuelle.
À la Fondation Beyeler, Doris Salcedo a été représentée en 2014 dans une présentation de la collection incluant des oeuvres de la Daros Latinamerica Collection. Palimpsest a été présenté en 2017 au Palacio de Cristal du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid puis à White Cube à Londres.
Cette installation saisissante est donnée à voir à la Fondation Beyeler depuis l’automne dernier pour la première fois dans l’espace germanophone. La dernière oeuvre en date de Salcedo, Uprooted, 2020–2022, est actuellement présentée à la 15ème édition de la Biennale de Sharjah.

Informations complémentaires

Fondation Beyeler, Beyeler Museum AG,
Baselstrasse 77, CH-4125
Riehen/Bâle, Suisse
https://www.fondationbeyeler.ch/fr/accueil

Horaires d’ouverture de la Fondation Beyeler :
tous les jours 10h00 – 18h00,
le mercredi jusqu’à 20h00,
le vendredi jusqu’à 21h00

Programmation associée «Doris Salcedo»

Notice de salle

Basquiat, The Modena Paintings

Jean-Michel Basquiat, Untitled (Woman with Roman Torso [Venus]), 1982
Acrylique et pastel gras sur toile, 241 x 419,7 cm Collection privée
© Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York
Photo: Robert Bayer

Basquiat à Modène du 11 juin – 27 août 2023 à la Fondation Beyeler présente les
« Modena Paintings », huit toiles de grand format que Basquiat a peintes en 1982 dans la ville italienne de Modène pour un projet d’exposition qui n’a finalement jamais vu le jour
L’exposition est placée sous le commissariat conjoint de Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, et d’Iris Hasler, Associate Curator à la Fondation Beyeler.
Introduction

13 ans après la grande rétrospective qu’elle avait consacrée à Jean-Michel Basquiat, la Fondation Beyeler accueille une nouvelle fois l’oeuvre de l’artiste new-yorkais. Elle présentera les « Modena Paintings », huit toiles de grand format que Basquiat a peintes en 1982 dans la ville italienne de Modène pour un projet d’exposition qui n’a finalement jamais vu le jour. Plus de 40 ans plus tard, la Fondation Beyeler réunit pour la première fois ces chefs-d’oeuvre, aujourd’hui détenus dans des collections privées aux États-Unis, en
Asie et en Suisse, parmi eux plusieurs des oeuvres les plus célèbres et les plus chères de Basquiat. C’est dans l’air du temps, après Basquiat et Warhol à la Fondation Vuitton et Basquiat et la musique à la Philharmonie de Paris, pour la Fondation Beyeler c’était une évidence.

le plus jeune artiste invité à la dOCUMENTA 7

Jean-Michel Basquiat (1960–1988) compte parmi les artistes majeurs du XXe siècle finissant. Au début des années 1980, il accède en peu de temps à une notoriété internationale, alors que la peinture figurative connaît une renaissance. Basquiat, une des personnalités les plus magnétiques du monde de l’art, débute dans l’underground new-yorkais en tant que poète graffeur et musicien avant de se consacrer pleinement à l’art. Sa peinture hautement expressive et débordante d’énergie lui vaut rapidement l’admiration du milieu.
Âgé de seulement 21 ans, il est le plus jeune artiste invité à participer à la Documenta 7 qui se tient à Kassel en été 1982. Encouragé par Andy Warhol, il devient une véritable célébrité artistique, fêtée dans le monde entier. Fils d’un père haïtien et d’une mère dont les parents venaient de Porto Rico, il est le premier artiste noir à percer dans un milieu artistique dominé par des protagonistes blancs·ches. Outre Andy Warhol, Basquiat collabore avec Keith Haring, Francesco Clemente, Debbie Harry et d’autres artistes et
musicien·ne·s. Jusqu’à son décès soudain en août 1988, il produit en moins d’une décennie un vaste oeuvre comptant plus de 1’000 tableaux et objets ainsi que 3’000 oeuvres sur papier.

Un nouveau langage visuel

Après l’âge d’or de l’art conceptuel et de l’art minimal dans les années 1960 et 1970, Basquiat parvient à imposer un nouveau langage visuel figuratif et expressif. Ses oeuvres, peuplées de personnages évoquant ceux des bandes dessinées, de silhouettes de squelettes, d’objets étranges du quotidien et de slogans poétiques sont puissantes et somptueusement colorées. Elles font converger des motifs issus de la culture pop et de l’histoire culturelle, entre autres des domaines de la musique et du sport, ainsi que des thèmes
politiques et économiques, pour aboutir à des commentaires critiques de la société de consommation et de l’injustice sociale, en particulier du racisme.

Première exposition personnelle

                   Jean Michel Basquiat et Emilio Mazzoli

La première exposition personnelle de Basquiat se tient en 1981 à la Galleria d’Arte Emilio Mazzoli à Modène, à l’époque encore sous le pseudonyme SAMO© qu’il inscrivait à la bombe aérosol sur les wagons et les parois du métro new-yorkais et qui datait de sa collaboration avec le graffeur Al Diaz. Le jeune artiste avait capté l’attention du galeriste italien Emilio Mazzoli quelques mois auparavant dans l’exposition collective « New York / New Wave » organisée par Diego Cortez au P.S. 1 Contemporary Art Center (aujourd’hui MoMA PS1) à
Long Island City. Emilio Mazzoli avait alors mis à la disposition de Basquiat
un espace de travail et du matériel pour lui permettre de créer de nouvelles oeuvres. Au début de l’été 1982, à l’invitation de Mazzoli, Basquiat retourne à Modène pour sa première exposition européenne sous son vrai nom.

Atelier de Modena

Jean-Michel Basquiat
Boy and Dog in a Johnnypump, 1982
Acrylique, pastel gras et peinture à l’aérosol sur toile, 240 x 420,4 cm
Collection privée
© Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York
Photo: Daniel Portnoy

À Modène, Mazzoli dispose d’un entrepôt qui sert aux artistes de passage pour travailler. Ainsi, plusieurs années durant Mario Schifano séjourne régulièrement à Modène pour y peindre. Lorsque Basquiat arrive, il tombe sur plusieurs reliquats du travail de Schifano : outre des tableaux achevés, il trouve aussi des toiles apprêtées et des toiles vierges. Attiré par leurs dimensions exceptionnelles, il les utilise pour ses propres tableaux. Il produit ainsi un groupe d’oeuvres de chacune plus de deux mètres sur quatre, plus grandes
que et différentes de tout ce qu’il avait peint jusque là. En apposant l’indication « Modena » et sa signature au dos des toiles, il les désigne comme un groupe d’oeuvres cohérent.
Mais des désaccords opposent les galeristes Annina Nosei, qui représente Basquiat à New York depuis fin 1981, et Emilio Mazzoli, entraînant l’abandon du projet d’exposition à Modène. Dans une interview accordée au New York Times en 1985, Basquiat revient sur son deuxième séjour à Modène et exprime sa
frustration :
« Ils ont organisé les choses de telle manière que je doive produire huit tableaux en une semaine », et il compare son travail dans l’entrepôt à
« une usine, une usine malsaine. J’ai détesté. »

Au final, Mazzoli règle Basquiat pour les oeuvres produites et l’artiste retourne à New York.

Projet abandonné

Les huit tableaux peints à Modène trouvent finalement de nouveaux propriétaires par l’entremise d’Annina Nosei : Bruno Bischofberger en acquiert quatre (Profit I, Boy and Dog in a Johnnypump, Untitled [Woman with Roman Torso (Venus)], The Guilt of Gold Teeth) et les autres passent dans diverses collections à l’international. Aujourd’hui, les huit toiles se trouvent dans différentes collections particulières aux États-Unis, en Asie et en Suisse. Certaines d’entre elles se sont recroisées dans le cadre de rétrospectives,
d’autres n’ont que rarement été montrées en public. Le projet de la Galleria d’Arte Emilio Mazzoli n’a pas encore fait l’objet de recherches et de mises en lumière approfondies. Et pourtant, non seulement les tableaux produits à Modène figurent parmi les plus importants de l’oeuvre de Basquiat et les oeuvres les plus chères de tout l’art contemporain, mais le projet d’exposition finalement abandonné constitue lui aussi un événement particulier dans la carrière de l’artiste. Pour la première fois, les tableaux de Modène sont
 réunis au sein d’une présentation unique à la Fondation Beyeler – 40 ans plus tard, le projet d’exposition est ainsi enfin réalisé.

Sam Keller explique

Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, explique :
« Tous les ‹ Modena Paintings › se trouvent aujourd’hui dans des collections privées. Certains d’entre eux ont été donnés à voir dans le cadre d’expositions consacrées à Basquiat, mais jamais encore ils n’avaient figuré ensemble et côte à côte dans une même présentation ainsi que l’avait prévu Basquiat à l’origine. Grâce à notre bonne collaboration de longue date avec la famille Basquiat et les collectionneurs de Basquiat, nous sommes parvenus à réunir
toutes les oeuvres et à rattraper ainsi un moment
d’histoire de l’art. »

Le cycle de Modène

Jean-Michel Basquiat Untitled (Angel), 1982
Acrylique et peinture à l’aérosol sur toile, 244 x 429 cm
Collection privée
© Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York
Photo: Robert Bayer

Untitled (Devil), 1982
Acrylique et peinture à l’aérosol sur toile, 238,7 x 500,4 cm
Collection privée
© Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York
Photo: © 2023 Phillips Auctioneers LLC. All Rights Reserved.

Les « Modena Paintings » partagent plusieurs caractéristiques en termes de motif et de style : les huit tableaux sont tous dominés par une figure monumentale, souvent noire, sur fond de larges traits de pinceau à la gestuelle expressive. Untitled (Angel) et Untitled (Devil), opérant comme un quasi diptyque, donnent à voir les figures titulaires d’un ange et d’un démon sous forme de portraits en buste, les deux bras levés – posture pouvant être comprise aussi bien comme implorante que triomphante, et qui non
seulement se répète dans d’autres images du cycle mais apparaît de manière récurrente dans l’oeuvre de Basquiat. Le squelette suggéré à coups de traits horizontaux sommaires dans Untitled (Devil) de même que le crâne aux orbites et aux cavités nasales profondes caractérisent également les figures dans Boy and Dog in a Johnnypump et The Field Next to the Other Road. Parmi les autres signes distinctifs des personnages de Basquiat figure un ornement placé au-dessus de leur tête, parfois auréole et parfois couronne d’épines, qui apparaît également dans Untitled (Woman with Roman Torso [Venus]) et Profit I.
Comparées aux autres oeuvres du groupe, ces deux dernières présentent tout comme The Guilt of Gold Teeth une plus grande densité des « griffonnages » si typiques de Basquiat. The Guilt of Gold Teeth, avec ses mots cryptiques, ses combinaisons de chiffres et ses symboles de dollar, préfigure déjà certaines
évolutions plus tardives de l’oeuvre de l’artiste. Avec Untitled (Cowparts), qui donne à voir une vache plus grande que nature aux énormes yeux ronds, le cycle se boucle dans la mesure où les épais traits de pinceau blancs utilisés pour accentuer le corps noir dans Untitled (Angel) soulignent ici les contours de
l’animal.

Le geste pictural

Jean-Michel Basquiat Profit 1, 1982
Acrylique, pastel gras, feutre et peinture à l’aérosol sur toile, 220 x 400 cm
Collection privée, Suisse
© Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York
Photo: Robert Bayer

À l’exception des deux tableaux Profit I et The Guilt of Gold Teeth, dans lesquels la combinaison d’acrylique, de peinture aérosol et de crayon à l’huile établit un dialogue avec le dessin, le groupe d’oeuvres met l’accent sur le geste pictural. Le collage visuel d’images et de mots habituellement si typique du travail de Basquiat n’apparaît que peu dans les oeuvres réalisées à Modène.

Jean-Michel Basquiat
The Guilt of Gold Teeth, 1982
Acrylique, pastel gras et peinture à l’aérosol sur toile, 240 x 421,3 cm
Nahmad Collection
© Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York
Photo: Annik Wetter

Dans l’ensemble, le répertoire de Modène est moins morcelé et se concentre sur des compositions plus vastes et expansives. Le corps humain et animal y occupe le premier plan. Contrairement aux oeuvres antérieures, celles de Modène ne
donnent pas à voir d’impressions des rues de la grande ville. On retrouve dans plusieurs des huit toiles les mêmes tonalités, ainsi dans les vastes fonds plats, de même que l’utilisation semblable et répétée de traits de pinceau rouge écarlate pour appuyer les figures représentées. Basquiat avait pour habitude de travailler sur plusieurs toiles en parallèle car les différentes couches de couleur avaient besoin de temps pour sécher.

Catalogue


Un catalogue est publié au Hatje Cantz Verlag, Berlin, en allemand et en anglais, retraçant le développement du concept d’exposition initial jusqu’à son abandon en 1982 et consacrant un court texte à chacun des tableaux créés à Modène.
Il comprend des textes de Dieter Buchhart, Iris Hasler, Fiona Hesse, Michiko Kono, Regula Moser, Demetrio Paparoni et Jordana Moore Saggese.

Informations pratiques
Fondation Beyeler, Beyeler Museum AG,
Baselstrasse 77, CH-4125
Riehen/Bâle, Suisse

Horaires d’ouverture de la Fondation Beyeler :
tous les jours 10h00 – 18h00,
le mercredi jusqu’à 20h00,
le vendredi jusqu’à 21h00

Accès
Depuis la gare SBB ou DB
t
ram n°2 descendre à Messeplatz
puis prendre le tram n°6 direction Grenze
descendre à l'arrêt Fondation Beyeler

Janet Cardiff & George Bures Miller Dream Machines

The Forty Part Motet

Au musée Tinguely de Basel du 7 juin au 24 septembre 2023
Commissaire de l'exposition: Roland Wetzel              
Assistante: Tabea Panizz
À partir du 1er juillet 2023, l'exposition sera augmentée extra muros d'une installation au sein de la Druckereihalle Ackermannshof (Bâle).
Les Travaux

Le couple d’artistes canadiens Janet Cardiff (*1957) et George Bures Miller (*1960) crée des installations stimulant tous les sens.  Leurs installations sonores et leurs performances multimédias, vont crescendo. À travers l’exposition Dream Machines, le Musée Tinguely propose, pour la première fois en Suisse, un large aperçu de leur œuvre : des premiers travaux sonores interactifs jusqu’aux installations dystopiques et immersives plus récentes. Leurs travaux rendent hommage à des pratiques culturelles riches d’une longue tradition à l’instar du cinéma, du théâtre ou de la musique. Du 7 juin au
24 septembre 2023, le musée invite le public à un voyage et à une immersion dans des univers oniriques et poétiques en explorant in situ leurs œuvres multimédiales mises en scène avec détail. Le travail du couple met en avant l’interaction et la participation du public dans leurs installations, mettant en scène des environnements où le visiteur se trouve non seulement spectateur, mais également acteur. Leurs créations nous invitent à nous immerger dans un univers sonore éclectique, qui interagit avec l’espace et les images, mélangeant les références culturelles et historiques dans un dialogue fluide entre l’art et le spectateur.

À partir du 1er juillet 2023, l’exposition sera augmentée extra muros d’une installation au sein de la Druckereihalle Ackermannshof (Bâle).
(image ci-dessus)

La réalité augmentée

La carrière de ce couple d’artistes, longue de plus de trente ans, débute par des ‘promenades audio’ adaptées à un lieu spécifique avec des walkmans ou des discmans. À partir de l’an 2000, il développent une forme particulière de réalité augmentée en élargissant d’une dimension leurs promenades au moyen de différents lecteurs vidéos : une expérience décrite par les participant.e.s comme une sorte de cinéma interactif qu’on expérimente avec le corps. Les installations présentées au Musée Tinguely invitent également le public à participer et à plonger dans des univers oniriques.


Pour ce faire, Cardiff et Miller adoptent différentes approches techniques afin de créer des expériences sonores variées. To touch (1993), The Cabinet of Curiousness (2010) et

Experiment in F# Minar (2013) jouent avec la possibilité d’activer le son par le mouvement. Le contact ou l’ombre d’un corps donnent vie aux œuvres et libèrent des bruits du quotidien, des mélodies, des compositions musicales ou des voix chuchotées.

La création

L’œuvre de Cardiff & Miller se nourrit d’une fascination pour des pratiques culturelles imaginatives comme l’écriture et la narration, le cinéma, le théâtre (de marionnettes), l’opéra et la musique.

 Tous deux travaillent délibérément avec l’inconscient et les rêves qui autorisent des associations d’idées imaginaires et souvent disruptives. The Instrument of Troubled Dreams (2018) permet ainsi de composer sa propre bande originale de film. Les touches du mellotronne – une forme primitive analogue du sampler – produisent une variété de sons numériques :

                                                   mellotronne

du crépitement de la pluie, en passant par un chant et un morceau d’orgue, jusqu’à des aboiements de chien ou à des échanges de tirs. Une intrigue imaginaire peut ainsi être racontée de manière combinée ou séquentielle. En revanche, The Muriel Lake Incident (1999) nous plonge de nouveau dans une salle de cinéma miniature. Les casques audio ne restituent pas uniquement le son du film projeté: le système audio binaural rend le son dans l’espace tout en créant l’illusion d’être assis au milieu d’un public de cinéma produisant de légers bruits, chuchotant ou mangeant du popcorn. Le récit narratif s’efface au profit des spectateur.trice.s qui prennent part activement à la scène.

L’apothéose macabre

Les deux artistes témoignent de leur fascination pour l’autonomie des machines dans l’œuvre de Jean Tinguely et le considèrent comme l’une de leurs influences majeures. Comme dans la présentation de la collection au Musée Tinguely, l’installation The Killing Machine (2007) requiert de presser un bouton rouge pour déclencher un spectacle pour ainsi dire encore plus sinistre. Inspiré de la nouvelle La Colonie pénitentiaire (1919) de Franz Kafka, deux bras robotisés entreprennent une danse macabre en malmenant une victime imaginaire allongée sur un fauteuil de dentiste à l’aide de leurs aiguilles acérées. Dans Sad Waltz and the Dancer Who Couldn’t Dance (2015), la machine oblige une marionnette à danser maladroitement.

escape room

Des installations spatiales comme Opera for a Small Room (2005) ou Escape Room (2021) permettent enfin aux visiteur.euse.s de pénétrer entièrement dans les univers créés par Cardiff & Miller pour fuir la réalité. Aménagés à l’aide d’une multitude de petits éléments et détails, ces espaces donnent l’impression que leurs habitant.e.s peuvent surgir à chaque instant. Des effets sonores et lumineux mis en scène avec soin donnent vie à la pièce, stimulent l’imagination et évoquent des rêves oubliés depuis longtemps.

The Forty Part Motet (2001)

Du 1er juillet au 10 septembre, une pièce majeure sera visible au sein de l’imprimerie du Ackermannshof à Bâle: The Forty Part Motet (2001), une installation musicale majeure de Janet Cardiff. Cette installation sonore repose sur une composition vocale spirituelle: le motet Spem in Alium (vers 1570) pour huit chœurs à cinq voix de Thomas Tallis. Le duo d’artistes a enregistré individuellement les voix de quarante chanteur.euse.s sur différentes pistes audio afin de les restituer à l’unisson. Disposés en ovale, quarante haut-parleurs représentant autant de choristes restituent la sculpturalité du son dans l’espace.

Ce projet d’exposition est une coopération avec le Lehmbruck Museum de Duisbourg. Au printemps 2022, l’exposition y a été présentée à l’occasion de la remise du prix Wilhelm Lehmbruck au couple d’artistes en 2020 qui fut également décerné à Jean Tinguely en 1976.

Informations pratiques

Musée Tinguely
I Paul Sacher-Anlage 1 l 4002 Bâle

Vernissage: mardi 6 juin 2023 à 18h30

Vidéo

Heures d’ouverture:
mardi- dimanche 11h-18h, jeudi 11h-21h,
pendant la semaine de la foire ART Basel
9h-19h, jeudi 9h-22h

Site Internet : www.tinguely.ch

Réseaux sociaux : @museumtinguely 1  #museumtinguely #cardiffmiller #dreammachine

Sommaire du mois d’avril 2023

30 avril 2023 : Jean Michel Basquiat Soundtracks
22 avril 2023 : Roger Ballen. Call of the Void
13 avril 2023 : Vermeer l’unique
12 avril 2023 : Le Martyre de sainte Catherine de Simon Vouet
09 avril 2023 : Petit mot de Pâques

Roger Ballen. Call of the Void

Roger Ballen - L'Appel du vide est au Musée Tinguely de Basel jusqu'au 
29 octobre 2023
L'exposition a été réalisée par Andres Pardey en collaboration avec l'artiste et sa directrice artistique Marguerite Rossouw.
Le ballenesque

Le Musée Tinguely présente avec Roger Ballen. Gall of the Void, une exposition qui constitue la huitième édition de la série « Danse macabre», en référence à l’œuvre tardive de Jean Tinguely Mengele Danse macabre (1986).

 Le point de départ de ce face­ à-face est à nouveau très différent : alors que Anouk Kruithof. Universal Tongue (2022) avait retenu le motif de la danse et Bruce Conner. Light out of Darkness (2021), celui de l’apocalypse, Roger Ballen nous soumet le caractère dérangeant, troublant, de ses photographies et installations. Son œuvre interroge le psychisme humain et pose des questions, au public aussi, sur l’être et le devenir. Les œuvres de l’artiste sud-africain exposées du 19 avril au 29 octobre 2023 à Bâle englobent la photographie, la vidéo et l’installation, le tout dans une ambiance très typique pour le photographe, ce qu’il appelle le ballenesque.

                 Roger Ballen, Call of the Void, 2010
                 © courtesy Roger Ballen

Biographie

Roger Ballen, né en 1950 à New York, vit et travaille à Johannesburg, en Afrique du Sud. Il est l’un des photographes les plus en vue et les plus singuliers de notre époque. Son travail avait commencé par des portraits d’habitants et villages sud-africains – directs, frontaux, sans fard -,

                                            Roger Ballen, Headless, 2006
                                            © courtesy Roger Ballen

il se poursuit depuis 20 ans avec des images réalisées de plus en plus souvent en studio, sans rien avoir perdu de leur force originelle. Ses photographies noir et blanc carrées, montrent toutes sortes de choses, qui sont à la fois inscrites dans la composition et pourtant singulièrement autonomes : meubles, murs avec des dessins, fils métalliques, masques, animaux empaillés, membres d’animaux, rats vivants, oiseaux, serpents, chiens, chats, mannequins, et humains aussi mais désormais plus rarement.

Les images ainsi créées évoquent des déambulations dans l’inconscient – sombres, mystérieuses, parfois mêmes inquiétantes ou effrayantes. Déjà dans les portraits des années 1990, ce n’était ni la beauté ni l’harmonie qui l’intéressaient, mais plutôt le côté dérangeant, non conforme, propre aux personnes issues du précariat blanc de l’arrière-pays sud-africain. Les visages et corps de cette période sont marqués par les histoires vécues, alors que les photos ultérieures montrent les rapports entre les objets de manière à susciter une ambiance très particulière.

La Cabane

Ces dernières années, Roger Ballen a créé son propre style avec ce qu’il appelle le ballenesque, un caractère qui sous-tend ses œuvres. C’est cet aspect inconfortable, bizarre et inquiétant qu’il confère de plus en plus à ses installations. Pour ses photographies, il conçoit des scènes en atelier, qu’il présente désormais aussi dans des expositions. Ce faisant, il effectue un déplacement remarquable de la photographie vers l’espace, qui, au sein de l’exposition au Musée Tinguely,

    aboutit dans une cabane spécialement construite pour l’occasion. Cette habitation très simple constitue l’arrière-plan de plusieurs de ses scènes élaborées par Ballen. Il est possible de rentrer dans la cahute, où l’ambiance ballenesque se perçoit, se vit et se sent directement.

« En s’approchant de la cabane située au milieu de l’espace d’exposition, on se retrouve au centre de multiples photographies en noir et blanc issues des séries Asylum of the Birds et Roger’s Rats. En termes un peu simplistes, ces rats et ces oiseaux ont symbolisé le bien et le mal, l’obscurité et la lumière, tout au long de l’histoire de l’humanité. Les oiseaux assurent le lien entre le ciel et la terre, tandis que les rats sont injustement associés à la saleté, à la maladie et à l’obscurité. Chaque espèce possède sa propre mythologie, et lorsque l’on insuffle ces imaginaires à une photographie, les possibilités de création de significations plus profondes liées à la condition humaine sont illimitées. »                                                                                                  Roger Ballen

Photos & vidéos

Pour l’exposition à Bâle, Roger Ballen a retravaillé l’une de ses dernières séries de photographies de rats prises avec un appareil analogique. Une sélection de ces images est ainsi exposée pour la première fois, ainsi qu’une autre, avec des oiseaux, en regard.

Deux vidéos, Ballenesque (2017) et Roger the Rat (2020), élargissent ici à nouveau la sphère artistique. Chez Ballen, le fragile, le questionnement, le vacillement, l’inquiétant, le flou, l’indéterminé sont autant d’éléments fondamentaux.

Ces œuvres permettent de s’immerger en les contemplant, de rêver, de s’évader : on y trouve l’ordre et le chaos, tout autant que l’inspiration et la peur.

Le catalogue

À l’occasion de l’exposition Roger Ballen. Cali of the Void au Musée Tinguely, l’éditeur Kehrer publie un catalogue en anglais avec des textes de Roger Ballen, Andres Pardey et une préface de Roland Wetzel, avec environ 40 illustrations. Disponible à partir du 13 juin à la boutique du musée au prix de 35 CHF (ISBN 978-3-96900-127-1).

Le Inside Out Centre for the Arts

Le Inside Out Centre for the Arts, fondé par Roger Ballen, a ouvert ses portes en mars 2023 à Johannesburg en Afrique du Sud. La programmation de ce nouveau lieu culturel est axée sur des thèmes spécifiquement liés au continent africain. Il présentera des expositions d’un point de vue purement esthétique et psychologique. Le Inside Out Centre animera également un programme dynamique de conférences éducatives, de tables rondes, de masterclasses et de présentations autour de l’exposition en cours, ainsi que des sujets liés aux arts et à la culture.

L’exposition inaugurale End of the Game est consacrée à la décimation de la faune africaine, conséquence des expéditions de chasses et du braconnage depuis les années 1800. Utilisant photographies documentaires, objets anciens et extraits de films ainsi que les photographies et installations de Ballen, l’exposition met en évidence l’importance historique et le contexte de ‘l’Âge d’Or’ des expéditions de chasse africaines menées par les colonialistes et les figures de proue occidentales – telles que Churchill, Théodore Roosevelt, le Roi Edward VIII et Hemingway – qui ont eu lieu à partir du milieu du 19e siècle. La démarche de Ballen explore les rapports psychologiques profonds que l’homme entretient avec le monde naturel.

Informations pratiques

Musée Tinguely
 I Paul Sacher-Anlage 1 l 4002 Bâle
Tram n° 2 jusqu’à Wettsteinplatz
puis bus 31 ou 38 arrêt musée Tinguely

Heures d’ouverture:
mardi – dimanche, tous les jours 11h-18h, jeudi 11h-21h

Sites Internet :
www.tinguely.ch I www.insideoutcentreforthearts.com
Réseaux sociaux : @museumtinguely 1  #museumtinguely

PICASSO. Artiste et modèle – Derniers tableaux

Picasso et son modèle
Dans le cadre des commémorations internationales du 50ème anniversaire de la disparition de Pablo Picasso (1881–1973), la Fondation Beyeler présente du 19 février au 1er mai 2023 une sélection concentrée de dix toiles tardives de l’artiste en provenance de la Collection Beyeler, de l’Anthax Collection
Marx et d’autres collections privées.
Commissariat de Raphaël Bouvier
Dernières salves

Au cours de la dernière décennie de sa vie, alors qu’il est déjà âgé de plus de 80 ans, l’artiste espagnol poursuit de manière hautement productive son oeuvre audacieux. Avec une énergie irrépressible, au cours de cette ultime période il produit souvent plusieurs oeuvres par jour, faisant preuve d’une saisissante
puissance créatrice, comme s’il cherchait à combattre l’âge et la diminution attenante de ses capacités de création artistiques et corporelles. Parmi les nombreux travaux des années 1960 et du début des années 1970 figure un important groupe d’oeuvres dans lesquelles Picasso se consacre au sujet de l’artiste et du modèle. Dans ces oeuvres hautement expressives, il explore d’une part l’image (de soi) de l’artiste et d’autre part l’acte et le processus de création.

Autoportrait, cliché et caricature

                                                       Picasso tête d’homme

Oscillant entre autoportrait, cliché et caricature, certains des tableaux donnent à voir l’artiste en chemise rayée, convoquant ainsi aussi l’image déjà élevée au rang de mythe de Picasso. Cependant, comme une forme de contre-image à son apparence personnelle, il représente souvent l’artiste sous les traits d’un
homme barbu. Par ailleurs, Picasso présente le plus souvent l’artiste peignant directement devant le modèle, à l’encontre de sa propre pratique de travail – il peignait toujours de mémoire. Dans cette constellation, le modèle féminin nu, dont la représentation oscille également entre idéalisation et caricature, est exposé au regard de l’artiste. Avec ces oeuvres, la question reste ainsi ouverte de savoir dans quelle mesure Picasso exalte ou ironise sa fixation sur le nu féminin et l’appropriation visuelle du corps féminin. Son impressionnante série d’images du peintre et de son modèle soulève ainsi aussi des questions concernant le traitement personnel et artistique du corps féminin par l’homme et la possibilité de représenter ce corps dans le contexte actuel.

L’oeuvre tardive de Picasso

                                               le peintre, buste de profil

 L’exposition s’appuie sur une sélection de tableaux représentatifs de l’immense oeuvre tardive de Picasso pour entreprendre de retracer le cheminement et d’interroger la pertinence actuelle des explorations de l’artiste, qui tournent autour du processus créatif, des relations que structurent les regards croisés entre peintre et modèle, de la représentation de l’artiste
masculin et de la mise en scène visuelle du modèle féminin.

le peintre et son modèle
Picasso dans la Fondation Beyeler

Avec son inventivité picturale foisonnante, Pablo Picasso a marqué l’art du XXe siècle d’une empreinte singulière. La Fondation Beyeler possède plus de trente de ses oeuvres et abrite une des plus belles collections de Picasso au monde. Parmi les protagonistes de l’art moderne, Picasso est ainsi l’artiste le plus
fortement représenté dans la Collection Beyeler. Les oeuvres couvrent une période allant du travail cubiste précoce de l’année 1907 aux travaux tardifs des années 1960. Une quinzaine d’autres chefs-d’oeuvre de Picasso de la Collection Beyeler et de l’Anthax Collection Marx sont présentés dans les salles de la
collection qui font suite à l’exposition, proposant ainsi un vaste panorama de l’oeuvre de Picasso.

Célébration Picasso 1973-2023

Célébration Picasso 1973-2023  : 50 expositions et évènements pour célébrer Picasso
2023 marque le cinquantième anniversaire de la disparition de Pablo Picasso et place ainsi l’année sous le signe de la célébration de son oeuvre en France, en Espagne et à l’international. Célébrer aujourd’hui l’héritage de Picasso c’est s’interroger sur ce que cette oeuvre majeure pour la modernité occidentale
représente aujourd’hui. C’est montrer sa part vivante, accessible et actuelle.

La Fondation Beyeler

Le musée situé à Riehen près de Bâle est réputé à l’international pour ses expositions de grande qualité, sa collection de premier plan d’art moderne classique et d’art contemporain, ainsi que son ambitieux
programme de manifestations. Conçu par Renzo Piano, le bâtiment du musée est situé dans le cadre idyllique d’un parc aux arbres vénérables et aux bassins de nymphéas. Le musée bénéficie d’une situation unique, au coeur d’une zone récréative de proximité avec vue sur des champs, des pâturages et des vignes, proche des contreforts de la Forêt-Noire. La Fondation Beyeler procède avec l’architecte suisse Peter Zumthor à la construction d’un nouveau bâtiment dans le parc adjacent, renforçant ainsi encore l’alliance harmonieuse entre art, architecture et nature.

                       ERNST BEYELER ET PABLO PICASSO, MOUGINS, 1969
                              Photographe inconnu

Ma visite

Se rendre à la Fondation Beyeler, c’est comme aller à un rendez-vous d’amour, le cœur palpite, cheminant dans le sentier arrière de la Fondation, comme pour un pèlerinage, pressée de pénétrer dans le lieu, savourant à l’avance le plaisir que l’on sait trouver dans l’endroit. En revenir par le même sentier, rempli de l’émotion de la visite, se remémorant l’exposition, prolongeant indéfiniment le plaisir.
A force d’y aller, je crois que les œuvres m’appartiennent, je m’y sens comme chez moi.
Lorsqu’une œuvre de l’immense collection est absente pour un moment, je m’inquiète : aurait-elle été vendue ?
Dans ma naïveté et mon attachement je me suis enquis, à Art Basel, en voyant les oeuves phare exposées, auprès d’Ernst Beyeler, fondateur d’Art Basel, si elles étaient en vente.

« Jamais me répondit-il, c’est juste pour le plaisir des yeux. »

 

Sommaire du mois de février 2023

Wayne Thiebaud Flood Waters LAC Fondation Beyeler actuellement

17 février 2023 : ALCHIMIA NOVA – Anne Marie Maes
14 février 2023 : Espèce d’animal ! Un bestiaire contemporain
14 février 2023 : Un bestiaire contemporain au Séchoir suite
10 février 2023 : La roue = c’est tout, Nouvelle présentation de la collection Tinguely
08 février 2023 : Vagamondes
02 février 2023 : Jean Tinguely : l’Éloge de la folie
01 février 2023 : Trésor national : le musée d’Orsay s’enrichit d’un exceptionnel tableau de Caillebotte

La roue = c’est tout, Nouvelle présentation de la collection Tinguely

Jean Tinguely à la recherche de matériaux, Paris, 1960, photographe inconnu

du 8 février 2023 jusqu’au printemps 2025 au musée Tinguely
Commissaire de l’exposition : Roland Wetzel | Assistante : Tabea Panizzi
Fil conducteur

Augmentée de plusieurs prêts d’oeuvres emblématiques, une large vue
d’ensemble s’ouvre ainsi sur le travail de Jean Tinguely, dont l’affirmation
« La roue = c’est tout » sert de fil conducteur. Le motif de la roue jalonne non seulement toutes les périodes de création de l’artiste, mais témoigne aussi de sa conviction selon laquelle les évolutions au fil du temps doivent s’exprimer dans l’art. La nouvelle présentation de la collection est articulée de manière chronologique ; elle commence par les années incroyablement innovantes de 1954 à 1959,

parmi lesquelles figurent aussi des prêts majeurs comme le Moulin à prière ou Tricycle de 1954. La première salle de la présentation de la collection met en évidence le caractère inventif et novateur de Tinguely. Elle est consacrée à ses premières oeuvres mobiles des années 1950 – les sculptures en fil métallique et les reliefs – qui lui permettent de s’établir comme pionnier de l’art cinétique.

Périodes 1960/1967

L’espace suivant est consacré aux « sculptures performatives » de la période de 1960 à 1967 qui met en regard les sculptures en ferraille (vers 1960) et les sculptures noires (vers 1965). Sur la nouvelle mezzanine, l’exposition se poursuit avec la passion automobile de Tinguely et ses sculptures « sacrées » et carnavalesques. Le travail extrêmement novateur de Tinguely, dans le champ de l’esquisse et du dessin, peut être consulté à partir d’oeuvres choisies.

Cabinet et section d’Etude

La succession des salles se présente comme un cabinet ou une section d’étude ; elle met l’accent sur les importants projets collectifs et performatifs que Tinguely a réalisés au cours des années 1960 et 1970 dans l’espace public, sur scène et dans les musées. Des salles de projection vidéo proposent au public de s’immerger dans les projets Homage to New York (1960), Étude pour une fin du monde No.1 (1961), Study for an end of the world No. 2 (1962) et Éloge de la folie (1966).

Dernières années

Enfin, l’espace s’ouvre sur les dernières années de Tinguely avec de grandes sculptures et des machines musicales, entre autres avec Méta-Harmonie II (1979), Fatamorgana (1985)

et la plus grande sculpture du musée que Tinguely ait jamais créée la Méta-Maxi-Maxi-Utopia (1987). Les oeuvres de cette espace fonctionnent selon une durée chorégraphie bien établies et donc sans l’utilisation des boutons noirs. L’oeuvre tardive et importante Mengele-Totentanz de 1986 s’inscrit également dans le parcours, visible au deuxième étage comme le Schauatelier – l’atelier de l’équipe de restaurateur.trices.

Biographie illustrée

On y trouve également une biographie illustrée qui renseigne sur la vie de Tinguely au moyen de photos, vidéos et fichiers audio. L’oeuvre de Tinguely est marquée par une multiplicité d’intérêts et de sujets : le rapport entre l’homme et la machine, le mouvement et la cinétique, le hasard comme allié de génie, l’innovation par la destruction créatrice, la vie et la mort, l’embodiment, le théâtral et le performatif, la musicalité et toutes les formes de sensorialité, la critique du consumérisme, l’anarchisme et l’engagement politique, l’interdisciplinarité et la transdisciplinarité.

Tinguely était un talentueux réseauteur ; il disposait d’un vaste cercle d’amis et prenait un grand plaisir aux processus collaboratifs, expérimentaux et transfrontaliers de la création artistique et muséographique. La qualité particulière de son oeuvre se mesure à son accessibilité.

Les familles au musée

Juste après l’entrée du musée un espace ‘activités éducatives’ accueille désormais les familles au musée. En faisant appel à plusieurs sens, les familles trouvent ici différentes suggestions pour une visite stimulante et un aperçu de la médiation artistique du musée et de ses offres actuelles.
Pour explorer les oeuvres d’art de la collection de manière autonome et ludique, le musée propose des « parcours pour les familles » qui invitent à de nouvelles découvertes et fournissent des pistes de réflexion pour petits et grands.

Informations pratiques

Musée Tinguely
Paul Sacher-Anlage 1 | 4002 Bâle
Durée : du 8 février 2023 jusqu’au printemps 2025
Heures d’ouverture :
mardi – dimanche, tous les jours 11h-18h, jeudi 11h-21h
L’heure bleue
Ouvert le jeudi jusqu’à 21h, 18h-21h entrée gratuite

Sites Internet : www.tinguely.ch
Réseaux sociaux : @museumtinguely | #museumtinguely | #larouecesttout

Jean Tinguely : l’Éloge de la folie

Jean Tinguely, Éloge de la folie, 1966
540 x 780 x 75 cm, cadre en aluminium avec panneaux de bois, fils métallique, courroies en caoutchouc, boules, moteurs électriques, peint en noir

Acquisition par le Musée Tinguely d’une oeuvre majeure de Jean Tinguely des années 1960
Le Musée Tinguely a acquis l’une des oeuvres emblématiques des années 1960 de Jean Tinguely : l’Éloge de la folie créée en 1966 pour le ballet éponyme de Roland Petit. Elle contribue magnifiquement à l’extension de la collection du musée en lui donnant un nouveau point fort. L’oeuvre fut présentée pour la dernière fois à Wolfsburg et à Bâle il y a plus de 20 ans. Dans le cadre de la nouvelle présentation de la collection « La roue = c’est tout », l’oeuvre sera à nouveau accessible au public à partir du 8 février.

Description

Pour le ballet l’Éloge de la folie, Jean Tinguely réalise l’une de ses plus importantes contributions scéniques et l’une de ses oeuvres emblématiques des années 1960. Sa machine, intitulée l’Éloge de la folie à l’instar du ballet, est constituée d’un système de rouages plat, semblable à un relief ajouré, faisant office de rideau au fond de la scène. De grandes roues plates découpées dans des panneaux de bois et peintes en noir tournent devant un rideau blanc éclairé à l’arrière. Elles évoquent ses premiers Reliefs méta-mécaniques composés de fines roues métalliques et d’éléments en tôle colorés se mettant à danser au rythme de la rotation des roues. Un danseur positionné sur un pédalier s’apparentant à un vélo active les roues de l’assemblage grâce à une courroie de transmission ainsi qu’un circuit à boules traversant le relief. Avec cette présentation scénique de grandes dimensions, Tinguely reprend d’anciens thèmes et motifs, mais trouve une nouvelle forme d’expression. Le rétroéclairage évoque un jeu d’ombres tout en donnant une impression d’apesanteur. L’artiste s’était déjà intéressé aux jeux d’ombre produits par ses sculptures comme il l’explique dans une lettre adressée à Pontus Hultén :
« Je vais utiliser 3–4 projecteurs de cinéma pour que les oeuvres produisent des ombres. »
Dans plusieurs travaux ultérieurs, les jeux d’ombre et leur mise en scène deviennent une composante essentielle de ses réflexions artistiques. Aujourd’hui, un moteur électrique impulse le mouvement ; quant au danseur activant le pédalier, Tinguely l’a lui-même remplacé par une silhouette humaine.

Le Ballet

Roland Petit, chorégraphe et fondateur des ‘Ballets des Champs-Élysées’, puise son inspiration dans l’ouvrage l’Éloge de la folie d’Érasme de Rotterdam pour concevoir un ballet contemporain. L’oeuvre littéraire d’Érasme constitue un enseignement, un miroir intemporel grossissant avec ironie les faiblesses humaines et leurs vaines aspirations. L’écrivain Jean Cau en rédige le livret :
« C’est un éloge de notre vie et de notre monde. Un éloge noir et blanc et de mille couleurs, contrasté de violences et de tendresses. Des bruits, des sons et des musiques. Des corps qui se cherchent et s’interrogent... »
Le compositeur Marius Constant en écrit la musique : une série de structures concertantes pour 19 musiciens destinées à différents instruments solistes.
Roland Petit engage Niki de Saint Phalle, Martial Raysse et Jean Tinguely pour les décors scéniques des neuf scènes de ballet. Chacun en réalise trois. Il s’agit dans l’ordre du livret de : 1. Les Empreintes, 2. La Publicité, 3. L’Amour, 4. La Femme au pouvoir, 5. Les Pilules, 6. La Guerre, 7. La Machine,
8. L’Interrogatoire et 9. Count Down. Jean Tinguely apporte sa contribution aux scènes 1, 7 et 9. Dans le film réalisé lors de la représentation, le ballet commence avec ‘La Machine’, premier décor réalisé par Tinguely, et se termine avec ‘Count Down’, la dernière scène. Il sera présenté pour la première fois le 7 mars 1966 au Théâtre des Champs- Élysées. Dans la presse française, ce sont surtout les nouveaux décors scéniques qui recueillent des critiques positives. Le film sera également présenté au sein de la nouvelle présentation de la collection du Musée Tinguely inaugurée le 7 février 2023.
L’Éloge de la folie a été présenté pour la dernière fois au public il y a plus de 20 ans dans le cadre de l’exposition L’esprit de Tinguely au Kunstmuseum Wolfsburg (2000), puis au Musée Tinguely (2000-2001). Durant son séjour à Bâle, l’oeuvre avait été vendue à une remarquable collection privée. Désormais, celle-ci est en possession du Musée Tinguely qui l’a acquise dans le cadre de la succession de cette collection.

Le Musée Tinguely

Avec plus de 120 sculptures cinétiques et 1500 oeuvres sur papier, le Musée Tinguely détient la plus grande collection au monde d’oeuvres de l’artiste suisse Jean Tinguely (1925-1991). Pour la première fois depuis l’inauguration du musée en 1996, la collection est de nouveau présentée sous le titre La roue = c’est tout dans la grande halle d’exposition à partir du 8 février 2023.
L’oeuvre de jeunesse de Tinguely empreinte de fragilité et de poésie, ses actions explosives et ses collaborations des années 1960, ainsi que ses dernières oeuvres musicales et monumentales plus sombres, composent un parcours d’exposition éclectique proposant de nombreuses activités participatives ainsi qu’un nouvel aperçu de son oeuvre sur quatre décennies. En s’appuyant sur le monde des idées de Tinguely, le Musée Tinguely présente un programme d’expositions et de manifestations varié mettant en avant le dialogue avec d’autres artistes et d’autres formes d’art, tout en offrant une expérience muséale interactive qui sollicite tous les sens.

Informations pratiques

Musée Tinguely:
Paul Sacher-Anlage 1 | 4002 Basel
Heures d’ouverture: mardi – dimanche, tous les jours 11h-18h, jeudi 11h-21h
Sites Internet: www.tinguely.ch
Réseaux sociaux: @museumtinguely | #museumtinguely | #tinguely

Accès
tram no. 2 jusqu‘au « Wettsteinplatz »,
puis bus no. 31 ou 38 jusqu’à « Tinguely Museum ». 
Gare allemande (Bad. Bahnhof) : bus no. 36.
Autoroute: sortie « Basel Wettstein/ Ost ».
Parking à coté du musée ou au Badischer Bahnhof.

Sommaire de janvier 2022

28 janvier 2023 : Wayne Thiebaud, l’artiste des tentations
24 janvier 2023 : Silvère Jarrosson Au Musée Unterlinden
16 janvier 2023 :
14 janvier 2023 : L’attente D’Anna Malagrida
8  janvier 2023  :
5 janvier  2023 :
1 janvier 2023  :