Du Douanier Rousseau à Séraphine, les grands maîtres naïfs

Jusqu’au 19 janvier 2020 au Musée Maillol

Le Musée Maillol accueille plus d’une centaine d’oeuvres issues du monde passionnant, rêveur, insolite et inépuisable des artistes dit « naïfs ». Appelés « primitifs modernes » par l’un de leurs fervents défenseurs, le collectionneur et critique d’art Wilhelm Uhde (1874-1947), ces artistes renouvellent la peinture à leur manière, à l’écart des avant-gardes et des académismes. Réunies pour la première fois à Paris, leurs oeuvres aux couleurs éclatantes livrent un pan souvent négligé de l’histoire de l’art de l’entre-deux guerres.

Sur les pas d’Henri Rousseau et de Séraphine Louis, l’exposition vise à révèle une constellation d’artistes tels qu’André Bauchant, Camille Bombois, Ferdinand Desnos, Jean Ève, René Rimbert, Dominique Peyronnet et Louis Vivin.

Autodidactes, comme le Douanier Rousseau qui les précède, ils sont venus à l’art en secret ou sur le tard, mus par une vocation contrariée, une injonction divine ou par l’Histoire. Par nécessité, ils ont concilié leur pratique artistique avec une profession souvent modeste : cantonnier, employé de maison, lutteur de foire, imprimeur ou fonctionnaire des postes. S’ils ne se connaissent pas, certains exposent aux Salons, d’autres sont vus et soutenus par des amateurs influents. On trouve parmi ces derniers André Breton, Pablo Picasso, Vassily Kandinsky, Le Corbusier, Henri-Pierre Roché, Maximilien Gauthier, Wilhelm Uhde, Jeanne Bucher, Anatole Jakovsky et Dina Vierny, fondatrice du Musée Maillol.

Issue d’une famille juive de Bessarabie émigrée en France dans les années 1920, modèle de Maillol et de Matisse, résistante dès les débuts de la guerre, Dina Vierny découvre la peinture d’André Bauchant chez Jeanne Bucher pendant l’Occupation. Encouragée par la galeriste, la muse ouvre sa propre galerie en 1947, puis la Fondation Dina Vierny – Musée Maillol, bien plus tard, en 1995. Elle y présente les artistes de son goût, parmi lesquels Vassily Kandinsky, Serge Poliakoff et Bauchant lui-même.

            André Bauchant, la boucherie

Après la guerre, une nouvelle rencontre joue un rôle décisif dans son parcours : celle d’Anne-Marie Uhde, qui lui cède la collection de son défunt frère Wilhelm. En organisant deux expositions mythiques,
« Les Peintres du Coeur-Sacré » en 1928 et « Les Primitifs modernes » en 1932, Wilhelm Uhde a réuni pour la première fois des artistes qui s’ignoraient. Après la guerre, Dina Vierny est l’une des seules, avec Anatole Jakovsky, à poursuivre le travail de cet amateur de la première heure : l’exposition
« Le Monde merveilleux des naïfs », présentée à la galerie en 1974, en témoigne. Près de cinquante ans après, le Musée Maillol rend hommage à ces artistes comme à ceux qui les ont défendus.

Louis Vivin

Rousseau, Bauchant, Bombois, Desnos, Ève, Louis, Rimbert, Peyronnet et Vivin
partagent un regard ébloui et un lyrisme détonnant. Bien qu’on ait pu les qualifier de réalistes, leurs oeuvres montrent des espaces disjoints, des scènes troublantes, des images mentales où l’obsession du détail atteint souvent une dimension extravagante et même surréelle. Comme les peintres primitifs de la pré-Renaissance, ils inscrivent leurs figures dans des espaces à plusieurs plans sans appliquer strictement les règles de la perspective. Et à rebours des avant-gardes, ils perpétuent une certaine tradition picturale, parfois renouvelée avec humour, en se consacrant essentiellement à la peinture de genre : natures mortes, scènes domestiques, paysages et portraits de leurs proches.

Mais leur extraction modeste ne les isole pas de la modernité, ni même de la scène artistique. À l’exception de Rousseau, ils sont nés dans les dernières décennies du XIXe siècle et ont vécu l’accélération de l’ère industrielle et le choc de la Première Guerre mondiale. S’ils ne fréquentent pas les écoles ou les ateliers de maîtres reconnus, la reproduction mécanique alimente leur imaginaire visuel : presse, ouvrages illustrés, catalogues et cartes postales constituent un
« monde en conserve » à leur entière disposition. Collages d’images mentales plutôt que représentations photographiques de la réalité, leurs oeuvres ont bien souvent cet effet d’ « inquiétant familier » que les surréalistes, à la même époque, aspirent à exploiter. Chacun à sa manière, les artistes réunis au Musée Maillol créent un ensemble original, riche de sensations et de souvenirs associés aux détails du monde, et dont le pouvoir de séduction va bien au-delà du charme de la maladresse technique.

L’exposition, à travers un parcours thématique, souligne les qualités picturales de ces artistes, va plus loin de l’anecdote biographique qui a longtemps constitué le seul commentaire disponible sur eux. Une sélection d’oeuvres étonnantes et à contre-courant, issues d’importantes collections publiques (Musée d’Orsay, Musée de l’Orangerie, Musée Picasso, Centre Pompidou, LAM, Kunsthaus de Zurich, Kunsthalle de Hambourg) et collections privées françaises et internationales, révèle la grande inventivité formelle de chaque artiste, sans dissimuler les dialogues qu’ils entretiennent avec la tradition picturale comme avec la création de leur temps.

Séraphine de Senlis

En croisant approches historique, analytique et sensible des oeuvres et de leur présentation au monde, le Musée Maillol lève le voile sur la dimension subversive de l’art dit naïf et présente ces naïfs, primitifs, modernes ou antimodernes, comme des grands artistes à contre-courant des avant-gardes.

Commissariat : Jeanne-Bathilde Lacourt, conservatrice en charge de l’art moderne au LaM, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole.
Àlex Susanna, écrivain, critique d’art et commissaire d’expositions

Photo 2 : Séraphine de Senlis
Photo 6 : Camille Bombois
Photo 7 : Camille Bombois, fillette à la poupée
Photo 8 : Ferdinand Desnos, portrait de Paul Léautaud et ses chats

Yan Pei-Ming / Courbet Corps-à-corps

Yan Pei-Ming, la Montagne Céleste 2019

À l’occasion du Bicentenaire de Gustave Courbet (1819-1877), le Petit Palais présente Yan Pei-Ming / Courbet, Corps-à-corps,
Jusqu’au 19 janvier 2020, prolongeant ainsi l’exposition organisée
cet été au musée Courbet à Ornans.

 

Une dizaine d’œuvres de Courbet, toutes issues des collections du Petit Palais, sont montrées en regard d’une quinzaine de toiles monumentales de Yan Pei-Ming réalisées pour certaines dans l’atelier de Courbet à Ornans. Elles sont présentées cette fois dans un accrochage volontairement inspiré des Salons du XIXe siècle, expérience inédite pour l’artiste.


Le Petit Palais possède en effet l’une des plus grandes collections de tableaux de Courbet grâce à des achats de la Ville de Paris effectués dès la fin du XIXe siècle, enrichis au début du XXe siècle par les dons de sa sœur, Juliette Courbet et du critique Théodore Duret. Cet ensemble comprend des œuvres majeures du chef de file des réalistes telles que Le Sommeil, Les Demoiselles de Bord de Seine, Proudhon et ses enfants, L’Autoportrait au chien, Les Amants dans la campagne, ou encore La Sieste pendant la saison des foins

Yan Pei-Ming découvre le travail du peintre français dans un livre de propagande en noir et blanc lors de ses premières années d’études en Chine. Installé en France depuis 1980, il redécouvre alors la diversité de l’œuvre de l’artiste pour laquelle il nourrit une fascination accrue. De fait, dans ce corps-à-corps présenté dans la galerie des grands formats du Petit Palais, la matérialité des peintures de Yan Pei-Ming et de Courbet se parlent et se répondent. L’épaisseur de la touche de Gustave Courbet trouve son écho dans le caractère gestuel de la technique de Yan Pei-Ming, qui favorise le ressenti plutôt que la visualisation. vidéo

Ensuite, par le choix des sujets
« classiques » comme des portraits, des nus, des paysages et des animaux, autant de thèmes que l’on retrouve aussi chez Courbet, l’artiste franco-chinois cherche à créer des liens contextuels et allégoriques avec le grand maître. Courbet cherchait à dévoiler l’homme au prise avec ses maux, ses souvenirs et sa nostalgie avec une précision qui permet un jaillissement sentimental authentique.

On retrouve chez Yan Pei-Ming une démarche similaire, où le souvenir et l’intime tiennent une place cruciale, tel L’Oncle aveugle, (2019). Les œuvres exposées possèdent une charge émotionnelle forte dans la mise en lumière de l’histoire personnelle de chacun.

L’artiste à 58 ans, Yan Pei-Ming, (2019) est une véritable mise en abîme de la place de l’artiste face à Courbet qu’il considère comme un peintre révolutionnaire dans sa manière d’appréhender le sujet. En parallèle à cet autoportrait, il lui rend hommage en reproduisant un portrait tiré du dernier cliché connu de celui-ci, avant sa mort à 58 ans.
«Chaque matin, j’ai pris mon café en peignoir dans l’atelier de Courbet. J’ai vécu, comme lui, dans la maison mitoyenne. Courbet est mort à 58 ans, j’ai 58 ans ».
En réinterprétant les œuvres du grand maître, Yan Pei-Ming amorce un questionnement profond vis-à-vis de la peinture classique tout en lui rendant hommage.
Yan Pei-Ming, né à Shangaï en 1960, est le premier artiste à avoir été invité en résidence dans l’atelier de Courbet à Ornans où la présence du maître est, d’après lui, encore très forte. Représenté dans de grandes collections publiques telles que le musée national d’art moderne au Centre Pompidou ou le Louvre Abu Dhabi, son travail est montré pour la première fois cet automne au Petit Palais.
Parallèlement, le musée d’Orsay présente de son côté une œuvre monumentale inspirées de L’Enterrement à Ornans de Gustave Courbet
Un Enterrement à Shanghaï
Un trytique  : Montagne Céleste, Ma Mère, L’Adieu


Artiste contemporain reconnu pour sa palette monochromatique et sa touche vigoureuse, Yan Pei-Ming vit et travaille aujourd’hui à Dijon.
(Ici l’exposition : L’Homme qui pleure)
Ancien pensionnaire de la Villa Médicis en 1993, il connaît une véritable consécration sur la scène internationale après sa participation remarquée
à la Biennale de Venise en 2003.

ST-ART 2019

Pablo Reinoso « Banc Saint-Germain »

 

Foire européenne d’art contemporain et du design
du 15 au 17 novembre 2019


Bilan
91 exposants dont : • 76 galeries • 15 institutions et associations • 24% de galeries internationales • 9 pays représentés • 40% de galeries qui participaient pour la 1ère fois Plus de 600 artistes présentés.
Une fréquentation stable avec 20 000 visiteurs.  Des ventes jugées très satisfaisantes pour bon nombre d’exposants avec un chiffre d’affaires par exposant en augmentation : plus de 17 105 € / exposant en moyenne contre 16 063 € en 2018 et 9 560 € en 2017.

Un bel écrin pour les galeries
Cette 1ère édition dans le nouveau parc éphèmère a permis aux exposants de présenter leurs oeuvres dans des conditions techniques, thermiques et esthétiques augmentées : un bel écrin pour la centaine d’exposants venus faire découvrir leurs artistes ! Jérémy Martinato, Bear Galerie, a salué la belle clarté de la structure temporaire :
« le salon est beau, aéré, on s’y sent bien ! »
Conservant sa spécificité de foire d’art contemporain où les collectionneurs, amateurs et visiteurs ont la possibilité de découvrir et redécouvrir les artistes présentés par les galeries dénicheuses de talents, laboratoire de recherche, conseiller artistique, ST-ART ouvre pour la première fois un secteur dédié aux galeries de Design.

Le design à l’honneur
Pour la 1ère fois, ST-ART s’ouvrait au design à travers notamment une exposition didactique sur 200m2 consacrée à l’assise avec des rééditions de grands chefs-d’œuvre du design, de Michael Thonet à Marc Newson. Avec cette exposition, une section dédiée aux galeries de design voyait le jour pour le grand plaisir des visiteurs invités à découvrir le travail de Bounoure & Genevaux sur le stand de la galerie Decorde, un aperçu du design kenyan sur le stand de la galerie L’Équipée, des pièces historiques de grands designers sur le stand de la galerie The Sloughis… Steven Riff, galerie The Sloughis estime que l’expérience autour du design est à développer, construire dans le temps car les retours étaient très positifs :
« je pense que ST-ART a une carte à jouer de ce côté là. »

Depuis plusieurs sessions, l’art urbain a fait son entrée sur la foire et a su trouver son public. Cette année encore, des galeries viennent ou reviennent avec des propositions diverses mettant en valeur les artistes de street art.

« Pablo Reinoso, invité d’honneur de cette 24e édition
Le designer franco-argentin Pablo Reinoso était l’invité d’honneur de cette édition et invitait les visiteurs à s’arrêter dès l’entrée de la foire sur son « Banc Saint-Germain », une pièce magistrale aux lignes sinueuses qui donnait le ton de cette édition !

Le Prix Art de la ville de Strasbourg 2019 remis au duo d’artistes
Bounoure & Genevaux et à la galerie Decorde
Dans leur travail, on note clairement le contraste entre la technique, le contrôle et la discipline propre à l’architecture et l’immédiateté, l’expérience, l’intuition induite par le Pli. Explorateurs infatigables, Guillaume Bounoure et Chloé Genevaux ont fondé l’atelier BOU- GE en 2015, spécialisé dans le Pli.

Le Prix Art de la ville de Strasbourg, créé en 2016, évoluait cette année afin de soutenir, au delà de l’artiste lauréat, la galerie qui le représente. Doté de 2 000 €, ce prix, qui se veut un soutien à la jeune création et au travail des galeristes, est décerné conjointement à un jeune artiste et son galeriste en faveur d’un projet conjoint ultérieur (production d’une œuvre, communication ou édition).
Le lauréat est sélectionné par un jury d’expert indépendant, parmi un choix d’une dizaine d’artistes émergents préselectionnés par le jury et la direction artistique de ST-ART :
les « Nominés Prix Art ».

Les NomiNés 2019 Prix Art de LA viLLe de strAsbourg
• WITHOUTART GALERIE / artiste : Nathalie Savey
• AEDAEN GALLERY / artiste : Andrej Pirrwitz
• GALERIE PHILIPPE DECORDE / artiste : Bounoure & Genevaux
L’ÉQUIPÉE / artiste : Christopher


• GALERIE SALTIEL / artiste : Blo
• OPENART EXCHANGE / artiste : Steve Bandoma
• GALERIE VALERIE EYMERIC / artiste : Cornelia Komili
• GALERIE CHRISTOPHE GRATADOU / artiste : Javier Hirschfeld
• PIGMENT GALLERY / artiste : Ruben Martin de Lucas •
GALERIE PASCAL GABERT / artiste : Stéphanie Lucie Mathern •
GALERIE POL LEMETAIS / artiste : Mina Mond
Le jury était composé pour cette édition de David Cascaro, directeur de la HEAR, Haute École des Arts du Rhin et Dimitri Konstantinidis, directeur de Apollonia, Centre d’art européen.

Voir le blog de la Fleur du Dimanche pour d’autres images

RDV en 2020 pour la 25e édition !

Boltanski – Faire son temps

Jusqu’au 16 mars 2020, au Centre Pompidou, dans une vaste déambulation en forme de méditation sur la vie et son cours, l’exposition de l’oeuvre de Christian Boltanski, propose un regard singulier sur l’un des principaux artistes de notre temps. Il donne à voir un art qui s’est sans cesse réinventé.

Après la première rétrospective que le Centre Pompidou lui consacrait en 1984, cette nouvelle exposition développe un,parcours de 2000 mètres carré au coeur duquel Boltanski met en scène un choix d’oeuvres par lesquelles il ne cesse d’explorer la frontière entre présence et absence.

Conjuguant mémoire individuelle et collective à une réflexion toujours plus approfondie sur les rites et codes sociaux,

Boltanski développe depuis un demi-siècle une oeuvre sensible et corrosive, tel un état de veille lucide sur nos cultures, leurs illusions et désenchantements.

« Ceux qui m’intéressent sont toujours des inconnus, des anonymes. Je pense que chacun de nous est totalement unique et extrêmement important et que tous les humains sont prodigieux, donc tous les humains méritent mon attention. »

« La grande question que je me suis posée c’est l’importance de chacun et de sa fragilité. On se souvient de son grand père mais pas de son arrière grand père : il y a le merveilleux de chacun, mais qui s’efface très rapidement. Chaque être humain mériterait d’avoir son musée après ses 60 ans. »


Depuis ses débuts, en 1967, Boltanski scrute la vie des hommes et ce qui en subsiste après la mort, une fois qu’ils ont fait leur temps. En recourant à l’inventaire et l’archive, il développe au gré d’albums photographiques ou d’objets reconstitués comme autant de souvenirs d’enfance, un essai de reconstitution de la vie des êtres pris dans l’anonymat de leur disparition. Par le biais de « petites histoires », il met en exergue tout un chacun et personne et s’attache à la mise en forme fragile et troublante d’une mémoire collective de l’humanité.

(…) D’envois postaux en documents mêlant fictions et vies réelles, d’évocations de l’enfance perdue à la suggestion de la mort latente, Boltanski a toujours mis en scène la fragilité de l’être. L’éphémère gouverne tout l’oeuvre et l’utilisation d’éléments voués à la conservation,
à  la pérennisation, tels les boîtes métalliques ou les vitrines apparaissent d’abord comme un vocabulaire plastique récurrent au coeur de ses premières oeuvres. (…)

La pratique de Boltanski concilie ainsi le caractère dérisoire de toute action avec le désir de permanence et de préservation propre à toute civilisation. Elle témoigne aussi de l’acharnement avec lequel l’art tente de réussir à se saisir de la vie et de lutter contre l’oubli.

L’art de Boltanski est d’abord un art du temps qui passe. (…)

A partir de 1984, ses oeuvres se détachent de l’ironie et de l’humour qui les constituaient et se font plus sombres. Les Monuments, les Reliquaires, les Réserves conjuguent les thèmatiques du souvenir et de la disparition. Au-delà de ses travaux liés à la mémoire du monde, les oeuvres de Boltanski tendent à montrer, de manière chorale, les structures mises en place par l’homme pour faire face à la mort. (…)

Les années 1990 voient son travail s’orienter de plus en plus vers une recherche portée par des mythes et des légendes puisant à l’imaginaire collectif. En privilégiant des projets au contenu « humaniste » comme le démontre la conception des Archives du coeur, enregistrements d’innombrables battements de coeurs, collectés, au fil du temps, à travers le monde et conservés à l’abri du temps sur l’île de Teshima, au Japon, Boltanski fait de son oeuvre une ample allégorie de l’éternité.

Dans ses oeuvres plus récentes, Boltanski explore la fatalité et questionne le hasard en construisant des dispositifs où la vie s’apparente toujours plus à une loterie. Plus près de nous encore, les immenses installations immersives de l’artiste se confrontent aux espaces du bout du monde qu’il aime désormais arpenter, à la recherche de mythes enfouis qui deviennent le support de ses propres installations. (…)

Conçue sous la forme d’un labyrinthe et comme une oeuvre en soi, l’exposition conduit le visiteur à s’immerger au coeur d’une méditation sur la préservation de l’être. Se rapprochant du champ plastique et temporel du théâtre, domaine qu’il investit depuis plusieurs années, l’artiste dresse la scène d’une grande métaphore du cycle humain, de la naissance à la disparition.

Extraits d’un entretien avec
Bernard Blistène
Directeur du Musée national d’art moderne,
Commisaire de l’exposition

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Le Greco

GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
l’Assomption de la Vierge

1577-1579
Huile sur toile 403,2 x 211,8 cm
Chicago, The Art Institute of Chicago; don de
Nancy Atwood Sprague en mémoire d’Albert
Arnold Sprague, 1906
Photo © Art Institute of Chicago, Dist. RMN-Grand
Palais / image The Art Institute of Chicago

Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, le musée du Louvre et l’Art Institute of Chicago où elle sera présentée du 8 mars au 21 juin 2020.
Jusqu’au 10 février 2020 à Paris
commissariat : Guillaume Kientz, Conservateur d’art européen, Musée d’art Kimbell, Fort Worth, USA
commissaire associée : Charlotte Chastel-Rousseau, Conservatrice de la peinture espagnole et
portugaise, Musée du Louvre, département des Peintures
scénographie : Véronique Dollfus
Vidéo


Au fond, la vie de Greco c’est celle d’un émigré Grec qui veut réaliser son rêve : devenir un grand peintre de la Renaissance. Malgré de nombreuses vicissitudes il y parvient, mais il va surtout au-delà.
En effet, si Velázquez est le peintre des peintres, Greco est celui des écrivains. Nul autre que lui n’a autant inspiré les poètes. Si Velázquez est une révélation pour la génération romantique (Manet),
Greco est une révolution pour les avant-gardes (Picasso). Mieux, il est l’un des leurs, un cubiste et un Fauve, car Greco est l’outsider de la peinture ancienne. Son art en quelque sorte c’est la Renaissance à l’état sauvage.
(
Guillaume Kientz)

Cette rétrospective est la première grande exposition jamais consacrée en France à cet artiste.

Le style et l’image
Doménikos Theotokópoulos, dit Greco, e
st incontestablement l’un des talents les plus originaux de l’histoire de l’art. Sa peinture si singulière a suscité de nombreuses théories, souvent farfelues.
On a fait de lui un fou, tantôt hérétique, tantôt mystique. Certains même, pour justifier les audaces de sa palette, l’ont imaginé astigmate. La vérité est moins romanesque… encore que ! De Crète à Venise, de Venise à Rome et de Rome à Tolède, son itinéraire hors du commun et son obstination à défendre sa vision de l’art l’ont élevé, à la force du pinceau, parmi les grands maîtres de la Renaissance, avant de faire de lui, bien plus tard, le prophète de la modernité.

La scène artistique qu’il découvre en Italie lorsqu’il s’y installe vers 1567 est partagée entre Titien dont le pinceau règne dans la cité des Doges, et Michel-Ange (mort en 1564) dont l’art domine toujours Rome
et Florence. Greco doit trouver sa voie. Il épouse la couleur de l’école vénitienne, mais lui concilie la force du dessin et de la forme michelangélesque. Parallèlement, alors que l’Eglise cherche de nouvelles
images pour répondre à l’iconoclasme protestant et reconquérir les âmes, il met à profit sa grande imagination pour proposer de nouvelles solutions figuratives. Les temps semblent favorables à celui qui veut se faire une place et un nom. Les images et le style : tout est à réinventer. C’est le défi que se lance Greco.

Les quelques 75 oeuvres rassemblées dans cette exposition entendent rendre hommage au génie inclassable et sauvage que fut Greco. Avec ses cimaises blanches et simples, la scénographie veut laisser
à l’artiste le monopole de la couleur et recréer la modernité de regard qui accompagna sa redécouverte par les avant-gardes.
Entre Orient et Occident
C’est sur une île grecque, la Crète, que Greco voit le jour vers 1541, à Candie, actuelle Héraklion, alors dominée par Venise. Il se forme dans la tradition byzantine des peintres d’icônes comme en témoigne son Saint Luc peignant la Vierge, mais pratique aussi un style hybride s’inspirant de l’art occidental qu’il connait à travers les gravures et les tableaux importés de Venise

GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
Saint Luc peignant la Vierge
1560-1566
Tempera et or sur toile, marouflée sur bois
41 × 33 cm
Athènes, musée Benaki

Rêvant au statut d’artiste conquis par les peintres de l’Italie de la Renaissance, il s’installe à Venise. Mais arrivé dans la cité des Doges, il doit faire face à la réalité du marché de l’art qui laisse peu de place à un
jeune étranger fraichement débarqué et sans appui.

De Crète en Italie – 1560 – 1576
Arrivé à Venise dans les premiers mois de l’année 1567, Greco y trouve une société cosmopolite dont les accents orientaux lui rappellent sa Crète natale. Surtout, il y découvre Titien, son modèle, dont il fréquente peut-être l’atelier, Tintoret, dont le style dynamique le stimule, Pâris Bordone, dont il admire les perspectives architecturées, et Jacopo Bassano dont il retiendra sa vie durant le clair-obscur. Il y apprend la grammaire de la Renaissance et le langage de la couleur chère à Venise. Face aux tenants de la ligne, menés par le Toscan Giorgio Vasari [cat. 19], il embrasse la cause des défenseurs du colorito

Ces premières années italiennes, entre 1567 et 1570 environ, lui permettent de transformer son écriture artistique. S’inspirant de gravures mais plus encore par l’observation et l’intuition directe de la peinture,
il abandonne l’art appliqué de l’icône pour adhérer aux ambitions de la Renaissance. Le Triptyque de Modène [cat. 03], pierre angulaire de son évolution, témoigne de cette conversion. Les deux compositions
qu’il consacre à l’Adoration des mages [musée Benaki – cat. 2, et Fondation Lázaro Galdiano – cat. 6] montrent le chemin rapidement parcouru et ouvrent la voie à ses premiers tableaux proprement vénitiens.
Ne parvenant à trouver sa place dans le marché très concurrentiel de la Sérénissime, Greco est contraint de tenter sa chance ailleurs, et rejoint Rome.

Penser grand, peindre petit
De Venise à Rome, Greco peint essentiellement des tableaux de petit format, sur bois. Intrinsèquement lié à l’art de l’icône, le bois reste longtemps pour lui un support de prédilection. Il y trouve un terrain idéal où parfaire son apprentissage et expérimenter des solutions nouvelles, comme pour l’iconographie de saint François [cat. 11, 12]. Quasi inconnu en Italie et ignorant la technique de la fresque, il n’a accès ni aux grandes commandes décoratives, ni aux tableaux d’autel. Le marché des tableautins de dévotion ou de cabinet lui est davantage ouvert.

La Pietà [cat. 13] et La Mise au tombeau du Christ [cat. 14] sont caractéristiques de ces années romaines et de sa réponse critique à l’art de Michel-Ange, qu’il se plait à reformuler et à « corriger ». En 1572, son
arrogance face à l’oeuvre du grand maître florentin lui aurait valu d’être chassé du palais Farnèse où il était hébergé.

Cette même année, son nom figure sur les registres de l’Académie de saint Luc, la corporation des peintres. Une erreur de lecture a longtemps fait croire qu’il y était inscrit en tant que peintre de miniatures.
Bien qu’il n’en soit rien, il manifeste un intérêt constant et un talent réel pour les petits formats et n’hésite pas à représenter saint Luc, patron des peintres, sous les traits d’un enlumineur [cat. 10].

Les portraits
Parmi les nombreuses facettes du talent de Greco, celle de portraitiste n’est pas la moindre. Dès sa période romaine (1570-1576), il semble jouir d’une solide réputation dans ce genre. Ainsi, dans sa lettre de recommandation au cardinal Farnèse, l’artiste miniaturiste Giulio Clovio mentionne un autoportrait de Greco qui suscite l’admiration de tous les peintres de Rome. Si ce tableau est aujourd’hui perdu, d’autres toiles témoignent de son succès dans le genre du portrait. Comme dans l’ensemble de sa production, il évolue d’un style fortement vénitien à une manière puissante et plus personnelle.
GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
Portrait du cardinal Niño de Guevara
Vers 1600
Huile sur toile
171 × 108 cm
New York, The Metropolitan Museum of Art

Sa fréquentation des cercles humanistes du palais Farnèse lui permet en outre d’accéder à la société érudite de son temps. Sa vie durant, il y trouvera ses amis, ses soutiens et ses commanditaires. Comme une galerie d’illustres, ses portraits fixent les traits et l’intelligence des brillants personnages, profonds ou puissants, qui posent pour lui, à Rome d’abord, à Tolède ensuite.

Les premières grandes commandes
Tout comme Venise, Rome reste fermée à Greco. On a longtemps cherché dans son tempérament arrogant les raisons de ce nouvel échec. Il ne faut cependant pas sous-estimer les difficultés que pouvait alors rencontrer un peintre étranger. Sans appui, maitrisant imparfaitement la langue italienne et ignorant la technique de la fresque, il n’est pas aisé de se faire une place dans une ville aux mains de dynasties d’artistes bien installées.
L’Espagne serait donc son Eldorado. On dit que le roi Philippe II, grand admirateur de Titien, cherche des peintres pour décorer son gigantesque monastère de l’Escorial. Luis de Castilla, un ami espagnol rencontré à Rome, l’assure de son soutien auprès de son père, Diego, doyen des chanoines de la cathédrale de Tolède.
Alors que Madrid émerge à peine, Tolède est la cité la plus prospère de Castille. Greco croit à sa chance.
En 1577, il signe deux contrats avec Diego de Castilla : l’un pour L’Expolio de la sacristie de la cathédrale [cat. 15], l’autre pour le retable monumental et les deux autels latéraux de l’église du couvent de Santo
Domingo el Antiguo [cat 35, 36 et 37]. Greco a enfin l’occasion de montrer l’étendue de son talent.

ou le Songe de Philippe II

Peu après, vers 1578-1579, il entreprend un tableau pour le roi, L’Adoration du nom de Jésus [cat. 18], véritable manifeste chrétien. C’est un succès. Le monarque lui passe une nouvelle commande pour une chapelle de l’Escorial dédiée au martyre de saint Maurice, mais cette fois, accusée de manquer de piété, l’oeuvre déplait fortement. Il n’y aura pas de troisième fois.

Greco et Tolède
Tolède rayonne dans toute l’Europe comme l’un des grands centres artistiques et culturels. Quand Greco s’y installe, il se trouve à son aise parmi une clientèle lettrée qui partage l’esprit humaniste découvert lors
de ses années italiennes. La vieille cité impériale devient dès lors le cadre – et presque le personnage secondaire – de nombre de ses compositions dont les arrière-plans laissent voir les monuments emblématiques : la cathédrale, l’Alcazar, le pont d’Alcántara… C’est notamment le cas du Saint Martin et le mendiant [cat. 32].
Le développement de la dévotion privée amène de nombreuses familles tolédanes à fonder des chapelles et des oratoires. La demande de tableaux s’accroît d’autant. Greco profite de ce contexte favorable et se dote bientôt d’un atelier pour pouvoir répondre aux commandes ordinaires tandis
qu’il travaille lui-même aux marchés les plus importants. Parallèlement, il dépense beaucoup de temps et d’énergie en procès contre des mauvais payeurs, dont l’Eglise souvent, qui négocient à la baisse le prix
de ses oeuvres une fois livrées.

Variations sur le motif
Greco place la variation au coeur de son processus créatif. Faut-il y voir un héritage de sa formation byzantine fondée sur la répétition de prototypes ? Est-il inspiré par les pratiques observées dans les ateliers vénitiens ? Quoi qu’il en soit, son art semble s’animer de cette tension permanente entre invention et variation. Cette approche lui offre en effet l’occasion de retravailler une formule, de trouver des alternatives et, de variations en variations, de parvenir à des solutions inédites et affinées.St Pierre et St Paul

D’une certaine façon, sa démarche originale devance le travail en série propre aux impressionnistes et à Cézanne. Elle conduit en tout cas Greco à former son propre alphabet artistique et à imposer ses canons à travers un
catalogue d’images et de types. Si elle témoigne d’une incroyable fertilité d’imagination, elle entraine aussi son art dans une logique autoréférentielle qui finit par former un monde clos, nourri de lui-même, souverain mais progressivement isolé.

Greco, architecte et sculpteur
L’intérêt de Greco pour l’architecture est manifeste dès ses débuts en Italie. Il admire Sebastiano Serlio (vers 1475-1564) et plus encore Andrea Palladio (1508-1580) qu’il a pu rencontrer. Sa bibliothèque inclut les Dix livres d’architecture de Vitruve [cat. 45], architecte et théoricien latin republié en 1556 par Daniele Barbaro.

Il annote son exemplaire de nombreux commentaires, vraisemblablement dans l’idée de rédiger lui-même un traité. Si Greco n’a conçu aucun monument que l’on puisse identifier, il conçut des architectures éphémères aujourd’hui disparues et, de façon certaine, les dessins des retables dont il reçoit la commande.

Le tabernacle qu’il exécute pour l’hôpital de Tavera [cat. 40] est à ce titre un témoignage exceptionnel. Ce monument miniature abritait en outre un ensemble de sculptures dont le contrat de 1595 précise qu’il devait en être l’auteur. Seul Le Christ ressuscité nous est parvenu [cat. 39]. Il s’agit de l’un des très rares exemples – le seul qui soit véritablement incontestable – de l’activité de Greco en tant que sculpteur.

Greco et le dessin
Greco place la peinture au-dessus de tous les autres arts. Dans le débat entre tenants de la ligne et tenants de la couleur, il prend clairement le parti de ces derniers. Rarement conservé, le dessin, qu’il pratique de façon marginale, est une simple modalité fonctionnelle dans son processus de création.

Seules sept feuilles peuvent aujourd’hui être attribuées à Greco avec un certain degré de certitude :
deux, de sa période italienne, sont des méditations d’après Michel-Ange [cat. 43, présentées au début de l’exposition] ; trois sont préparatoires au grand retable de Santo Domingo el Antiguo à Tolède [cat. 41,
42] ; deux enfin sont liées à l’importante commande passée pour le collège de Doña Maria de Aragón à Madrid [cat. 44].

Greco et L’atelier
En 1585, Greco installe sa famille et son atelier dans trois appartements qu’il loue au palais du marquis de Villena.
L’atelier lui permet de développer le versant commercial de sa production en multipliant les exemplaires d’une même composition, qu’il peut à l’occasion retoucher et même signer. Cette organisation rend
possible une activité soutenue dont le rythme s’intensifie significativement à partir des années 1600.

GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
Portrait de Jorge Manuel Theotokópouli, fils de l’artiste 1603
Huile sur toile 74 × 51,5 cm
Séville, Museo de Bellas Artes de Sevilla

La tentation est grande d’attribuer une partie de ces oeuvres au propre fils de l’artiste, [cat. 72] mais les faits sont moins conciliants. Les documents laissent à penser que ce dernier aurait préféré devenir architecte ;
il le devient d’ailleurs à la mort de son père. À partir de 1603 cependant, il figure dans les contrats aux côtés de Greco. Sa présence sert notamment à garantir l’achèvement des commandes en cas de décès du maître. Cette précaution devait viser à rassurer les clients inquiets de la capacité de
Greco à honorer ses nombreux marchés.

Le Christ chassant les marchands du Temple – 1570-1614
Emblématique plus que toute autre, la série du Christ chassant les marchands du Temple permet, autour
d’un même thème et d’une même composition, de suivre Greco de ses premières années italiennes à ses dernières années tolédanes. Ce ne sont pas seulement le style, la technique, le format ou le support
qui varient de tableau en tableau, c’est l’artiste lui-même qui se ressource et se réinvente.

GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
Le Christ chassant les marchands du Temple
Vers 1575 Huile sur toile 116,9 x 149,9 cm
Minneapolis, Minneapolis Institute of Art ; The William Hood Dunwoody Fund
Le sujet dut particulièrement le marquer. Peut-être s’identifie-t-il à ce Christ en colère qui purifie le Temple comme il entend purifier la peinture de ceux qui la trahissent, de ceux qui ne savent pas l’apprécier, ou
encore de ceux qui rechignent à rétribuer la création artistique à sa juste valeur? Quelles que soient ses motivations, cette composition l’accompagne tout au long de sa carrière. Elle emprunte tour à tour à l’architecture vénitienne et romaine comme à la sculpture antique et à Michel-Ange.

GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
L’ouverture du cinquième sceau, dit aussi la vision de saint Jean
1610-1614 222,3 × 193 cm Huile sur toile
New York, The Metropolitan Museum of Art; Rogers Fund, 1956

Greco finit par s’y citer lui-même en reprenant dans la toile de l’église San Ginès à Madrid [cat. 53] le motif du retable qu’il exécute pour l’église d’Illescas. Comme un phénomène de persistance rétinienne, la figure effrayée, bras en l’air, réapparaît au fil des années : sur Le Triptyque de Modène [cat. 03], Le Songe de Philippe II [cat. 18] ou L’Adoration des bergers du musée national de Bucarest (1596-1600). À l’extrême fin de sa vie, elle devient le personnage principal de La Vision de saint Jean [cat. 76].

Derniers feux – 1600-1614
Quand Greco s’éteint en 1614, Caravage est mort depuis quatre ans déjà. Qui pourrait penser qu’une telle peinture fût encore possible si tard dans un siècle qu’on dirait bientôt « baroque » ? Cette anomalie
n’est due qu’à la résistance du pinceau de Greco et au fier isolement de Tolède, devenue sa citadelle.

Jeune garçon soufflant sur une braise (El Soplón)
Vers 1569-1570
Huile sur toile
60 × 50,8 cm
Madrid, collection Colomer

A bien des égards pourtant, ses clairs-obscurs, ses grands effets déclamatoires, sa touche libre et enlevée anticipent l’art de certains peintres du XVIIe siècle. Après un long temps d’oubli, ce sont les
impressionnistes et les avant-gardes qui sauront le redécouvrir et le comprendre au point d’en faire leur prophète, voire, plus intimement encore, leur camarade sur les bancs indisciplinés de la modernité.

St Véronique
Tolède

« De l’inconnu, des noces qui s’y consomment et qui nous valent les chefsd’oeuvre, Greco tire la pourriture divine de ses couleurs, et son jaune et
son rouge qu’il est le seul à connaître. Il en use comme de la trompette des
anges. Le jaune et le rouge réveillent les morts qui gesticulent et déchirent
leur linceul […]. Les créatures de Greco, ne les verrait-on pas souvent
déshabillées par la foudre ? Elles restent nues sur place, immobilisées
dans l’attitude où elles furent surprises par la mort.
Et leurs linges s’envolent, se tordent, s’arrachent au loin, figurent les
nuages auxquels on ne peut pas ne plus revenir dès qu’on s’occupe
de Greco […]. Un jour nous verrons ce limon sculpté de la terre devenir
les Baigneurs de Cézanne, et de croisement en croisement, aboutir à
l’effrayante race d’hommes sauterelles, d’hommes chiens, d’ogres à tête
de bouquet de fleurs dont Salvador Dali peuple ses solitudes. »
Jean Cocteau, Le Greco, 1943

Ce que j’en retiens, c’est le jeu des mains, les regards levés vers le ciel, ou échangés, les paysages

Grand Palais
Galeries nationales
Galerie sud-est

Podcats France culture

Toulouse-Lautrec Résolument moderne

Jusqu’au 27 janvier 2020 au Grand Palais galeries nationales
entrée Square Jean Perrin
commissariat : Stéphane Guégan, Conseiller scientifique auprès de la Présidence de l’établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie ; Danièle Devynck, Conservateur en chef, Directrice du musée Toulouse-Lautrec, Albi
scénographie : Martin Michel

Lautrec Yvette Guilbert

Trois rejets conditionnent la vision courante de Toulouse-Lautrec (1864-1901) : il aurait méprisé les valeurs de sa classe, négligé le marché de l’art, exploité le monde de la nuit parisienne et du sexe tarifié, en le regardant de haut. La libération des formes et la verve satirique du meilleur de l’oeuvre en seraient la preuve. A cette vision conflictuelle de sa modernité, typique des années 1970-1980, il faut en substituer une autre, plus positive. Cette exposition – qui réunit environ 200 oeuvres – veut, à la fois, réinscrire l’artiste et dégager sa singularité. La contradiction n’est qu’apparente, tant Lautrec lui-même a agi simultanément en héritier, en homme de réseau, en conquérant de l’espace public et en complice du monde qu’il a traduit avec une force unique, une mansuétude parfois féroce, rendant plus intense et significative « la vie présente » sans la juger.

Plutôt que de l’affilier à la caricature qui cherche à blesser, voire humilier, il faut le rattacher à une lignée très française du réalisme expressif, brusque, drôle, direct (dirait Yvette Guilbert) dont sa correspondance égrène les noms : Ingres, Manet, Degas. Comme eux, par ailleurs, Lautrec fait de la photographie son alliée. Plus qu’aucun autre artiste du XIXe siècle, il s’associa aux photographes, amateurs ou professionnels, fut conscient de leur pouvoir, servit leur promotion, s’appropria leurs effets dans la recherche du mouvement. L’archive photographique de Lautrec rejoint, du reste, les pratiques du jeu aristocratique sur les apparences et les identités qu’on échange à plaisir, moyen de dire que la vie et la peinture n’ont pas à se plier aux limites ordinaires, ni à celles de l’avant-garde.
« Tout l’enchante », résume Thadée Natanson.

Depuis 1992, date de la dernière rétrospective française de l’artiste, maintes expositions ont exploré les attaches de l’oeuvre de Toulouse-Lautrec avec la « culture de Montmartre » dont il serait, à la fois, le chroniqueur et le contempteur. Cette approche sociologique, heureuse par ce qu’elle nous dit des attentes et inquiétudes de l’époque, a réduit la portée d’un artiste que ses origines, ses opinions et son esthétique ouverte préservèrent de toute tentation inquisitrice.

Lautrec ne s’est jamais érigé en accusateur des vices urbains et des nantis impurs. Par sa naissance, sa formation et ses choix de vie, il s’est plutôt voulu l’interprète pugnace et cocasse, terriblement humain au sens de Daumier et Baudelaire, d’une liberté qu’il s’agit de mieux faire comprendre au public d’aujourd’hui. A force de privilégier le poids du contexte ou le folklore du Moulin Rouge, on a perdu de vue l’ambition esthétique, poétique dont Lautrec a investi ce qu’il apprit, tour à tour, auprès de Princeteau, Bonnat et Cormon.
.                                Toulouse lautrec avec son cousin Tapié de Céleyran

Comme l’atteste sa correspondance, Manet, Degas et Forain lui ont permis, dès le milieu des années 1880, de transformer son naturalisme puissant en un style plus incisif et caustique. Nulle évolution linéaire et uniforme pour autant : de vraies continuités s’observent de part et d’autre de sa courte carrière.

L’une d’entre elles est la composante narrative dont Lautrec se départit beaucoup moins qu’on pourrait le croire. Elle est particulièrement active aux approches de la mort, vers 1900, quand sa vocation de peintre d’histoire prend une tournure désespérée. L’autre dimension de l’oeuvre qu’il convient de rattacher à son apprentissage, c’est le désir de représenter le temps, et bientôt d’en déployer la durée plus que d’en figer l’élan. Encouragé par sa passion photographique et l’adoubement de Degas, électrisé par le monde des danseuses et des inventons modernes, Lautrec n’aura cessé de reformuler l’espace-temps de l’image.

Dès que l’oeuvre bascule dans la synthèse saisissante des années 1890, ouverte par l’affiche révolutionnaire du Moulin Rouge, Lautrec développe une stratégie entre Paris, Bruxelles et Londres, que l’exposition souligne en distinguant la face publique de son oeuvre du versant plus secret. Lautrec renonce au Salon officiel, non à l’espace public, ni au grand format. Preuve qu’il cherchait bien, comme Courbet et Manet avant lui, une relève de la peinture d’histoire par l’exploration de la société moderne en ces multiples visages, au mépris souvent des bienséances. Qu’il ait joui du spectacle de Montmartre, qu’il ait célébré l’aristocratie du plaisir et des prêtresses du vice à la façon de Baudelaire, est indéniable.

La maison close lui offre même un espace où les femmes jouissent d’une indépendance et d’une autorité uniques, si paradoxales soient-elles. Viveur insatiable, Lautrec perfectionne vite les moyens de communiquer l’électricité du cancan, l’éclat dur des éclairages modernes et la fièvre d’une clientèle livrée aux excès. Le mouvement, que rien ne bride, se décompose devant nos yeux, aboutissant aux affiches les plus dynamogènes, comme aux estampes de Loïe Fuller et aux panneaux de La Goulue, également cinématographiques.

Il y a là une folie de la vitesse et une capacité pré-futuriste qui réunit le galop du cheval, les chahuteuses des cabarets, la fièvre vélocipédique à l’automobile. Or, même la magie des machines ne parvient pas à déshumaniser sa peinture et ses estampes, toujours incarnées.A l’instar de ses écrivains d’élection, qui furent souvent les familiers de la Revue Blanche, Lautrec est parvenu à concilier la fragmentation subjective de l’image et la volonté de hisser la vie moderne vers de nouveaux mythes. Liant peinture, littérature et nouveaux médiums, l’exposition trouve son chemin, au plus près de cet accoucheur involontaire du XXe siècle.

Henri de Toulouse-Lautrec a su se créer une place dans la vie parisienne festive de la fin du XIXème siècle en capturant la bohème, ses nuits animées et les coulisses de ses cabarets.

                           Henri de Toulouse-Lautrec
                           Bruant à bicyclette
Parfois réduite aux scènes de vie de Montmartre qui ont fait son succès, l’oeuvre du peintre français est impressionnante. Toulouse-Lautrec est mort à 36 ans, en laissant derrière lui quelque 737 peintures, 275 aquarelles, 369 lithographies et plus de 5000 dessins.

Grand Palais galeries nationales
entrée Square Jean Perrin
métro 1, arrêt Champs Elysées Clémenceau

Len Lye – motion composer

L’exposition « Len Lye – motion composer» organisée au Musée Tinguely du 23 octobre 2019 au 26 janvier 2020 présente l’étendue de son œuvre en portant une attention particulière aux relations entre les différents médiums.
Le public est invité à s’immerger dans l’univers de Lye à travers un parcours avec plus de 100 œuvres et à explorer la variété des médiums dans l’œuvre de l’artiste néo-zélandais à l’aide de films, dessins et sculptures au sein d’une présentation d’une ampleur inédite en Europe. Les 23 et 24 octobre, un symposium a été organisé en collaboration avec l‘Université de Bâle pour mettre en lumière l’œuvre de cet artiste et interroger l’influence exercée par Len Lye sur les avant­ gardes du xxe siècle. L’exposition était complétée par une programmation au Stadtkino de Bâle qui a présenté quatre films réalisés par et consacrés à Len Lye.

Fountain 1959

Né à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, Len Lye (1901-1980) est une figure majeure du cinéma expérimental des années 1930 à 1950. D’abord actif en Nouvelle-Zélande et en Australie, puis à Londres partir de 1926 et à New York dès 1944, il élabore une œuvre fascinante qui englobe, en plus du cinéma, toutes les disciplines artistiques et qui reste encore largement à découvrir – à l’instar de ses sculptures cinétiques.

Les débuts en Nouvelle-Zélande
Len Lye naît en 1901 dans une famille très modeste. Après le décès prématuré de son père, il s’installe avec sa mère et son frère chez son beau-père, Ford Powell, qui travaille comme gardien de phare à Cape Campbell. Ses premières expériences avec la lumière et le mouvement – motifs auxquels il se consacrera tout au long de sa vie
– datent de cette époque. Lorsqu’il trouve le motif de son art, il songe alors aux Études de nuages du peintre John Constable qui imite le mouvement et le retranscrit. Il décrit cet instant de cette manière :

«AH of a sudden it hit me – if there was such a thing as composing music, there could be such a thing as composing motion. After an, there are melodic figures, why can’t there be figures of motion7»1

(1 « Soudain, je réalisai : s’il est possible de composer de la musique, alors pourquoi ne pas composer du mouvement? Après tout, il existe des figures mélodiques. Pourquoi n’y aurait-il pas aussi des figures cinétiques ? »)

doodles

Il commence à dessiner le mouvement sous forme de petites notes, de dessins improvisés ou <doodles> comme il aime les désigner. Au début des années 1920, Lye séjourne plusieurs mois dans les îles Samoa où il entre en contact avec les richesses culturelles des populations indigènes. Le carnet de croquis Totem and Taboo Sketchbook, transcription de Totem et Tabou de Sigmund Freud, voit le jour durant son séjour à Sydney entre 1922 et 1926. Sur les pages de gauche du carnet, il dessine des objets provenant de diverses cultures

– des Maoris de son pays natal, la Nouvelle-Zélande, des aborigènes d’Australie, des populations des Samoa et d’Afrique – et des ceuvres d’artistes constructivistes russes qui lui semblent proches d’un point de vue esthétique et du contenu. À travers son regard dépourvu d’eurocentrisme, il crée à l’époque une ceuvre sans égal qui établit un rapport entre les objets de différentes cultures, sans hiérarchisation ni classement.

Londres – <Direct films>
En 1926, Lye arrive à Londres. Bientôt, sa première ceuvre filmique voit le jour – aux côtés de peintures à travers lesquelles il explore souvent son subconscient et de batiks jouant avec l’univers formel de cultures étrangères – et pose les fondements de son succès comme cinéaste expérimental. Tusalava, film d’animation où des figures et des formes abstraites entrent en contact et se mêlent pour ne former plus qu’une entité, est présenté pour la première fois en 1929. Ce film de 10 minutes accompagné d’une musique live de Jack Ellitt (malheureusement égarée aujourd’hui) connaît un fort retentissement dans les milieux artistiques influencés par le surréalisme que fréquente Lye.


Dans le milieu des années 1930, il réalise les <direct films>. Pour ce faire, il intervient directement sur le support pelliculaire (en le peignant et en écrivant dessus) et contribue ainsi à l’émergence de la technique de l’animation sans caméra
.A Color Box (1935) est un film publicitaire pour la Poste britannique
réalisé en couleur et accompagné de musique de danse cubaine.
S’ensuivent d’autres films pour différentes entreprises qui touchent
un très large public grâce à leur diffusion au cinéma sous la forme de spots publicitaires. À l’époque, associer un film en couleur abstrait à une musique moderne présentait un aspect révolutionnaire qui a contribué, à juste titre, à la renommée de Lye comme l’inventeur du clip musical.

New York
Durant la Seconde Guerre mondiale, Lye se met au service de la propagande britannique et produit des films aboutis à l’instar de Kill or Be Killed (1942). À partir de 1944, il s’installe à New York où il poursuit dans un premier temps sa carrière de cinéaste expérimental. En 1947, il réalise une série de photogrammes. Il s’agit de portraits dans lesquels il applique à la photographie le concept du film sans caméra. Rhythm (1957) est l’un des films les plus radicaux de sa période new-yorkaise. Il y montre le fonctionnement d’une usine automobile américaine selon un rythme cadencé auquel il adjoint des percussions africaines, le tout s’apparentant à une danse de la technologie. Dans Rhythm, et plus encore dans Free Radicals (1958/1979), il utilise la technique de grattage de la bande amorce qui confère à ces films une atmosphère brute.

Tangibles & autres sculptures cinétiques de Lye
À la fin des années 1950, Lye se consacre à la sculpture cinétique et met rapidement au point des concepts pour environ 20 sculptures dites Tangibles. Actionnées par des moteurs électriques, elles exécutent des séquences de mouvements programmés reposant sur des principes simples comme la rotation d’un buisson de tiges en acier ou l’oscillation d’une immense tôle d’acier.

Avec ces sculptures, Lye capte l’air d’une époque en quête d’un art nouveau, de machines et de mouvement. Dès 1961, il parvient à présenter ses machines au Museum of Modern Art de New York à l’occasion d’une conférence-performance dans laquelle il livre ses réflexions sur la sculpture-machine programmée. Par ailleurs, Lye considère ses sculptures comme des modèles réduits destinés à être agrandis. Cependant, en raison d’un manque de connaissances techniques et de moyens financiers, la plupart de ces idées ne dépassent pas le stade de projet, même s’il exprime sa volonté de modifier la taille de ses sculptures sur tout à travers les dessins pour Sun, Land and Sea (1965), dont la réalisation ne touchera à son but que plusieurs années après sa mort en 1980.

Il ne faut pas sous-estimer l’apport de Lye à l’art cinétique des années 1960. Son intention de créer un art entièrement nouveau à l’aide de sculptures-machines programmées a ouvert la voie à quantités de choses qui nous semblent aujourd’hui évidentes et familières – dans le champ de l’art cinétique, mais surtout dans les domaines du land art et de l’installation pour lesquels Lye a joué un rôle pionnier.

Son œuvre aujourd’hui
Len Lye meurt en 1980. Se sachant condamné par la maladie, il avait créé une fondation pour l’ensemble de son œuvre et avait fait en sorte que son œuvre posthume revienne sur ses terres natales en Nouvelle-Zélande où elle est conservée et étudiée jusqu’à aujourd’hui au sein de la Govett-Brewster Art Gallery à New Plymouth. La Len Lye Foundation s’attache à préserver son œuvre et peut concevoir, dans le respect de la volonté de l’artiste, des répliques de ses œuvres cinétiques afin de rendre accessible au jeune public d’aujourd’hui ses sculptures-machines programmées.

Commissaire de l’exposition: Andres Pardey

Catalogue
Dans le cadre de l’exposition paraît un catalogue en trois volumes consacré à l’œuvre de Len Lye: un livre compilant des textes rend compte de l’état actuel de la recherche sur Lye, un second contenant des illustrations présente les œuvres de l’exposition à travers plus de 300 reproductions en couleur, et un troisième reproduit le Totem and Taboo Sketchbook sous forme d’un fac-similé et le rend ainsi accessible dans son intégralité à un large public.

Musée Tinguely I Paul Sacher-Anlage 1 l 4002 Bâle
Horaires
Du mardi au dimanche 11 – 18h

Fermé le lundi

Accès
Gare centrale de Bâle CFF / Gare SNCF :
tram no. 2 jusqu‘au « Wettsteinplatz »,
puis bus no. 31 ou 38 jusqu’à « Tinguely Museum ». 

Sommaire du mois d’octobre 2019

Leonor Antunes a seam, a surface, a hinge, or a knot
Fondation Beyeler

Et une curiosité dans l’exposition Or & Gloire
un Christ à tête de femme

Croix d’Herriman (archevêque de Cologne) et de sa soeur Ida
(abbesse de Werden).
La tête du Christ est un réemploi d’un camée romain
(époque julio-claudienne) en lapis-lazuli, peut-être l’impératrice Livia

30 octobre 2019 : Max Sulzbachner Nuits De Lune Et Tam-Tam À Bâle
28 octobre 2019 : Une Passion Pour L’art Louise Bachofen-Burckhardt : Collectionner Pour Bâle
19 octobre 2019 :  Giuseppe Penone La Matrice Di Linfa
15 octobre 2019 :  Tadeusz Kantor : Où Sont Les Neiges D’antan
13 octobre 2019 :  Or & Gloire Dons Pour L‘éternité
11 octobre 2019  : La Collection Rudolf Staechelin À La Fondation Beyeler
08 octobre 2019 : Resonating Spaces -Leonor Antunes, Silvia Bächli, Toba Khedoori, Susan Philipsz, Rachel Whiteread
06 octobre 2019 :  Käthe Kollwitz, Figure De L’expressionnisme Allemand

Max Sulzbachner Nuits de lune et tam-tam à Bâle

Jusqu’au 9 février 2020, Kunstmuseum Basel | Hauptbau
Commissaire : Géraldine Meyer

Max Sulzbachner Figurines populaires
Wilder Mann, et Porte drapeau 1967

Le Kupferstichkabinett du Kunstmuseum Basel rend hommage à
l’oeuvre protéiforme de l’artiste bâlois Max Sulzbachner (1904–1985)
à travers une exposition rétrospective présentée à l’entresol du Hauptbau ainsi qu’une publication. En Suisse, Sulzbachner est un artiste de renom
particulièrement apprécié, pourtant son oeuvre n’a encore jamais fait
l’objet d’une étude approfondie.
L’exposition et le catalogue proposent de combler cette lacune dans
l’historiographie de l’art bâlois.

Fotografie von Max Sulzbachner in einer Ausstellung
22.5 x 17 cm; Print

Depuis 2014, le Kunstmuseum Basel a reçu 4 dessins, 30 gravures sur bois et 4 eaux-fortes de l’artiste dans le cadre d’une généreuse donation
de Betty et Hartmut Raguse-Stauffer. Grâce à cet apport, l’oeuvre de jeunesse expressionniste de Sulzbachner est largement représentée au
Kupferstichkabinett comme la période la plus importante de son oeuvre.
Les riches fonds de l’expressionnisme bâlois et suisse déjà présents ont ainsi été judicieusement complétés.

donation
de Betty et Hartmut Raguse-Stauffer
Blatt: 48 x 64.2 cm Bild: 47.6 x 60 cm; Holzschnitt auf grünem Papier; Inv. 2017.27

Les Nuits de lune mentionnées dans l’intitulé de l’exposition se réfèrent
au titre identique d’une suite de gravures sur bois réalisées par
Max Sulzbachner en 1925. Ces remarquables feuilles sont caractéristiques de l’oeuvre de jeunesse de l’artiste marquée par sa proximité avec le groupe d’artistes bâlois Rot-Blau. À l’époque, Sulzbachner se passionne en particulier pour l’expressionnisme d’Ernst Ludwig Kirchner. Par la suite, le Bâlois figure parmi les premiers artistes suisses alémaniques s’intéressant à l’art moderne français.

donation
de Betty et Hartmut Raguse-Stauffer
Blatt: 40.2 x 53.9 cm; Gouache über Bleistift; Inv. 2017.21

Très tôt, il s’intéresse à la vie et aux traditions locales. Dans le même temps, il s’attache continuellement à suivre de nouvelles tendances artistiques.
Les expositions à la Kunsthalle Basel en particulier constituent en cela des impulsions décisives pour lui. L’ouverture de Sulzbachner à l’égard du renouveau artistique se traduira plus tard par l’évolution de son style.
« Sulzbi »

Au cours de sa vie, Sulzbachner évolue dans des contextes de création contextes de création très différents :
il rencontre également un vif succès en tant que dessinateur, scénographe, caricaturiste, enseignant et illustrateur. Il exerce aussi comme écrivain. Il est l’auteur de peintures, de gravures sur bois, d’eaux-fortes, de fresques, de vitraux, d’assiettes en céramique, de lanternes de carnaval et de figurines populaires.

Sulzbachner était – et demeure – connu un peu partout comme « Sulzbi »
et le « roi des lanternes ». Bâlois d’origine, il répondait toujours et partout
à l’appel et s’engageait lorsque survenait du « tam-tam » en ville ou ailleurs.
Ainsi, Sulzbachner est indissociable de la culture populaire bâloise et de l’art populaire suisse. La singularité de l’ensemble de sa production artistique réside d’une part dans ce lien à la vie locale et à ses événements politiques, d’autre part dans son inclination à l’emphase stylistique jusqu’à la caricature.

Max Sulzbachner An der Basler Mäss, 1925
Holzschnitt auf gelbem Papier; 7. Exemplar,
Blatt: 40.4 x 28.7 cm, Bild: 35.3 x 24.1. cm; Holzschnitt auf gelbem Papier; 7. Exemplar

Pour Sulzbachner, la possibilité d’établir dans son oeuvre une passerelle entre différentes sphères culturelles était particulièrement séduisante. L’ensemble de son oeuvre permet non seulement de découvrir cet artiste bâlois, mais aussi la scène culturelle et artistique de Bâle de l’art moderne jusqu’aux années 1960.

Max Sulzbachner Raskolnikoff: «Ich habe getötet», 1925

L’exposition bénéficie du soutien de :
Stiftung für das Kunstmuseum Basel
BEWE Stiftung

Si vous venez de la gare SBB,  avec le tram, descendez à Bankverein,
l’arrêt
Kunstmuseum est momentanément supprimé

Une passion pour l’art Louise Bachofen-Burckhardt : collectionner pour Bâle

Jan Massys; Musizierendes Paar; 1565

Jusqu’au 29 mars 2020, Kunstmuseum Basel | Hauptbau
Commissaires : Bodo Brinkmann, Gabriel Dette

À l’occasion du centenaire de la mort de Louise Bachhofen-Burckhardt (1845–1920), le Kunstmuseum Basel rend hommage à sa plus grande mécène du début du XXe siècle. Le rezde-chaussée du Hauptbau présente des pans de la collection rassemblés par la donatrice pour le musée.

                              Buste de Louise Bachofen-Burckhardt

                      Buste du professeur Johann Jakob Bachofen-Burckhardt

 « Mon souhait le plus ardent est de pouvoir acquérir encore quelques
belles pièces pour ma chère ville natale
»,

écrit Louise Bachofen-Burckhardt en janvier 1916 à Wilhelm von Bode, éminent historien de l’art et directeur général des musées d’État de Berlin de 1905 à 1920, qui lui propose régulièrement des tableaux à acquérir.
Elle projette en effet de transformer entièrement la Öffentliche Kunstsammlung Basel (la collection publique bâloise) :
faire d’une collection régionale majeure axée sur l’art du Rhin supérieur un musée de niveau européen dans la même veine qu’à Londres, Berlin ou Paris. À cette fin, elle enrichit considérablement le fonds pictural apporté par son mari Johann Jakob Bachofen-Burckhardt à leur mariage, puis elle transfère en 1904 l’ensemble des tableaux dans une fondation qu’elle crée au nom de son époux.
Le Kunstmuseum Basel en est l’unique bénéficiaire désigné, si bien qu’à la mort de Louise Bachofen-Burckhardt pas moins de 303 peintures du Moyen Âge tardif jusqu’au tournant du XXe siècle entrent dans les collections du musée.

Hans Memling Saint Jérôme pénitent, 1485/90 Technique mixte
sur bois de chêne

Parmi celles-ci figurent des oeuvres majeures de Bartolomeo Vivarini, Lucas Cranach l’Ancien, Hans Memling, Jan Brueghel l’Ancien, Frans Francken II, Dirck Hals, Nicolaes Maes, Nicolaes Berchem, Jacob van Ruisdael, Jan van Goyen,
Harmen Steenwyck, Rachel Ruysch, Jean-Étienne Liotard et Alexandre-François Desportes.

Lucas Cranach d. Ä.
La Vierge à l’Enfant, 1529
Huile sur bois de tilleul,

Louise Bachofen-Burckhardt a formulé la demande explicite de se retirer derrière l’oeuvre entreprise en souvenir de son mari, l’auteur du célèbre ouvrage sur le droit maternel à l’origine de toutes les formes sociétales. Dans un testament, elle interdit par exemple toute nécrologie à son sujet. Elle demeure donc largement méconnue jusqu’à aujourd’hui, bien qu’elle comptait sans doute parmi les grandes collectionneuses d’art à une époque où les femmes étaient encore peu actives dans ce domaine.

Rachel Ruysch Nature morte à la branche de rosier, au coléoptère
et à l’abeille, 1741
Le centenaire de sa mort est l’occasion de faire la lumière, grâce à des documents inédits, sur cette donatrice et son rôle sur le marché de l’art vers 1900 alors en plein essor. L’exposition consacrée à Louise Bachofen-Burckhardt permet également au Kunstmuseum Basel d’exprimer ses remerciements à sa fondation qui, en 2015, a décidé de lui faire don de ses tableaux qui figuraient depuis longtemps en dépôt au musée comme prêts permanents.
.Jan Brueghel d. Ä. Route dominant une vallée boisée avec un fleuve, vers 1602 Huile sur cuivre,

L’exposition Une passion pour l’art montre combien Louise Bachofen-Burckhardt a contribué au caractère actuel de la Öffentliche Kunstsammlung. L’enrichissement de la collection grâce à ses oeuvres revêt d’une part une importance considérable – la section des maîtres anciens du fonds pictural a tout de même doublé d’un seul coup –, d’autre part elle incarne un modèle à travers sa démarche : pionnière dans le domaine de la collection d’art et de l’exercice de la bienfaisance en Suisse, elle a sans aucun doute inspiré de nombreux donateurs bâlois comme Hans Vonder Mühll et Max Geldner.

                                              Un couple de gueux, Van de Venne

Toutefois, il s’agit d’appréhender l’entreprise de collection et de donation de Bachofen-Burckhardt comme ancrée dans son époque et de l’apprécier de manière critique, sans en amoindrir la portée.
Plusieurs de ses acquisitions se sont révélées plus tard ne pas être de la main de telle ou tel artiste comme elle avait pu le supposer. Bien des tableaux ont même vu le jour dans une région artistique différente que celle envisagée vers 1900. Une oeuvre tenue pour originale hier s’avère parfois aujourd’hui n’être qu’une copie de celle-ci et, à plusieurs reprises, Bachofen-Burckhardt a été dupée avec des faux.

Tizian, attribué Portrait de Pietro Aretino, 1527 (?)
Huile sur toile, 58.5 x

Cela n’a rien d’étonnant pour une collection constituée entre les dernières décennies du XIXe siècle et les années 1915-1920 environ. Des questions restent incontestablement en suspend pour la section des maîtres anciens, mais la recherche actuelle fait preuve de davantage de clairvoyance qu’à l’époque de Louise Bachofen-Burckhardt et de Wilhelm von Bode. C’est cette évolution que l’exposition souhaite montrer – non pas pour interroger l’oeuvre de cette respectable donatrice, mais pour témoigner des avancées de toute une discipline.

Les oeuvres sont accrochées à touche-touche,
Les MasterPieces sont présentées dans la continuité,
Les copies aussi.

Certaines oeuvres se trouvent dans le fonds de la collection du
Kunstmuseum et sont signalées par un macaron de couleur violette.

L’exposition et le catalogue bénéficient du soutien de :
Peter und Simone Forcart-Staehelin
Athene Stiftung, Basel
Trafina Privatbank AG
Stiftung für das Kunstmuseum Basel
ainsi que de donateurs anonymes