Van Eyck. Une révolution optique

L’Homme au turban rouge, 1433
Autoportrait présumé de Jan van EyckVan Eyck à Gand

Aujourd’hui je déroge à mon habitude, Covid-19 oblige, je vais vous parler
d’une exposition que je n’ai pas visitée.

Afin de permettre à chacun de profiter pleinement du programme passionnant, l’année Van Eyck sera prolongée jusqu’au 24 juin 2021.

Concernant «Van Eyck, une révolution optique» :

malheureusement, l’exposition au MSK ne peut être prolongée.
elle se termine le 30 avril 2020 au
Musée des Beaux-Arts de Gand (MSK Gent)

Hubert et Jan van Eyck, Retable de l’Adoration de l’Agneau mystique, 1432 (Gand) ouvert


J’emprunte ce texte, avec son aimable autorisation à
Catherine Rigollet de l’agora des arts

un lien ci-dessous vers un documentaire sur le retable 
en français

Avec treize des vingt-trois œuvres mondialement connues de Van Eyck (vers 1390-1441), plusieurs œuvres de son atelier et une bonne centaine de pépites de l’art de la fin du Moyen Âge, cette exposition exceptionnelle révèle tout l’art innovant et érudit du maître gantois, montre son influence auprès des italiens du Quattrocento et raconte la rocambolesque odyssée de son chef-d’œuvre : le retable de L’Agneau mystique.

Quelle incroyable aventure que celle du retable de L’Agneau mystique de van Eyck ! L’histoire commence le 6 mai 1432. Commandé aux frères van Eyck par Josse Vijd et sa femme Elisabeth Borluut, ce retable de douze panneaux en chêne d’une taille considérable (5,20 x 3,75 m ouvert), commencé par Hubert Van Eyck (vers 1366 ?-1426), continué après sa mort, et durant six années, par son jeune frère Jan (vers 1390-1441), est enfin mis en place dans une chapelle de l’église Saint-Bavon de Gand. L’élément central de ce polyptyque qui symbolise le rachat du péché originel par le Christ est l’Agneau mystique, qui verse son sang dans le Saint Graal. Ce drôle d’agneau aux yeux perçants, si humains, est représenté sur un autel au milieu d’un paysage paradisiaque, entouré d’une foule venue l’adorer : anges, pèlerins, ermites, chevaliers du Christ, juges intègres, saints martyrs… C’est la partie la plus spectaculaire de cette œuvre d’une beauté époustouflante, celle qui a donné son nom à l’œuvre. Au-dessus trône le Christ-Roi, entre la Vierge Marie et saint Jean-Baptiste, encadrés d’anges musiciens et d’Adam et Eve quasi statufiés et dont le réalisme de la nudité est stupéfiant pour l’époque. Fermé, le retable montre l’Annonciation, saint Jean-Baptiste et saint Jean l’évangéliste et les portraits des commanditaires.

Hubert et Jan van Eyck, Retable de l’Adoration de l’Agneau mystique, 1432 (Gand), fermé,

L’histoire rocambolesque de L’Agneau mystique

L’histoire de ce chef d’œuvre de la peinture flamande du 15e siècle ne fait que commencer. En 1566, le retable doit être caché dans la tour de la cathédrale durant une révolte protestante. En 1794, des soldats français emportent les panneaux centraux à Paris (ils reviendront en 1815 après Waterloo). En 1816, pour des raisons financières, six panneaux latéraux sont vendus… et se retrouvent en Prusse, à l’exception d’Adam et Eve remisés dans une petite salle d’archives pour cause de nudité scandaleuse. Ils sont vendus à l’État belge en 1822 pour financer les réparations du retable qui vient d’échapper de peu à un violent incendie à la cathédrale, et provisoirement remplacés par une copie les représentant habillés de peaux de bêtes (copie aujourd’hui exposée à l’entrée de la cathédrale). Durant la Première Guerre mondiale, les panneaux centraux sont cachés. En 1920, à la suite du Traité de Versailles, le retable se retrouve à nouveau exposé dans sa totalité. Las ! Deux panneaux sont volés en 1934 contre demande de rançon : Les Juges intègres et la grisaille représentant saint Jean-Baptiste. Seul ce dernier est retrouvé. Caché à Pau pendant la guerre, le retable est volé à la demande d’Hitler et dissimulé dans la mine de sel d’Altaussee, en Autriche. Retrouvé par les « Monuments Men », il retourne enfin à Gand en 1946. Quel dénouement ! Aujourd’hui, seul manque toujours à l’appel le panneau des Juges intègres, remplacé depuis 1945 par une copie du restaurateur -et faussaire- de peintres Primitifs flamands, Jef Van der Veken.

l’Agneau mystique, 1432 (Gand),

Le génie de Jan van Eyck

Avec L’Agneau mystique, van Eyck a atteint le summum de son art. Ce chef-d’œuvre, source de tant de convoitises et de péripéties du fait de sa valeur artistique, a fait l’objet de nombreuses copies, notamment celle de Michiel Coxcie en 1497 qui servira souvent de source documentaire. Peintre officiel, mais aussi diplomate érudit au service du duc de Bourgogne Philippe le Bon, Jan van Eyck est devenu un maître incontesté du portrait par le réalisme des traits des personnages qu’il peint de trois-quarts (quand les Italiens privilégient encore les profils). Ils ont presque l’air vivants, ce qui a fait dire à son biographe Bartolomeo Fazio qu’il ne leur manquait que la voix. Ses architectures et ses paysages aussi sont de plus en plus conformes à la vision humaine et truffés de détails d’une précision de miniaturiste. Outre les deux magnifiques ouvrages publiés à l’occasion de l’exposition et qui fourmillent de gros plans, on ne manquera pas la visite du site internet dédié à la restauration du retable qui permet de zoomer dans l’œuvre jusqu’à discerner : les ailes des oiseaux dans le ciel, la poussière sur les chaussures des pèlerins, les éclaboussures dans la fontaine, les cratères sur la lune, les cils de l’œil d’Adam…Un outil fabuleux (voir lien ci-dessous).
La renommée de Jan van Eyck est immense, notamment à Bruges et surtout à Gand, riche de son textile et de sa localisation à la confluence de la Lys et de l’Escaut. Grâce à l’utilisation toute récente de l’huile comme médium, à laquelle l’artiste a ajouté des siccatifs pour raccourcir le temps de séchage (quand les italiens peignent encore à la détrempe à l’œuf), ses tableaux ont gagné en éclat, transparence et délicatesse des couleurs. « Sa connaissance de la physique l’a aussi rendu capable d’imiter les effets optiques de la lumière qui sont nécessaires pour accentuer l’expérience de l’espace dans son œuvre. Non seulement par le jeu de l’ombre et de la lumière, mais également par la façon dont la lumière se déplace dans l’espace, est absorbée entre les plis des vêtements, se reflète sur les cuirasses convexes et concaves et se fraie naturellement un chemin à travers les surfaces transparentes comme le verre et les pierres précieuses ou encore l’eau courante », commente Johan De Smet, co-commissaire de l’exposition « Van Eyck. Une Révolution optique ». Sur le retable, avoir ajouté le reflet d’une fenêtre dans le bijou d’un ange chanteur est tout simplement incroyable.

L’Agneau mystique : joyau de la culture flamande

Pierre-François de Noter, La chapelle Vijd avec L’Agneau mystique, 1829 (Amsterdam, Rijksmuseum).

Pièce centrale de l’année thématique « Van Eyck », le retable de L’Agneau mystique a été choisi par la ville de Gand pour rendre hommage au maître flamand en 2020. Grâce à une très longue et méticuleuse campagne de restaurations commencée en 2012, réalisée à l’Institut royal du patrimoine artistique, sous la direction de la restauratrice Hélène Dubois, l’œuvre a retrouvé tout son éclat et l’authenticité de ses couleurs radieuses. Elle a révélé des détails longtemps masqués par des surpeints réalisés notamment au 16e siècle dans les tendances de l’époque, et a livré des informations précieuses sur les différentes mains qui ont œuvré à sa réalisation. Durant l’exposition, les panneaux sont exposés à deux endroits, le MSK et la Cathédrale Saint-Bavon. Les huit panneaux restaurés du retable fermé, accompagnés d’Adam et Eve en attente de restauration, dans le MSK, et à hauteur d’œil. Les panneaux restaurés du retable ouvert dans la Cathédrale Saint-Bavon. Afin que vous puissiez admirer l’ensemble de ce chef-d’œuvre dans la Cathédrale Saint-Bavon, les panneaux manquants sont remplacés par une copie haute résolution. Après 2020, les panneaux ne quitteront plus jamais la cathédrale gantoise, installés dans une chapelle entièrement réaménagée pour leur offrir le maximum de visibilité et de sécurité ; leur histoire expliquée et documentée dans le nouveau centre des visiteurs qui ouvre le 8 octobre 2020.

OMG ! Van Eyck was here (Oh My God ! Van Eyck était là)

Jan van Eyck, L’Homme au chaperon bleu, vers 1428-1430. Huile sur panneau, 22 x 17 cm. Muzeul National Brukenthal, Sibiu (Roumanie).

Tout au long de l’année 2020, Gand rend hommage à van Eyck avec de nombreux événements. Point d’orgue de cette année thématique, l’exposition « Van Eyck. Une Révolution optique » est aussi l’unique et dernière occasion d’observer les panneaux dans un contexte plus large. Car au MSK, le visiteur découvre également une dizaine d’œuvres de Jan van Eyck lui-même (signés de sa main, une rareté à l’époque ; les peintres se considérant davantage artisans qu’artistes), sur la vingtaine conservée dans le monde. Des chefs-d’œuvre comme le Saint François d’Assise recevant les stigmates, 1440, prêté par le Philadelphia Museum of Art ; le Portrait de Baudouin de Lannoy (Gemäldegalerie de Berlin) récemment restauré ; L’Annonciation, vers 1430-35 (Andrew W. Mellon Collection, National Gallery of Art, Washington DC) ; Sainte Barbe, 1437 (Musée royal des Beaux-Arts, Anvers) ; La Vierge à la fontaine, 1439 (Musée royal des Beaux-Arts, Anvers) ; Portrait d’un homme au chaperon bleu, vers 1430 (Muzeul National Brukenthal, Sibiu – Roumanie) ; Le Diptyque de l’Annonciation, vers 1435 (Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid). Ou encore ce saisissant Portrait d’un homme (« Leal Souvenir » ou « Tymothée »), 1432 (The National Gallery, Londres).
On regrette dans l’exposition l’absence de trois tableaux majeurs : La Vierge du chancelier Rolin, vers 1435 (seul tableau de van Eyck conservé en France, au Louvre), Les époux Arnolfini, 1434 (avec ce miroir témoin du travail révolutionnaire de van Eyck sur l’optique), ainsi que le Portrait d’un homme au turban rouge, 1436 (sans doute un autoportrait de van Eyck), deux œuvres conservées à la National Gallery à Londres. L’exposition rassemble plus de 100 autres œuvres du Moyen Âge, notamment des italiens Fra Angelico, Pisanello, Masaccio et Benozzo Gozzoli, qui mises en perspective de l’œuvre de van Eyck soulignent d’autant plus sa technique époustouflante et son génial talent qui fascinent encore aujourd’hui. Van Eyck et la belle Gand au riche patrimoine méritent votre venue.

Catherine Rigollet

A lire : L’Agneau mystique – Van Eyck. Art, histoire, science et religion : un ouvrage essentiel pour comprendre l’histoire de ce chef-d’œuvre, découvrir la saga de la grande famille Van Eyck et apprendre tous les détails de la restauration du retable. (Collectif, 368 pages, 200 illustrations, Ed. Flammarion, 60€)

Jan van Eyck, Portrait de Baudouin de Lannoy, vers 1435. Huile sur panneau, 26,6 × 19,6 cm.

Catalogue de l’exposition (anglais, allemand, néerlandais). Éditions Hannibal/Kannibaal. 504 pages. 370 illust. 64,50 €

Tous les détails de l’œuvre dans laquelle on peut zoomer, et de sa restauration sur : http://closertovaneyck.kikirpa.be

Visuels : Hubert et Jan van Eyck, Retable de l’Adoration de l’Agneau mystique, 1432 (Gand), fermé, ouvert et détail de l’agneau.
Pierre-François de Noter, La chapelle Vijd avec L’Agneau mystique, 1829 (Amsterdam, Rijksmuseum).
Jan van Eyck, Portrait de Baudouin de Lannoy, vers 1435. Huile sur panneau, 26,6 × 19,6 cm. Gemäldegalerie der Staatlichen Museen zu Berlin – Preussischer Kulturbesitz, Berlin.
Jan van Eyck, L’Homme au chaperon bleu, vers 1428-1430. Huile sur panneau, 22 x 17 cm. Muzeul National Brukenthal, Sibiu (Roumanie).

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.