Fuck architects : chapter III
Ceux qui peuvent encore rêver ne dorment plus
Jusqu’au 17 mai 2009 au Frac Alsace – Sélestat
Dans le cadre du week-end de l’art contemporain, organisé en Alsace, mounir fatmi, s’impose dans la continuité de mon propos sur les States.
mounir fatmi travaille dans le monde, éthiquement et esthétiquement… Ici au Frac d’Alsace, il opte pour le noir et blanc, il a définitivement gommé les majuscules de ses nom et prénom, en signe de son inscription dans le réel et de son refus des formes d’autorité… ses œuvres relisent l’histoire que la modernité occidentale a écrit, de Freud au 11 septembre en passant par les Black Panthers, mais en reformulent les représentations dans l’esprit d’aujourd’hui… dans les hôtels des pays arabes, désertés il y a quelques années à cause du terrorisme, il proposait d’inviter des artistes en résidence… il a en projet un remake du film Sleep d’Andy Warhol avec Salman Rushdie comme acteur principal… D’exposition en exposition, à chaque fois pensées comme lieu de débat, mounir fatmi affirme son travail comme une démarche critique qui interroge le monde contemporain via la représentation de ses violences et de ses paradoxes.
Fuck architects : chapter III est le dernier volet d’un travail commencé en 2007 autour de l’architecture, envisagée comme indice d’enjeux esthétiques, politiques, économiques et religieux. Pour mounir fatmi, l’architecture est l’aune à laquelle mesurer la modernité et ses utopies, leur réussite et leur faillite. Elle est matière à écrire et à penser, comme la littérature et la philosophie. Elle renvoie autant à la construction qu’à la déconstruction : les philosophes occidentaux ne seraient-ils pas les architectes et les chefs d’un chantier abandonné ou en suspens ?
mounir fatmi est un artiste nomade, à la croisée des cultures occidentale et orientale, des pensées laïque et religieuse. Ses œuvres questionnent les formes et les discours de l’autorité, la liberté de parole, le rapport entre vérité et légitimité. Elles traitent de l’envers des événements (la rencontre de Jean-Paul II et de son assassin Ali Agca),
de leur potentiel de représentation (le skyline de Manhattan dans l’après 11 septembre), des stratégies de pouvoir…
Les œuvres de mounir fatmi sont des jeux de langages mariant le dessin et l’écriture, des métaphores mixant les formes et les images. Contre toute didactique, elles jouent le rôle d’embrayeurs, au sens linguistique du terme, renvoyant à l’origine et à la réalité des événements plus qu’à leurs représentations dans les médias, et particulièrement à leur actualisation dans la pensée. Ses expositions sont ainsi des équations visuelles, nées d’un usage souple des médiums contemporains (vidéo, installation, dessin…), jouant de signes culturels multiples et éventuellement opposés. En forme de réseau, elles croisent divers domaines du savoir, des sciences à la philosophie, des techniques à la politique. S’y questionnent des façons de représenter le monde dans lequel nous vivons, qui engagent directement le jugement critique et la notion de point de vue.
Ainsi, plus que le monde lui-même, c’est le regardeur de ses œuvres que mounir fatmi interroge sur la nature et l’origine de son propre savoir sur le monde. L’exposition est une tentative de bousculer la passivité critique induite par la globalisation médiatique. Chez mounir fatmi, l’art ne donne pas de réponse, il met à distance, il problématise, en deçà des propagandes et des surdéterminations.
Olivier Grasser
« Save Manhattan » représente le skyline de New York à travers trois univers, trois composants, trois installations.
La première pièce est structurée par une littérature de catastrophes, post 11 septembre, qui n’aurait jamais existée sans cet événement.
La deuxième, avec des cassettes VHS vides, pour signifier l’absence d’images. Les images de la catastrophe ont été tellement diffusées, qu’il n’y a plus besoin de montrer les images que le monde entier garde en mémoire comme une trace indélébile.
Et la troisième, composée d’enceintes posées au sol, restitue le son de New York, enregistré le matin, le soir, l’après midi, dans les rues, le métro…, comme un bruitage cinématographique pour donner le sentiment d’être dans le corps de la ville. Cette dernière n’est pas présente dans l’exposition, elle est remplacée par celle-ci, qui pourrait évoquer Ground Zero.
Il y a souvent dans ses oeuvres une interdépendance entre les éléments qui la compose, comme s’il voulait signifier que comme dans un jeu de domino, tout pouvait s’effondrer par la défaillance d’une seule fraction
JS : Comment voyez-vous la situation dans le monde arabe aujourd’hui ?
mounir fatmi : C’est un monde en mal d’archives, où tellement de choses ont disparu que c’est le moteur de son activité actuelle. C’est ce qui explique la dynamique de ville comme Dubaï ou Abu-Dhabi où aujourd’hui on est capable de planter des palmiers en pleine mer, où il y a une volonté tenace de créer et remplir des musées, tel le Louvre ou le Guggenheim.
Le monde arabe est une région où jusqu’à présent il n’y avait que des hôtels vide à 70% à cause du terrorisme.
D’ailleurs j’avais pensé les utiliser comme projet de résidence et envoyer des artistes européens et américains à y séjourner, cela peut être intéressant de regrouper les artistes, les terroristes et les touristes dans un même endroit. À ce moment, je pense que l’art rejoint la politique.
Il reste que cette envie de grands musées n’est pas seulement culturelle, il faut dire aussi que les pays arabes ne pouvant plus avoir des armes de destruction, ni pouvoir les fabriquer pour se protéger, ils leur restent juste l’achat des noms de grands musées qui vont fonctionner dans un futur proche comme des boucliers antimissile. Je doute fort que l’armée Américaine ou Britannique tirera des missiles sur le Guggenheim d’Abu Dhabi, ou que l’armée Française attaquera le Louvre de Téhéran ou de Tripoli. J’imagine même qu’en situation de guerre, la population de ces pays choisira sûrement de se cacher dans ces musées au lieu de courir vers les mosquées. Je sais que cela fait un peu trop science-fiction, mais bon, c’est mon côté Burroughsien.
Propos recueilli par Jérôme Sans, Venise 2007
Voilà enfin un raisonnement autrement plus convaincant, que toute cette polémique et ces pétitions conservatrices (et ces ventes aux enchères indécentes, aux prix démesurés et aux réactions épidermiques, nullissimes, d’un Pierre Bergé –
c’est hors sujet ? et alors ? )
photos de l’auteur par autorisation expresse de mounir fatmi – grand merci à lui
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