L’exposition « Corps à Corps » (6 septembre 2023 – 25 mars 2024) propose un nouveau regard sur les représentations de la figure humaine en photographie, en faisant dialoguer la collection du Centre Pompidou et celle de Marin Karmitz.
Dans ce podcast/texte, la commissaire Julie Jones aborde les thèmes de l’exposition et présente plusieurs oeuvres du parcours. Scénographie : Camille Excoffon
Avec la rencontre de deux collections photographiques exceptionnelles – celle, publique, du Centre Pompidou – Musée national d’art moderne et celle, privée, du collectionneur français Marin Karmitz – l’exposition « Corps à corps » offre un regard inédit sur les représentations photographiques de la figure humaine, aux 20e et 21e siècles
L’exposition
Rassemblant plus de 500 photographies et documents, réalises par quelque 120 photographes historiques et contemporains, l’exposition dépasse les catégories d’étude classiques telles que le portrait, l’autoportrait, le nu ou encore la photographie dite humaniste. Elle dévoile des particularités, des manières de voir photographiques et rend visibles des correspondances entre artistes. On leur découvre des obsessions communes, dans leur façon d’appréhender le sujet, comme dans leur approche stylistique. Ces rapprochements peuvent éclairer une certaine pratique, à un moment précis de l’histoire, ou au contraire montrer la proximité de visions éloignées dans le temps. Les images exposées nourrissent aussi des questionnements sur la responsabilité du photographe : comment la photographie participe-t-elle à la naissance des identités et a leur visibilité ? Comment raconte-t-elle les individualités, le rapport a l’autre ?
La collection du Centre Pompidou – Musée national d’art moderne et la collection Marin Karmitz, distinctes par leur origine, leur nature, et leur fin, apparaissent ici complémentaires. Regard public et regard privé dialoguent et construisent de nouveaux récits. Ensemble, ils proposent une réflexion sur l’idée même de collection. Comment une collection se construit-elle, et quelle est la part de la subjectivité dans sa constitution ? Comment la transmettre au public ? La collection de photographies du Centre Pompidou est devenue en près de cinquante ans l’une des plus importantes au monde. Riche de plus de 40 000 tirages et de 60 000 négatifs, elle est constituée de grands fonds historiques (Man Ray, Brassai, Constantin Brancusi ou Dora Maar), et compte de nombreux ensembles de figures incontournables du 20e siècle, comme des corpus importants de la création contemporaine. Forme aux métiers du cinéma et de la photographie dans les années d’après-guerre et figure majeure du cinéma français, Marin Karmitz se fascine, depuis plusieurs décennies, pour la création, sous toutes ses formes. Sa collection photographique révèle un intérêt immuable pour la représentation du monde et de celles et ceux qui l’habitent. Qu’il s’agisse des grandes figures de l’avant-garde, telles Stanisław Ignacy Witkiewicz, dont Marin Karmitz à récemment fait don d’un ensemble d’oeuvres important au Centre Pompidou, jusqu’à des figures contemporaines, comme l’artiste SMITH.
Photographes exposés (non exhaustif)
Berenice Abbott, Laia Abril, Michael Ackerman, Laure Albin-Guillot, Dieter Appelt, Richard Avedon, Alain Baczynsky, Hans Bellmer, Jacques-Andre Boiffard, Christian Boltanski, Agnes Bonnot, Constantin Brancusi, Bill Brandt, Brassai, Johannes Brus, Gilles Caron, Henri Cartier-Bresson, Mark Cohen, Joan Colom, Antoine d’Agata, Roy DeCarava, Raymond Depardon, Pierre Dubreuil, Hans Eijkelboom, Walker Evans, Patrick Faigenbaum, Louis Faurer, Fernell Franco, Robert Frank, Douglas Gordon, Sid Grossmann, Raoul Hausmann, Dave Heath, Michal Heiman, Lewis Hine, Lukas Hoffmann, Francoise Janicot, Michel Journiac, Valerie Jouve, Birgit Jurgenssen, James Karales, Chris Killip, William Klein, Josef, Koudelka, Tarrah Krajnak, Hiroji Kubota, Dorothea Lange, Sergio Larrain, Saul Leiter, Helmar Lerski, Leon Levinstein, Helen Levitt, Eli Lotar, Dora Maar, Vivian Maier, Man Ray, Chris Marker, Daniel Masclet, Susan Meiselas, Annette Messager, Lisette Model, Zanele Muholi, Joshua Neustein, Janine Niepce, J.D. ‘Okhai Ojeikere, Homer Page, Trevor Paglen, Helga Paris, Gordon Parks, Mathieu Pernot, Anders Petersen, Friederike Pezold, Bernard Plossu, Barbara Probst, Gerhard Richter, Alix Cleo Roubaud, Albert Rudomine, Ilse Salberg, Lise Sarfati, Gotthard Schuh, Claude Simon, Lorna Simpson, SMITH, W. Eugene Smith, Stephanie Solinas, Annegret Soltau, Jo Spence, Louis Stettner, Paul Strand , Christer Stromholm, Josef Sudek, Val Telberg, Shōmei Tōmatsu, Jakob Tuggener, Ulay, Johan van der Keuken, Leonora Vicuna, Roman Vishniac, Andy Warhol, Hitomi Watanabe, Weegee, William Wegman, Koen Wessing, Nancy Wilson-Pajic, Stanisław Ignacy Witkiewicz…
Ensemble(s) : collections et regards croisés.
Entretien de Julie Jones avec Marin Karmitz
Marin Karmitz et Julie Jones au Centre Pompidou, commissaires de l’exposition Photo c Didier Plowy
Extrait du catalogue de l’exposition :
J.J. Nous commencons l’exposition par un face-a-face entre les portraits en plan très rapproché que Stanisław Witkiewicz réalise dans les annees 1910 et les photographies que Constantin Brancusi prend de ses premières ≪ têtes ≫ sculptées a la même époque. Ils introduisent un ensemble de visages photographies par d’autres, comme Lewis Hine, Helmar Lerski, Dora Maar, Roman Vishniac, Johan van der Keuken, Paul Strand ou Daniel Masclet, parfaitement modelés par la lumière et l’ombre, par le cadrage, grâce auxquels des identités particulières émergent. Nous concluons l’exposition par la présentation de ≪ fantômes ≫, soit des individualités indéfinies, dissolues. Qu’évoque pour vous ce passage ?
M.K. Le poids des évènements historiques traumatiques que nous avons traversés et traversons aujourd’hui influe inexorablement sur notre conception du corps, sur notre vision de l’autre et de nous-mêmes. La dissolution de l’individu, avec toute sa complexité, toutes ses particularités, tout ce qui le rend unique me semble être d’une terrible actualité. Comment redonner vie a cet individu ? Si l’on veut sortir de la nuit, et aller vers le jour, il faut résister, essayer de se libérer. Il faut créer. C’est une forme de responsabilité. Il faut réapprendre à voir.
Les premiers visages
Par la photographie, nous appréhendons le corps et entrons dans son intimité. L’image du visage, en particulier, éclaire le rapport à l’autre. Comme le disait le philosophe Emmanuel Levinas : « […] il y a dans le visage une pauvreté essentielle ; la preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer ». Au début du 20e siècle, le visage pris en plan rapproché devient un motif récurrent dans l’œuvre photographique des avant-gardes. Le cadrage comme le jeu dramatique des lumières et des ombres renforcent l’impression de présence du sujet. Traité hors de tout contexte (individuel ou social), le visage anonyme devient prétexte à des études formelles. Pour d’autres photographes, dont la démarche relève davantage du documentaire social, photographier le visage est un acte d’engagement, une manière de rendre visible la personne. Pour tous, l’émergence de ces visages impose un face-à-face qui assure au sujet son identité autant qu’il la questionne.
BrancusiNusch par Dora MaarStanisław Ignacy WitkiewiczPaul Strand
Automatisme ?
Les photomatons apparaissent dans les années 1920, d’abord aux États-Unis, puis en Europe. Cette photographie pauvre, automatique et sans auteur fascine très tôt les artistes surréalistes. La cabine de prises de vues, espace restreint devenu petit théâtre, est prétexte à de multiples grimaces, à des portraits extatiques, les yeux fermés, têtes décoiffées ou à des portraits de groupe indisciplinés. Ainsi, dès ses origines, cette photographie populaire, alors au service des méthodes modernes de contrôles administratif et policier, est détournée en un nouvel espace de liberté et de révolte. De nouveau dans les années 1960, période marquée par le développement des arts performatifs, et jusqu’à aujourd’hui, de nombreux artistes s’emparent de cette esthétique, voire du dispositif même. Ils dénoncent ainsi les carcans imposés par la société contemporaine via la bienséance et la persistance des stéréotypes culturels comme identitaires. Jouant, parfois non sans humour, avec ses codes (frontalité, anonymat, sérialité…), tous renversent les rapports de pouvoir en soulignant la multiplicité et la complexité des subjectivités.
Fulgurances
Intermédiaire entre le photographe et le photographié, l’appareil de prises de vue transforme la manière de percevoir l’autre. À l’affût, le photographe attend l’apparition de l’image :
sa vision, humaine, devient photographique ; il pense le réel par son cadre, puis il le met « en boîte ». L’appareil lui permet de saisir un instant, de capter l’autre, de le posséder par son image. Cette présence au monde si particulière a souvent été comparée aux pratiques de la chasse ou de la collection. Mais cette traque agit aussi parfois comme un révélateur. Visionnaire plus que voyeur, le photographe perçoit et isole des individualités, il met en lumière des anonymes perdus dans la foule. Par une attention aux atmosphères et à l’intimité des regards et des gestes, il donne à voir des rapports humains. « La photo, affirmait Chris Marker en 1966, c’est l’instinct de chasse sans l’envie de tuer. C’est la chasse des anges… On traque, on vise, on tire et – clac ! au lieu d’un mort, on fait un éternel. »
Fragment
En soi
Absorbées dans leurs pensées, rêveuses, contemplatives ou soucieuses, conscientes ou non d’être saisies par l’appareil, ces personnes existent au-delà de leur image. Effacé, le photographe semble n’être qu’un témoin impassible, extérieur aux instants et aux intériorités qu’il enregistre. Si ces prises de vue peuvent être spontanées, l’observation (celle du photographe et celle du regardeur) y paraît plus longue, plus posée, plus « picturale ». Certains photographes peuvent mettre en scène leur invisibilité par un dépouillement stylistique (frontalité, neutralité des tons, dispositif sériel…) ; d’autres, confessant une empathie absolue envers le sujet, privilégient un usage dramatique du cadrage Bernard Plossu et des jeux de clair-obscur. Ces images sont souvent celles de solitudes, d’états mélancoliques ou de corps en transe. Elles appellent un hors-champ inaccessible tant, chez le regardeur, le sentiment d’être étranger à la scène domine la lecture.
Intérieurs
Spectres
Dissimulation des corps, enregistrements de reflets, utilisation du flou, recours au photomontage…, ces procédés, aussi divers soient-ils, mettent tous en scène une forme de disparition. Si l’image enregistre, fixe et donne à voir des identités, celles-ci paraissent dissolues et indéterminées, telles des fantômes. Les particularités individuelles s’effacent au profit d’une anatomie collective indéfinie et d’un « fluide » intangible : le corps devient matière anonyme. Faire une image de ces mutations implique un rapport au réel et au photographique plus incertain. Ce qui importe n’est plus de capter l’instant, mais de donner à voir l’expérience d’une transition : la lumière, l’ombre et le cadre perdent leurs fonctions traditionnelles ; ils sont utilisés ici pour souligner un passage. Chacune à leur manière, ces photographies montrent comment la conception de la figure humaine se transforme au contact des autres,des événements historiques et contemporains, parfois traumatiques. Si elles témoignent souvent d’une violence à l’égard du corps, elles peuvent aussi accompagner sa possible renaissance.
Informations pratiques
Le Centre Pompidou 75191 Paris cedex 04
+ 33 (0)1 44 78 12 33
Métro : Hôtel de Ville, Rambuteau RER Châtelet-Les-Halles
Horaires Exposition ouverte tous les jours de 11h à 21h, sauf le mardi.
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Organisée par la Fondation Beyeler et le Louisiana Museum of Modern Art, Denmark, en coopération avec le Musée national géorgien et le Ministère géorgien de la culture, du sport et de la jeunesse, avec le soutien cordial de la Infinitart Foundation.
L’exposition « Niko Pirosmani » est placée sous le commissariat du commissaire invité Daniel Baumann et a été développée avec Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, et Irakliy Purtskhvanidze, conseiller
de la Fondation Beyeler en Géorgie. La coordination et la direction du projet sont assurées par Regula Moser, Associate Curator à la Fondation Beyeler.
Visible jusqu'au 28 janvier 2024
En guise de conclusion et de temps fort de l’année, la Fondation Beyeler consacre une exposition au légendaire peintre géorgien Niko Pirosmani(1862–1918), à la fois grand solitaire énigmatique et précurseur influent de l’art moderne. Pirosmani fait l’objet d’une quasi vénération parmi les amateurs·rices d’art et il est célébré comme un héros national dans son pays natal, mais il est encore peu connu du vaste public en Europe occidentale. Réunissant environ 50 oeuvres majeures, il s’agit de la plus importante exposition internationale jamais consacrée à Pirosmani. Elle est organisée par la Fondation Beyeler en coopération avec le Musée national géorgien de Tbilissi et le Louisiana Museum of Modern Art de Humlebæk. Les artistes contemporains de renom Thea Djordjadze et Andro Wekua ont été invités à accompagner la présentation des oeuvres de Pirosmani à Bâle de leurs propres propositions.
Niko Pirosmani, la procession
La parole aux images
Les images de Pirosmani transforment le quotidien en merveilleux. Elles sont aussi frontales et immédiates que fascinantes et mystérieuses. La plupart sont peintes à traits de pinceau précis et dynamiques dans des couleurs éclatantes sur toile cirée noire. Pris dans leur ensemble, la technique et le style de Pirosmani de même que sa palette et ses motifs constituent un phénomène unique au sein de l’art moderne.
Pirosmani dépeint la plupart du temps des animaux ou des gens du peuple, souvent des archétypes tels une mère et ses enfants, un pêcheur, un cuisinier ou un facteur. Parfois il s’agit de portraits de personnes précises, comme dans le cas de l’actrice Marguerite de Sèvres et de l’artiste d’avant-garde Ilia Zdanevitch. Pirosmani a également produit des paysages épiques aux perspectives multiples, représentant de manière simultanée des événements non synchrones comme des beuveries, des chasses et des processions.
Ses natures mortes sont souvent des oeuvres de commande, entre autres pour des tavernes. Certaines images représentent des célébrations et des fêtes qui jouent un rôle particulier dans la culture géorgienne. Avec tout ce qu’elles donnent à voir de quotidien, nombre des oeuvres de Pirosmani présentent pourtant aussi un caractère presque allégorique de par leur renvoi à des phénomènes fondamentaux et primaires de la vie humaine. Le travail de Pirosmani est empreint de spiritualité, mais il apporte aussi un témoignage documentaire sur un pays à la croisée de l’est et de l’ouest et sur une ville, Tbilissi, à l’époque considérée comme le « Paris de l’Est ».
Les icônes
Les figures humaines et animales sont représentées avec tendresse et dignité – et non sans humour. Doté d’une grande sensibilité, Pirosmani crée des images d’une puissance expressive rare, véritables icônes. Avec sa peinture d’une brillante simplicité et d’une élégante sincérité, il s’avère maître de la réduction à l’essentiel. Souvent, les humains et les animaux regardent le·la spectateur·rice de manière à la fois insistante et détachée. D’une intensité ardente, ils remplissent le cadre de l’image et se détachent sur un même fond noir avec lequel ils forment cependant un tout.
Dans cet espace d’apparence atemporelle, ils déploient une présence saisissante. Les oeuvres de Pirosmani partagent presque toutes une quiétude harmonieuse qui souligne leur dimension spirituelle. Dans un contexte de modernité marquée par le mouvement et le changement, Pirosmani a créé des images dans lesquelles ses compatriotes pouvaient reconnaître leur cadre de vie familier, tandis que l’avant-garde y découvrait une peinture radicale.
L’étrange Pirosmani
Malgré de nombreuses recherches et analyses, et maints récits et témoignages qui ont façonné sa légende, on ne sait presque rien des oeuvres de Pirosmani, de leur signification, de leurs sources d’inspiration, de leurs modèles, de leurs commanditaires et acheteurs, ou de leurs dates et lieux de production. Le travail de Pirosmani témoigne d’une existence à l’humanité aussi universelle que surnaturelle, mais ses visions et ses intentions artistiques demeurent d’une inaccessibilité rare chez un artiste reconnu du XXe siècle.
Si d’innombrables histoires circulent à propos de Niko Pirosmani, on ne dispose que de peu de faits avérés. Fils de paysan, orphelin dès son jeune âge, en 1870 il quitte sa province natale de Kakhétie pour lacapitale Tbilissi, où il vit chez une famille aisée et reçoit une éducation. Il apprend à peindre en autodidacte, se forme au métier de typographe, travaille pour les Chemins de fer transcaucasiens, tient une laiterie et peint des enseignes et des portraits de commande. En 1912, le poète Mikhaïl Le Dentu et les artistes de l’avant-garde Kirill et Ilia Zdanevitch découvrent les images de Pirosmani dans les tavernes de Tbilissi, hauts lieux de la vie culturelle de la ville alors en pleine effervescence.
Enthousiasmés, les frères Zdanevitch se mettent à collectionner les oeuvres du peintre autodidacte et à le soutenir dans son travail. Le Dentu le qualifie de « Giotto géorgien ». Dès 1913, les tableaux de Pirosmani sont inclus dans l’influente exposition « La Cible » à Moscou aux côtés de ceux de Marc Chagall, Natalia Gontcharova et Kasimir Malevitch. Alors qu’il n’a fréquenté aucune académie des beaux-arts, en 1916 il est invité à adhérer à la Société des artistes géorgiens, à laquelle il tourne cependant très vite le dos. Il vit en tant que bohémien vagabond dans les tavernes de Tbilissi, incapable ou non désireux de s’intégrer à la société. Niko Pirosmani décède vers 1918 dans le dénuement et la pauvreté. Son lieu d’inhumation précis reste inconnu à ce jour. Nombre de ses oeuvres se perdent, d’autres passent aux mains de l’État après l’annexion de la Géorgie par l’Union soviétique. Quelques années seulement après sa mort, des artistes et des écrivain·e·s d’avant-garde publient des textes sur lui, entament des recherches biographiques et analysent son travail.
Niko Pirosmani, le médecin
Dans les décennies qui suivent, des expositions, des livres et des films lui sont consacrés. Une exposition de ses oeuvres à Paris est annulée dans la tourmente de la Première Guerre mondiale et le projet ne verra finalement le jour qu’en 1969. En 1972, Pablo Picasso produit une eau-forte pour une publication consacrée à Pirosmani. Pirosmani est souvent décrit inexactement comme le « Rousseau de l’Est », parfois célébré de manière contestable comme un « primitif moderne » ou alors – dans la veine du récit rattaché à van Gogh – dénigré comme un marginal frappé de folie ou glorifié comme un génie méconnu. Aujourd’hui, Pirosmani est l’artiste le plus populaire de Géorgie et il compte de fervents admirateurs et admiratrices dans les milieux artistiques du monde entier, parmi eux Georg Baselitz, Peter Doig et d’autres.
En Suisse
En Suisse, l’oeuvre de Pirosmani a été montré pour la première fois en 1995 au Kunsthaus Zürich dans le cadre de l’exposition « Zeichen & Wunder. Niko Pirosmani und die Gegenwartskunst ». Conçue par la commissaire suisse Bice Curiger, l’exposition présentait le travail de Pirosmani en conjonction avec celui d’artistes contemporain·e·s. En 2019, Curiger a également assuré le commissariat de l’exposition « Niko Pirosmani – Wanderer between Worlds » à la Fondation Vincent van Gogh Arles, également présentée sous forme légèrement modifiée à l’Albertina à Vienne.
La Fondation Beyeler publie au Hatje Cantz Verlag un important catalogue compilé sous la direction du commissaire invité Daniel Baumann. Il réunit des articles rédigés par les expertes géorgiennes Mariam Dvali, Irine Jorjadze, Nana Kipiani et Ana Shanshiashvili ainsi que des réflexions des artistes géorgiens Thea Djordjadze et Andro Wekua. Il présente par ailleurs, pour la première fois traduits en allemand, des textes sources historiques des écrivains et artistes géorgiens Grigol Robakidze, Demna Šengelaia et Kirill Zdanevitch. L’exposition et le catalogue ont pour objectif de réunir des images et des faits, et de mettre en lumière l’art de Pirosmani sans interprétations tendant à la spéculation et au mythe. Le contexte historique du travail de Pirosmani dans la capitale caucasienne florissante de Tbilissi vers 1900 sera également mis en avant. En amont de l’exposition, tous les tableaux ont été examinés et préparés pour l’exposition par les restaurateurs·rices de la Fondation Beyeler et leurs collègues géorgien·ne·s.
Informations pratiques
Horaires d’ouverture de la Fondation Beyeler : tous les jours 10h00 – 18h00, le mercredi jusqu’à 20h00, le vendredi jusqu’à 21h00
Fondation Beyeler depuis la gare SBB tram n° 2 descendre à MessePlatz puis tram n° 6 jusqu’à l’arrêt Fondation Beyeler
Jusqu'au 8 janvier 2024, Le Louvre invite le musée de Capodimonte, de Naples Plus de soixante-dix des plus grands chefs-d’oeuvre du musée napolitain sont exposés dans trois lieux différents du Louvre Commissariat général : Sébastien Allard, directeur du département des Peintures du musée du Louvre et Sylvain Bellenger, directeur du musée de Capodimonte. Commissariat scientifique : Charlotte Chastel-Rousseau, conservatrice en chef au département des Peintures, Dominique Cordellier, conservateur général au département des Arts graphiques, musée du Louvre et Patrizia Piscitello, conservatrice de la collection Farnèse et des collections de peintures et de sculptures du XVIe siècle, Allessandra Rullo, directrice du département des Collections, conservatrice des peintures et des sculptures des XIIIe-XVe siècles, Carmine Romano, conservateur, responsable de la numérisation et du catalogue numérique des oeuvres, Museo e Real Bosco di Capodimonte.
Jusqu'au 8 janvier 2024, Le Louvre invite le musée de Capodimonte, de Naples Plus de soixante-dix des plus grands chefs-d’oeuvre du musée napolitain sont exposés dans trois lieux différents du Louvre Commissariat général : Sébastien Allard, directeur du département des Peintures du musée du Louvre et Sylvain Bellenger, directeur du musée de Capodimonte. Commissariat scientifique : Charlotte Chastel-Rousseau, conservatrice en chef au département des Peintures, Dominique Cordellier, conservateur général au département des Arts graphiques, musée du Louvre et Patrizia Piscitello, conservatrice de la collection Farnèse et des collections de peintures et de sculptures du XVIe siècle, Allessandra Rullo, directrice du département des Collections, conservatrice des peintures et des sculptures des XIIIe-XVe siècles, Carmine Romano, conservateur, responsable de la numérisation et du catalogue numérique des oeuvres, Museo e Real Bosco di Capodimonte.
Présentation
Réaffirmant l’importance des collaborations entre les institutions muséales européennes, le musée du Louvrea noué pour l’année 2023 un partenariat d’une envergure inédite avecle musée de Capodimonte.
Chefs d’oeuvre
Ancienne résidence de chasse des souverains Bourbon, le palais (la Reggia en italien) abrite aujourd’hui l’un des plus grands musées d’Italie et l’une des plus importantes pinacothèques d’Europe, tant par le nombre que par la qualité exceptionnelle des oeuvres conservées. Capodimonte est l’un des seuls musées de la péninsule dont les collections permettent de présenter l’ensemble des écoles de la peinture italienne. Il abrite également le deuxième cabinet de dessins d’Italie après celui des Offices ainsi qu’un ensemble remarquable de porcelaines.
Une ambitieuse programmation culturelle donne à cette invitation, au-delà des salles du musée, les dimensions d’une véritable saison napolitaine à Paris.
« En 2023, les plus beaux chefs-d’oeuvre du musée de Capodimonte dialogueront avec ceux du Louvre, au sein même du musée, dans le cadre d’un dispositif inédit. Une programmation musicale et cinématographique foisonnante viendra enrichir cette invitation pour définitivement installer Naples à Paris pendant près de six mois. Palais royaux transformés en musées, riches de collections héritées des plus grands souverains, symboles des liens historiques entre la France et l’Italie, le Louvre et Capodimonte ont beaucoup à partager et à dire. Je veux sincèrement remercier Sylvain Bellenger, Directeur du musée de Capodimonte, qui en confiance et amitié nous fait le grand honneur d’accepter notre invitation. Cette collaboration exceptionnelle et exclusive, illustre parfaitement l’élan européen et international que je souhaite pour le Louvre. », déclare Laurence des Cars
UN DISPOSITIF EXCEPTIONNEL
Salon Carré, Grande Galerie et salle Rosa (Aile Denon, 1er étage)
La volonté des deux musées est de voir les insignes chefs-d’oeuvre de Naples se mêler à ceux du Louvre, dans une présentation véritablement exceptionnelle : la réunion des deux collections offre pendant six mois aux visiteurs un aperçu unique de la peinture italienne du XVe au XVIIe siècle, permettant également une vision nouvelle tant de la collection du Louvre que de celle de Capodimonte.
Trente-et-un tableaux de Capodimonte, parmi les plus grands de la peinture italienne, dialoguent avec les collections du Louvre (oeuvres de Titien, Caravage, Carrache, Guido Reni pour n’en citer que quelques-uns), soit les compléter en permettant la présentation d’écoles peu ou pas représentées – notamment bien sûr, la singulière école napolitaine, avec des artistes à la puissance dramatiques et expressives tels que Jusepe de Ribera, Francesco Guarino ou Mattia Preti.
Sébastien Allard, « l’une des premières tentatives de l’histoire de l’art pour rendre la vision perspective da sotto in sù ».
Cela est aussi l’occasion de découvrir la bouleversante Crucifixion de Masaccio, artiste majeur de la Renaissance florentine mais absent des collections du Louvre, un grand tableau d’histoire de Giovanni Bellini, La Transfiguration,
dont le Louvre ne possède pas d’équivalent ou encore trois des plus magnifiques tableaux de Parmigianino, dont la célèbre et énigmatiqueAntea. La confrontation de ces oeuvres avec les Corrège du Louvre promet assurément d’être l’un des moments forts de cette réunion.
PRESENTATION DU MUSEE DE CAPODIMONTE Par Sylvain Bellenger
L’exposition Naples à Paris, Le Louvre invite le Musée de Capodimonte est une première dans l’histoire des expositions. Le sujet de l’exposition n’est ni un artiste ni un mouvement, ni même un pays, mais un musée. Le musée, on le sait depuis longtemps, et chaque jour d’avantage, n’est pas un simple contenant mais bien un acteur de l’histoire. Ses collections constituent un grand récit, avec l’exposition ce récit se transforme en dialogue, des oeuvres se rencontrent et racontent le Musée, les deux musées.
La rencontre est d’autant plus forte que l’invitation faite à Capodimonte, pendant la fermeture de ses galeries pour de grands travaux, est de s’exposer non pas isolé, mais en compagnie des collections italiennes du Louvre, dans la Grande Galerie, le Salon Carré, la salle Salvator Rosa et la salle de la Chapelle, les lieux les plus historiques et les plus illustres du musée, ainsi que dans la salle de l’Horloge. Le choix des oeuvres a été fait pour solliciter cette rencontre qui porte un éclairage nouveau sur les oeuvres mais aussi sur la collection, son esprit, son histoire.
Des histoires qui se ressemblent
L’histoire de Capodimonte est indissociable de l’histoire du royaume de Naples comme l’histoire du musée du Louvre est indissociable de la Révolution française. La création du premier est liée à la création du royaume qui occupa toute la botte italienne comme la création du second résulte de la Révolution Française. Comme le Louvre, la Reggia di Capodimonte est un des rares palais royaux à être transformé en musée.
Mais Capodimonte a la particularité d’avoir été construit pour abriter des collections, celles de la famille Farnèse qu’Élisabeth Farnèse (1692-1766), reine consort d’Espagne par son mariage en 1714 avec Philippe V d’Espagne, le petit fils de Louis XIV, donne à son cinquième fils, Charles de Bourbon (1716-1788), duc de Parme et de Plaisance quand il devient roi de Naples en 1734.
Le royaume de Naples, antique Vice-Royaume espagnol et plus récemment Vice-Royaume autrichien fut l’enjeu de toutes les convoitises des grandes puissances européennes – l’Espagne, l’Autriche et la France – pendant les guerres de succession d’Espagne (1701-1714), puis celle de Pologne (1733-1738). Il devient, grâce à l’habileté diplomatique d’Élisabeth Farnèse un royaume indépendant gouverné jusqu’á l’Unité de l’Italie par les Bourbons de Naples, une branche cadette des Bourbons d’Espagne. Élisabeth, la dernière des Farnèse, grande famille de collectionneurs, qui depuis la Renaissance, avec le Cardinal Alexandre Farnèse, sous le Pontificat de Paul III Farnèse, avait constitué une des plus grandes collections d’antiques et d’oeuvres des grandes écoles italiennes (Venise, Bologne, Florence, Rome), commandités, hérités ou conquises, qui étaient abritées dans les grands palais familiaux, le palais Farnèse, la villa de Caprarola ou le palais de la Pilotta à Parme.
L’ensemble de cette fabuleuse collection familiale fut transporté à Naples, qui s’enrichit subitement d’une collection d’oeuvres d’art comparable à celle des grandes capitales européennes. Naples sous le règne de Charles de Bourbon devient une Capitale des Lumières que les découvertes des villes romaines d’Herculanum et de Pompéi activement promues par le nouveau pouvoir, met sur la carte du monde.
La traditionnelle vitalité de la vie musicale de la ville se développe avec la création du théâtre San Carlo, le premier théâtre d’opéra d’Europe et la création à Capodimonte d’une manufacture de porcelaine, un enjeu technologique d’avant-garde pour toute l’Europe du XVIIIe siècle qui fait de la capitale du nouveau royaume une des destinations principales du Grand Tour. Naples est alors, après Londres et Paris, la troisième ville d’Europe. La collection Farnèse est alors hébergée dans l’aile sud-ouest de la Reggia de Capodimonte, majestueuse construction située sur une des collines de la Ville, où est planté un énorme parc pour la chasse, passe-temps favori de tous les Bourbons. La collection devient une collection dynastique et Charles de Bourbon la laisse à Naples, à son fils Ferdinand IV, quand la mort de son demi-frère Ferdinand VI, en 1759, le fait monter, vingt-cinq ans après son intronisation napolitaine, sur le trône d’Espagne.
La collection Farnèse enrichie par tous les régimes politiques qui, de Joachim Murat, roi de Naples de 1808-1815, à la Maison de Savoie jusqu’à la République unitaire, dote Capodimonte d’une collection qui illustre bien au-delà de l’école napolitaine pratiquement toutes les écoles de la péninsules représentés au plus haut niveau.
En 1957, après la Seconde Guerre mondiale, Capodimonte restauré devient le Musée National de Capodimonte. La grande pinacothèque du Sud promeut de grandes expositions sur la civilisation napolitaine. En 2014, la réforme du ministre Franceschini rend le musée autonome de la Surintendance de Campanie et lui adjoint le parc royal, un jardin historique planté au XVIIIe et au XIXe siècle avec des essences qui sont souvent des cadeaux diplomatiques offerts au roi de Naples. Ce parc, le Bosco de Capodimonte, est le plus grand parc urbain d’Italie : outre la Reggia, il contient une vingtaine d’édifices qui sont placés sous la direction unique du nouveau site « Museo e Real Bosco di Capodimonte ».
Tous ces édifices font depuis 2017 partie d’un MasterPlan, qui leur attribue une destination, culturelle, éducative, sportive ou culinaire et qui entoure la grande pinacothèque d’un véritable campus culturel pluridisciplinaire : une Foresteria et Centre de recherche sur l’art et l’architecture des grandes cité portuaires, dans l’ancienne Capraia, une école de jardiniers dans l’Ermitage des Capucins, un musée de l’Arte Povera dans la Palazzina dei Principi, une école de digitalisation des biens culturels et des paysages, une Maison de la photographie, un centre de la santé et du bien-être, trois résidences d’artistes, une chapelle récemment dotée d’un décor de porcelaine réalisé par Santiago Calatrava dans les locaux même de la Manufacture Royale de porcelaine, aujourd’hui une école des métiers de la porcelaine,… L’entrée du parc est gratuite et sa récente restauration en fait un des lieux favoris des Napolitains.
Informations Pratiques
BIENVENUE AU LOUVRE
Il y a toujours une bonne raison de venir au Louvre. Les œuvres du palais vous étonnent, vous invitent à rêver, à imaginer. Il est temps de préparer votre visite. Besoin d’inspiration ? Parcours et visites guidées vous font découvrir les lieux emblématiques. Et au cœur de Paris, les jardins vous accueillent. Métro ligne 1 arrêt Palais Royal musée du Louvre Bus 63
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Frédéric Migayrou, commissaire nous présente cette figure majeure qui a marqué l’histoire de l’architecture mondiale, par son approche systémique et globale de la nature et de la technologie. Des extraits d’un entretien réalisé avec Norman Foster nous éclairent sur la pensée de cet architecte visionnaire et sur plusieurs projets emblématiques. L’exposition « Norman Foster » au Centre Pompidou, sur 2200 mètres carrés, est la plus grande exposition consacrée à un architecte vivant. Elle présente son travail, son oeuvre, déroulée sur près d’une soixantaine d’années, au travers 130 projets qui touchent différentes thématiques. La scénographie est entièrement conçue par cet architecte et permet, à partir d’un cabinet de dessin, de découvrir l’ensemble de son oeuvre.
Le cabinet de dessins
L’exposition de Norman Foster commence par un grand cabinet de dessins où l’on mélange à la fois des carnets de croquis et les dessins historiques qui, depuis les années 1960, ont accompagné son oeuvre.
À la tête d’une agence de 1 500 personnes, le dessin aura, toute sa vie, été un élément de communication, de médiation pour présenter ses projets et de son oeuvre.
Nature et urbanité
Dès les années 1960, Norman Foster se préoccupe de la question environnementale, de l’intégration de ses bâtiments dans des contextes naturels ou urbains. La question écologique est centrale. Elle est conçue comme écologie positive, c’est-à-dire entre l’industrie, la technologie et la nature. Nombre de ses projets sont absolument innovants tout au long de sa carrière. L’Apple Park est l’accomplissement de l’idée d’intégration des constructions dans les domaines naturels. C’est un grand bâtiment circulaire qui s’étend sur un parc de 71 hectares et qui accueille près de 12 000 employés. Les toits sont entièrement couverts de panneaux photovoltaïques qui assurent une autonomie en énergie alors que des auvents filtrent la lumière naturelle.
Les frontières entre intérieur et extérieur sont totalement brouillées. On est plongé dans la nature et l’ensemble constitue un manifeste de l’intégration paysagère des constructions architecturales.
Enveloppes et structures
Norman Foster a toujours été fasciné par la technologie – les avions et les automobiles notamment – et pour lui l’objet architectural correspond à une espèce de structure.
Il la définit au travers de la notion de « skin and bones », la peau et les os, c’est-à-dire la structure antérieure qui permet de construire une enveloppe. Tous ses bâtiments sont conçus de cette manière. La Hong Kong et Shanghai Bank est le premier grand concours gagné par Norman Foster. Il révolutionne complètement la typologie des grandes tours. Cette construction de 179 mètres est évidée de l’intérieur et permet, au travers un grand hall, de distribuer l’ensemble des espaces de bureaux. La construction est élaborée selon trois tours parallèles, articulées autour d’un grand exosquelette, à savoir une structure reléguée à l’extérieur qui soutient l’ensemble du bâtiment. Pour la première fois, la climatisation est assurée par une pompe qui permet de prendre de l’eau dans le bassin du port. C’est le premier manifeste qui révolutionne la notion de tours de grande hauteur, tours qui vont accompagner les grands projets de Norman Foster tout au long de sa vie.
Vous regardez ce bâtiment qui célèbre ses services et vous pouvez voir de l’extérieur les éléments qui chauffent et refroidissent ce bâtiment et la structure. Si vous regardez le Sainsbury Centre de cette époque, vous aviez la structure et tous les services sont intégrés dans celle-ci. Elle est conçue pour la performance environnementale ainsi que pour la performance structurelle, mais également l’apparence et le bâtiment qui respire, qui devient ainsi un bâtiment sain.
Norman Foster
La ville verticale
Toutes les tours de Norman Foster sont construites comme des morceaux de ville. Les étages sont assemblés par groupes, séparés par des grands espaces collectifs. Cette idée amène à une compréhension de ville verticale, sachant que toute la base des bâtiments est ouverte sur la cité et accessible par le public.
La tour St. Mary Axe est un bâtiment emblématique de la ville de Londres qui est surnommé « le cornichon » pour sa forme profilée qui correspond au fuselage d’avion.
C’est le premier bâtiment écologique construit dans la ville.
Il fait suite aux recherches du Commerzbank de Francfort ou du Climatroffice conçu avec Richard Buckminster Fuller. Sa structure en exosquelette permet de libérer totalement les espaces, et d’ouvrir à la lumière alors que l’ensemble de la construction est entièrement soumis à une ventilation naturelle.
Par exemple, la structure serait conçue non seulement pour soutenir le bâtiment, mais aussi pour contenir des vides et pour que vous puissiez distribuer les services du bâtiment à travers ces vides. C’est le contraire d’une façon traditionnelle de penser, où vous pensez la structure et ensuite vous vous suspendez en-dessous. Cela ne fonctionne pas. Donc cela produit quelque chose qui est plus performant, qui a plus de joie. Norman Foster
Histoire et tradition
Bien que son architecture soit de très haute technologie, considérée comme high-tech, Norman Foster a toujours porté une attention très particulière au contexte historique, à l’histoire, aux bâtiments et aussi aux technologies. Son architecture réactive ces contextes, leur redonne vie et met en valeur des matériaux et des techniques souvent oubliés.
Avec le Carré d’Art de Nîmes, Norman Foster s’attaque pour la première fois à un centre historique en relation avec la Maison carrée, un temple romain du 1er siècle. L’architecte décide de dégager l’ensemble de l’espace central autour de ce bâtiment pour en faire un morceau de ville. La nouvelle médiathèque, à l’image de celle du Centre Pompidou, s’incarne comme un pendant du bâtiment historique et revivifie ainsi le coeur historique de la ville. De la même manière, le British Museum, construit par Robert Smirke au 19ème siècle, ainsi que la grande rotonde, la salle de lecture construite par son frère, est recouvert d’un gigantesque toit de 6 000 mètres carrés qui rassemble l’ensemble des bâtiments. À l’image du Crystal Palace de Robert Paxton, ce treillis de triangles transparents qui pèse près de 800 tonnes, donne une unité à ce complexe, et l’intègre dans la ville, mariant de façon très élégante, l’ancien et le moderne.
Si vous voulez regarder loin devant vous, vous regardez d’abord loin en arrière. Vous pouvez voir dans cette approche l’empreinte de l’histoire dans des projets comme celui du British Museum. Vous remontez dans le temps et vous constatez que le coeur de ce bâtiment d’origine était une cour qui avait été perdue au fil du temps, sans rien de précieux entre la bibliothèque centrale d’origine et les façades de la cour. Norman Foster
Sites et planification
Norman Foster est architecte, mais c’est aussi un grand urbaniste. Il s’est attaché à la reconstruction de grands plans urbains pour de nombreuses métropoles. Il s’attache aux flux, aux lieux et aux espaces publics, afin de redonner une identité à nombre de cités. En 2011, la Communauté urbaine de Marseille veut restructurer le Vieux-Port et demande au paysagiste Michel Desvigne ce réaménagement. Il s’associe à Norman Foster, qui va recomposer l’ensemble des voiries et proposer, face au port, la construction d’une grande ombrière. Cette énorme surface de 46 mètres par 22 fait effet de miroir et rassemble le public. Au final, le bâtiment actualise la conscience de l’espace public pour toutes les personnes présentes dans la cité.
L’infrastructure des espaces publics est vraiment le ciment qui lie les bâtiments individuels. Cette infrastructure détermine l’ADN d’une ville, l’identité de la ville, les identités séparées de New York, Marseille ou Londres. Si je prends la transformation de Trafalgar Square par exemple, la fermeture d’un côté transforme non seulement cet espace, mais toute la zone, tout le quartier de la ville. Vous pouvez quantifier après coup les avantages : moins d’accidents, c’est plus sûr, c’est plus agréable, la qualité de l’air est meilleure, c’est plus silencieux. En outre, vous pouvez utiliser la conception anticipative, la syntaxe spatiale. Vous pouvez simuler les mouvements des piétons et explorer cela avant que la décision ne soit prise. Norman Foster
Réseaux et mobilités
Reichstag Norman Foster est un architecte et un ingénieur qui s’est toujours attaché à la notion de mobilité, de déplacements, de la liaison entre les territoires. Il a construit de très nombreux aéroports, des gares, des terminaux portuaires et des véhicules. Cette notion de communication, de liens entre les différentes localités, les villes et les pays l’ont amené à être un architecte de dimension planétaire.
Le viaduc de Millau
Le viaduc de Millau est un magnifique ouvrage d’art. Il s’agit d’un pont haubané qui relie les rives du Tarn et qui est conçu avec l’ingénieur Michel Virlogeux. Il participe au désenclavement de toute la région en créant un lien entre Paris et la Méditerranée. Le pont est conçu autour de sept piles de béton d’une hauteur de 75 à 245 mètres, soit presque la hauteur de la tour Eiffel. Il est surmonté de pylônes et de haubans qui sont tendus en éventail et peints en blanc. Le viaduc trace une ligne très élégante sur l’ensemble du paysage et reconfigure tout le territoire.
Viaduc de Millau
Ces réseaux sont physiques. Il y a les réseaux invisibles dans le ciel, mais à un moment, ils se résument tous à la physicalité d’un élément construit. Dans ce monde numérique, avec ces réseaux invisibles qui nous connectent numériquement, il est extrêmement tentant d’entrer dans une architecture qui est une expérience numérique et de s’appuyer sur l’orientation par les chiffres, par les lettres de l’alphabet. Je vois que le défi est d’en faire une expérience analogique, plutôt qu’une ère numérique. Donc, qu’il s’agisse d’un aéroport ou d’un système de métro, l’architecture devrait mener. Norman Foster
Perspectives futures
Norman Foster a toujours été considéré comme un architecte extrêmement prospectif, envisageant le futur de nos sociétés avec des projets attachés au développement durable, à l’environnement. Il développe avec sa fondation des projets en Afrique et en Inde mais aussi en imaginant le développement de technologies qui permettraient des projets extraterrestres visionnaires sur la Lune ou sur Mars. Avec Lunar Habitat, Norman Foster s’attaque à l’idée de la construction d’un habitat sur la Lune, en coopération avec l’Agence spatiale européenne. Foster imagine des systèmes d’habitation extrêmement simples, bien qu’étant technologiquement extrêmement complexes. Il conçoit des gonflables qui seraient recouverts de régolithes grâce à des impressions 3D, le régolithe étant ce matériau que l’on trouve sur la Lune. On retrouve à la fois l’idée d’un habitat vernaculaire à l’image des architectures de terre en Afrique, et puis ces constructions de hautes technologies qui permettraient de développer l’idée d’une implantation lunaire.
Je suggèrerais une approche holistique pour atteindre un équilibre dans la nature. L’énergie doit être au coeur même de cette question, parce qu’elle concerne tous les aspects du réchauffement climatique, de la pollution. La quête d’une énergie propre n’est pas seulement pour anticiper la croissance démographique, mais également ce qu’elle implique. Si nous regardons statistiquement la forme d’énergie qui peut laisser la plus petite empreinte sur la planète, pas de pollution et le record absolu le plus sûr par-dessus tout, c’est le nucléaire et les nouvelles générations de nucléaires qui ont la promesse d’autonomie que je trouve très excitante. Norman Foster
Terrasse d’observation du Château Lacoste
Informations Pratiques
Centre Pompidou www.centrepompidou.fr www.centrepompidou.fr/fr/visite/accessibilite Application Centre Pompidou accessibilité www.centrepompidou.fr/fr/visite/accessibilite/appli-centre-pompidou-accessibilite Livrets d’aide à la visite www.centrepompidou.fr/fr/visite/accessibilite/livrets-daide-en-falc
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La Dentelière de Vermeer en prêt au Louvre Lens
Pendant près d’un an, le musée du Louvre prête sa précieuse Dentellière de Vermeer au Louvre-Lens. Le chef-d’œuvre est visible gratuitement dans la Galerie du temps.
Au musée d'Orsay jusqu'au 23 juillet 2023 Cette exposition est organisée par les musées d’Orsay et de l’Orangerie et le Metropolitan Museum of Art, New York où elle sera présentée de septembre 2023 à janvier 2024.
Commissaire générale Laurence des Cars, présidente - directrice du musée du Louvre Commissaires à Paris Isolde Pludermacher, conservatrice générale peinture au musée d’Orsay Stéphane Guégan, conseiller scientifique auprès du président des musées d’Orsay et de l’Orangerie
Pourquoi avoir voulu rapprocher Manet et Degas dans une même exposition ?
Berthe Morisot par Manet
Edgar Degas la jeune femme à l’ibis
Édouard Manet (1832-1883) et Edgar Degas (1834-1917) sont tous deux des acteurs essentiels de la nouvelle peinture des années 1860-80. Cette exposition qui réunit les deux peintres dans la lumière de leurs contrastes oblige à porter un nouveau regard sur leur réelle complicité. Elle montre ce que la modernité picturale eut d’hétérogène, de conflictuel, et révèle la valeur de la collection de Degas où Manet prit une place plus grande après son décès.
Rapprochement
Edgar Degas, le faux départ
Edouard Manet
Divergeances
Manet
Degas
Avant et après la naissance de l’impressionnisme, sur laquelle l’exposition pose un regard nouveau, ce qui les différencia ou les opposa est plus criant encore. De formations et de tempéraments dissemblables, ils ne partagent pas les mêmes goûts en littérature et en musique. Leurs choix divergents en matière d’exposition et de carrière refroidissent, dès 1873-1874, l’amitié naissante qui les lie, amitié qu’a renforcée leur expérience commune de la guerre de 1870 et des lendemains de la Commune. On ne saurait comparer la quête de reconnaissance du premier et le refus obstiné du second à emprunter les canaux officiels de légitimation. Et si l’on considère la sphère privée, une fois les années de jeunesse révolues, tout les sépare. À la sociabilité de Manet, très ouverte, et vite assez brillante, à ses choix domestiques, répondent l’existence secrète de Degas et son entourage restreint.
Coexistences merveilleuses
Dans Degas Danse Dessin, où il est beaucoup question de Manet, Paul Valéry parle de ces « coexistences merveilleuses » qui confinent aux accords dissonants. Parce qu’elle réunit Manet et Degas dans la lumière de leurs contrastes, et montre combien ils se définissent en se distinguant, cette exposition, riche de chefs-d’œuvre jamais réunis et d’un partenariat sans précédent, oblige à porter un nouveau regard sur l’éphémère complicité et la durable rivalité de deux géants. Le parcours rend aussi plus saillant ce que la modernité picturale, en son point d’émergence, puis d’essor et de succès, eut de conflictuel, d’hétérogène, d’imprévu. Il donne enfin toute sa valeur à la collection de Degas où, après le décès de Manet, ce dernier prit une place de plus en plus impérieuse. La mort les avait réconciliés.
Jusqu'au 17 septembre 2023, la Fondation Beyeler consacre en tant que premier musée en Suisse une importante exposition individuelle à l’artiste colombienne Doris Salcedo (*1958) L’exposition est placée sous le commissariat de Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, et de Fiona Hesse, responsable de projet et Associate Curator à la Fondation Beyeler.
Introduction
Simultanément à son installation Palimpsest, 2013–2017, présentée à la Fondation Beyeler depuis octobre 2022, la Fondation présente huit séries d’oeuvres majeures datant de différentes périodes de son travail. Sur 1300 mètres carrés, l’exposition donnera à voir une centaine d’oeuvres, parmi elles des oeuvres clés en provenance de collections internationales de premier plan ainsi que des oeuvres rarement exposées détenues dans des collections particulières. Les objets, sculptures et interventions in situ de Doris Salcedo ont pour thème les expériences et les répercussions de conflits violents dans le monde. Ses travaux ont souvent pour toile de fond des événements spécifiques mais leur portée et leur résonance sont universelles et imparables. Ils tournent souvent autour de réflexions sur la perte, la souffrance individuelle et la manière dont les sociétés gèrent le deuil collectif.
Le thème
Doris Salcedo a grandi à Bogota, la capitale colombienne qu’elle décrit comme un épicentre de catastrophes. Confrontée incessamment à l’effroi des structures de pouvoir politiques et de la détresse humaine de son pays natal, elle a développé une conscience sociale et politique marquée. Il en résulte des oeuvres qui donnent forme aux émotions déclenchées par ces expériences. Au lieu de représentations simplistes, Salcedo quête les sentiments et les sensations que partagent les spectateurs·rices. Comme elle le dit elle-même :
« Ce que je cherche à tirer de ces travaux, c’est cet élément qui nous est commun. » Doris Salcedo
Les oeuvres
Les oeuvres de Doris Salcedo nécessitent souvent des années de préparatifs, de recherches et de travail de terrain, débouchant sur des processus de conceptualisation complexes et minutieux. Les horreurs que thématise l’artiste ne sont jamais montrées directement. Au lieu de cela, elle choisit des matériaux et des moyens d’expression qui rendent visibles la terreur et l’effroi de manière oblique tout en étant porteurs de beauté et de poésie. Avec son travail, Doris Salcedo cherche à établir des ponts entre la souffrance et la détresse de l’existence humaine d’une part et les espoirs et les aspirations d’une autre.
Doris Salcedo Solo Exhibition Museum of Contemporary Art Chicago 21 February – 24 May 2015
OEuvre majeure de l’exposition, A Flor de Piel, 2011–2014, consiste en des centaines de pétales de rose cousus ensemble en un linceul filigrane dont les plis se drapent sur une vaste surface au sol. L’oeuvre a pour point de départ un crime commis contre une infirmière colombienne, qui avait été torturée à mort et dont le corps n’a jamais été retrouvé. Le titre A Flor de Piel est une expression espagnole proche de l’expression française « à fleur de peau » : avec sa double référence aux fleurs et à la peau, elle décrit des émotions d’une telle intensité qu’elles en deviennent clairement apparentes aux autres, par exemple par un rougissement de la peau. Pour Salcedo, le geste consistant à suturer les pétales les uns aux autres est une part importante de l’oeuvre, qui rassemble ainsi les corps martyrisés et illustre la précarité et la fragilité de la vie.
Salle 3
Dans la salle suivante s’alignent les tables de Plegaria Muda, 2008–2010. En 2008, Salcedo se penche sur la criminalité des gangs à Los Angeles et constate que les victimes et les agresseurs partagent souvent des contextes socio-économiques semblables et des circonstances pareillement défavorisées. Partant de cette observation, elle a empilé dos à dos et séparées par une couche de terre des paires de tables de la taille de cercueils. Chacune de ces paires symbolise l’une de centaines de dyades bourreau/victime dont les destins restent tragiquement liés. Évoquant un cimetière récemment aménagé, l’oeuvre reflète également la douleur des mères endeuillées de Colombie à la recherche de leurs fils disparus dans des fosses communes. Plegaria Muda, qui signifie « prière silencieuse », témoigne de l’importance universelle d’une inhumation et d’un adieu personnels et dignes. L’herbe qui pousse à travers les plateaux des tables faits à la main, comme autant de lueurs d’espoir, exprime la conviction de Salcedo que la vie s’impose même face aux abus les plus terribles.
Salle 6
Disremembered, 2014/15 et 2020/21, illustre plusieurs aspects importants de l’oeuvre de Salcedo : il s’agit d’une sculpture presque immatérielle, à peine tangible, qui ne se révèle à nous que de près. Une étoffe de soie semblable à une chemise, conçue par Salcedo suivant le modèle de sa propre blouse, est traversée de très nombreuses petites aiguilles qui opposent quelque chose de menaçant à la délicatesse évanescente de la sculpture. En amont de ce travail, Salcedo a parlé avec des mères ayant perdu des enfants lors de violences armées dans des quartiers difficiles de Chicago. La douleur constante et inconsolable de ces femmes est symbolisée par les plus de 12’000 fines aiguilles piquées directement dans l’étoffe et clairement visibles en raison de la transparence de la sculpture.
Salle 4
Cette polarité entre délicatesse et violence est commune à beaucoup d’autres oeuvres de Salcedo. Atrabiliarios, 1992–2004, montre ainsi des chaussures usées, insérées dans des niches aménagées dans la paroi d’exposition et recouvertes d’une peau animale tendue qui en opacifie la vue. Salcedo cherche ainsi à préserver la mémoire de leurs anciennes propriétaires : des femmes victimes de disparition forcée en Colombie.
salle 5
La série Untitled, 1989, comporte plusieurs meubles de bois saisis dans du béton. Pour cette oeuvre, Salcedo a passé du temps avec les familles de victimes de la violence endémique et de la guerre civile en Colombie. Elle s’est saisie d’objets du quotidien des victimes, rendus inutiles par leur mort, pour symboliser leur absence.
Salle 8
Unland, 1995–1998, s’appuie sur des interviews menées dans le nord de la Colombie avec de jeunes orphelins qui avaient été témoins du meurtre de leurs parents. Les moitiés de tables reliées par un mélange de soie et de cheveux humains représentent l’équilibre fragile de familles déchirées par la violence.
Doris Salcedo Solo Exhibition Museum of Contemporary Art Chicago 21 February – 24 May 2015
Salle 1
Untitled, 1989–93, a été conçu en réaction à deux massacres commis en 1988 dans le nord de la Colombie dans les plantations bananières de La Negra et La Honduras. Les sculptures se composent de chemises de coton blanches coulées dans du plâtre et transpercées de barres d’acier. Faisant allusion à l’absence du corps humain, les chemises évoquent la tenue de travail standard des ouvriers de ces plantations ainsi que la tenue mortuaire des défunts.
Palimpsest
Dans la vaste installation, 2013–2017, Salcedo se penche sur le sort des réfugié·e·s et des migrant·e·s mort·e·s noyé·e·s ces 20 dernières années lors de la dangereuse traversée de la Méditerranée ou de l’Atlantique en quête d’une vie meilleure en Europe. Cinq années durant, elle a recherché les noms des victimes qui apparaissent et s’estompent sur les dalles couleur sable des quelque 400 mètres carrés au sol que recouvre l’installation.
À propos de Doris Salcedo
Doris Salcedo est née en 1958 à Bogota en Colombie, où elle vit et travaille encore aujourd’hui. Elle a étudié la peinture et l’histoire de l’art à l’Université de Bogota, puis au début des années 1980 la sculpture à l’Université de New York. En 1985, elle retourne en Colombie. Elle sillonne alors le pays à la rencontre de rescapé·e·s et de proches de victimes d’actes de violence et de brutalité. La sensibilisation provoquée en elle par ces échanges par rapport aux thèmes de la guerre, de l’aliénation, du manque de repères et du déracinement forme depuis la base de son travail . Salcedo a attiré l’attention avec des installations à grande échelle telles Untitled, 2003, Shibboleth, 2007, ou Plegaria Muda, 2008–2010. Untitled, 2003, réalisé pour la 8ème Biennale internationale d’Istanbul, se composait d’environ 1550 chaises en bois empilées entre deux bâtiments pour rendre compte de la migration et de l’expulsion de familles arméniennes et juives d’Istanbul. Pour Shibboleth, 2007, à la Tate Modern à Londres, elle a conçu une longue faille crevassée parcourant le sol de la Turbine Hall, inscrivant ainsi dans l’espace de manière sensorielle les expériences de délimitation et d’exclusion sociales ainsi que de séparation. En 2015, le Museum of Contemporary Art Chicago a présenté une première rétrospective de son travail. Le musée de Glenstone dans le Maryland lui a consacré l’année dernière une exposition individuelle. À la Fondation Beyeler, Doris Salcedo a été représentée en 2014dans une présentation de la collection incluant des oeuvres de la Daros LatinamericaCollection. Palimpsest a été présenté en 2017 au Palacio de Cristal du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid puis à White Cube à Londres. Cette installation saisissante est donnée à voir à la Fondation Beyeler depuis l’automne dernier pour la première fois dans l’espace germanophone. La dernière oeuvre en date de Salcedo, Uprooted, 2020–2022, est actuellement présentée à la 15ème édition de la Biennale de Sharjah.
Basquiat à Modène du 11 juin – 27 août 2023 à la Fondation Beyeler présente les
« Modena Paintings », huit toiles de grand format que Basquiat a peintes en 1982 dans la ville italienne de Modène pour un projet d’exposition qui n’a finalement jamais vu le jour
L’exposition est placée sous le commissariat conjoint de Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, et d’Iris Hasler, Associate Curator à la Fondation Beyeler.
Introduction
13 ans après la grande rétrospective qu’elle avait consacrée à Jean-Michel Basquiat, la Fondation Beyeler accueille une nouvelle fois l’oeuvre de l’artiste new-yorkais. Elle présentera les « Modena Paintings », huit toiles de grand format que Basquiat a peintes en 1982 dans la ville italienne de Modène pour un projet d’exposition qui n’a finalement jamais vu le jour. Plus de 40 ans plus tard, la Fondation Beyeler réunit pour la première fois ces chefs-d’oeuvre, aujourd’hui détenus dans des collections privées aux États-Unis, en Asie et en Suisse, parmi eux plusieurs des oeuvres les plus célèbres et les plus chères de Basquiat. C’est dans l’air du temps, après Basquiat et Warhol à la Fondation Vuitton et Basquiat et la musique à la Philharmonie de Paris, pour la Fondation Beyeler c’était une évidence.
le plus jeune artiste invité à la dOCUMENTA 7
Jean-Michel Basquiat (1960–1988) compte parmi les artistes majeurs du XXe siècle finissant. Au début des années 1980, il accède en peu de temps à une notoriété internationale, alors que la peinture figurative connaît une renaissance. Basquiat, une des personnalités les plus magnétiques du monde de l’art, débute dans l’underground new-yorkais en tant que poète graffeur et musicien avant de se consacrer pleinement à l’art. Sa peinture hautement expressive et débordante d’énergie lui vaut rapidement l’admiration du milieu. Âgé de seulement 21 ans, il est le plus jeune artiste invité à participer à la Documenta 7 qui se tient à Kassel en été 1982. Encouragé par Andy Warhol, il devient une véritable célébrité artistique, fêtée dans le monde entier. Fils d’un père haïtien et d’une mère dont les parents venaient de Porto Rico, il est le premier artiste noir à percer dans un milieu artistique dominé par des protagonistes blancs·ches. Outre Andy Warhol, Basquiat collabore avec Keith Haring, Francesco Clemente, Debbie Harry et d’autres artistes et musicien·ne·s. Jusqu’à son décès soudain en août 1988, il produit en moins d’une décennie un vaste oeuvre comptant plus de 1’000 tableaux et objets ainsi que 3’000 oeuvres sur papier.
Un nouveau langage visuel
Après l’âge d’or de l’art conceptuel et de l’art minimal dans les années 1960 et 1970, Basquiat parvient à imposer un nouveau langage visuel figuratif et expressif. Ses oeuvres, peuplées de personnages évoquant ceux des bandes dessinées, de silhouettes de squelettes, d’objets étranges du quotidien et de slogans poétiques sont puissantes et somptueusement colorées. Elles font converger des motifs issus de la culture pop et de l’histoire culturelle, entre autres des domaines de la musique et du sport, ainsi que des thèmes politiques et économiques, pour aboutir à des commentaires critiques de la société de consommation et de l’injustice sociale, en particulier du racisme.
À Modène, Mazzoli dispose d’un entrepôt qui sert aux artistes de passage pour travailler. Ainsi, plusieurs années durant Mario Schifano séjourne régulièrement à Modène pour y peindre. Lorsque Basquiat arrive, il tombe sur plusieurs reliquats du travail de Schifano : outre des tableaux achevés, il trouve aussi des toiles apprêtées et des toiles vierges. Attiré par leurs dimensions exceptionnelles, il les utilise pour ses propres tableaux. Il produit ainsi un groupe d’oeuvres de chacune plus de deux mètres sur quatre, plus grandes que et différentes de tout ce qu’il avait peint jusque là. En apposant l’indication « Modena » et sa signature au dos des toiles, il les désigne comme un groupe d’oeuvres cohérent. Mais des désaccords opposent les galeristes Annina Nosei, qui représente Basquiat à New York depuis fin 1981, et Emilio Mazzoli, entraînant l’abandon du projet d’exposition à Modène. Dans une interview accordée au New York Times en 1985, Basquiat revient sur son deuxième séjour à Modène et exprime sa frustration : « Ils ont organisé les choses de telle manière que je doive produire huit tableaux en une semaine », et il compare son travail dans l’entrepôt à « une usine, une usine malsaine. J’ai détesté. »
Au final, Mazzoli règle Basquiat pour les oeuvres produites et l’artiste retourne à New York.
Projet abandonné
Les huit tableaux peints à Modène trouvent finalement de nouveaux propriétaires par l’entremise d’Annina Nosei : Bruno Bischofberger en acquiert quatre (Profit I, Boy and Dog in a Johnnypump, Untitled [Woman with Roman Torso (Venus)], The Guilt of Gold Teeth) et les autres passent dans diverses collections à l’international. Aujourd’hui, les huit toiles se trouvent dans différentes collections particulières aux États-Unis, en Asie et en Suisse. Certaines d’entre elles se sont recroisées dans le cadre de rétrospectives, d’autres n’ont que rarement été montrées en public. Le projet de la Galleria d’Arte Emilio Mazzoli n’a pas encore fait l’objet de recherches et de mises en lumière approfondies. Et pourtant, non seulement les tableaux produits à Modène figurent parmi les plus importants de l’oeuvre de Basquiat et les oeuvres les plus chères de tout l’art contemporain, mais le projet d’exposition finalement abandonné constitue lui aussi un événement particulier dans la carrière de l’artiste. Pour la première fois, les tableaux de Modène sont réunis au sein d’une présentation unique à la Fondation Beyeler – 40 ans plus tard, le projet d’exposition est ainsi enfin réalisé.
Sam Keller explique
Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, explique : « Tous les ‹ Modena Paintings › se trouvent aujourd’hui dans des collections privées. Certains d’entre eux ont été donnés à voir dans le cadre d’expositions consacrées à Basquiat, mais jamais encore ils n’avaient figuré ensemble et côte à côte dans une même présentation ainsi que l’avait prévu Basquiat à l’origine. Grâce à notre bonne collaboration de longue date avec la famille Basquiat et les collectionneurs de Basquiat, nous sommes parvenus à réunir toutes les oeuvres et à rattraper ainsi un moment d’histoire de l’art. »
Les « Modena Paintings » partagent plusieurs caractéristiques en termes de motif et de style : les huit tableaux sont tous dominés par une figure monumentale, souvent noire, sur fond de larges traits de pinceau à la gestuelle expressive. Untitled (Angel) et Untitled (Devil), opérant comme un quasi diptyque, donnent à voir les figures titulaires d’un ange et d’un démon sous forme de portraits en buste, les deux bras levés – posture pouvant être comprise aussi bien comme implorante que triomphante, et qui non seulement se répète dans d’autres images du cycle mais apparaît de manière récurrente dans l’oeuvre de Basquiat. Le squelette suggéré à coups de traits horizontaux sommaires dans Untitled (Devil) de même que le crâne aux orbites et aux cavités nasales profondes caractérisent également les figures dans Boy and Dog in a Johnnypump et The Field Next to the Other Road. Parmi les autres signes distinctifs des personnages de Basquiat figure un ornement placé au-dessus de leur tête, parfois auréole et parfois couronne d’épines, qui apparaît également dans Untitled (Woman with Roman Torso [Venus]) et Profit I. Comparées aux autres oeuvres du groupe, ces deux dernières présentent tout comme The Guilt of Gold Teeth une plus grande densité des « griffonnages » si typiques de Basquiat. The Guilt of Gold Teeth, avec ses mots cryptiques, ses combinaisons de chiffres et ses symboles de dollar, préfigure déjà certaines évolutions plus tardives de l’oeuvre de l’artiste. Avec Untitled (Cowparts), qui donne à voir une vache plus grande que nature aux énormes yeux ronds, le cycle se boucle dans la mesure où les épais traits de pinceau blancs utilisés pour accentuer le corps noir dans Untitled (Angel) soulignent ici les contours de l’animal.
À l’exception des deux tableaux Profit I et The Guilt of Gold Teeth, dans lesquels la combinaison d’acrylique, de peinture aérosol et de crayon à l’huile établit un dialogue avec le dessin, le groupe d’oeuvres met l’accent sur le geste pictural. Le collage visuel d’images et de mots habituellement si typique du travail de Basquiat n’apparaît que peu dans les oeuvres réalisées à Modène.
Dans l’ensemble, le répertoire de Modène est moins morcelé et se concentre sur des compositions plus vastes et expansives. Le corps humain et animal y occupe le premier plan. Contrairement aux oeuvres antérieures, celles de Modène ne donnent pas à voir d’impressions des rues de la grande ville. On retrouve dans plusieurs des huit toiles les mêmes tonalités, ainsi dans les vastes fonds plats, de même que l’utilisation semblable et répétée de traits de pinceau rouge écarlate pour appuyer les figures représentées. Basquiat avait pour habitude de travailler sur plusieurs toiles en parallèle car les différentes couches de couleur avaient besoin de temps pour sécher.
Catalogue
Un catalogue est publié au Hatje Cantz Verlag, Berlin, en allemand et en anglais, retraçant le développement du concept d’exposition initial jusqu’à son abandon en 1982 et consacrant un court texte à chacun des tableaux créés à Modène. Il comprend des textes de Dieter Buchhart, Iris Hasler, Fiona Hesse, Michiko Kono, Regula Moser, Demetrio Paparoni et Jordana Moore Saggese.
Informations pratiques
Fondation Beyeler, Beyeler Museum AG, Baselstrasse 77, CH-4125 Riehen/Bâle, Suisse
Horaires d’ouverture de la Fondation Beyeler : tous les jours 10h00 – 18h00, le mercredi jusqu’à 20h00, le vendredi jusqu’à 21h00
Accès Depuis la gare SBB ou DB tram n°2 descendre à Messeplatz puis prendre le tram n°6 direction Grenze descendre à l'arrêt Fondation Beyeler
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