Jan Fabre – Ma nation : l’imagination

Jusqu’au 11 novembre 2018, la Fondation Maeght
accueille l’artiste belge Jan Fabre.
« le cerveau est la partie la plus sexy du corps humain « 
Jan Fabre

Jan Fabre, Sacrum Cerebrum XIII

L’exposition est consacrée à ses sculptures essentiellement
en marbre et à ses dessins traitant de la pensée, du corps,
de nos rêves et surtout, de nos imaginaires en dialogue
avec les découvertes scientifiques, avec l’esprit et le cerveau
qui deviennent une source, une terre, un personnage dont
nous vivons les aventures dans cette exposition, grâce à
des oeuvres notamment créées pour cet événement.
D’autres ont déjà été présentées aux  biennales de
Venise 2017 (vidéo) à l’Abbaye de San Gregorio.
et Venise 2009, 

Grand héritier du surréalisme et du baroque flamand,
comme de l’art dramatique et de la danse contemporaine,
on ne présente plus Jan Fabre, artiste plasticien protéiforme,
iconoclaste, se dit homme de la consilience,
créant des sculptures et des installations, grand dessinateur
et également artiste de la scène et auteur.
L’imagination s’est imposée d’emblée, comme thème
central. Observer de façon concentrée et intensive pour

en faire surgir un microcosme et pour y élever les insectes
au rang de chevaliers et de héros, transformant un monde
banal en un univers fantastique comme une faculté
miraculeuse de l’enfant. Pour Fabre elle incarne
l’essence même de l’imagination artistique. C’est magique.
Il y a 3 couleurs principales le blanc pour la pureté,
le doré pour la spiritualité, le bleu pour la robe de la vierge,
dans l’histoire de l’art et la croix c’est l’arbre de vie
Les tomettes du sol avec les murs blancs et les sculptures
en marbre de Carrare en font un ensemble très pur.

L’heure bleue est le moment pour Jan Fabre qui
précède l’aurore et la lumière du jour. C’est le moment
clé où les animaux de la nuit vont dormir et où ceux du jour
se réveillent où le silence est absolu, avant que tout n’éclate.
Le moment où Jan Fabre insomniaque créé. D’où les séries
au stylo bille bleu qui ornent les murs des salles.
Jan Fabre a conçu une exposition « sur-mesure » pour
la Fondation Maeght, une exposition qu’il a voulue spirituelle,
dans tous les sens du terme, à la fois onirique, grave, mais avec
l’ironie des jeux et l’humour à la manière de James Ensor.
Il fait dialoguer ses découvertes d’artiste avec celles de la science
et de l’histoire des arts.
Jan Fabre se veut à la fois
« guerrier et serviteur de la beauté ».
Son oeuvre répond à la beauté de la Fondation, qu’il considère
comme un haut lieu de la création, par sa scénographie, par la
beauté de ses sculptures où le marbre, la blancheur, les
opalescences, les transparences répondent aux associations libres
de ses dessins et de ses collages. C’est une danse de la pensée
et du corps avec les éléments, les autres règnes, les fictions les
plus surprenantes, qui se déploie ainsi dans la fondation.
Insectes, cerveaux, crânes, squelettes, les sujets obsessionnels
de Jan Fabre nous parlent de mort. Le gisant, une tradition
de la sculpture occidentale, sublime le corps pourrissant.
Jan Fabre revisite ces vanités avec dérision, nous invitant
à méditer sur la fragilité de la vie.

Les corps sont délicatement sculptés en marbre de Carrare
avec un grand réalisme. De talentueux marbriers de Carrare ont
réalisé les oeuvres d’après les idées et les croquis de l’artiste
qui ornent les différentes salles .
Poursuivant son dialogue entre art et science, Fabre représentent
deux scientifiques, Elizabeth Caroline Crosby (1918-1983),
neuro-anatomiste américaine et Konrad Lorenz (1903-1989),
biologiste et zoologiste autrichien. Deux explorateurs des mystères
du cerveau présentés comme des défunts royaux et qui,
selon l’artiste, ressemblent à ses parents,  Edmond Fabre et
Helena Troubleyn.

Allongée sur un matelas brodé, le corps de Lady Crosby
est couvert d’un léger voile. La femme semble endormie.
Un ver se glisse sous le tissu, signe de décomposition,
ou selon Jan Fabre, une allégorie de la fertilité. Le papillon
posé sur le visage de la défunte est un symbole de
résurrection comme les abeilles, araignées, scarabées.
Ces insectes ont le même rôle que les lions et les chiens
psychopompes (guides des âmes) aux pieds des sépultures royales.
Les gisants entourés chacun de 5 sculptures ont été conçus comme
dans une chambre funéraire. Les 10 petits gisants cerveaux
surmontés de leurs accessoires apparaissent comme une sorte
de galerie de portraits.
Autour des gisants, les cerveaux posés sur des socles sont comme
des globes, des univers. Ils sont coiffés d’insectes, délicat papillon
semblant butiner les circonvolutions de marbre ou araignée nichée
dans une feuille hésitants entre la vie et la mort.

Le point d’orgue est l’interprétation de la Piéta déjà
présentée à Venise 2015   à la Nuova Scuola Grande
di Santa Maria della Misericordia.
(voir la description sous le lien).
A St Paul c’est dans
la cour extérieure, cinq Piétas, monumentales, virginales,
sur un sol doré. L’agencement de l’ensemble de ces 5 oeuvres,
chacune dressée sur un bloc de marbre brut, invite les visiteurs
à une ascension spirituelle vers la Piéta V ( Merciful Dream).
C’est une pièce poignante inspirée de la Piéta de Michel-Ange.
Jan Fabre y substitue sa propre représentation à celle du
Christ, étendu mort sur les genoux de la Vierge, dont le
visage est remplacé par une tête de mort. De la main droite de
l’artiste tombe un cerveau. Ici on ne peut accéder aux oeuvres
comme à Venise, où cela était possible en enfilant des chaussons.
C’est tant mieux, car actuellement il n’est plus possible d’accéder
sereinement et pleinement à des oeuvres depuis que le monde
est atteint de selfite furieuse.
« Pour moi, il s’agit d’un triptyque : la science,
la religion et
l’art «  J F

Ce qui touche dans le travail de Jan Fabre, c’est la puissance
alliée à la fantaisie, la métaphore et la poésie, le goût des formes
animales et végétales. Le corps est son matériau de recherche
et il en repousse les limites sans cesse
. Le roi du plagiat :
Cette installation fait référence à une pièce de Jan Fabre
le Roi du Plagiat. Il est question d’un ange qui souhaite
redevenir humain. Pour y parvenir il doit se construire
un nouveau temple, se constituer un nouveau cerveau,
et un nouveau corps. A cet effet il va utiliser 4 pierres,
4 Stein (pierre en allemand) : Frankenstein – (la médecine
et l’invention de l’intelligence artificielle), – Gertrude Stein
(l’écriture), – Wittgenstein (la philosophie) Einstein (la science)

Hommage à Jacques Cousteau
Ce sont les cerveaux associés à des insectes, lui-même
étant le scarabée (papillons, araignées, abeilles) des animaux
( poissons, tortues, coraux,) des végétaux (fleurs, arbres,
fruits … ou des objets du quotidiens (souvent contondants.)

Pour Fabre une exposition est une mise en scène,
une dramaturgie, un acte spirituel. Il sait choisir avec
un rare bonheur ses lieux d’exposition,  des écrins qui
portent à la spiritualité.
« L’art tel que je le perçois est un moyen de défense de
la vulnérabilité de notre état d’humain, de défense de
la vulnérabilité de la beauté. »

Jan Fabre the Brain as a Heart

Fondation Maeght
623 Chemin des Gardettes
St Paul de Vence
ouvert tous les jours de 10 à 18 h

Ma vie est un roman

J’aurai du avoir un pressentiment lorsque j’ai acheté des produits
dans la boutique duty free. La vendeuse m’a rendu la facture en
précisant que je pouvais gagner 1 millions d’€ avec le code de
mon achat.
Ma réponse : « on peut toujours rêver »

Nous nous étions envolés sans encombre vers Nice pour aller
à St Paul de Vence avec la compagnie #EasyJet . Ce samedi, c’était le vernissage public de
l’exposition de Jan Fabre, en même temps que
la biennale internationale d’art à St Paul.

Le dimanche nous avons fait un tour dans le nouveau tram
de Nice inauguré la veille, dont l’arrêt se situait à proximité
de notre hôtel.
Nous sommes allés très tôt à l’aéroport le mardi matin,
afin de passer tranquillement l’enregistrement des bagages,
puis le contrôle. Il y a toujours foule.
Tout c’est bien passé malgré la longueur des procédures.
C’est là que j’en ai profité pour faire des achats au free taxes.
« Vous allez en vol direct ? » me dit la vendeuse ?
Point besoin de mettre vos produits dans un emballage scellé.
Les 4 flacons de 400 ml de lait pour le corps sont un peu lourds,
aussi je partage la moitié avec mon époux.
L’embarquement commence, nous nous présentons avec les
derniers passagers, les places étant attribuées, ce n’est pas la
peine de rester debout à se fatiguer pour rien, notre valise étant
en soute, nous n’avons pas le souci de la caser, dans le compartiment
à bagages de l’avion.
C’est là que l’aventure commence vraiment.
L’hôtesse refuse de me laisser embarquer.
Bloquée à l’embarquement d’Easyjet pour CI échue, merci
à mon voleur du mois de décembre.
J’avais repris une ancienne carte (CI) avec laquelle
je suis arrivée à Nice par les airs, avec laquelle
j’ai passé le checking pour enregistrer la valise.
A l’embarquement ça coince. La valise est enregistrée, j’imagine mon
passeport dans la valise, dans la panique.
Puis le souvenir de ma mésaventure de Londres revient à
ma mémoire, cela laisse des traces indélébiles.
Mon mari dans l’avion, moi je suis retardée.
Moi j’ai les clés de la voiture qui est à l’aéroport d’arrivée, dans mon sac.
Je fouille dans mon sac à dos, me souvenant que j’y avais mis mon
passeport, ne le trouvant pas, j’imagine l’avoir mis dans la valise,
pour éviter un vol ( entendre voleurs) Je tente de montrer la photo
de ma CI enregistrée sur mon Iphone,
il tombe parterre, tête de l’hôtesse, qui réprime à peine un orgasme.
Déçue elle constate qu’il n’est pas cassé.
Les hôtesses rappellent ma valise, pour récupération du passeport.
Non je ne fais pas une crise de nerf, j’en ai vu d’autres,
CI valable pendant 15 ans non ?
J’ai failli m’évanouir de contrariété, chose qui a du faire un
black-out de mon cerveau et c’est pourquoi une amnésie
temporaire m’a fait paniquer et oublier « Le détail »
qui aurait sauvé la situation,
dans ma tête :
n 1 à l’aller, tout c’était bien passé,
N 2 je me suis fait voler mon portefeuille en décembre
avec ma belle CI, j’ai préféré le mettre à l’abri pendant
le séjour à Nice
N 3 c’est tout à fait horrible, car dans l’énervement et
devant la détermination de l’hôtesse (qui a consulté le petit
chef, le moyen chef, et le grand chef) et la menace de
me faire embarquer par la police, j’ai eu un moment de panique,
terrorisée, une perte de mémoire, car mon passeport était
dans la poche cachée de mon sac à dos, ce gros fake !
N 4 cela a évité d’ouvrir la valise 😛
Mais trop tard

le passeport était dans la poche secrète
de mon sac à dos.

Mais si une armée d’hôtesses se ligue contre vous,
vous perdez la boule.
Si je l’ai rapporté ici, ce n’est pas pour me lamenter,
mais pour vous faire marrer,
Au prochain épisode …
En dehors du fait que j’ai passé 2 x à l’enregistrement, puis
2 X le contrôle, où j’ai du enlever au 2e passage ma montre
et mon bracelet Tschiegg, je n’ai pas eu à repayer le 2e vol,
ni à nouveau le bagage en soute.
J’avais 3 sièges pour moi toute seule, avec le couple qui a partagé
ma mésaventure, nous étions placés dans le fond de l’avion,
comme les mauvais élèves !
Comme c’était Ma journée d’étourderie, les voyages formant
la jeunesse et usant la vieillesse, si vous faites un achat en
free taxe, qu’il est sous scellés ou pas, s’il n’est pas admis
en cabine, si vous avez à repasser l’enregistrement des bagages
et que vous n’avez pas la présence d’esprit de mettre votre achat
dans la valise, suite au trauma subi, lorsque vous passez au contrôle,
vous avez le choix :
1 – abandonner votre produit
2 – ou utiliser Tripperty, qui moyennant finances vous expédie
votre achat à domicile, formulaire à demander au douanier
(bonne chance, s’il y en a un qui est au courant)
Le couple qui était mes compagnons d’infortune, était à l’aéroport
dès 10 h de matin, comme nous. C’est leur fille qui a enregistré
les bagages, le monsieur était en fauteuil,  bénéficiait
d’une assistance.
Comme pour moi, personne ne les a avertis du problème
de CI échue, car leur fille habitant Nice avait largement le
temps, de récupérer le bon papier à leur domicile, chose
qu’elle a faite, mais trop tard, puisqu’ils n’ont été prévenus
qu’à l’embarquement. A quelques chose malheur est bon,
puisque l’assistance, nous a accompagnés au tourniquet
pour récupérer les bagages, puis au comptoir d’EasyJet
pour les formalités du retour.

Bref j’arrive, je m’envole avec 5 h de retard, en compagnie
d’un couple qui a subi le même sort, mais qui n’a récupéré
qu’un seul bagage, l’autre doit voguer dans le nomansland
kafkaïen d’EasyJet
Il faut signaler que lorsque j’ai réservé le vol, la connexion SFR
était en panne, aussi j’ai tenté ma chance avec l’Iphone, où
j’ai bugué, au lieu de réserver le vol de 17 h pour le retour,
j’ai accepté le vol de 12 h dans la peur de ne plus trouver de
place dans l’avion, dans ma précipitation. Nous avons hésité
un moment devant le coût de la modification : 150 €.
puis raisonnable nous avons accepté la fatalité !
Aussi nous avons passé mon époux et moi-même, les 3
heures manquantes, chacun dans un aéroport séparé.
lui à Mulhouse/Bâle moi à Nice, en déjeunant sur le pouce
d’un repas « gastronomique » d’aéroport.
J’ai contrôlé si j’avais gagné le fameux million, le lien
ne fonctionne pas …
Les produits envoyés par tripperty sont arrivés en temps
et en heure

les titres de mes chapitres à venir
à trouver sous les liens respectifs et dans la catégorie
Chroniques de mon blog

TGV contre X
Une aventure de jeunesse
Musée Haut suivi de bas, une histoire capillotractée
Hans Hartung « le geste et la méthode »
voir dans les commentaires
Les voyages forment la jeunesse

 

Le journal Le Monde ayant décidé de mettre fin à l’hébergement des blogs, mon adresse de blog change à partir de ce jour, car j’ai du muter vers un nouvel hébergeur, qui malheureusement n’a pu conserver les images, juste le texte de mes articles.
la nouvelle adresse : https://elisabethitti.fr/

Chagall, Lissitzky, Malévitch. L'avant-garde russe à Vitebsk (1918-1922)

Jusqu’au 16 juillet 2018

L’exposition que consacre le Centre Pompidou à
l’avant-garde russe, de 1918 à 1922, prend pour cœur l’œuvre
de trois de ses figures emblématiques :

Chagall Au-dessus de la ville

Marc Chagall, El Lissitzky, Kasimir Malévitch.
Elle présente aussi les travaux d’enseignants et d’étudiants
de l’école de Vitebsk, créée en 1918 par Chagall :
Vera Ermolaeva, Nicolaï Souietine, Ilia Tchachnik,
ou encore Lazar Khidekel et David Yakerson.
À travers un ensemble inédit de deux cent cinquante œuvres
et documents, cette manifestation éclaire pour la première fois
les années post-révolutionnaires où, loin des métropoles russes,
l’histoire de l’art s’écrit à Vitebsk.
Commissaire : Mnam/Cci, Angela Lampe
Présentation par la commissaire d’exposition
Chagall, Lissitzky, Malévitch. L’avant-garde russe à
Vitebsk (1918-1922)
Marc Chagall Le peintre à la Lune

L’année 2018 marque le centième anniversaire de la nomination
de Marc Chagall au poste de commissaire des beaux-arts de
la ville de Vitebsk, située aujourd’hui en Biélorussie.
Cet événement, suivi de peu par l’ouverture de l’École populaire
d’art sous l’impulsion de l’artiste, ouvre une période fébrile
des activités artistiques en ce lieu. Parmi les artistes invités par
Chagall à enseigner dans son établissement figurent des
protagonistes majeurs de l’avant-garde russe, tels El Lissitzky
et Kasimir Malévitch, fondateur du suprématisme.
Maléwitch

Ce chapitre méconnu commence avec Marc Chagall.
Peintre vivant à Petrograd, cet ancien résident de la Ruche est
témoin de la révolution bolchevique qui bouleverse la Russie
au cours de l’année 1917. Le vote d’une loi abrogeant toute
discrimination nationale et religieuse lui confère pour la première
fois, à lui l’artiste juif, un statut de citoyen russe à part entière.
Chagall connaît alors une ivresse créative.
Chagall double portrait au verre de vin

Une série de chefs-d’œuvre monumentaux voit le jour. Chacun de
ces grands tableaux semble un hymne au bonheur du couple, comme
Double Portrait au verre de vin et Au-dessus de la ville montrant
les deux amoureux, Chagall et sa femme Bella, s’envolant vers les nuées,
libres comme l’air. Tout respire l’euphorie du moment.
Au fil des mois cependant, Chagall se sent dans l’obligation de venir
en aide aux jeunes Vitebskois en mal d’un enseignement artistique,
de soutenir ceux qui, comme lui, sont d’extraction modeste et d’origine
juive. Lui vient alors l’idée de créer dans sa ville une école d’art
révolutionnaire, ouverte à tous, sans restriction d’âge et gratuite.
Ce projet, qui inclut aussi la création d’un musée, incarne parfaitement
les valeurs bolcheviques ; il est validé en août 1918 par
Anatoli Lounatcharski,
chef du commissariat du peuple à l’instruction publique.
David Yakerson

Un mois plus tard, il nomme Chagall commissaire aux beaux-arts,
avec pour première mission d’organiser les festivités du premier anniversaire
de la révolution d’Octobre. Chagall invite tous les peintres de Vitebsk à
fabriquer des panneaux et des drapeaux à partir de dessins préparatoires,
dont un certain nombre ont survécu, notamment ceux de Chagall lui-même
et ceux du jeune David Yakerson.
David Yakerson

Dans son autobiographie, Chagall écrira plus tard :
« Par toute la ville, se balançaient mes bêtes multicolores, gonflées
de révolution. Les ouvriers s’avançaient en chantant l’Internationale.
À les voir sourire, j’étais certain qu’ils me comprenaient. Les chefs,
les communistes, semblaient moins satisfaits. Pourquoi la vache est-elle verte
et pourquoi le cheval s’envole-t-il dans le ciel, pourquoi?
Quel rapport avec Marx et Lénine ? »
Après les célébrations, le commissaire met toute son énergie
dans le développement de son école, qu’il veut ouverte
à tous les styles et avec un enseignement de haut niveau.
Il invite des artistes connus, vivant dans les métropoles
russes, tels Ivan Puni et Mstislav Dobuzhinsky, pilier du
groupe traditionnel Le Monde de l’art. Le 28 janvier 1919 a lieu
l’inauguration officielle de l’école. Chagall, admiré par ses élèves,
doit se démener pour assurer le bon fonctionnement de son
établissement. Tandis que les premiers professeurs quittent
déjà l’école, d’autres font leur arrivée comme Vera Ermolaeva,
future directrice, et surtout El Lissitzky qui prend en charge
les ateliers d’imprimerie, de graphisme et d’architecture.
Lissitzky

Il insiste auprès de son ami Chagall pour inviter le chef de file
des mouvements abstraits : Kasimir Malévitch.
Très vite après sa venue en novembre 1919, le charisme de ce
théoricien hors norme galvanise les jeunes élèves.
En peu de temps, ils forment ensemble avec des professeurs
adeptes du courant novateur un groupe baptisé Ounovis
(les affirmateurs du nouveau en art). Un de leurs mots d’ordre
est : « Vive le parti Ounovis, qui affirme les nouvelles formes
de l’utilitarisme du suprématisme »
.
Ounovis

Ce collectif conçoit alors affiches, magazines, banderoles,
enseignes et cartes d’alimentation ; le suprématisme infuse
dans toutes les sphères de la vie sociale. Ses membres mettent
en forme les fêtes et les œuvres scéniques, décorent les tramways,
ornent les façades, construisent les tribunes des orateurs.
Carrés, cercles et rectangles colorés envahissent les murs
et les rues de la cité. L’abstraction suprématiste devient le
nouveau paradigme esthétique non seulement à l’école,
mais du monde en général. Lissitzky, de par sa formation
d’architecte, y joue un rôle clé. Avec son ensemble extraordinaire
des Prouns (projets d’affirmation du nouveau en art),
il est le premier qui, dans ses toiles et dessins, étale le volume
architectural au plan pictural des suprématistes, le considérant
comme « les stations de liaison entre la peinture et l’architecture ».
El Lissitsky, Tribune de Lénine

Durant ses années à Vitebsk, Malévitch, quant à lui, se consacre
moins à la réalisation des peintures –
Maléwitch

une exception étant son magistral Suprématisme de l’esprit
qu’à la rédaction de ses principaux écrits théoriques et à son enseignement.
Méthodique et stimulant, celui-ci séduit toujours plus d’étudiants,
de sorte que Chagall s’en trouve de plus en plus isolé.
Son rêve de faire coexister dans son école un art révolutionnaire
indépendamment du style, principe fusionnel qui l’a guidé autant
dans la constitution de la collection de son musée que dans
l’organisation de la première exposition publique en décembre 1919,
où les toiles de Vassily Kandinsky et Mikhaïl Larionov côtoient
les œuvres abstraites d’Olga Rozanova, se brise au cours du
printemps 1920. Ses classes se vidant peu à peu de leurs étudiants,
Kandinsky

Chagall décide en juin de quitter Vitebsk pour s’installer à
Moscou. Il gardera rancœur à Malévitch qu’il accuse d’avoir intrigué
contre lui. Les œuvres qu’il réalise alors tel son Paysage cubiste
se lisent comme un règlement de comptes avec les suprématistes
sur un mode moqueur, voire ironique : au centre d’une composition
cubo-futuriste, sous un parapluie vert, un tout petit personnage
(Chagall lui-même ?), ultime survivant de son humanisme poétique,
marche devant le bâtiment blanc de l’école.
Chagall, Paysage Cubiste

Après le départ de Chagall, Malévitch et le collectif Ounovis,
seuls maîtres à bord, travaillent à
« l’édification d’un monde nouveau ». Des expositions collectives
sont organisées, à Vitebsk et dans les métropoles russes ; des comités
locaux sont instaurés à travers le pays, comme le groupe Ounovis
à Smolensk autour de Vladislav Strzeminski, et Katarzyna Kobro,
à Orenburg avec Ivan Koudriachov, et à Moscou où Gustav Klutsis
et Sergei Senkin sont rejoints par Lissitzky qui rallie à l’hiver 1920
le nouveau mouvement constructiviste. Avec la fin de la guerre civile
vers 1921/1922, le climat politique change : les autorités soviétiques,
cherchant à instaurer l’ordre qui leur est nécessaire dans la sphère
idéologique et sociale, amorcent une éviction des courants artistiques
qui ne servent pas directement les intérêts du parti bolchevique.
Maléwitch

En mai 1922, la première et dernière promotion sort de l’école
populaire d’art de Vitebsk. Durant l’été, avec plusieurs de ses
étudiants, Malévitch part à Petrograd pour y poursuivre ses
réflexions sur un suprématisme volumétrique en élaborant
les maquettes d’une architecture utopiste, intitulées
Architectones ainsi que des ustensiles en porcelaine.
L’école populaire d’art de Chagall s’est mue en un laboratoire
révolutionnaire pour repenser le monde.
Angela Lampe
France Culture podcast

Sommaire du mois de juin 2018

Art Basel 2018

02 juin 2018 : Zao Wou-Ki L’espace est silence
04 juin 2018 :
Fondation Fernet Branca – Collection David H.Brolliet
09 juin 2018 :
Utopia House | Rhin – Rhône, le retour
16 juin 2018 : Art Basel 2018
17 juin 2018 :
James Turrell. The Substance of Light
18 juin 2018 :
DAVID NASH « NATURE TO NATURE »
19 juin 2018 :
L’IMPERMANENCE , Fondation Fernet Branca
20 juin 2018 : Les artistes robots
23 juin 2018 :
Tsuguharu Foujita, un japonais à Paris
29 juin 2018 :
Ernesto Neto, GaiaMotherTree

Tsuguharu Foujita, un japonais à Paris

Jusqu’au 15 juillet 2018, le Musée Maillol à Paris,
présente une exposition consacrée à l’artiste japonais,
naturalisé français, Léonard Tsuguharu Foujita.
Plus d’une centaine d’oeuvres majeures, issues de
collections publiques et privées, retracent le caractère
exceptionnel des années folles de Foujita à Montparnasse,
entouré de ses amis Modigliani, Zadkine, Soutine,
Indenbaum, Kisling ou Pascin.
L’exposition se concentre sur la première période
parisienne de l’artiste, très productif entre 1913 et 1931.
L’exposition retrace l’histoire d’un destin unique,
celui d’un artiste évoluant entre deux cultures.
De ses prémices au Japon, en passant par son ascension
et la révélation de son oeuvre, son parcours le mènera
jusqu’à la création de ce personnage si singulier dans
le contexte parisien des années folles.

Ses thèmes récurrents – femmes, chats, natures mortes,
enfants et autoportraits – sont spécifiques du
foisonnement de sa production artistique.
Foujita traverse les grands courants modernistes sans
dévier de son schéma de recherche, respectueux de ses
racines japonaises et du classicisme des grands
maîtres occidentaux.

Ses oeuvres en appellent d’autres, celles de ses voisins
d’atelier, ses amis, admirateurs et inspirateurs, pour
un dialogue enrichissant permettant de mesurer
l’originalité et la complémentarité des artistes regroupés
sous l’appellation « École de Paris ».

Les oeuvres majeures en provenance d’institutions
et de musées remarquables et une centaine d’oeuvres
rares de quelques 45 collections privées en provenance
du Japon, des États-Unis et d’Europe, concourent à
souligner à la fois l’extraordinaire génie créateur de
Foujita et à inviter le visiteur à découvrir l’intimité
d’un artiste surprenant.

Les deux diptyques monumentaux, Combats I et II et
Compositions au lion et au chien datés de 1928,
prêts du Conseil Départemental de l’Essonne, coeur
des Années Folles et de l’exposition, démontrent la
puissance virtuose de Foujita et l’impact qu’il eut sur
son époque. Ces grands formats, confiés par Foujita
à sa femme Youki, étaient considérées par l’artiste
comme ses tableaux les plus aboutis.

L’exposition démontre le talent de l’artiste fou de
dessin qui, après son illustre prédécesseur Hokusai,
maniait le pinceau avec brio. Le trait de Foujita se révèle
d’une sureté infaillible et ses lignes d’une finesse
calligraphique exemplaire avec l’utilisation du sumi
(encre noire japonaise) autant sur le papier que pour
ses huiles. Il laisse à la couleur un rôle secondaire mais
si décisif qu’elle en sublime le trait. La délicatesse de
la gouache et de l’aquarelle emplit les formes par aplat,
pour des transparences subtiles lorsqu’il s’agit de peinture
à l’huile. Ses fonds d’or renforcent quant à eux
l’impression de préciosité et de raffinement.

Cinquante ans après la mort de Foujita en 1968,
le musée Maillol met à l’honneur l’oeuvre lumineuse
et rare du plus oriental des peintres de Montparnasse.
Le musée est ouvert de 10h30 à 18h30, tous les jours
en période d’exposition temporaire.
Nocturne le vendredi jusqu’à 20h30.
En métro : Ligne 12, station Rue du Bac
En bus : Lignes 63, 68, 69, 83, 84, 94 et 95

Les artistes robots

Jusqu’au 9 juillet au Grand Palais
Cette exposition invite tous les publics à expérimenter
des oeuvres créées par des artistes à l’aide de robots
de plus en plus intelligents. Une trentaine d’oeuvres
nous donne accès au monde virtuel immersif et interactif,
à l’expérience sensible du corps augmenté, de l’espace et
du temps bouleversés.

Dans une société de plus en plus machinisée, les artistes
s’intéressent d’autant plus aux robots que l’intelligence
artificielle est en train de bouleverser l’existence des humains
et jusqu’à la condition de l’oeuvre d’art : sa production, son
exposition, sa diffusion, sa conservation, sa réception.
À ce jeu dangereux, ils ont une longue expérience :
depuis les grottes préhistoriques, les artistes ont su jouer
de leur milieu technique. Leur travail est d’autant plus
surprenant qu’ils ont à leur service des logiciels de plus en
plus puissants, qui donnent à l’oeuvre une autonomie de
plus en plus grande, une capacité de générer des formes à
l’infini et une interactivité qui modifie le jeu en permanence.
Les oeuvres contemporaines présentées ici autour de
quelques icônes de visionnaires

(Tinguely, Schöffer, Molnar, Mohr ou Xenakis)
donnent une bonne idée des interrogations des artistes qui sont
aussi les nôtres :
qu’est-ce qu’un artiste ? Qu’est-ce qu’une oeuvre ?
Que peut bien faire un robot que ne peut pas faire artiste?
S’il est doté d’une intelligence artificielle, un robot a-t-il
de l’imagination? Qui décide : l’artiste, l’ingénieur, le robot,
la regardeuse, le regardeur, tous ensemble ? Peut-on parler
d’une oeuvre collective ?
L’exposition se déroule selon trois séquences :
1. La machine à créer
Les robots s’activent et leurs mouvements sont parfois si
drôles et si « physiques » qu’on leur prêterait volontiers
une dimension animale ou humaine, voire une « psychologie ».
Jean Tinguely, Nam June Paik, Nicolas Schöffer,
Leonel Moura,

Patrick Tresset, So Kanno et Takahiro Yamaguchi,
J. Lee Thompson, Arcangelo Sassolino.
Patrick Tresset, Human Study


2. L’oeuvre programmée
Le robot devient invisible, son programme informatique et
algorithmique intègre l’oeuvre et tout savoir-faire disparaît
au profit de la magie des formes générées à l’infini et qui
changent en fonction des mouvements du corps des
regardeuses et des regardeurs.

Manfred Mohr, Vera Molnar, Iannis Xenakis,
Demian Conrad, Raquel Kogan, Ryoji Ikeda,
Pascal Dombis,

Elias Crespin, Jacopo Baboni Schilingi, Edmond Couchot
et
Michel Bret, Miguel Chevalier, Joan Fontcuberta,
Michael Hansmeyer
et Peter Kogler.

3. Le robot s’émancipe

Le Deep Learning rend le robot de plus en plus intelligent
et actif au point qu’il peut non seulement rivaliser
avec l’humain mais l’augmenter, fusionner avec lui,
le narguer, le doubler ?

Christa Sommerer et Laurent Mignonneau,
Catherine Ikam

et Louis Fléri, Stelarc, Nicolas Darrot, Fabien Giraud et
Raphaël Siboni, Koji Fukada, Oscar Sharp, Daft Punk,
Pascal Haudressy, Memo Akten, ORLAN,
Takashi Murakami.

Des oeuvres immersives, des tableaux, des sculptures, des mobiles,
du cinéma, du design, et de la musique: toutes les créations
présentées dans cette exposition sont le fruit de collaborations
entre des artistes et des programmes robotiques inventés
et mis au service de l’art. Des programmes informatiques non
seulement intelligents, mais aussi génératifs de formes et
de figures inédites qui donnent à voir et à penser.
commissariat : Laurence Bertrand Dorléac, historienne de l’art,
Sciences Po
et Jérôme Neutres, directeur de la stratégie et du développement
à la Rmn-Grand Palais
conseil artistique : Miguel Chevalier, artiste
direction technique : Nicolas Gaudelet
scénographie et mise en lumière : Sylvie Jodar, Atelier
Jodar Architecture

graphisme : Éricand Marie

DAVID NASH « NATURE TO NATURE »

En ouverture de son exposition d’été la Fondation
Fernet Branca, présente des oeuvres de David Nash
jusqu’au 30.09.18


Né le 14 novembre 1945 à Esher en Angleterre,
David Nash est un sculpteur et dessinateur britannique
qui vit depuis 1967 dans la ville de Blaenau Ffestiniog
au nord du Pays de Galles. David Nash fréquente le Kingston
College of Art puis la Chelsea School of Art ou il travaille
essentiellement le bois en gardant un vif intérêt pour les
paysages et la nature qui l’entoure. Son travail est présenté
à la galerie Abbot Hall Art à Kendal au Royaume-Uni,
à la galerie Lelong de Zurich, à Sala de la Diputacion en
Espagne, à la galerie Annely Juda Fine Art de Londres et dans
les jardins botaniques royaux de Kew à Londres.

Membre de la Royal Academy depuis 1999, son oeuvre est
largement représentée dans les principaux musées d’Europe,
d’Amérique, d’Australie et du Japon. Parmi ses oeuvres les
plus célèbres, on compte Ash Dome (1977) : il plante un cercle
de frênes pour former un dôme en bois, son emplacement
est gardé secret pour en protéger l’environnement délicat.
Pour Wooden Boulder(1978), Nash dépose une large boule
de bois sur le flanc d’une montagne galloise afin qu’elle puisse
être reprise par la nature petit à petit puis par l’océan
Atlantique après de nombreuses années.

Le travail de David Nash s’appuie sur des « oeuvres vivantes »,
met en avant les changements de la nature, de l’érosion, des saisons,
« qui dépasse celui dont l’homme, en moyenne, dispose ».
Il travaille les matériaux naturels et les arbres vivants.
Il sculpte ses oeuvres avec des tronçonneuses et des chalumeaux,
transformant des arbres en formes inattendues. Chez Nash,
c’est le bois (le tronc, la branche, la souche) qui guide l’artiste.
Il lui suggère une sculpture qui évolue au cours du travail
en taille directe. « They look at me » (Ils me regardent)
dit l’artiste en parlant des matériaux qu’il a à sa disposition
et c’est de cette interpellation, confrontation, conversation que
va naître l’oeuvre. Le dessin vient après. Le bois reste son
matériau de prédilection, celui de la création première.
Mais le bronze – travaillé à partir du bois devient une façon
de réaliser des oeuvres jouant des vides du bois ou de conférer
une puissance durable et monumentale à des oeuvres fragiles.

On retrouve dans les oeuvres exposées des formes issues
de notre environnement, à plat ou en volume, à peine modifiées,
agrandies, épurées, détachées de leur usage et occupant
l’espace pour elles-mêmes. Des colonnes, des pics et des
montagnes, des torses ou des troncs… simplement, sans
ornements.
Exposition en collaboration avec Galerie Lelong & Co.,
Paris et Annely Juda Fine Art, Londres.

Zao Wou-Ki L'espace est silence

Jusqu’au 6 janvier 2019 au musée d’Art Moderne
de la Ville de Paris.
L’espace est silence,
phrase qu’ignoraient totalement
mes voisins de TGV ce 31 mai. Assis dans le carré qui
juxtapose mon solo, ils étaient tout à leur joie d’aller
à Roland Garros. Ils se sont entretenus de manière
très sonore de Belfort à Paris. Malgré les écouteurs,
qui permettent d’amortir les bruits, cela a été une rude
épreuve pour moi, qui n’avait pas dormi durant la nuit
qui a précédé mon A/R.

Cela ne s’est pas arrangé à l’heure du déjeuner au Palais
de Tokyo, où malgré la table presque isolée qui m’avait été
aimablement attribuée, la personne de la table d’à côté
s’est entretenue avec sa voisine, pendant tout le déjeuner,
sans interruption, sur ses projets d’exposition. Point
besoin de porte-voix …. Un moment donné, elle s’est plainte
de ne pouvoir manger depuis quelques temps, car elle digérait
mal. Je me suis retenue de la conseiller : un repas calme, sans
avaler trop d’air, permet une bonne digestion.

Ceci dit.
L’entrée du MAM, est à présent, côté Seine : 12-14 avenue
de New York 75116 Paris, pendant les travaux de rénovation.
Zao Wou-Ki L’espace est silence
L’exposition du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
est la première grande exposition consacrée à Zao Wou-Ki
(1920-2013) en France depuis quinze ans. Si son oeuvre est
aujourd’hui célèbre, les occasions d’en percevoir la complexité sont
demeurées trop rares à Paris. L’exposition souhaite en renouveler
la lecture et invite à une réflexion sur le grand format.

Le parcours débute au moment où Zao Wou-Ki adopte une expression
nouvelle, « abstraite » – terme trop restrictif à ses yeux – avec
l’oeuvre de 1956 intitulée Traversée des apparences.
Cette étape décisive précède un premier séjour aux Etats-Unis,
l’année suivante, qui le conforte dans la quête d’un espace toujours
plus vaste.
Artiste au croisement de plusieurs mondes, Zao Wou-Ki quitte la
Chine en 1948 pour venir à Paris au moment où l’« art vivant »
commence à se partager entre les États-Unis et la France.
Son oeuvre traverse les débats esthétiques qui marquent le
développement de l’art moderne et, s’il appartient à une scène
parisienne qu’il apprécie, il perçoit très tôt la vitalité de la peinture
américaine. Progressivement, il renoue aussi avec certains traits de
la peinture chinoise dont il s’était écarté de façon volontaire.

Zao-Wou-ki, Hommage à Henri Michaux

Zao Wou-Ki n’aime pas le mot « paysage » auquel il préfère celui de
« nature ». Ses rapports avec le monde extérieur sont faits de
découvertes et de voyages, de rencontres fécondes dont les premières
furent avec Henri Michaux et le compositeur Edgar Varèse.
Zao Wou-ki Hommage à Edgar Varèse

d’attraction permanents, comme une tension nécessaire
avec la peinture –
donnant sens, à mesure que son art
s’affirme, à l’expression que
l’artiste a inspirée très tôt
à Michaux : L’espace est silence.

En insistant sur la portée universelle de son art et sur sa place
aux côtés des plus grands artistes de la deuxième moitié du
XXe siècle, le Musée d’Art moderne présente une sélection
de quarante oeuvres de très grandes dimensions
dont
certaines, comme un ensemble d’encres de 2006, n’ont jamais
été exposées
. Cet ensemble a été conçu pour un projet non abouti,
pour un rideau de théâtre de l’opéra de Pékin, construit par le français
Paul Andreu

En 1972, la disparition et le souvenir de sa 2e épouse ont inspiré
une oeuvre que le peintre a offert à l’Etat. Elle fait suite à une autre oeuvre
Nous Deux, 1957, qui marquait la séparation avec sa 1ere épouse
Lang Lang. Celle-ci marque aussi l’arrêt provisoire de la peinture, causé
par la douleur, pour reprendre plus tard les encres.
Zao Wou-ki en Mémoire de May

Quelques très grandes toiles et triptyques rendent hommage à
Claude Monet, Henri Matisse, à André Malraux.

Le temple des Han, fusionne peinture chinoise et occidentale, sur un fond
monochrome à l’huile, avec un trait noir d’un noir profond.
C’est une rêverie qui s’inspire, sur l’héritage du passé,
d’un décor funéraire Han de Liaoyang.

Un catalogue de l’exposition est publié aux éditions Paris Musées
(157 pages, 35 euros).
L’exposition bénéficie du soutien de la Fondation Zao Wou-Ki

 

UTOPIA HOUSE

C’est ce lundi 7 mai jusqu’au jeudi 10 mai 2018

« La meilleure façon de s’approprier cet espace, c’était
de le faire ensemble »
Jan Kopp
Venez saluer Jan Kopp et son équipage le long du trajet !
Utopia House franchira deux écluses mulhousiennes :

Utopia House
photo Clarisse Schwab

→ 10 h – 10h30 : écluse 41 (au niveau du pont de Bâle)
→ 10h45 – 11h15 : écluse 39 (après la passerelle piétonnière
du Hasenrain)
L’embarcation sera visible par la suite sur les bords du canal
du Sud Alsace entre Mulhouse et Dannemarie,
n’hésitez pas à suivre l’équipage à pieds ou à vélo…
et profiter du soleil printanier pour un pique-nique bucolique !

En 2016, La Kunsthalle a invité l’artiste Jan Kopp à collaborer
avec les élèves du Lycée professionnel Saint-Joseph de Cluny
à repenser avec et pour eux, leur foyer, lieu de vie et d’échange.
Jan Kopp a choisi d’élargir son étude à la question de l’habitat,
de réfléchir à la problématique de l’hébergement d’urgence,
à la crise du logement, aux besoins d’architectures alternatives…
Les recherches et expérimentations que les élèves ont menées
durant des ateliers sont venues nourrir Utopia House, une œuvre
capable de naviguer sur l’eau en présence des lycéens pour être
par la suite renversée et devenir le toit d’un foyer des élèves.
Cette navigation constitue une des étapes du projet
Utopia House qui mobilise de nombreux partenaires locaux,
dont le Lycée des métiers du BTP Gustave Eiffel de Cernay
qui a construit l’embarcation de 14m de long sur 5m de large.
Utopia House naviguera jusqu’à Lyon entre le 7 et le 20 mai
sur le canal du Rhin au Rhône puis sur la Saône pour un trajet
de 417 km et passera 126 écluses pour y être présentée par
la Fondation Bullukian, du 29 au 31 mai, sur les quais du Rhône.
A la fin du mois de juin, Utopia House remontera le canal
du Rhône au Rhin et sera exposé à La Kunsthalle Mulhouse
dans le cadre de l’exposition Mon Nord est ton Sud,
du 13 septembre au 11 novembre 2018.
Feuille de route pressentie :

J1 → lundi 7 mai à 9h30 : d’Illzach à Wolfersdorf/Dannemarie
J2 → mardi 8 mai : de Wolfersdorf/Dannemarie à Montbéliard
J3 → mercredi 9 mai : de Montbéliard à L’Isle sur le Doubs
J4 → jeudi 10 mai : de l’Isle sur le Doubs à Baume les Dames
J5 → vendredi 11 mai : de Baume les Dames à Besançon Tarragnoz
J6 → samedi 12 mai : de Besançon Tarragnoz à Ranchot
J7 → dimanche 13 mai : de Ranchot à Choisey
J8 → lundi 14 mai : de Choisey à Seurre
J9 → mardi 15 mai : de Seurre à Tournus Chardonnay
Pause → du mardi 15 mai au soir jusqu’au samedi 19 mai au matin
J10 → samedi 19 mai : de Tournus Chardonnay à Trevoux
J10 → dimanche 20 mai : de Trevoux à Lyon

« Mon idée est de construire un espace démontable et
capable de naviguer. Je souhaite donner à cette « maison »
une première vie en tant qu’installation itinérante pouvant
accueillir un certain nombre d’élèves […] pour réaliser
un voyage d’une dizaine de jours sur le canal du Rhin
au Rhône. […] Ce qui m’intéresse également, c’est la
question de l’âge des futurs usagers de ce lieu : ce sont
des jeunes à l’aune de l’âge adulte et le voyage pourra,
pourquoi pas, être imaginé comme un voyage initiatique. »

Jan Kopp

Jan Kopp est né en 1970 à Francfort (Allemagne) et vit à Lyon.
Son travail recourt à différents médias : dessin, son, vidéo,
sculpture, performance, sans en privilégier aucun, et résiste à
toute tentation de spécialisation comme toute tentative de
classification. Il se déploie aussi bien à travers de vastes
installations conçues au regard des espaces qu’elles occupent,
que sous des formes plus discrètes telle que du crayon sur papier.

La ville est un thème récurrent, autant comme lieu possible
d’intervention que d’observation pour en déceler et figurer
les plus infimes signes poétiques.
Jan Kopp enseigne depuis 2015 à l’École Supérieure d’Art de
Clermont Métropole. Il est représenté par les galeries Eva Meyer,
Paris et Laurence Bernard, Genève.

Ses oeuvres ont été présentées au travers de nombreuses
expositions personnelles et collectives dans des institutions reconnues :
Centre Pompidou – Paris (2015) ; Centre d’art La Criée (2013) ;
Frac Alsace (2008) ; Biennale de Lyon (2001) ; PS1/MoMa – New-York (2000).

www.jankopp.net

La Presse :

les principaux articles
Depuis le lancement en septembre 2016 à l’écomusée d’Alsace,
la presse suit attentivement Utopia House.

Reportages TV
Extrait du JT de France 3 Haute-Alsace – 19.04.2018

Reportage du journal L’Alsace – 19.04.2018

Extrait du JT de France 3 Haute-Alsace – 27.04.2017

Extrait du JT de France 3 Haute-Alsace – 16.12.2016

Extrait du JT de France 3 Haute-Alsace – 05.12.2016

Presse écrite

En 2018

Journal L’Alsace,
« Utopia House, un rêve qui avance bien », 18 avril 2018

Jean Fautrier Matière et lumière

Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris rend
hommage à Jean Fautrier (1898-1964), à travers une grande
rétrospective jusqu’au 20 mai 2018.

De Jean Fautrier je ne connaissais que les têtes d’otages,
sortes d’empâtements, je découvre avec surprise
qu’il était aussi figuratif à ses débuts, qu’il a interrompu
sa carrière de peintre, pour devenir moniteur de ski et
Hôtelier dans les Alpes.

Bien que peu connu du grand public, Jean Fautrier (1898-1964)
est l’un des artistes majeurs du XXème siècle. Il appartient à
la génération venue à l’art après le fauvisme, le cubisme et
les avant-gardes qui en sont immédiatement issues. Comme
Alberto Giacometti, Jean Dubuffet, Lucio Fontana ou
Henri Michaux , il s’est engagé dans une nouvelle direction
qui, chez lui ,s’est dessinée très tôt. La première partie de
son oeuvre est une des plus saisissantes de l’entre-deux-
guerres, dont elle reflète les drames et les tensions.
Son oeuvre évolue de façon spectaculaire dès la fin des années
1920, au point malgré lui, de faire de Fautrier l’inventeur de
l’art informel – dont l’influence sera considérable.
L’artiste refusera toujours que la peinture– ou la sculpture,
parce qu’il est aussi un grand sculpteur – ne soit plus en
prise avec la réalité.

La peinture de Fautrier repose sur la matière, à la fois
souvenir du sujet et réalité personnelle. Articulée au moyen
de nuances de lumières et de couleurs, elle est, dès les débuts
réalistes de l’artiste, une suite d’inventions picturales qui
marquera les esprits.
Fautrier était étroitement lié à de grands auteurs de son
temps, notamment André Malraux, Jean Paulhan ou
Francis Ponge, qui ont accompagné son oeuvre avec ferveur.
En 1946, Ponge compare la forte personnalité de Picasso à
celle de Fautrier, dans laquelle il reconnaît le double :
« Après Picasso : masculin, léonin, […], Fautrier représente
le côté de la peinture féminin et félin 1 […]. »
Pour lui, ce dernier ne faisait pas qu’apposer un énième
tableau au mur ; son oeuvre était bien plus puissante :
«Il est clair que Fautrier a une autre ambition.
Il veut rompre le mur
»
et donc ouvrir l’art vers de nouvelles perspectives.
Cette exposition est la troisième rétrospective Fautrier
organisée par le Musée d’Art moderne de la Ville
de Paris
depuis le printemps 1964, après que l’artiste fit
– juste avant de mourir –une importante donation au Musée.
La deuxième, d’envergure également, eut lieu en 1989.
Celle d’aujourd’hui, presque trente ans plus tard, est une reprise
augmentée de la rétrospective que proposa à l’automne 2017
le Kunstmuseum Winterthur (Suisse).
Avec près de cent quarante peintures, un corpus
représentatif d’oeuvres sur papier et plus de
vingt-cinq sculptures –soit presque la totalité de la
production sculpturale de
l’artiste –,
cette exposition permet de donner une juste vue de
l’oeuvre de Fautrier.

1. Les débuts : 1922–1925
Le parcours artistique de Jean Fautrier débute en 1920,
lorsque ,réformé par l’armée, il s’installe à Paris. Outre
la peinture, il expérimente les arts graphiques (gravure sur
bois et lithographie) qui seront déterminants pour la réalisation
de ses premières toiles. Laissant libre cours à un réalisme
sarcastique, l’artiste dépeint ses sujets de façon impitoyable.
Il tire ses thèmes de la vie des gens d’origine modeste, comme
les habitantes du Tyrol –un souvenir de ses séjours à la montagne –,
où le primitivisme de la peinture rejoint la laideur flagrante
des modèles. Dans  Portrait de

ma concierge (1922) ou Trois VieillesFemmes (vers 1923)
– des patientes de la Salpêtrière –, l’accent est mis su r les traits
des visages et les mains surdimensionnées, apportant ainsi
de la sévérité et de la profondeur à ses portraits.
En 1925, Fautrier, inspiré par sa compagne Andrée Pierson,
s’attaque au nu pour la première fois, à travers des pastels
et des peintures.
Grâce à la représentation du corps et de l’espace seulement
esquissé, la présence du sujet fait émerger la virtuosité picturale.
Fautrier ne suit pas la manière du postimpressionnisme,
pas plus qu’il ne marche dans les pas de l’avant-garde cubiste,
et ignore les jalons posés par le néoclassicisme. Ses tableaux se
rapprochent plutôt des tonalités sombres de la peinture flamande,
ou de celle de son ami et professeur
Walter Sickert, rencontré lors de ses études à Londres.
«Je me refusais à entrer dans une école quelconque, cubiste ou autre.
J’estimais que le cubisme était une chose finie, et le surréalisme,
qui était à la mode alors, également une chose finie […].»
2. Période noire : 1926–1927
En 1926, des randonnées dans les Hautes-Alpes – dans le Tyrol ou
en Savoie – inspirent à Fautrier des paysages de glaciers.
Ces oeuvres sont d’une intensité jamais vue jusqu’alors.
Par le traitement de la matière et de la lumière, elles
annoncent la «période noire », qui n’aura pas d’équivalent à son
époque. Cette peinture est une évocation simple du sujet,
abordé de manière frontale, parfois brutale, avec l’application
raffinée de quelques empreintes colorées dans un monochrome
sombre. Le peintre place les éléments de ses natures mortes
sur une surface à l’intérieur de l’image, anticipant probablement
le fond à venir. Le brun cuivré pâteux suffit à suggérer le corps
du lapin écorché, le vert vibrant la surface des poires, ou le noir
profond la présence énigmatique d’un sanglier abattu et suspendu.
Chaque sujet prend une dimension saisissante; ce ne sont
plus des choses ou des êtres qui sont représentés, mais la réalité
essentielle de leur présence au monde. Leur apparence
subtile mais aussi le choix des sujets font penser que ces oeuvres
ont été réalisées en référence aux natures mortes de la
peinture française du XVIIIème siècle. Chardin est, dès cette
époque, une grande source d’admiration pour Fautrier. Ces
tableaux valent à l’artiste ses premiers succès commerciaux.
Ils attirent l’attention des marchands d’art Paul Guillaume et
Léopold Zborowski: le premier lui fait signer un contrat, tandis
que le second l’expose aux côtés de Modigliani, de Kisling et de
Soutine. Les nombreuses versions des mêmes sujets, tels ses
Nus noirs, sont un signe de l’intérêt grandissant du public pour
le travail de Fautrier, dont la répétition en série laisse transparaître
son univers érotique.

3. Port-Cros : 1928
En 1927, la peinture de Fautrier évolue du noir vers un gris
plus doux («période grise»). Les formes deviennent plus
suggestives comme dans ses nus monumentaux qui émergent
dans une semi-pénombre. Un séjour sur l’île de Port-Cros, au
large d’Hyères, en 1928, marque une césure dans l’oeuvre de
Fautrier. Sa palette s’éclaircit, ses aplats de couleur se font
encore plus pâteux. C’est tout particulièrement vrai dans son
chef-d’oeuvre de la période, Forêt (collection du musée de
Karlsruhe), où les troncs d’arbres perdent de leur matérialité,
au profit des intervalles qui les séparent, massivement remplis
d’un jaune froid, tandis que dans les cimes, le trait ondule et
s’émancipe en une arabesque libre. Le paysage permet à
Fautrier d’obtenir une représentation graphique qui se détache
du sujet.
C’est également à ce tournant de sa peinture qu’il sculpte son
premier corpus d’oeuvres: quelques bustes et diverses petites
statues. Dans ces sculptures-peintures, toujours représentées
frontalement, la déformation déjà à l’oeuvre dans son travail
pictural, trouve son prolongement de manière très explicite.
Dans ces bustes, on retrouve le traitement pâteux des surfaces
peintes, les détails se fondant dans la matière, traitée de façon
imparfaite. Ces oeuvres rappellent celles d’autres
peintres-sculpteurs, notamment Degas, dont les sculptures ont été
découvertes dans les années 1920, ou Matisse, dans la déformation
émancipée des parties du corps
.
4. Illustrations pour L’Enfer de Dante et paysages :
1928–1940

L’apport de l’expérience de Port-Cros transparaît dans la série
de lithographies que Fautrier prépare à partir de 1928 en vue
de la publication d’une édition illustrée de L’Enfer de Dante.
Si la proposition de collaborer avec les éditions Gallimard vient
d’André Malraux, c’est l’artiste lui-même qui choisit, après
réflexion, ce poème comme point de départ à son travail. Les études
au pastel pour cette suite lithographique ont été en grande partie
perdues, et l’éditeur ayant renoncé au projet en raison du
caractère trop abstrait des illustrations de Fautrier, seules les
épreuves subsistent. Mais ces lithographies ne sont en aucune
façon abstraites: on reconnaît des sujets déjà abordés auparavant,
dans lesquels l’artiste fait un pas supplémentaire et
fondamental vers un emploi libéré de la couleur, et une ébauche
schématique de la nature et des figures. Désireux, comme il
l’expliquera plus tard, de s’affranchir du genre photographique,
du mimétique, et ne sachant rien des abstractions d’un
Kandinsky, il ne se permet pas encore de faire quelque
chose de complètement «informel». Les petits formats sur papier,
réalisés de 1928 à 1940, montrent que le sujet du paysage
lui offre la possibilité, paradoxalement, de s’écarter davantage de
la représentation naturaliste. Ces travaux étant à peine datés,
il est difficile de déterminer quand ils ont réellement été
exécutés.
Le Petit Paysage de 1940 témoigne encore de la
fascination de Fautrier pour la désagrégation des contours à
travers un tracé libre, l’idée maîtresse qui l’avait conduit dans
ses illustrations pour L’Enfer.
5. Dessins : 1930–1960
Bien qu’étant un dessinateur hors pair, Fautrier ne se remet
vraiment au dessin et au pastel qu’à partir du milieu de la guerre.
Il a en effet obtenu en 1942 une commande pour réaliser les
illustrations qui accompagneront le poème Lespugue de Robert
Ganzo, puis une autre pour deux ouvrages de Georges Bataille
(Madame Edwarda et L’Alleluiah).
L’abstraction du sujet, la
séparation entre contour et forme matérielle se poursuivent
dans le traitement du corps jamais totalement abandonné,
que ce soit dans les têtes seulement suggérées des Otages
ou dans les silhouettes voluptueuses des femmes allongées de
L’Alleluiah. À l’image des écrits de Bataille, où des situations
érotiques et des fantasmes de destruction se mêlent, la
représentation des figures confond volupté et déformation.
D’après Palma Bucarelli, auteure d’un ouvrage de référence sur
Jean Fautrier, ces nus étaient
«comme des grappes de matière irritée et décomposée».
Elle ajoutait qu’il y a, «dans les profondeurs de la nature
de Fautrier, un instinct de destruction qui se confond
obscurément avec sensualité
».
Malgré cette technique agressive, le trait ne se fait jamais violent
et reste distant: il enserre le corps tel un objet de désir dans des
mouvements rythmiques et calligraphiques, ou encore le résume
en un trait concis (torse aux bras suggérés, poitrines et sexes
réduits à un simple signe). Le fond mat, dessiné au charbon,
récurrent dans les nus, apparaît ici comme le pendant de la
masse apposée au couteau sur les toiles.
Dans ses oeuvres tardives, Fautrier revient au dessin, dans lequel
le trait gestuel, presque abstrait, semble émaner du corps
lui-même plus que de la main de l’artiste
6. Années de transition : 1930–1940
Suite au crash du marché de l’art, après la crise économique
de 1929, Fautrier ne peut plus vivre de son activité, jusque -là
prospère. Il se voit alors contraint de trouver une autre source
de revenus, et devient, dans les années qui suivent, moniteur de
ski et hôtelier dans les Alpes savoyardes. Désormais dépourvu
d’atelier, il peindra beaucoup moins durant ces années. Dans
son isolement, il réfléchit à une technique de peinture d’un
nouveau genre, qu’il mettra finalement au point dans les années
1940:
« […] même dans les années que j’ai passées comme
professeur de ski en montagne, j’ai travaillé cette technique très
soigneusement mais petit à petit, en mettant de plus en plus
d’épaisseur, en n’en mettant plus, en cherchant autre chose […].»
Cette technique apparaît déjà dans les natures mortes et les  nus
avec lesquels il reprend la peinture à la fin des années
1930. Ces oeuvres sont conçues graphiquement: évoluant
jusqu’à l’arabesque, le trait détermine l’apparence de l’objet plus
encore que dans la «période noire». Désormais, l’artiste travaille
exclusivement sur du papier qu’il maroufle ensuite sur une
toile. Dans Les Deux Pichets (vers 1939), le plat suggéré par
la masse de plâtre repose sur un fond grossièrement peint,
tandis que les deux pichets et les fruits sont esquissés au
pinceau. C’est aussi dans le courant des années 1930 que Fautrier
revient à la sculpture: les dimensions de Femme debout (1935)
rappellent combien le corps féminin est un thème important
pour lui; et son visage annonce le deuxième corpus de têtes
sculptées qui verront le jour en 1940. Leurs traits, finement
ciselés, se fondent dans la matière de sa sculpture comme dans
celle de sa peinture.
7. Une nouvelle peinture : Les Otages 1940–1945
En 1940, Fautrier revient à Paris. Durant les années de guerre,
il pratique un nouveau genre de peinture auquel il pensait
depuis longtemps. Il ne traite que peu de sujets – végétation,
nus, natures mortes – mais ceux-ci sont transformés. L’artiste ne
peint plus au sens traditionnel du terme, il conçoit l’image comme
une construction matérielle. Avec le couteau, il appose une
masse d’enduit blanc sur le papier et la modèle librement.
La matière n’est pas un fragment de réalité introduit dans l’image,
elle ne fait que suggérer cette réalité.

Sur cette base solide, Fautrier
répand des pigments de couleur et esquisse avec le
pinceau les contours qui encerclent la forme sculptée et la
font disparaître. Il ne travaille alors pas contre un mur mais pose le
papier devant lui sur une table. Le nombre de ses sujets reste
réduit: des paysages, des nus, et surtout les têtes d’Otages, qui
font un effet retentissant lors de leur présentation en
octobre-novembre 1945 à la galerie René Drouin.

Ces Otages sont desvisages de prisonniers de la Gestapo –
un thème bouleversant et vibrant d’actualité –
mais l’art et la façon dont procède
Fautrier irritent,
de même que le traitement en série des têtes, que Michel Ragon,
écrivain et critique d’art, décrira de la façon
suivante:
«Chaque tableau était peint de la même manière. Sur un fond
vert d’eau, une flaque de blanc épais s’étalait. Un
coup de pinceau indiquait la forme du visage. Et c’était tout
Les visiteurs de l’exposition remarquent, embarrassés, la beauté
des Otages, tandis que dans la préface du catalogue de l’exposition,
André Malraux s’interroge:
«Ne sommes -nous pas gênés par certains de ces roses et de ces
verts presque tendres, qui semblent appartenir à une complaisance
[…] de Fautrier pour une autre part de lui-même ?

8. Les Objets : 1946 – 1955
Après la guerre, Fautrier commence, avec les Objets, un nouveau
corpus d’oeuvres. Il ne choisit pas de représenter des objets
de valeur, mais, bien au contraire, des objets produits de
façon standardisée, voire industrielle, comme un verre, un pot,
des boîtes de conserve, des canettes, des cartons, des bobines,
ou encore des flacons de parfum. L’artiste ne s’intéresse pas aux
objets sous leur aspect familier mais cherche à en capturer l’essence
avant que celle-ci ne soit dérobée par l’usage qui en est
fait.
«Fautrier nous peint une boîte comme si le concept de boîte
n’existait pas encore […] et, plutôt qu’un objet, un débat entre
rêve et matière, un tâtonnement vers la “boîte” dans la zone
d’incertitude où se frôlent le possible et le réel», écrit
André Berne-Joffroy, commissaire d’exposition et écrivain.
Le côtoiement de matières – peinture et dessin –, qui avait
déjà donné auximages noires leur caractère particulier, atteint
dans les Objets des sommets de raffinement.
Les Objets de Fautrier rayonnent de la beauté évidente des
natures mortes de Chardin. Dans ses recherches de cette époque,
l’artiste découvre ce à quoi il aspire: une consistance interne
précise, qui se distingue de l’expressivité liée au geste direct,
et cultivée depuis l’époque des impressionnistes.
Ainsi, Fautrier ne jette pas un regard nostalgique sur la tradition
– sa peinture est irréfutablement contemporaine.
«Il faut donc ramener la peinture à cette qualité artistique qui
valait avant la touche sacrée. Le peintre est devenu un virtuose
9. L’oeuvre final : 1955–1963
Série et répétition sont des procédés chers à Fautrier
depuis ses suites de Nus noirs de 1927. L’artiste va jusqu’
à inventer en1950 un nouveau procédé de reproduction,
les «Originaux multiples»: des tirages luxueux qui ne sont
pas de simples reproductions d’oeuvres. À travers la répétition
d’un thème et la banalisation de l’objet, le dessin abstrait
apparaît au grand jour: c’est à la fois une simple évocation
et une présence d’une grande précision qui confère à la
représentation un aspect définitif. Lorsque Fautrier revient
réellement à la peinture, après avoir moins produit
pendant plusieurs années suite à des problèmes financiers,
il se concentre sur les thèmes qui l’occupent depuis ses débuts:
des nus, des têtes, des paysages…
Face au succès de la peinture abstraite, il insiste sur
l’importance fondamentale de la réalité dans l’oeuvre. Il
commence par reprendre les têtes de ses Otages qu’il
transforme en visages asexués, leur donnant des titres issus de
célèbres morceaux de jazz, comme pour Wa Da Da(1956)

.À l’automne 1956, alors que les Hongrois se soulèvent à Budapest,
Fautrier peint la série des Partisans, inscrivant à la main,
au bas de chaque toile, le célèbre vers de Paul Éluard:
«J’écris ton nom, Liberté». Ce n’est plus la recherche
d’une nouvelle technique qui conduit son travail, mais la
volonté de tout peindre en s’appuyant sur la
«bravoure et [la] brièveté du dessin» prônées par Francis Ponge,
et qui va de l’érotisme à la nature.

Catalogue
Préface de Fabrice Hergott, directeur du Musée d’Art moderne
de la Ville de Paris
Dieter Schwarz, commissaire invité
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
11, avenue du Président Wilson
75116 Paris
Tél : 01 53 67 40 00 / Fax : 01 47 23 35 98
www.mam.paris.fr
Transports
Métro : Alma-Marceau ou Iéna
RER : Pont de l’Alma (ligne C)
Bus : 32/42/63/72/80/92
Horaires d’ouverture
Mardi au dimanche de 10h à 18h
(fermeture des caisses à 17h15)
Nocturne le jeudi de 18h à 22h seulement pour les expositions
(fermeture des caisses à 21h15)
Billet combiné Jean Fautrier / Mohamed Bourouissa
Plein tarif : 15 €
Tarif réduit : 13 €
Billetterie
Billets coupe-file sur www.mam.paris.fr
Fermeture le lundi et certains jours fériés