Est-ce une coïncidence ? Au moment où Andrea Mantegna triomphe à Paris, (exposition que j’ai vue, d’autres que moi vous en parlent, et déplorent, l’absence du Christ mort), Rome célèbre son grand contemporain, Giovanni Bellini (vers 1430- 1516). Les deux hommes étaient unis aussi bien par des liens familiaux (ils étaient beaux-frères) que par une proximité artistique. Fils de Jacopo et frère de Gentile, peintres éminents de la Sérénissime, Giovanni se trouve au coeur d’une forte tradition vénitienne, que plusieurs facteurs vont contribuer à renouveler, à commencer par le séjour d’Antonello de Messine, en 1475.
« Giambellino », comme on l’appelait alors, sera le grand artisan de ce renouvellement et le pionnier d’une modernité vénitienne, dont ses disciples directs, Giorgione et Titien, porteront haut le flambeau. L’apport décisif de Bellini est d’avoir magnifié l’espace perspectif uni, forgé par ses grands prédécesseurs, par l’homogénéité vibrante d’une lumière qui pénètre les formes comme une brume de couleur, assurant un accord parfait entre les figures et l’espace, architectures ou paysages, dans lesquels elles se fondent. En termes plus techniques, on parle de « tonalisme » pour définir cet art basé sur le rôle constructif et expressif de la couleur. Avec plus de soixante œuvres, soit les trois quarts de la production connue de l’artiste, cette exposition constitue le grand événement de la saison romaine.
Il faut s’attarder sur leurs regards embués de larmes, sur leurs mains qui caressent et retiennent l’enfant qu’elles portent au creux de leurs bras : les Vierges de Giovanni Bellini sont d’abord des mères. C’est une mère qui présente le Christ au temple ; c’est une mère ravagée de douleur et vieillie qui le recueille au pied de la croix. Une mère qui se résigne face à un destin qu’elle ne peut empêcher. Ici, le sacré d’un destin et le profane de la souffrance cohabitent. Dans la pénombre de la Scuderie du Quirinal, à Rome, où les œuvres sont exposées, jusqu’au 11 janvier, la rétrospective romaine choisit de se concentrer uniquement sur le peintre qu’elle étudie dans une tentative monographique . Chacune baigne dans son cocon de lumière douce, isolant la peinture et son spectateur dans un face-à-face quasi privé.
La Lamentation sur le Christ mort entre Saint Marc et Saint Nicolas du Palais des Doges à Venise , est présentée, à juste titre, comme un des tableaux les plus importants de la rétrospective ou encore La Crucifixion avec cimetière juif (1438-1440). Les historiens ont repéré, dans la ville céleste qui forme le fond du tableau, un campanile de Venise, une église d’Ancône, le dôme de Vicence. Mais plus encore, ce tableau est un herbier : une trentaine de plantes ont pu être identifiées au pied de la croix. Parfaite synthèse de l’art de Bellini : « l’élévation de l’âme et le sens du détail ». « Ce sont exactement les techniques utilisées aujourd’hui au cinéma, s’enthousiasme l’artiste américain Bill Viola dans une « lettre » au peintre publiée par le quotidien La Repubblica du 3 octobre. Bill Viola, dont il y a une exposition en même temps à Rome, je m’en suis rendue compte trop tard, aussi je me suis rattrapée en allant voir, Tristan et Isolde à la Bastille. La vidéo de Bill Viola accompagne si judicieusement par sa projetection le spectacle.
Le style de Bellini emprunte aussi aux Flamands, de Jan Van Eyck ou de Dirck Bouts, à Dürer ou à Piero della Francesca. Mais Bellini saute de l’un à l’autre comme pour arriver jusqu’à la dernière toile connue, La Dérision de Noé, ( une belle analyse de ce sujet) déjà vue à Besançon. Son chef d’œuvre absolu, pour moi se trouve à la National Gallery, le Portrait du doge Leonardo Loredan. (on peut lire ici une mise ne parallèle avec l’homme au chapeau de Magritte)
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