Performance, Plaza Belmonte bullring, Quito, Ecuador
Commissaire : Dr Sandra Beate Reimann
au Musée Tinguely jusqu'au - 7 septembre 2025
Du 9 avril au 7 septembre 2025, le Musée Tinguely de Bâle présente dans une exposition personnelle l’installation vidéo De tu pufio y letra (By Your Own Hand; 2014-2015/2019) de la célèbre artiste américaine Suzanne Lacy.Il s’agit là de l’une de ses œuvres centrales abordant les violences liées au genre. Le travail de Lacy, pionnière dans l’art de la performance féministe et activiste depuis les années 1970, combine art et engagement social. Ses œuvres relèvent de la Social Practice, elles sont souvent réalisées en collaboration avec les communautés locales et portent sur les injustices sociales : violence domestique, discrimination liée à l’âge et migration.
Avec l’exposition Suzanne
Lacy: By Your Own Hand, le Musée Tinguely rend hommage à une œuvre hautement pertinente due à l’une des artistes féministes majeures de notre époque et instaure en même temps un espace de réflexion, de dialogue et de responsabilité sociale.
Une installation vidéo : une confrontation qui bouscule
On voit dans l‘installation vidéo De tu puno y letra (By Your Own Hand; 2014-2015/2019) des personnes de genre masculin qui apparaissent les unes après les autres en lisant factuelle ment des extraits de lettres. Ces témoignages choquants de violences brutales, sexualisées et domestiques, qui vont de l’agression sexuelle au viol collectif et au féminicide, laissent un profond sentiment de malaise. Le film a été tourné dans les arènes de Quito, un espace connoté masculin, marqué traditionnellement par la violence et la domination. L’agencement circulaire des projections place le public de l’exposition lui-même au centre de l’arène pour le confronter directement aux paroles et aux regards des acteurs. La représentation grandeur nature rend palpable le défi physique et émotionnel de l’intervention.
La décision délibérée de confier à des personnages de genre masculin la lecture de témoignages de victimes de violences à caractère sexiste souligne le rôle du patriarcat comme fondement structurel de cette violence. Dans le même temps, le hiatus entre les voix masculines et les expériences féminines constitue un élément primordial qui stimule la pensée et permet une réflexion sur le genre, le pouvoir, la crédibilité. La projection se termine par un message essentiel qui rehausse la perspective du niveau individuel au niveau sociétal :
« It’s necessary not to be afraid, I told myself, necessary to write in order to heal, share the pain with others. »
L’art comme pratique sociale
L’installation vidéo reprend une performance participative et dialogique que l’artiste a réalisée en 2015. Lacy avait été invitée alors à concevoir une performance qui attirerait l’attention et la reconnaissance du public sur les lettres collectées dans le cadre de la campagne Cartas de Mujeres (2011-2012), projet lancé par la Ville de Quito, le Centro de Arte Contemporaneo de Quito, UN Women et l’organisme allemand Gesellschaft für internationale Zusammenarbeit (GIZ) en Équateur pour lutter contre les violences faites aux femmes. La performance s’est déroulée à Quito sous forme d’événement en cinq actes, avec la participation d’environ 600 personnes de genre masculin, le 25 novembre 2015, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette intervention avait été précédée d’ateliers avec des hommes de tout âge sur la violence liée au genre et la construction sociale de la masculinité.
Pionnière de l’art féministe
Les œuvres participatives de Suzanne Lacy montrent le pouvoir transformateur de l’art et son potentiel à susciter des débats de société. Comme l’une des principales voix du mouvement artistique féministe des années 1970, l’artiste a développé avec la Social Practice un nouveau modèle combinant art et action sociale. Très tôt déjà, dès le début des années 1970, le travail de Lacy a abordé le thème des violences sexualisées. En 1972, elle a monté la performance Ablutions (avec Judy Chicago, Sandra Orgelet Aviva Rahmani), l’une des premières œuvres d’art sur le thème du viol du point de vue des personnes de genre féminin.
À souligner aussi, Three Weeks in May de 1977, une performance de trois semaines centrée sur les viols à Los Angeles (avec Leslie Labowitz et Ariadne: A Social Art Network). Avec ces premières œuvres, Lacy et ses collègues étaient des pionnières non seulement artistiques mais aussi sociales, car elles abordaient publiquement les violences liées au genre dans une perspective résolument féminine. Leurs travaux donnaient enfin voix aux femmes concernées et identifiaient les causes sociales et patriarcales de cette violence.
Le contexte de la présentation au Musée Tinguely
L’exposition au Musée Tinguely souligne toute l’actualité et la pertinence de ce sujet. La proximité spatiale entre l’installation vidéo et l’œuvre Mengele-Totentanz (1986) de Jean Tinguely pose là un accent particulier. Avec cette construction cinétique et austère, faite d’éléments carbonisés et d’ossements d’animaux, Tinguely (1925-1991) aborde les notions de violence et de mort d’un point de vue historique et personnel. Alors que la tradition médiévale tardive
véhiculait la fugacité de toute vie humaine et l’égalité des individus dans la mort – du roi au mendiant-, il est clair aujourd’hui que les êtres humains sont très différemment concernés, en fonction de leur genre social, mais aussi de leurs ressources ou de leur appartenance ethnique. Les violences domestiques et sexualisées sont quotidiennes et largement répandues.
Niki de Saint Phalle (1930-2002), seconde épouse de Tinguely et donatrice de la collection du Musée, a également été touchée. Dans son livre Mon secret (1994), elle fait état des agressions par son père dont elle-même a été victime à l’âge de 11 ans. Ses œuvres dénoncent les structures patriarcales et donnent à voir le rôle de la violence et des abus de pouvoir.
Rendre visible un problème global – Programme d’accompagnement
Les féministes latino-américain-es restent pionnier-ères dans la lutte contre les violences liées au genre et les féminicides. En revanche, il a fallu attendre ces dernières années pour que la politique et la société, en Europe et en Suisse, se penchent davantage sur ce sujet. À travers des interventions, des tables rondes et un projet d’écriture participatif, le programme d’accompagnement s’intéresse à la situation locale et invite au dialogue.
Pour ce faire, le Musée Tinguely coopère entre autres avec la Opferhilfe beider Basel (Service d’aide aux victimes des deux Bâle), la Literaturhaus Basel et le collectif Q.U.I.C.H.E. Dans le cadre de l’exposition, le Musée Tinguely présente aussi la performance de Tyra Wigg, The hand, the rock, your shoul der, and my mouth (2022), au cœur de laquelle ressortent le toucher comme expression de violence et le toucher comme soin et pratique thérapeutique. Par le maniement d’une grosse pierre, par l’approche attentive et curative du corps et son trauma, c’est un véritable contre poids qui prend forme.
Biographie
Suzanne Lacy (née en 1945) est pionnière dans l’art de la performance féministe et activiste mais aussi du New Genre Public Art et de la Social Practice. Son travail porte entre autres sur les violences sexualisées, les discriminations liées à l’âge, la pauvreté, l’incarcération et l’immigration. Opérer un rapprochement entre les gens et créer en collaboration avec des groupes locaux sont constitutifs de son travail. Celui-ci englobe des performances chorégraphiées et dialogiques, des recherches sociologiques, la tenue d’ateliers, l’organisation communautaire, la cartographie et le mapping, la photographie, la production et l’installation vidéo ainsi que des interventions dans les médias.
L’art de Lacy s’enracine dans les premières performances californiennes d’Allan Kaprow et la pratique artistique féministe de Judy Chicago. De grandes rétrospectives de l’œuvre de Lacy se sont tenues au San Francisco Museum of Modern Art, au Yerba Buena Center for the Arts, San Francisco (Suzanne Lacy: We Are Here, 2019) et au Queens Museum (Suzanne Lacy: The Medium is Not the Only Message, 2022). L’artiste a réalisé de vastes interventions artistiques sociales et politiques à Londres, Brooklyn, Medellin, Los Angeles, Madrid et dernièrement à Manchester. En 2025, elle participera avec plusieurs œuvres à la Sharjah Biennial 16. Lacy est professeure à la Roski School of Art and Design de la University of Southern California et artiste en résidence au 18th Street Arts Center à Santa Monica, Californie.
Informations pratiques
Musée Tinguely
1 Paul Sacher-Anlage 1 l 4002 Bâle
Accès
Gare centrale de Bâle CFF / Gare SNCF :
tram no. 1 ou 2 jusqu‘au « Wettsteinplatz », puis bus no. 31 ou 38 jusqu’à
« Tinguely Museum ».
Heures d’ouverture: mardi- dimanche 11h-18h, jeudi 11h-21h
Site Internet : www.tinguely.ch
Réseaux sociaux : @museumtinguely 1 #museumtinguely 1
#byyourownhand @suzanne.lacy
Crédit photo: Suzanne Lacy, De tu puna y letra (By Your Own Hand) (2014-15/2019). Six-channel HD video installation, with sound, 30 min. Partial installation view at Queens Museum, New York. Courtesy the artist; photo: Hai Zhang, courtesy Queens Museum.
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