Raymond-Emile Waydelich, « archéologue du futur »

C’est la découverte, au marché aux puces de Strasbourg, du journal d’une jeune apprentie couturière de Neudorf qui fait entrer en 1973 son auteur, Lydia Jacob, dans la vie de Raymond-Émile Waydelich ! Elle ne le quittera plus et depuis plus de quarante ans, c’est à elle que l’artiste a voué son œuvre en une exploration quasi-archéologique de la vie de cette jeune Neudorfoise du siècle passé. Les boîtes-reliquaires qu’il lui dédie contiennent des fragments d’objets, des photos jaunies par le temps, des lettres soigneusement calligraphiées, des plumes, des objets divers comme autant de pièces d’un puzzle, témoins fragiles d’un passé disparu.
Fasciné par l’archéologue Heinrich Schliemann, le célèbre découvreur de l’antique ville de Troie, Raymond Waydelich est aussi l’auteur, depuis plus d’une vingtaine d’années, une œuvre inspirée en une vision très personnelle et poétique par une « archéologie du futur ». Il est ainsi devenu le créateur d’une série de « sites archéologiques » dont l’exploration développe une vaste réflexion sur notre monde d’aujourd’hui et ses errements :
1978 : première expédition archéologique et découverte de l’Homme de Frédehof en 2000 avant J.-C.
Cette œuvre, qui représentait cette année-là la France à la Biennale de Venise, est le premier jalon d’un vaste travail de mémoire où se mêlent présent et avenir, à travers le regard porté par l’artiste sur les traces de notre civilisation mises au jour par nos lointains descendants en 2000 après J.-C.
1983 : deuxième expédition et découverte du site de Grubierf en 3500 après J.-C.
Avec l’« Environnement Tiefgarage » dans le cadre de la construction d’un parking souterrain au cœur de la ville de Fribourg-en-Brisgau (Allemagne) a fourni quelques années plus tard à Raymond Waydelich l’opportunité de recréer cette fois-ci un véritable site, celui de Grubierf, fossilisant un garage souterrain contemporain et les véhicules qui y sont garés sous l’épaisse poussière des siècles et… de nouer une première collaboration avec le Musée Archéologique. Notre monde vu dans la perspective d’un observateur d’un lointain futur a permis à l’artiste de continuer à développer un propos original sur le devenir de notre civilisation détruite dans un grand cataclysme. Si la démarche est teintée d’un certain pessimisme, elle livre aussi un charme poétique, non dénué d’humour.
1994 : L’Ile d’Orsi, 3720 après J.-C. correspond à la troisième expédition. Les découvertes ont été présentées au Centre d’Art plastique de Vllefranche-sur-Saône.
1995 : Mutarotnegra, 3790 après J.-C. Pour la quatrième expédition, c’est l’emblématique cathédrale de Strasbourg enfoui sous les sables d’un vaste désert qui est mise en scène avec la découverte du site de Mutarotnegra, tiré du nom antique de la ville de Strasbourg/Argentorate en lecture inversée. Un cataclysme a détruit la cité qui dort ensevelie sous les sables et qui n’est plus localisée que par une flèche en grès rose finement sculptée qui émerge des dunes environnantes. Là encore, les objets mis au jour par les archéologues du futur qui explorent la cité engloutie en 3790 après J.-C. ont été intégrés dans un large parcours à travers les collections du Musée Archéologique.
En parallèle à l’exposition « Mutarotnegra » et pour prolonger sa démarche, l’archéologue Raymond Waydelich décide aussi de faire un superbe cadeau aux archéologues du futur ! L’idée d’un « Caveau pour le Futur « est lancée et c’est ainsi qu’il réalise, en septembre 1995, avec la complicité de la Ville de Strasbourg et d’un vaste réseau d’amis, un nouveau « site », localisé cette fois-ci au cœur de la ville. Ont été enterrés, place du Château à deux pas de la cathédrale et en face du Palais Rohan où était présenté les découvertes « archéologiques » de Mutarotnegra, de nombreux objets, documents et messages constituant la mémoire de notre civilisation et destinés aux archéologues de l’an 3790 après J.-C. Une plaque en fonte, incrustée dans le sol de la place du Château, commémore l’événement et rappelle la présence de ce « caveau pour le futur », auquel s’est largement associée la population par des messages destinés aux archéologues du futur. Le caveau ne doit en effet être ouvert sous aucun prétexte avant 3790 après J.-C. Un second caveau, baptisé « Lessak », a été réalisé avec le même succès, en collaboration avec le Sepulkralkultur Museum et la Ville de Kassel (Allemagne) en 1997.
2009-2010 : Alsace-Kreta : le nouveau « site archéologique » a été « mis au jour » en 3790 après J.-C. lors des toutes récentes fouilles menées sur une île proche du site de l’antique Mutarotnegra… Ce site spectaculaire a livré de nombreux « vestiges » qui sont présentés dans le cadre de cette exposition…

Musée Archéologique
L’exposition « ALSACE-KRETA/ Fouilles récentes de Mutarotnegra – 3790 après J.-C. », initiée par l’association « Alsace-Crète » et soutenue par la Direction régionale des Affaires Culturelles d’Alsace, est née d’une active collaboration entre la ville de Réthymnon, située au nord de l’île de Crète, et la Ville de Strasbourg, mais aussi entre les Régions d’Alsace et de Crète. Elle s’inscrit dans le cadre de la coopération culturelle existant depuis de longues années entre le programme européen d’échanges artistiques « Apollonia » et le Musée d’Art contemporain de Crète.
Après sa présentation à Réthymnon dans l’espace dédié de la Fortezza de Réthymnon entre mai et juillet 2010, l’exposition « Alsace-Kreta » conçue et réalisée par l’artiste alsacien Raymond-É. Waydelich dans le cadre d’une résidence artistique croisée, est accueillie en 2011 dans les salles du Musée Archéologique de la Ville de Strasbourg, où elle dialogue avec les collections permanentes du musée.
Cette sélection d’une quarantaine d’œuvres est composée en majorité de céramiques et de sculptures en terre cuite et en bronze inspirées par le riche passé archéologique de la Crète et par son vaste bestiaire mythologique. Ces créations ont été réalisées par Raymond-É. Waydelich selon les techniques traditionnelles des céramistes crétois de Margarites au cours de ses nombreux séjours dans l’île et, plus particulièrement, à l’occasion d’une récente résidence d’artiste en 2008-2009. Sur des formes séculaires, l’artiste alsacien a développé un décor fait de formes peintes et plastiques largement inspirées de sa propre vision de l’histoire et de la mythologie crétoises.
L’accueil de l’exposition à Strasbourg permet ainsi de renforcer davantage encore les liens entre Réthymnon et la Ville de Strasbourg et plus largement les échanges culturels entre l’Alsace et la Crète.
texte musée de Strasbourg
Photos de l’auteur

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.

3 réflexions sur « Raymond-Emile Waydelich, « archéologue du futur » »

  1. rien à voir (un billet de LR sur les photos d’Hervé Guibert m’y fait songer) :
    je pense que tu trouveras le texte de Guibert consacré au Café Müller de Pina Bausch dont je te parle tant (et que j’ai perdu alors que j’avais tenté de te l’envoyer par mail) ici :
    « Articles intrépides » par Hervé Guibert, Gallimard, 382 p*
    Le livre est paraît-il parfois vendu accompagné d’un DVD du Café Müller (ce qui est à ne pas manquer)
    bises

  2. Annick Woehl journaliste
    Raymond Waydelich, artiste alsacien atypique, vient d’entrer dans les collections du Musée d’Unterlinden qui présente, pour une semaine encore, ses acquisitions.
    Raymond Émile Waydelich peut faire figure d’ovni sur la planète des arts plastiques. Le personnage est de prime abord folklorique. Au sens de l’incongruité. Au sens premier aussi, avec un attachement viscéral à sa région qu’il a toujours refusé de quitter, payant cet amour au prix d’une carrière parisienne qui pourtant lui tendait les bras.
    L’Alsace, il la porte aussi dans son verbe, teinté d’un accent tonitruant et coloré d’expressions en dialecte. Il la porte sans doute dans son amour pour la bonne chère, obligatoirement locale, et la convivialité. C’est dire que notre bonhomme est aux antipodes de l’image de l’artiste branché et abscons…
    C’est dire aussi qu’à le voir et l’entendre, on n’imagine pas forcément que celui-là a représenté la France à la Biennale de Venise, vingt ans après Hans Arp. Ni qu’il a été acheté et exposé, en 1976, aux côtés de Beuys, Boltanski, Breton, Duchamp, Warholl… par le Musée d’art moderne de la Ville de Paris. On ne l’imagine pas car Waydelich parle de son travail avec une simplicité qui désarçonne. Son œuvre, avec un grand « o », il ne « peut rien dire. C’est la question que j’évite autant qu’une mauvaise choucroute ! »
    Dans ses ateliers, à Hindisheim, s’amoncellent des pièces hétéroclites : boîtes, tapis, peintures, gravures, totems, installations en déséquilibre, autels votifs… Un fourre-tout où dominent des animaux qui crient « Help » ou « I love you », des plantes et des machines de notre quotidien momifiées.
    Mais Raymond Waydelich, c’est surtout la nique au temps. Il y a d’abord sa rencontre avec Lydia Jacob, apprentie couturière du XIX e siècle dont il découvre, dans un marché aux puces, le manuscrit. Dans la lignée du surréalisme, l’artiste a l’idée de lui imaginer une vie, une famille, un environnement. Il crée des boîtes reliquaires où s’élabore cette histoire. Cette association, fructueuse, dure depuis leur première rencontre.
    Mais il y a aussi l’archéologie du futur, une idée qui démarre dès les premiers pas de Raymond dans la création. L’apogée, c’est peut-être Mutarotnegra, quand REW fait creuser un énorme trou place de la cathédrale à Strasbourg pour y enfouir, dans des fûts, des traces de la vie contemporaine. L’ouverture est prévue pour 3790 et Raymond jubile en imaginant ce moment. Toujours animé par mille et une idées — « Y’a un truc à faire là… » —, notre homme est très excité par un de ses nouveaux projets : lancer mille invitations pour un dîner marquant l’ouverture du trou. « On va faire des cartons qu’on va vendre au profit d’associations. Ces invitations seront transmissibles. Je réfléchis car le papier, ça n’ira peut-être pas, je pense à de l’alu…Ça sera la première invitation pour un gueuleton dans le futur ! »
    L’artiste a toujours tourné autour de cette idée, de ce va-et-vient anticipé ou programmé dans le temps, passé ou futur. À Venise, c’était déjà cela, il avait créé le site de l’homme du Frédehof… découvert cette fois en 2820. Au musée du futur à Mulhouse, aussi. À chaque fois, les pièces découvertes s’accompagnent de commentaires assez désopilants, ceux, imaginés, des scientifiques du futur : « machine dont la fonction était l’écriture à distance » pour un ordinateur ; « textile de couleur bleue, on pense à des vêtements de parade » pour des jeans…
    D’où lui vient cet intérêt pour l’archéologie, le temps ? Raymond déclare tout d’abord : « Quand je vois une assiette de 5000 ans avant Jésus-Christ, je me demande toujours, qu’est-ce qu’ils ont mangé là-dedans ! » Puis il évoque un souvenir d’enfance. « Il y a un moment qui a changé ma vie. C’était en retenue à l’école, j’y étais tous les jours… Je lisais Spirou, les histoires de l’oncle Paul. Cette fois c’était celle d’Heinrich Schliemann, le fils d’un pasteur allemand qui avait tout lâché pour partir à la recherche de la ville de Troie. Je me suis dit, ça, je peux pas le faire, mais je peux inventer l’archéologie du futur. Ces objets que je vois tous les jours, comment ils seront dans le temps ?.» Il ajoute : « Je suis un constructeur d’histoires, c’est tout. »
    Retour 70 ans en arrière. Raymond-Emile grandit avec une mère ouvrière aux talents de botaniste et un père ébéniste qui le voit travailler avec lui comme dessinateur. C’est pour cela qu’il inscrit le jeune Raymond aux arts déco à Strasbourg. « La première année, ça a été très dur. Je ne comprenais rien avec leurs histoires de couleurs. J’ai ramé, ramé, ramé et à force, je me suis pris au jeu ». Après quatre ans à Strasbourg, il rempile pour deux ans à Paris cette fois.
    Retour près du père, mariage… Raymond commence à donner forme à son imagination débordante. Il fabrique notamment des boîtes. Poussé par sa femme, Roseta, qui voulait mettre un peu d’ordre dans sa maison, il tente de placer ces objets dans une galerie à Fribourg. « Une semaine après, le gars m’appelle en me disant qu’ils avaient deux acheteurs. On a pris rendez-vous, et en une après-midi, j’ai vendu dix boîtes. La galerie a voulu faire une expo et j’en ai vendu 27 en trois jours. C’était dingue ! »
    Un ami lui conseille de trouver une galerie à Paris. Ils vont ensemble au Soleil dans la tête. Raymond, qui veut revenir en Alsace, presse la galeriste, qui veut consulter son mari, grand critique d’art. « Il lui a dit que c’était parfait. Et deux ans après, il est devenu commissaire de la Biennale de Venise. Tu le crois ? ! »
    Entre 1975 et le début des années 80, Waydelich monte très haut. Mais l’Alsacien ne veut pas quitter sa région. « J’aimais ma famille, le vin blanc, la pêche… J’aurais pu faire plus, je suis d’accord, mais je suis heureux là. Je n’ai aucun regret. Pour jouer les vedettes, il faut s’accrocher les baskets. À Paris, si tu ne te montres pas pendant deux semaines, ils ont l’impression que tu es mort ! Ça ne rentrait pas dans mon cerveau. Il est peut-être trop petit, il est alsacien mon cerveau ! », éclate-t-il de rire. REW se replie sur l’Alsace et ses voisins d’Outre-Rhin. Et poursuit sa route avec plaisir et réussite.
    Depuis quelque temps, il travaille sur un projet d’échange avec la Crète, sa fameuse Kreta. Et l’an dernier est venue une reconnaissance de Colmar : le musée d’Unterlinden lui a acheté une boîte reliquaire. « Le musée d’Unterlinden, c’est toujours une fixation. La Joconde, c’est rien à côté du retable! Que mes œuvres soient exposées là-bas, ça me fait énormément plaisir, si je le dis pas, je suis faux-cul », confie cet homme qui dit aussi de la reconnaissance : « Ce mot m’a jamais emmerdé. Je sais que beaucoup d’artistes souffrent de ça, mais moi pas. »

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