Une voix dit « Crie », et je dis : « Que crierai-je ? »
« Toute chair est de l’herbe »
et toute sa grâce est comme la fleur des champs.
l’herbe se dessèche, la fleur se fane,
quand le souffle de Yavé passe sur elles :
oui, le peuple, c’est de l’herbe,
l’herbe se dessèche, la fleur se fane,
mais la parole de notre Dieu subsiste à jamais.
Isaïe. 40. 6-6
« Am Anfang » est né sous le sceau d’un double moment marquant dans la vie de l’Opéra Bastille. Départ d’un directeur emblématique, Gérard Mortier et célébration du 20ème anniversaire de l’institution, elle-même inaugurée pour le bicentenaire de la révolution. Un symbolisme proche de la démesure. Dans pareil contexte, confier au plasticien allemand Anselm Kiefer, connu pour ses peintures et installations, la responsabilité d’une création mondiale relevait de la gageure, le mot est faible. Cela dit, on en attendait pas moins de Gérard Mortier, qui a brillé à la tête de l’Opéra par son sens du panache et de la provocation. « Am Anfang » est l’histoire de la destruction et du recommencement éternels, un sujet idéal pour une fin d’époque. Il met en scène un peuple errant, incarnation du peuple juif vivant dans des décombres et tentant de vainement de reconstruire ce qui sera détruit, puis renaitra, enfin. Au milieu de ce cloaque, Lilith, rôle muet et cheveux roux, symbole du mal et de la destruction. De la démesure, « Am Anfang » en est bourré, ce qui n’étonne pas lorsque l’on connaît le travail de Kiefer : utilisation de la totalité de la scène de Bastille qui confèrent à des tours vouées à tomber tôt ou tard un air apocalyptique et lunaire ; démesure dans le rigorisme de la pièce dont les deux seules voix sont celles de Denis Podalydès et de la tragédienne Geneviève Boivin, contre lesquels vient se cogner le mutisme obstiné de femmes bâtissant un mur de pierre. Si Kiefer est certes plus un artiste, voire un performer qu’un metteur en scène, la beauté plastique de son travail est stupéfiante et vient à l’aide de la récitation, ainsi que le fait l’esthétisme des personnages muets trainant dans le sable et les ruines. La musique est de Jörg Widmann, compositeur allemand et clarinettiste de formation qui en profite pour exécuter deux solos, c’est suffisamment rare pour le signaler. Elle revêt un caractère aérien, mais inquiétant, dans lequel on reconnait le travail de l’instrumentiste à vent. On regrette qu’elle ne soit pas plus présente tout au long de la pièce. Impressionnant pour les yeux, intrigant pour les oreilles, allez voir « Am Anfang », pour découvrir une autre facette de Kiefer, artiste adoré chez nous.
Claire S.
Am Anfang, mise en scène Anselm Kiefer, musique Jörg Widmann jusqu’au 14 juillet à l’Opéra Bastille, entrée gratuite le 14.
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