Le Musée allemand Von-der-Heydt de Wuppertal (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) et le Musée Marmottan-Monet, à Paris, ayant conclu un accord, chacun accueille une cinquantaine d’oeuvres prêtées par l’autre. Des Monet sont partis en Allemagne. En échange, Marmottan présente une anthologie des avant-gardes allemandes de la première moitié du XXe siècle et ceci jusqu’au 20 février 2010
Trois ensembles se distinguent : celui du groupe Die Brücke (« le pont »), fondé à Dresde en 1905, et dont Ernst Ludwig Kirchner fut le héros ; celui du Blaue Reiter (« le cavalier bleu »), qui s’est créé à Munich en 1911 autour de Vassily Kandinsky et de Franz Marc ; et, dans les années 1920, la nouvelle objectivité, qu’incarne Otto Dix.
D’emblée on est saisi par la profusion, presque l’agression des couleurs, des nuances d’orange et de rouge, des tourbillons de courbes bleues, des ciels jaunes pâles, des obliques outremers, des triangles coupants. La raillerie, l’ironie, le sacrilège sont sous-entendus. C’est une occasion rare d’admirer des toiles de premier plan.
Voici ce qu’en dit Philippe Dagen
» Pour Kandinsky, Jawlensky, Marc ou encore August Macke, la couleur est exaltation. Lyrique, panthéiste, elle célèbre les filles fleurs, les couchants, une nature pure. Ces peintres sont beaucoup plus proches de Monet, qui les reçoit, que ne le sont Kirchner et les siens, qui se placent sous l’autorité d’Edvard Munch. Opportunément, celui-ci ouvre le parcours : un terrible portrait de jeune fille vêtue et chapeautée de rouge, allégorie de l’angoisse. «
Edvard Munch (1863-1944)Jeune fille au chapeau rouge, vers 1905
« La concentration expressive et tendue de la forme et les couleurs saturées à dominantes rouge et noir confèrent à ce portrait d’enfant un sentiment d’angoisse et une évocation particulièrement pessimiste et inquiète dela destinée humaine. (…) Ce portrait peint avec une extrême économie de moyens témoigne d’une grande hardiesse plastique. » [Christine Poullain]
Un vrai choc :
Emil Nolde (1867-1956) Le Pont, 1910
Un pont qui, pourrait être peint par Monet, où les violets du pont et les jaunes de l’eau se juxtaposent comme dans une leçon sur les couleurs complémentaires, un parapet bleuté, sous un ciel rose, avec des flammèches rougeoyantes parsemé de bleu, qui forme une perspective avec l’eau dans les mêmes pigments , le vert de la forêt et le rivage
À la Beauté ,
« L’Hommage à la Beauté d’Otto Dix, tableau de 1922, met en spectacle avec ironie cette défaite et cet effacement de l’Expressionnisme. Le peintre en personne est au centre. Costume élégant, toilette soignée. Ce dandy tient dans une main l’écouteur d’un téléphone. Arrière-fond, un décor artificiel de style néo-classique, avec un salon de danse où un musicien noir rythme du jazz à la batterie. » [Lionel Richard)à la laideur
Otto Dix (1891-1969) Leonie, 1923 est une lithographie en couleurs
L ’image est une caricature, Léonie est laide, c’est du pur réalisme, le visage est détaillé au scalpel, sans complaisance, de savant glacis et rehauts rouges en font un portrait saisissant annonciateur des troubles à venir.
Kees Van Dongen (1877-1968)
Nu de jeune fille, 1906
« Ce tableau montre une femme nue, de face, à mi corps, dont la nudité sensuelle et librement dévoilée est mise en valeur par une lourde chevelure qui la révèle et l’encadre, peinte dans des accords chromatiques audacieux bleu sombre et rouge, qui contrastent avec la clarté lumineuse du corps aux formes généreuses et à l’insolence heureuse. » [Christine Poullain]
Alexej von Jawlensky (1864-1941)
Les Yeux noirs, 1912
« Die Schwarzen Augen montre en miroir dans un visage dessiné par de larges cernes noirs comment l’artiste met en correspondance la réalité du monde extérieur et sa vision intérieure. Libéré de tout élément accessoire, le visage de la femme aux yeux noirs n’exprime que le nécessaire, impérieux semble-t-il, son regard tendu et profond renforcé par le rouge des joues, le jaune du front, devenu sujet même du tableau. » [Christine Poullain]Alexej von Jawlensky (1864-1941) Jeune fille aux pivoines, 1909
« Mädchen mit Pfingstrosen montre le portrait à mi-corps d’une femme à l’expression méditative, la tête légèrement penchée sur le côté, les yeux mi-clos. La couleur de sa veste et de son chapeau posée en larges touches et hachures rouge vif semées de petits points noir et blanc entre en harmonie dissonante et puissante avec le vert jaune de son visage et de ses avant-bras et le vert acide du fond. Il émane de ce portrait aux tons stridents, et de manière paradoxale, une intériorité silencieuse qui évoque fortement la nécessité spirituelle prônée par Kandinsky. » [Christine Poullain]
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Il faudrait tous les citer, Kandinsky, Pechstein, Nolde, Jawlensky, Münter, Marc et Macke, Felixmüller, Dix et Grosz, Max Beckmann, Delaunay, Karl Schmidt-Rottluff, Eberslöh, Oppenheimer, Kees van Dongen, Heckel, Dufy, Müller, Kokoschka, Kirchner, Morgner, Georges Braque, qui nous enchantent et nous abreuvent par le lyrisme des couleursA l’origine du musée se trouvent les collections privées de deux cités prospères de la sidérurgie et du textile, Elberfeld et Barmen, qui fusionnent en 1929 seulement pour fonder Wuppertal. En achetant largement, en organisant des expositions, en conjuguant leurs forces, les banquiers von der Heydt et les industriels locaux défendent très tôt l’art de leur temps. Ils exposent même les Munichois du Blaue Reiter dès 1910, avant la fondation du mouvement. Rien d’étonnant : à Essen, Düsseldorf ou Cologne, il en va de même. Les collectionneurs, dans l’empire de Guillaume II, sont infiniment plus actifs et avant-gardistes que ceux de notre IIIe République – y compris pour ce qui est du postimpressionnisme et du fauvisme parisiens. En 1914, il y a des Dufy, des Van Dongen et des Braque à Wuppertal. Il n’y en a pas un dans un musée français.
Cette tendance se maintient constamment jusqu’en 1933. Le nazisme lui est fatal. Il y a d’abord les saisies de la campagne contre l’art dit « dégénéré », puis les destructions de la guerre. Insultes, pillages, bûchers : de 1937 à 1945, le Musée de Wuppertal perd 1 680 oeuvres, dont 531 sont détruites.
Dès 1910, longtemps avant qu’Elberfeld et Barmen ne soient réunis pour former la ville actuelle de Wuppertal, le musée d’Elberfeld et le Barmer Kunstverein commencèrent à exposer et collectionner les oeuvres des expressionnistes et de leurs successeurs. Des dons importants de collectionneurs privés, au premier rang desquels August et Eduard von der Heydt, vinrent enrichir ces fonds. En dépit des nombreuses pertes occasionnées par les confiscations d’oeuvres « dégénérées » par le régime nazi en 1937-1938, l’actuel musée Von der Heydt peut s’enorgueillir, grâce à des dons et acquisitions significatives, de posséder à nouveau une collection exceptionnelle d’art expressionniste. Les oeuvres des représentants de la Nouvelle Objectivité constituent un autre point fort des collections. (source musée marmottan)
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