Leonard de Vinci

Cène Léonard de Vinci, Louvre reconstitution 2019

Léonard de Vinci, jusqu’au 24 février 2020
la vidéo du Louvre
Le Louvre, hall Napoléon 

RÉSERVATION OBLIGATOIRE :
Forte de cette recommandation, mon billet était pris.
Dès le 11 novembre 2019, je me présente devant la pyramide du Louvre, où
l’affluence est à son comble. Pas encore de grève et ce n’est pas le jour des gilets jaunes. Un peu déconcertée, je m’avance prudemment, à la recherche du panneau des coupe fil, un gardien vient vers moi, et me conduit droit vers le tapis bleu (de France) qui me mène directement à l’intérieur du musée, il est midi, ma visite commence à 13 h 30. J’ai le temps de déjeuner
dans un des restaurants du musée. Puis vers 13 h je me présente à l’entrée de l’exposition. J’y suis dans le saint des saints. Impressionnante, la statue de bronze de 2,30 m de hauteur projette son ombre encore plus gigantesque sur le mur à l’entrée.

 Le Christ et saint Thomas, ou l’incrédulité de saint Thomas, réalisé entre 1467 et 1483 par Andrea del Verrocchio, artiste renommé dans la Florence du XVe siècle, non seulement marque le point de départ du parcours de l’exposition du Louvre, mais symbolise aussi le cheminement artistique de Léonard de Vinci (1452-1519), le plus célèbre des élèves de Verrocchio.
Puis je me précipite vers les draperies d’un splendeur inouïe.
La foule est dense.

Des œuvres magiques
Dès cette première salle, les dessins d’études du jeune artiste et ses belles détrempes (de la peinture sur lin, d’une délicatesse extraordinaire) montrent une virtuosité incroyable pour restituer non seulement le mouvement et le volume du drapé, mais déjà la réalité du corps humain censé être derrière l’étoffe.

L’exposition  du Louvre retrace le processus de création du
« génie universel », en réunissant, autour de neuf de ses peintures, une petite centaine de dessins rarement vus (L’Homme de Vitruve), des œuvres de ses élèves et de ses contemporains, ainsi qu’une série de
« réflectographies », images scientifiques permettant de révéler le dessin sous les couches de peinture et les différentes étapes du geste de l’artiste.

Quelques surprises ravivent mon enthousiasme :
Un dessin à la pointe de plomb, repris à la plume et à l’encre brune, représentant Bernardo Baroncelli dans un croquis macabre de Léonard de Vinci à Florence en 1479, montrant le corps de Bernardo Baroncelli pendu, en lien avec le meurtre de Giuliano de Medici, dans la conspiration Pazzi. Avec une intégrité impartiale, Leonardo a enregistré dans un miroir, en écrivant les couleurs des robes que portait Baroncelli à sa mort.

Une tête de femme échevelée, La Scapiliata le cartel dit terre d’ombre, sur bois, une pure merveille.

À l’occasion des 500 ans de la mort de Léonard de Vinci en France, le musée du Louvre conçoit et organise une grande rétrospective consacrée à l’ensemble de sa carrière de peintre. L’exposition entend montrer combien Léonard a placé la peinture au-dessus de toute activité et la manière dont son enquête sur le monde – il l’appelait « science de la peinture », fut l’instrument d’un art, dont l’ambition n’était autre que de donner la vie à ses tableaux. Autour de sa propre collection de 5 tableaux, la plus importante au monde – la Joconde reste toutefois exposée dans la salle des États – et de ses 22 dessins, le Louvre rassemble près de cent quarante œuvres, soit plus de 160 (peintures, dessins, manuscrits, sculptures, objets d’art) issues des plus prestigieuses institutions européennes et américaines : la Royal Collection, le British Museum, la National Gallery de Londres, la Pinacothèque vaticane, la Bibliothèque Ambrosienne de Milan, la Galleria Nazionale de Parme, le musée de l’Ermitage de SaintPétersbourg, les Gallerie dell’Accademia de Venise, le Metropolitan Museum de New York, l’Institut de France … L’occasion unique d’admirer 11 tableaux de l’artiste (sur moins de 20 qui lui sont attribués par les spécialistes) à côté d’une sélection de ses plus beaux dessins et de ses principaux manuscrits scientifiques.
La célébrité extraordinaire de cet infatigable curieux, perçu très tôt comme l’incarnation du génie et du savoir universels, l’aura presque surréaliste de la Joconde et la littérature considérable qui s’est accumulée de son époque à nos jours offrent une image confuse et fragmentaire du rapport de Léonard à la peinture. Aboutissement de plus de dix années d’un travail ayant vu, notamment, l’examen scientifique renouvelé des tableaux du Louvre et la restauration de trois d’entre eux (la Sainte Anne, la Belle Ferronnière et le Saint Jean Baptiste), permettant de mieux comprendre sa pratique artistique et sa technique picturale, l’exposition s’efforce également de clarifier la biographie de Léonard sur la base d’une reprise de l’ensemble de la documentation historique. Elle rompt avec l’approche canonique de la vie du maître florentin selon six périodes chronologiques rythmées par ses déplacements géographiques, en faveur de quelques clés qui en ouvrent l’univers. Émerge ainsi le portrait d’un homme et d’un artiste d’une extraordinaire liberté.
A l’issue de l’exposition, une expérience en réalité virtuelle, réalisée avec HTC Vive, permettra d’approcher la Joconde comme jamais.
Commissaires de l’exposition : Vincent Delieuvin, conservateur en chef du Patrimoine, département des Peintures, et Louis Frank, conservateur en chef du Patrimoine, département des Arts graphiques, musée du Louvre.

La visite est éprouvante, car chacun examine les nombreux et magnifiques dessins de façon très précise, puis les portraits, chacun y va de sa photo personnelle, vérifie si elle est bien prise, au besoin en reprend une nouvelle
rendant la circulation difficile, en plus de cela , il n’y a pas de siège prévu pour le repos.

La Vierge au Fuseau

Sommaire du mois de décembre 2019

Christian Boltanski au centre Pompidou

25 décembre 2019 : Joyeux Noël
24 décembre 2016 :La Collection Poitrey-Ballabio, Donation Au Musée Des Beaux Arts De Strasbourg
20 décembre 2019 : Hans Baldung Grien Au Musée De L’oeuvre Notre Dame
18 décembre 2019 : La Collection Alana
14 décembre 2019 : Cadeaux De Noël
11 décembre 2019 : Se Suspendre Aux Lendemains – Regionale 20
10 décembre 2019 : La Régionale À La Filature
09 décembre 2019 : EN COULEUR – LE SÉCHOIR
07 décembre 2019 : UN TOUT DE NATURE
04 décembre 2019 : La Peinture Figurative De Piet Mondrian
01 décembre 2019 : Hans Baldung Grien – Artiste D’exception De La Renaissance

La collection Alana

Lorenzo Monaco, (Florence, vers 1370 – 1425), L’Annonciation, vers 1420-1424 Tempera et or sur panneau, 136 x 98 cm, Collection Alana, Newark, DE,
États-Unis

Le musée Jacquemart-André met à l’honneur la collection Alana, l’une des plus précieuses et secrètes collections privées d’art de la Renaissance italienne au monde, actuellement conservée aux États-Unis.
Jusqu’au 20 janvier 2020.

Je m’étais promis de ne plus y retourner, les salles trop petites ne permettant pas de prendre du recul pour regarder les toiles, mais
alléchée par l’affiche, je me suis laissée tenter et je n’ai aucun regret.
Le nombre des visiteurs est contingenté, et si vous y allez à l’heure
du déjeuner, la visite peut se passer dans de bonnes conditions.

En écho à son exceptionnelle collection d’art italien, le musée Jacquemart André présente plus de 75 chefs-d’œuvre des plus grands maîtres italiens comme Lorenzo Monaco, Fra Angelico, Uccello, Lippi, Bellini, Carpaccio, Tintoret, Véronèse, Bronzino ou Gentileschi. Cette exposition offre l’occasion unique d’admirer pour la première fois des tableaux, sculptures et objets d’art jusque-là jamais été présentés au public.
COMMISSARIAT
Carlo Falciani, historien de l’art, commissaire d’expositions et professeur d’Histoire de l’Art Moderne à l’Académie des Beaux-Arts de Florence.
Pierre Curie, conservateur du musée Jacquemart-André, spécialiste de peinture italienne et espagnole du XVIIe siècle.
SCÉNOGRAPHIE
Hubert le Gall, designer français.

SECTION 1. LE CHOIX ÉBLOUISSANT D’UN COLLECTIONNEUR

Reconnue par les spécialistes comme l’un des plus grands ensembles d’art italien ancien en mains privées, la collection Alana se distingue par la qualité des œuvres qui la composent et également par leur présentation conçue par M. Saieh lui-même.
Dans les espaces où les œuvres sont conservées, la collection – qui ne se visite pas – développe un accrochage très dense, dans la tradition des grandes collections classiques et des Salons des XVIIIe et XIXe siècles. Les tableaux y forment des groupes alignés, dans un jeu de lignes droites perpendiculaires d’une surprenante rigueur géométrique. Fidèle à cet esprit, qui n’est pas sans rappeler le goût de Nélie Jacquemart dans les salles italiennes du musée, l’agencement de la première salle évoque l’extraordinaire scénographie de la collection Alana. Aux antipodes du goût actuel pour un certain dépouillement, l’accrochage, d’une profusion vertigineuse, reflète la passion des collectionneurs pour l’art italien. Vue

Vue collection Alana

Sur les deux premiers murs sont présentées des œuvres du XIVe siècle et XVe siècle, qui sont autant d’exemples de l’effervescence artistique que connait l’Italie à la Renaissance. Sur les panneaux à fond d’or, dans la continuité du style gothique, s’expriment déjà les innovations stylistiques propres au Trecento et au Quattrocento : le travail subtil de l’or, le raffinement des détails et surtout l’attention nouvelle portée aux figures, tant dans leur physionomie que leurs postures.

SECTION 2. LES ORS DES PRIMITIFS ITALIENS, À L’AUBE DE LA RENAISSANCE

Si l’accrochage de la première salle imite celui des collectionneurs, l’exposition suit ensuite un parcours chronologique plus classique qui rend compte des lignes de force de la collection Alana. La deuxième salle, qui réunit des œuvres majeures des XIIIe et XIVe siècles, évoque les prémices d’un renouveau de la peinture sur fond d’or.
Au XIIIe siècle, les influences culturelles s’entremêlent : les peintres s’inspirent de l’art byzantin stylisé (Huit scènes de la vie du Christ, peintre romain du XIIIe siècle), tout en se montrant attentifs aux innovations artistiques (Vierge à l’Enfant, Maître de la Madeleine). Leurs œuvres traduisent un même désir, celui de retrouver une relation plus directe avec Dieu et de raconter l’histoire des hommes, la foi qui les anime et l’amour de la nature qui les entoure.


SECTION 3. LA PREMIÈRE RENAISSANCE FLORENTINE, UNE NOUVELLE CONCEPTION DE L’ART

Le rayonnement économique de Florence s’affirme dès le début du XVe siècle, en s’appuyant sur une oligarchie de puissantes familles marchandes qui, comme les congrégations religieuses, deviennent de grands commanditaires pour les artistes. Dans ce climat d’effervescence également marqué par la redécouverte de la pensée et de l’art antiques, les maîtres de la Première Renaissance créent des œuvres d’envergure dont la collection Alana propose un florilège exceptionnel. 

Antonio Vivarini, Saint Pierre Martyr exorcisant un démon ayant pris les traits d’une Vierge à l’Enfant, vers 1450

SECTION 4. LA SPIRITUALITÉ FLORENTINE À LA FIN DU XVe SIÈCLE

La redécouverte de l’héritage antique permet à la peinture florentine de s’affranchir de la vision médiévale qui prévalait jusqu’alors pour laisser place à une nouvelle expression de ferveur religieuse. Dans les années 1470, l’iconographie de la Vierge à l’Enfant debout sur un élément architectural est très appréciée à Florence, aussi bien en sculpture qu’en peinture. L’atelier et l’entourage d’Andrea del Verrocchio, sculpteur de premier plan mais également peintre, en ont donné des versions très élaborées. Le panneau présenté dans cette salle permet d’évoquer cette pratique d’atelier et les variations proposées par de jeunes artistes à partir de compositions particulièrement appréciées à l’époque.

Cosimo Rosselli (Florence, 1439 – 1507), Le Christ Rédempteur / Christ de douleur, vers 1490 Tempera et or sur panneau, 39,5 x 30,4 cm, Collection Alana, Newark, DE, États-Unis

SECTION 5. LA GRANDE PEINTURE VÉNITIENNE

La collection Alana a récemment élargi ses limites chronologiques et géographiques en accueillant des œuvres du XVIe siècle. Au sein de ce nouveau corpus, les tableaux du nord de l’Italie, et en particulier de la Vénétie, constituent le groupe le plus important après celui de la peinture florentine, dans l’intention de documenter la variété des langages figuratifs italiens. C’est au cours de la deuxième moitié du XVIe siècle que la peinture vénitienne connaît un véritable âge d’or. Dans la lignée de Titien, Tintoret, Véronèse ou Jacopo Bassano multiplient sur leurs toiles les effets de pinceau, avec une grande liberté de facture. 

St Marc Véronèse

SECTION 6 ET 7. SPLENDEURS À LA COUR DES MÉDICIS, LA « BELLE MANIÈRE » MODERNE

Après la mort de Savonarole en 1498, la cité de Florence est en pleine mutation politique et culturelle. Les valeurs morales défendues pendant son gouvernement théocratique gardent de l’importance dans les décennies qui suivent, comme en témoigne l’autel portatif de dévotion personnelle réalisé par Franciabigio. Ce n’est qu’en 1512 que les Médicis, qui avaient fui en 1494, sont autorisés à revenir à Florence. Leur reconquête politique se fait en plusieurs temps, mais leur dynastie s’impose finalement en 1530. En cette période troublée, les arts conservent une place capitale à Florence. Le genre du portrait est particulièrement mis à l’honneur et permet à certains peintres de donner la pleine mesure de leur talent. Celui de Pontormo éclate ainsi dans le Portrait d’un joueur de luth, tant dans le traitement virtuose de son habit que dans l’expressivité de son visage.

Pontormo

SECTION 8. LE BAROQUE, UNE RÉVOLUTION PICTURALE

Le maniérisme prôné par Vasari connaît ses derniers feux à la fin du XVIe siècle. Le Concile de Trente (1545-1563), convoqué par le pape Paul III pour répondre aux questions soulevées dans le cadre de la réforme protestante, donne un nouveau rôle à la création artistique. Les œuvres ne doivent plus seulement être un support de dévotion, mais aussi d’enseignement, ce qui va favoriser l’émergence d’une nouvelle esthétique. L’un des premiers artistes à mettre en application les principes du Concile de Trente est Annibal Carrache. Avec son frère Agostino et son cousin Lodovico, il formalise les premiers traits d’un mouvement artistique qu’on appellera le baroque. Fondé sur la recherche d’un réalisme expressif, ce style pictural joue sur les effets dramatiques, l’exagération du mouvement, l’exubérance des formes et des couleurs, caractéristiques à l’œuvre dans L’Annonciation de Carrache et plus encore dans celle peinte sur albâtre par Orazio Gentileschi.

Bartolomeo Manfredi, Scène de taverne avec un joueur de luth, vers 1619–1620

Musée Jacquemart-André
158 boulevard Haussmann, 75008 Paris

Métro : Lignes 9 et 13, stations Saint-Augustin, Miromesnil
ou Saint-Philippe-du-Roule
RER : Ligne A, station Charles de Gaulle-Étoile
Bus : Lignes 22, 43, 52, 54, 28, 80, 83, 84, 93
HORAIRES  – 20 janvier 2020 Ouvert tous les jours de 10h à 18h.
Nocturne le lundi jusqu’à 20h30 en période d’exposition.

La peinture figurative de Piet Mondrian

Piet Mondrian, Ferme près de Duivendrecht, 1916 © Kunstmuseum Den Haag, The Hague, the Netherlands

Jusqu’au 26 janvier 2020 au musée Marmottan Monet
Commissariat : Marianne Mathieu, Directeur scientifique du  musée Marmottan Monet
Scénographie :  Anne Gratadour

composition n°IV/6 , la première toile  vue par Salomon Slijper 1914

Etonnant et surprenant, je n’en connaissais que les toiles abstraites.

La peinture figurative de Piet Mondrian (1872-1944) est longtemps restée méconnue. Pourtant, celui qui se distingue aujourd’hui comme le plus important collectionneur de l’artiste, Salomon Slijper (1884-1971) s’est passionné pour cet aspect longtemps oublié de son œuvre. Ayant rencontré le maître aux Pays-Bas pendant la Première Guerre mondiale, ce fils de diamantaire d’origine amstello-damoise réunit un ensemble unique de peintures et de dessins de l’artiste avec lequel il se lie d’amitié. Mondrian procède lui-même à la sélection d’une suite représentative de sa production exécutée entre 1891 et 1918, enrichissant l’ensemble de quelques pièces abstraites ultérieures ; la majorité des acquisitions ayant lieu entre 1916 et 1920.

Le soutien que Slijper apporte au peintre est de taille. A une époque où Mondrian ne parvient pas à vivre de son travail et fait des copies au Rijksmuseum pour joindre les deux bouts, les achats en nombre de son mécène lui permettent de financer son second séjour à Paris en juin 1919.
Le devenir de la collection Slijper n’est pas sans rappeler l’héritage de Michel Monet qui est l’un des fleurons du musée Marmottan Monet.
Comme le fils de l’impressionniste, Slijper est resté sans enfant. Comme ce dernier, Slijper a institué un musée, le Kunstmuseum de La Haye, son légataire. Comme le fonds Monet, la collection Slijper constitue le premier fonds mondial de l’œuvre de l’artiste.
Musée de collectionneurs ayant vocation à apporter un éclairage sur le rôle des amateurs dans la vie des arts, le musée Marmottan Monet a noué un partenariat exceptionnel avec le Kunstmuseum de La Haye pour organiser une exposition totalement inédite rendant hommage à Slijper et au Mondrian figuratif à travers la présentation de peintures et de dessins majeurs provenant exclusivement de la collection de l’amateur. La moitié des œuvres sont exposées pour la première fois ensemble, aucune n’a été montrée en France depuis plus de 20 ans.

Piet Mondrian, Ferme à Duiventdrecht, vers 1905 © Kunstmuseum Den Haag, The Hague, the Netherlands

PEINDRE DANS LA TRADITION (1898-1906)
Salomon Slijper apprécie particulièrement l’œuvre de jeunesse de Mondrian. Ses premiers paysages rappellent l’école de La Haye, un groupe de peintres néerlandais influents, recherchés des amateurs locaux et dont la démarche rejoint en partie celle des français de Barbizon. Les motifs du moulin et de la ferme à Duivendrecht, un village proche d’Amsterdam, s’imposent durablement dans l’œuvre du peintre et révèlent, à travers leur composition épurée, un intérêt précoce pour les horizontales et les verticales. Captés au crépuscule ou par temps de brume, ces « paysages atmosphériques » se distinguent par une palette sourde qualifiée, à l’instar de celle de ses ainés, de « peinture grise ». Les très petits formats sont considérés par l’artiste comme ses œuvres les plus personnelles. A travers ses panneaux, Mondrian ne cherche pas à dépeindre un instant précis mais l’expérience spirituelle de la nature. Bien que proche du motif, ces toiles dites « paysages intérieurs » attestent dès ses débuts de la démarche intellectuelle du peintre.

Piet Mondrian, Moulin dans le crépuscule, vers 1907-1908 © Kunstmuseum Den Haag, The Hague, the Netherlands

VERS LA MODERNITÉ : LE CHOIX DE LA COULEUR (1907-1908)
Vers 1907-1908, Mondrian aborde un tournant décisif. Si la palette sombre et nuancée des premières années est encore visible dans des toiles comme Paysage de soir Le Gein, Champ avec arbres au crépuscule, Arbres au bord de l’eau, Le Gain : arbres au bord de l’eau, Mondrian opte bientôt pour des couleurs pures, vives, fortement contrastées et posées en aplat. Grand Paysage et Moulin dans le crépuscule en sont les exemples les plus probants. Ils témoignent de considérations nouvelles de l’artiste pour qui
« les couleurs de la nature ne peuvent être imitées sur la toile ». Cherchant par ce biais à rendre compte de l’essence même de la nature (et pas seulement de sa perception), il se détache du visible et rompt avec les couleurs naturalistes. Il est dorénavant considéré comme un peintre moderne.

Mondrian Théosophe

MONDRIAN THÉOSOPHE
En 1909, Mondrian rejoint la société théosophique fondée en 1875. Cette dernière s’appuie sur les religions orientales, la philosophie et la science dans le but d’atteindre la vérité inhérente à toute chose. Particulièrement animé par ces principes, le comportement de Mondrian frappe son entourage qui décrit, non sans ironie :
« ce dingue de Mondrian dans la position du Bouddha au beau milieu
de la plage
» (Charley Toorop).
Il est probable que son changement d’apparence soit lié à la théosophie. Il adopte le genre bohème : se fait pousser la barbe et porte un collier de perles ainsi que des chemises froissées aux manches retroussées. Trois saisissants autoportraits au fusain datent de cette période. Mondrian se concentre sur son visage. Dans le plus grand, cerné de noir, sa face semble flotter telle une apparition. Le cadrage des deux autres est plus serré : l’un enserre rigoureusement le visage, l’autre ne donne à voir que son regard perçant
et habité. Ces effigies annoncent son œuvre symbolique.

Piet Mondrian, Bois près d’Oele, 1908 © Kunstmuseum Den Haag, The Hague, the Netherlands

LUMINISME (1908-1911)
A partir de 1908, Mondrian trouve un nouveau procédé pour traduire ses aspirations théosophiques. Sous l’impulsion du peintre Jan Toorop, il se tourne vers les écoles européennes : symbolistes, divisionnistes et fauves alors peu connues en Hollande. Mondrian en donne une interprétation libre érigeant la profusion de la lumière au rang de sujet, c’est le luminisme. Dans Bois près d’Oele ce sont les rayons perçant à travers les nuages qui embrasent le bois. Dans Dévotion, l’embrasement est lié au dessin en méandre : traduction de l’état d’esprit de la petite fille en prière et dans Moulin dans la clarté du soleil, il résulte d’une frappe frontale. À travers ces différents procédés, Mondrian exalte la couleur et son rayonnement – un principe ayant pour objectif de rendre visible le spirituel dans l’art. Pour Mondrian, la notion de « rayonnement » s’impose dès lors comme le critère propre à définir la beauté d’une toile, qu’elle soit figurative ou abstraite…

LE CUBISME EN QUESTION : FIGURATION OU ABSTRACTION ? (1910-1911)
Vers 1910, Mondrian découvre à travers des comptes-rendus d’expositions le cubisme. Il n’a pas encore vu l’œuvre de ses peintres pourtant leur influence est immédiate. Le néerlandais interprète librement ses lectures. Ainsi, tout en restant figuratif, ses formes évoluent. Elles sont plus simples, géométriques et monumentales comme en témoignent deux des plus grands formats qu’il ait jamais peints : Clocher en Zélande et Moulin. Les couleurs – toujours vives, contrastées et posées en aplat – tracent à présent des formes angulaires qui animent l’arrière plan de ses tableaux. En 1911, il est enfin confronté aux toiles de Braque et Picasso à Amsterdam d’abord puis à Paris où Mondrian séjourne pour la première fois. À 40 ans il aborde un tournant majeur. C’est le début de l’abstraction. À l’exemple des français, il adopte leur palette d’ocres gris et renonce un temps aux couleurs éclatantes. Les formes se fragmentent et se géométrisent. Toutefois, Mondrian s’inspire toujours du réel et ses motifs restent identifiables. Ainsi, l’arbre s’impose – aux côtés de rares figures et de paysages – comme son motif de prédilection.

ABSTRACTION ET FIGURATION : UNE COEXISTENCE PACIFIQUE (1913-1919)
En 1913, à Paris, ses recherches s’intensifient. Sa palette évolue vers des gris bleuâtres, ocres flous et magentas amortis. Ses toiles deviennent de plus en plus abstraites et s’organisent autour d’un réseau de verticales, horizontales et obliques. Mondrian procède à une simplification extrême des formes, peint des suites de lignes, réduit ses motifs à l’essentiel. Pour autant, il n’oppose pas figuration et abstraction. Ses toiles « cubistes » sont toujours inspirées du réel. Mondrian peint à Paris à partir de croquis naturalistes qu’il a réalisés au Pays-Bas ou s’inspire du motif nouveau que lui offrent les façades des immeubles parisiens. Vers 1916-1917, il n’hésite pas à renouer avec le style naturaliste.

Moulin de Blaricum
A la demande de Slijper, Mondrian exécute cette exceptionnelle suite représentant le Moulin de Blaricum, le village où réside son mécène. De même, il reprend le motif de Ferme à Duivendrecht qu’il avait traité pour la première fois au début du siècle.

Exposition musée Marmottan vue

VERS LE NÉOPLASTICISME (1919)
En 1919, Mondrian produit ses premières œuvres purement abstraites. Ces peintures ne s’enracinent plus dans le réel : ni l’arbre, ni la façade n’offre un point de départ à son travail. La démarche de Mondrian est purement spirituelle. Sur des toiles au format proche du carré, il trace des damiers colorés. Le rythme et le rayonnement émanant des lignes et des couleurs définissent un vocabulaire pictural nouveau – le néoplasticisme – dont l’objectif est de révéler « la beauté absolue », « l’essence de toutes choses » un principe auquel l’artiste est attaché depuis ses débuts. À ce stade de sa carrière, Mondrian a formalisé la théorie qui l’élève aujourd’hui au rang de père de l’abstraction. Pour autant, lorsqu’il entreprend son autoportrait en 1918, il ne fait pas voler son image en éclat. Il reste fidèle à la tradition naturaliste et au genre établi du portrait d’artiste posant en buste devant l’une de ses toiles en damier. Mondrian peint la rencontre de la figuration et de l’abstraction.

Piet Mondrian, Composition avec grille 8 : composition en damier aux couleurs foncées, 1919 © Kunstmuseum Den Haag, The Hague, the Netherlands

PEINDRE UNE FLEUR CHAQUE JOUR
La fleur est sans doute l’unique motif que Mondrian aborde sa vie durant, sans interruption. Ne parvenant pas à vivre de la vente de ses toiles néoplasticistes – combinaisons de verticales et d’horizontales noires et d’aplats de couleurs primaires – il produit des dessins de fleurs que ses amis – tel Slijper – proposent à une clientèle d’amateurs férue de tradition. C’est le cas par exemple de cette suite de Chrysanthèmes, invendue à une loterie organisée pendant la Première Guerre mondiale et rentrée après coup dans la collection de Slijper. Outre ces œuvres destinées au marché, Mondrian – à la manière d’un musicien qui commence sa journée en faisant ses gammes – peindra chaque matin des aquarelles florales. Rose dans un verre et Deux roses appartiennent à cet ensemble et illustrent, si besoin est, le rôle clé de la figuration dans l’œuvre de Mondrian que l’on ne saurait résumer à une stricte évolution allant du gris à la couleur et de la figuration à l’abstraction.


Piet Mondrian, Rose dans un verre, après 1921 © Kunstmuseum Den Haag, The Hague, the Netherlands

Musée Marmottan
Adresse
2, rue Louis-Boilly 75016 Paris
Site Internet www.marmottan.fr
Accès Métro : La Muette – Ligne 9 RER : Boulainvilliers –
Ligne C Bus : 32, 63, 22, 52, P.C.1
Jours et horaires d’ouverture
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h Fermé le lundi, le 25 décembre,
le 1er janvier et le 1er mai

Sommaire du mois de novembre 2019

Léonard de Vinci, exposition du Louvre, reconstitution des couleurs de la Cène

26 novembre 2019 : Du Douanier Rousseau À Séraphine, Les Grands Maîtres Naïfs
22 novembre 2019 : Yan Pei-Ming / Courbet Corps-À-Corps
20 novembre 2019 : ST-ART 2019
15 novembre 2019 : Boltanski – Faire Son Temps
09 novembre 2019 : Greco
04 novembre 2019 : Toulouse-Lautrec Résolument Moderne
01 novembre 2019 : Len Lye – motion composer

Du Douanier Rousseau à Séraphine, les grands maîtres naïfs

Jusqu’au 19 janvier 2020 au Musée Maillol

Le Musée Maillol accueille plus d’une centaine d’oeuvres issues du monde passionnant, rêveur, insolite et inépuisable des artistes dit « naïfs ». Appelés « primitifs modernes » par l’un de leurs fervents défenseurs, le collectionneur et critique d’art Wilhelm Uhde (1874-1947), ces artistes renouvellent la peinture à leur manière, à l’écart des avant-gardes et des académismes. Réunies pour la première fois à Paris, leurs oeuvres aux couleurs éclatantes livrent un pan souvent négligé de l’histoire de l’art de l’entre-deux guerres.

Sur les pas d’Henri Rousseau et de Séraphine Louis, l’exposition vise à révèle une constellation d’artistes tels qu’André Bauchant, Camille Bombois, Ferdinand Desnos, Jean Ève, René Rimbert, Dominique Peyronnet et Louis Vivin.

Autodidactes, comme le Douanier Rousseau qui les précède, ils sont venus à l’art en secret ou sur le tard, mus par une vocation contrariée, une injonction divine ou par l’Histoire. Par nécessité, ils ont concilié leur pratique artistique avec une profession souvent modeste : cantonnier, employé de maison, lutteur de foire, imprimeur ou fonctionnaire des postes. S’ils ne se connaissent pas, certains exposent aux Salons, d’autres sont vus et soutenus par des amateurs influents. On trouve parmi ces derniers André Breton, Pablo Picasso, Vassily Kandinsky, Le Corbusier, Henri-Pierre Roché, Maximilien Gauthier, Wilhelm Uhde, Jeanne Bucher, Anatole Jakovsky et Dina Vierny, fondatrice du Musée Maillol.

Issue d’une famille juive de Bessarabie émigrée en France dans les années 1920, modèle de Maillol et de Matisse, résistante dès les débuts de la guerre, Dina Vierny découvre la peinture d’André Bauchant chez Jeanne Bucher pendant l’Occupation. Encouragée par la galeriste, la muse ouvre sa propre galerie en 1947, puis la Fondation Dina Vierny – Musée Maillol, bien plus tard, en 1995. Elle y présente les artistes de son goût, parmi lesquels Vassily Kandinsky, Serge Poliakoff et Bauchant lui-même.

            André Bauchant, la boucherie

Après la guerre, une nouvelle rencontre joue un rôle décisif dans son parcours : celle d’Anne-Marie Uhde, qui lui cède la collection de son défunt frère Wilhelm. En organisant deux expositions mythiques,
« Les Peintres du Coeur-Sacré » en 1928 et « Les Primitifs modernes » en 1932, Wilhelm Uhde a réuni pour la première fois des artistes qui s’ignoraient. Après la guerre, Dina Vierny est l’une des seules, avec Anatole Jakovsky, à poursuivre le travail de cet amateur de la première heure : l’exposition
« Le Monde merveilleux des naïfs », présentée à la galerie en 1974, en témoigne. Près de cinquante ans après, le Musée Maillol rend hommage à ces artistes comme à ceux qui les ont défendus.

Louis Vivin

Rousseau, Bauchant, Bombois, Desnos, Ève, Louis, Rimbert, Peyronnet et Vivin
partagent un regard ébloui et un lyrisme détonnant. Bien qu’on ait pu les qualifier de réalistes, leurs oeuvres montrent des espaces disjoints, des scènes troublantes, des images mentales où l’obsession du détail atteint souvent une dimension extravagante et même surréelle. Comme les peintres primitifs de la pré-Renaissance, ils inscrivent leurs figures dans des espaces à plusieurs plans sans appliquer strictement les règles de la perspective. Et à rebours des avant-gardes, ils perpétuent une certaine tradition picturale, parfois renouvelée avec humour, en se consacrant essentiellement à la peinture de genre : natures mortes, scènes domestiques, paysages et portraits de leurs proches.

Mais leur extraction modeste ne les isole pas de la modernité, ni même de la scène artistique. À l’exception de Rousseau, ils sont nés dans les dernières décennies du XIXe siècle et ont vécu l’accélération de l’ère industrielle et le choc de la Première Guerre mondiale. S’ils ne fréquentent pas les écoles ou les ateliers de maîtres reconnus, la reproduction mécanique alimente leur imaginaire visuel : presse, ouvrages illustrés, catalogues et cartes postales constituent un
« monde en conserve » à leur entière disposition. Collages d’images mentales plutôt que représentations photographiques de la réalité, leurs oeuvres ont bien souvent cet effet d’ « inquiétant familier » que les surréalistes, à la même époque, aspirent à exploiter. Chacun à sa manière, les artistes réunis au Musée Maillol créent un ensemble original, riche de sensations et de souvenirs associés aux détails du monde, et dont le pouvoir de séduction va bien au-delà du charme de la maladresse technique.

L’exposition, à travers un parcours thématique, souligne les qualités picturales de ces artistes, va plus loin de l’anecdote biographique qui a longtemps constitué le seul commentaire disponible sur eux. Une sélection d’oeuvres étonnantes et à contre-courant, issues d’importantes collections publiques (Musée d’Orsay, Musée de l’Orangerie, Musée Picasso, Centre Pompidou, LAM, Kunsthaus de Zurich, Kunsthalle de Hambourg) et collections privées françaises et internationales, révèle la grande inventivité formelle de chaque artiste, sans dissimuler les dialogues qu’ils entretiennent avec la tradition picturale comme avec la création de leur temps.

Séraphine de Senlis

En croisant approches historique, analytique et sensible des oeuvres et de leur présentation au monde, le Musée Maillol lève le voile sur la dimension subversive de l’art dit naïf et présente ces naïfs, primitifs, modernes ou antimodernes, comme des grands artistes à contre-courant des avant-gardes.

Commissariat : Jeanne-Bathilde Lacourt, conservatrice en charge de l’art moderne au LaM, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole.
Àlex Susanna, écrivain, critique d’art et commissaire d’expositions

Photo 2 : Séraphine de Senlis
Photo 6 : Camille Bombois
Photo 7 : Camille Bombois, fillette à la poupée
Photo 8 : Ferdinand Desnos, portrait de Paul Léautaud et ses chats

Yan Pei-Ming / Courbet Corps-à-corps

Yan Pei-Ming, la Montagne Céleste 2019

À l’occasion du Bicentenaire de Gustave Courbet (1819-1877), le Petit Palais présente Yan Pei-Ming / Courbet, Corps-à-corps,
Jusqu’au 19 janvier 2020, prolongeant ainsi l’exposition organisée
cet été au musée Courbet à Ornans.

 

Une dizaine d’œuvres de Courbet, toutes issues des collections du Petit Palais, sont montrées en regard d’une quinzaine de toiles monumentales de Yan Pei-Ming réalisées pour certaines dans l’atelier de Courbet à Ornans. Elles sont présentées cette fois dans un accrochage volontairement inspiré des Salons du XIXe siècle, expérience inédite pour l’artiste.


Le Petit Palais possède en effet l’une des plus grandes collections de tableaux de Courbet grâce à des achats de la Ville de Paris effectués dès la fin du XIXe siècle, enrichis au début du XXe siècle par les dons de sa sœur, Juliette Courbet et du critique Théodore Duret. Cet ensemble comprend des œuvres majeures du chef de file des réalistes telles que Le Sommeil, Les Demoiselles de Bord de Seine, Proudhon et ses enfants, L’Autoportrait au chien, Les Amants dans la campagne, ou encore La Sieste pendant la saison des foins

Yan Pei-Ming découvre le travail du peintre français dans un livre de propagande en noir et blanc lors de ses premières années d’études en Chine. Installé en France depuis 1980, il redécouvre alors la diversité de l’œuvre de l’artiste pour laquelle il nourrit une fascination accrue. De fait, dans ce corps-à-corps présenté dans la galerie des grands formats du Petit Palais, la matérialité des peintures de Yan Pei-Ming et de Courbet se parlent et se répondent. L’épaisseur de la touche de Gustave Courbet trouve son écho dans le caractère gestuel de la technique de Yan Pei-Ming, qui favorise le ressenti plutôt que la visualisation. vidéo

Ensuite, par le choix des sujets
« classiques » comme des portraits, des nus, des paysages et des animaux, autant de thèmes que l’on retrouve aussi chez Courbet, l’artiste franco-chinois cherche à créer des liens contextuels et allégoriques avec le grand maître. Courbet cherchait à dévoiler l’homme au prise avec ses maux, ses souvenirs et sa nostalgie avec une précision qui permet un jaillissement sentimental authentique.

On retrouve chez Yan Pei-Ming une démarche similaire, où le souvenir et l’intime tiennent une place cruciale, tel L’Oncle aveugle, (2019). Les œuvres exposées possèdent une charge émotionnelle forte dans la mise en lumière de l’histoire personnelle de chacun.

L’artiste à 58 ans, Yan Pei-Ming, (2019) est une véritable mise en abîme de la place de l’artiste face à Courbet qu’il considère comme un peintre révolutionnaire dans sa manière d’appréhender le sujet. En parallèle à cet autoportrait, il lui rend hommage en reproduisant un portrait tiré du dernier cliché connu de celui-ci, avant sa mort à 58 ans.
«Chaque matin, j’ai pris mon café en peignoir dans l’atelier de Courbet. J’ai vécu, comme lui, dans la maison mitoyenne. Courbet est mort à 58 ans, j’ai 58 ans ».
En réinterprétant les œuvres du grand maître, Yan Pei-Ming amorce un questionnement profond vis-à-vis de la peinture classique tout en lui rendant hommage.
Yan Pei-Ming, né à Shangaï en 1960, est le premier artiste à avoir été invité en résidence dans l’atelier de Courbet à Ornans où la présence du maître est, d’après lui, encore très forte. Représenté dans de grandes collections publiques telles que le musée national d’art moderne au Centre Pompidou ou le Louvre Abu Dhabi, son travail est montré pour la première fois cet automne au Petit Palais.
Parallèlement, le musée d’Orsay présente de son côté une œuvre monumentale inspirées de L’Enterrement à Ornans de Gustave Courbet
Un Enterrement à Shanghaï
Un trytique  : Montagne Céleste, Ma Mère, L’Adieu


Artiste contemporain reconnu pour sa palette monochromatique et sa touche vigoureuse, Yan Pei-Ming vit et travaille aujourd’hui à Dijon.
(Ici l’exposition : L’Homme qui pleure)
Ancien pensionnaire de la Villa Médicis en 1993, il connaît une véritable consécration sur la scène internationale après sa participation remarquée
à la Biennale de Venise en 2003.

Boltanski – Faire son temps

Jusqu’au 16 mars 2020, au Centre Pompidou, dans une vaste déambulation en forme de méditation sur la vie et son cours, l’exposition de l’oeuvre de Christian Boltanski, propose un regard singulier sur l’un des principaux artistes de notre temps. Il donne à voir un art qui s’est sans cesse réinventé.

Après la première rétrospective que le Centre Pompidou lui consacrait en 1984, cette nouvelle exposition développe un,parcours de 2000 mètres carré au coeur duquel Boltanski met en scène un choix d’oeuvres par lesquelles il ne cesse d’explorer la frontière entre présence et absence.

Conjuguant mémoire individuelle et collective à une réflexion toujours plus approfondie sur les rites et codes sociaux,

Boltanski développe depuis un demi-siècle une oeuvre sensible et corrosive, tel un état de veille lucide sur nos cultures, leurs illusions et désenchantements.

« Ceux qui m’intéressent sont toujours des inconnus, des anonymes. Je pense que chacun de nous est totalement unique et extrêmement important et que tous les humains sont prodigieux, donc tous les humains méritent mon attention. »

« La grande question que je me suis posée c’est l’importance de chacun et de sa fragilité. On se souvient de son grand père mais pas de son arrière grand père : il y a le merveilleux de chacun, mais qui s’efface très rapidement. Chaque être humain mériterait d’avoir son musée après ses 60 ans. »


Depuis ses débuts, en 1967, Boltanski scrute la vie des hommes et ce qui en subsiste après la mort, une fois qu’ils ont fait leur temps. En recourant à l’inventaire et l’archive, il développe au gré d’albums photographiques ou d’objets reconstitués comme autant de souvenirs d’enfance, un essai de reconstitution de la vie des êtres pris dans l’anonymat de leur disparition. Par le biais de « petites histoires », il met en exergue tout un chacun et personne et s’attache à la mise en forme fragile et troublante d’une mémoire collective de l’humanité.

(…) D’envois postaux en documents mêlant fictions et vies réelles, d’évocations de l’enfance perdue à la suggestion de la mort latente, Boltanski a toujours mis en scène la fragilité de l’être. L’éphémère gouverne tout l’oeuvre et l’utilisation d’éléments voués à la conservation,
à  la pérennisation, tels les boîtes métalliques ou les vitrines apparaissent d’abord comme un vocabulaire plastique récurrent au coeur de ses premières oeuvres. (…)

La pratique de Boltanski concilie ainsi le caractère dérisoire de toute action avec le désir de permanence et de préservation propre à toute civilisation. Elle témoigne aussi de l’acharnement avec lequel l’art tente de réussir à se saisir de la vie et de lutter contre l’oubli.

L’art de Boltanski est d’abord un art du temps qui passe. (…)

A partir de 1984, ses oeuvres se détachent de l’ironie et de l’humour qui les constituaient et se font plus sombres. Les Monuments, les Reliquaires, les Réserves conjuguent les thèmatiques du souvenir et de la disparition. Au-delà de ses travaux liés à la mémoire du monde, les oeuvres de Boltanski tendent à montrer, de manière chorale, les structures mises en place par l’homme pour faire face à la mort. (…)

Les années 1990 voient son travail s’orienter de plus en plus vers une recherche portée par des mythes et des légendes puisant à l’imaginaire collectif. En privilégiant des projets au contenu « humaniste » comme le démontre la conception des Archives du coeur, enregistrements d’innombrables battements de coeurs, collectés, au fil du temps, à travers le monde et conservés à l’abri du temps sur l’île de Teshima, au Japon, Boltanski fait de son oeuvre une ample allégorie de l’éternité.

Dans ses oeuvres plus récentes, Boltanski explore la fatalité et questionne le hasard en construisant des dispositifs où la vie s’apparente toujours plus à une loterie. Plus près de nous encore, les immenses installations immersives de l’artiste se confrontent aux espaces du bout du monde qu’il aime désormais arpenter, à la recherche de mythes enfouis qui deviennent le support de ses propres installations. (…)

Conçue sous la forme d’un labyrinthe et comme une oeuvre en soi, l’exposition conduit le visiteur à s’immerger au coeur d’une méditation sur la préservation de l’être. Se rapprochant du champ plastique et temporel du théâtre, domaine qu’il investit depuis plusieurs années, l’artiste dresse la scène d’une grande métaphore du cycle humain, de la naissance à la disparition.

Extraits d’un entretien avec
Bernard Blistène
Directeur du Musée national d’art moderne,
Commisaire de l’exposition

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Le Greco

GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
l’Assomption de la Vierge

1577-1579
Huile sur toile 403,2 x 211,8 cm
Chicago, The Art Institute of Chicago; don de
Nancy Atwood Sprague en mémoire d’Albert
Arnold Sprague, 1906
Photo © Art Institute of Chicago, Dist. RMN-Grand
Palais / image The Art Institute of Chicago

Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, le musée du Louvre et l’Art Institute of Chicago où elle sera présentée du 8 mars au 21 juin 2020.
Jusqu’au 10 février 2020 à Paris
commissariat : Guillaume Kientz, Conservateur d’art européen, Musée d’art Kimbell, Fort Worth, USA
commissaire associée : Charlotte Chastel-Rousseau, Conservatrice de la peinture espagnole et
portugaise, Musée du Louvre, département des Peintures
scénographie : Véronique Dollfus
Vidéo


Au fond, la vie de Greco c’est celle d’un émigré Grec qui veut réaliser son rêve : devenir un grand peintre de la Renaissance. Malgré de nombreuses vicissitudes il y parvient, mais il va surtout au-delà.
En effet, si Velázquez est le peintre des peintres, Greco est celui des écrivains. Nul autre que lui n’a autant inspiré les poètes. Si Velázquez est une révélation pour la génération romantique (Manet),
Greco est une révolution pour les avant-gardes (Picasso). Mieux, il est l’un des leurs, un cubiste et un Fauve, car Greco est l’outsider de la peinture ancienne. Son art en quelque sorte c’est la Renaissance à l’état sauvage.
(
Guillaume Kientz)

Cette rétrospective est la première grande exposition jamais consacrée en France à cet artiste.

Le style et l’image
Doménikos Theotokópoulos, dit Greco, e
st incontestablement l’un des talents les plus originaux de l’histoire de l’art. Sa peinture si singulière a suscité de nombreuses théories, souvent farfelues.
On a fait de lui un fou, tantôt hérétique, tantôt mystique. Certains même, pour justifier les audaces de sa palette, l’ont imaginé astigmate. La vérité est moins romanesque… encore que ! De Crète à Venise, de Venise à Rome et de Rome à Tolède, son itinéraire hors du commun et son obstination à défendre sa vision de l’art l’ont élevé, à la force du pinceau, parmi les grands maîtres de la Renaissance, avant de faire de lui, bien plus tard, le prophète de la modernité.

La scène artistique qu’il découvre en Italie lorsqu’il s’y installe vers 1567 est partagée entre Titien dont le pinceau règne dans la cité des Doges, et Michel-Ange (mort en 1564) dont l’art domine toujours Rome
et Florence. Greco doit trouver sa voie. Il épouse la couleur de l’école vénitienne, mais lui concilie la force du dessin et de la forme michelangélesque. Parallèlement, alors que l’Eglise cherche de nouvelles
images pour répondre à l’iconoclasme protestant et reconquérir les âmes, il met à profit sa grande imagination pour proposer de nouvelles solutions figuratives. Les temps semblent favorables à celui qui veut se faire une place et un nom. Les images et le style : tout est à réinventer. C’est le défi que se lance Greco.

Les quelques 75 oeuvres rassemblées dans cette exposition entendent rendre hommage au génie inclassable et sauvage que fut Greco. Avec ses cimaises blanches et simples, la scénographie veut laisser
à l’artiste le monopole de la couleur et recréer la modernité de regard qui accompagna sa redécouverte par les avant-gardes.
Entre Orient et Occident
C’est sur une île grecque, la Crète, que Greco voit le jour vers 1541, à Candie, actuelle Héraklion, alors dominée par Venise. Il se forme dans la tradition byzantine des peintres d’icônes comme en témoigne son Saint Luc peignant la Vierge, mais pratique aussi un style hybride s’inspirant de l’art occidental qu’il connait à travers les gravures et les tableaux importés de Venise

GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
Saint Luc peignant la Vierge
1560-1566
Tempera et or sur toile, marouflée sur bois
41 × 33 cm
Athènes, musée Benaki

Rêvant au statut d’artiste conquis par les peintres de l’Italie de la Renaissance, il s’installe à Venise. Mais arrivé dans la cité des Doges, il doit faire face à la réalité du marché de l’art qui laisse peu de place à un
jeune étranger fraichement débarqué et sans appui.

De Crète en Italie – 1560 – 1576
Arrivé à Venise dans les premiers mois de l’année 1567, Greco y trouve une société cosmopolite dont les accents orientaux lui rappellent sa Crète natale. Surtout, il y découvre Titien, son modèle, dont il fréquente peut-être l’atelier, Tintoret, dont le style dynamique le stimule, Pâris Bordone, dont il admire les perspectives architecturées, et Jacopo Bassano dont il retiendra sa vie durant le clair-obscur. Il y apprend la grammaire de la Renaissance et le langage de la couleur chère à Venise. Face aux tenants de la ligne, menés par le Toscan Giorgio Vasari [cat. 19], il embrasse la cause des défenseurs du colorito

Ces premières années italiennes, entre 1567 et 1570 environ, lui permettent de transformer son écriture artistique. S’inspirant de gravures mais plus encore par l’observation et l’intuition directe de la peinture,
il abandonne l’art appliqué de l’icône pour adhérer aux ambitions de la Renaissance. Le Triptyque de Modène [cat. 03], pierre angulaire de son évolution, témoigne de cette conversion. Les deux compositions
qu’il consacre à l’Adoration des mages [musée Benaki – cat. 2, et Fondation Lázaro Galdiano – cat. 6] montrent le chemin rapidement parcouru et ouvrent la voie à ses premiers tableaux proprement vénitiens.
Ne parvenant à trouver sa place dans le marché très concurrentiel de la Sérénissime, Greco est contraint de tenter sa chance ailleurs, et rejoint Rome.

Penser grand, peindre petit
De Venise à Rome, Greco peint essentiellement des tableaux de petit format, sur bois. Intrinsèquement lié à l’art de l’icône, le bois reste longtemps pour lui un support de prédilection. Il y trouve un terrain idéal où parfaire son apprentissage et expérimenter des solutions nouvelles, comme pour l’iconographie de saint François [cat. 11, 12]. Quasi inconnu en Italie et ignorant la technique de la fresque, il n’a accès ni aux grandes commandes décoratives, ni aux tableaux d’autel. Le marché des tableautins de dévotion ou de cabinet lui est davantage ouvert.

La Pietà [cat. 13] et La Mise au tombeau du Christ [cat. 14] sont caractéristiques de ces années romaines et de sa réponse critique à l’art de Michel-Ange, qu’il se plait à reformuler et à « corriger ». En 1572, son
arrogance face à l’oeuvre du grand maître florentin lui aurait valu d’être chassé du palais Farnèse où il était hébergé.

Cette même année, son nom figure sur les registres de l’Académie de saint Luc, la corporation des peintres. Une erreur de lecture a longtemps fait croire qu’il y était inscrit en tant que peintre de miniatures.
Bien qu’il n’en soit rien, il manifeste un intérêt constant et un talent réel pour les petits formats et n’hésite pas à représenter saint Luc, patron des peintres, sous les traits d’un enlumineur [cat. 10].

Les portraits
Parmi les nombreuses facettes du talent de Greco, celle de portraitiste n’est pas la moindre. Dès sa période romaine (1570-1576), il semble jouir d’une solide réputation dans ce genre. Ainsi, dans sa lettre de recommandation au cardinal Farnèse, l’artiste miniaturiste Giulio Clovio mentionne un autoportrait de Greco qui suscite l’admiration de tous les peintres de Rome. Si ce tableau est aujourd’hui perdu, d’autres toiles témoignent de son succès dans le genre du portrait. Comme dans l’ensemble de sa production, il évolue d’un style fortement vénitien à une manière puissante et plus personnelle.
GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
Portrait du cardinal Niño de Guevara
Vers 1600
Huile sur toile
171 × 108 cm
New York, The Metropolitan Museum of Art

Sa fréquentation des cercles humanistes du palais Farnèse lui permet en outre d’accéder à la société érudite de son temps. Sa vie durant, il y trouvera ses amis, ses soutiens et ses commanditaires. Comme une galerie d’illustres, ses portraits fixent les traits et l’intelligence des brillants personnages, profonds ou puissants, qui posent pour lui, à Rome d’abord, à Tolède ensuite.

Les premières grandes commandes
Tout comme Venise, Rome reste fermée à Greco. On a longtemps cherché dans son tempérament arrogant les raisons de ce nouvel échec. Il ne faut cependant pas sous-estimer les difficultés que pouvait alors rencontrer un peintre étranger. Sans appui, maitrisant imparfaitement la langue italienne et ignorant la technique de la fresque, il n’est pas aisé de se faire une place dans une ville aux mains de dynasties d’artistes bien installées.
L’Espagne serait donc son Eldorado. On dit que le roi Philippe II, grand admirateur de Titien, cherche des peintres pour décorer son gigantesque monastère de l’Escorial. Luis de Castilla, un ami espagnol rencontré à Rome, l’assure de son soutien auprès de son père, Diego, doyen des chanoines de la cathédrale de Tolède.
Alors que Madrid émerge à peine, Tolède est la cité la plus prospère de Castille. Greco croit à sa chance.
En 1577, il signe deux contrats avec Diego de Castilla : l’un pour L’Expolio de la sacristie de la cathédrale [cat. 15], l’autre pour le retable monumental et les deux autels latéraux de l’église du couvent de Santo
Domingo el Antiguo [cat 35, 36 et 37]. Greco a enfin l’occasion de montrer l’étendue de son talent.

ou le Songe de Philippe II

Peu après, vers 1578-1579, il entreprend un tableau pour le roi, L’Adoration du nom de Jésus [cat. 18], véritable manifeste chrétien. C’est un succès. Le monarque lui passe une nouvelle commande pour une chapelle de l’Escorial dédiée au martyre de saint Maurice, mais cette fois, accusée de manquer de piété, l’oeuvre déplait fortement. Il n’y aura pas de troisième fois.

Greco et Tolède
Tolède rayonne dans toute l’Europe comme l’un des grands centres artistiques et culturels. Quand Greco s’y installe, il se trouve à son aise parmi une clientèle lettrée qui partage l’esprit humaniste découvert lors
de ses années italiennes. La vieille cité impériale devient dès lors le cadre – et presque le personnage secondaire – de nombre de ses compositions dont les arrière-plans laissent voir les monuments emblématiques : la cathédrale, l’Alcazar, le pont d’Alcántara… C’est notamment le cas du Saint Martin et le mendiant [cat. 32].
Le développement de la dévotion privée amène de nombreuses familles tolédanes à fonder des chapelles et des oratoires. La demande de tableaux s’accroît d’autant. Greco profite de ce contexte favorable et se dote bientôt d’un atelier pour pouvoir répondre aux commandes ordinaires tandis
qu’il travaille lui-même aux marchés les plus importants. Parallèlement, il dépense beaucoup de temps et d’énergie en procès contre des mauvais payeurs, dont l’Eglise souvent, qui négocient à la baisse le prix
de ses oeuvres une fois livrées.

Variations sur le motif
Greco place la variation au coeur de son processus créatif. Faut-il y voir un héritage de sa formation byzantine fondée sur la répétition de prototypes ? Est-il inspiré par les pratiques observées dans les ateliers vénitiens ? Quoi qu’il en soit, son art semble s’animer de cette tension permanente entre invention et variation. Cette approche lui offre en effet l’occasion de retravailler une formule, de trouver des alternatives et, de variations en variations, de parvenir à des solutions inédites et affinées.St Pierre et St Paul

D’une certaine façon, sa démarche originale devance le travail en série propre aux impressionnistes et à Cézanne. Elle conduit en tout cas Greco à former son propre alphabet artistique et à imposer ses canons à travers un
catalogue d’images et de types. Si elle témoigne d’une incroyable fertilité d’imagination, elle entraine aussi son art dans une logique autoréférentielle qui finit par former un monde clos, nourri de lui-même, souverain mais progressivement isolé.

Greco, architecte et sculpteur
L’intérêt de Greco pour l’architecture est manifeste dès ses débuts en Italie. Il admire Sebastiano Serlio (vers 1475-1564) et plus encore Andrea Palladio (1508-1580) qu’il a pu rencontrer. Sa bibliothèque inclut les Dix livres d’architecture de Vitruve [cat. 45], architecte et théoricien latin republié en 1556 par Daniele Barbaro.

Il annote son exemplaire de nombreux commentaires, vraisemblablement dans l’idée de rédiger lui-même un traité. Si Greco n’a conçu aucun monument que l’on puisse identifier, il conçut des architectures éphémères aujourd’hui disparues et, de façon certaine, les dessins des retables dont il reçoit la commande.

Le tabernacle qu’il exécute pour l’hôpital de Tavera [cat. 40] est à ce titre un témoignage exceptionnel. Ce monument miniature abritait en outre un ensemble de sculptures dont le contrat de 1595 précise qu’il devait en être l’auteur. Seul Le Christ ressuscité nous est parvenu [cat. 39]. Il s’agit de l’un des très rares exemples – le seul qui soit véritablement incontestable – de l’activité de Greco en tant que sculpteur.

Greco et le dessin
Greco place la peinture au-dessus de tous les autres arts. Dans le débat entre tenants de la ligne et tenants de la couleur, il prend clairement le parti de ces derniers. Rarement conservé, le dessin, qu’il pratique de façon marginale, est une simple modalité fonctionnelle dans son processus de création.

Seules sept feuilles peuvent aujourd’hui être attribuées à Greco avec un certain degré de certitude :
deux, de sa période italienne, sont des méditations d’après Michel-Ange [cat. 43, présentées au début de l’exposition] ; trois sont préparatoires au grand retable de Santo Domingo el Antiguo à Tolède [cat. 41,
42] ; deux enfin sont liées à l’importante commande passée pour le collège de Doña Maria de Aragón à Madrid [cat. 44].

Greco et L’atelier
En 1585, Greco installe sa famille et son atelier dans trois appartements qu’il loue au palais du marquis de Villena.
L’atelier lui permet de développer le versant commercial de sa production en multipliant les exemplaires d’une même composition, qu’il peut à l’occasion retoucher et même signer. Cette organisation rend
possible une activité soutenue dont le rythme s’intensifie significativement à partir des années 1600.

GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
Portrait de Jorge Manuel Theotokópouli, fils de l’artiste 1603
Huile sur toile 74 × 51,5 cm
Séville, Museo de Bellas Artes de Sevilla

La tentation est grande d’attribuer une partie de ces oeuvres au propre fils de l’artiste, [cat. 72] mais les faits sont moins conciliants. Les documents laissent à penser que ce dernier aurait préféré devenir architecte ;
il le devient d’ailleurs à la mort de son père. À partir de 1603 cependant, il figure dans les contrats aux côtés de Greco. Sa présence sert notamment à garantir l’achèvement des commandes en cas de décès du maître. Cette précaution devait viser à rassurer les clients inquiets de la capacité de
Greco à honorer ses nombreux marchés.

Le Christ chassant les marchands du Temple – 1570-1614
Emblématique plus que toute autre, la série du Christ chassant les marchands du Temple permet, autour
d’un même thème et d’une même composition, de suivre Greco de ses premières années italiennes à ses dernières années tolédanes. Ce ne sont pas seulement le style, la technique, le format ou le support
qui varient de tableau en tableau, c’est l’artiste lui-même qui se ressource et se réinvente.

GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
Le Christ chassant les marchands du Temple
Vers 1575 Huile sur toile 116,9 x 149,9 cm
Minneapolis, Minneapolis Institute of Art ; The William Hood Dunwoody Fund
Le sujet dut particulièrement le marquer. Peut-être s’identifie-t-il à ce Christ en colère qui purifie le Temple comme il entend purifier la peinture de ceux qui la trahissent, de ceux qui ne savent pas l’apprécier, ou
encore de ceux qui rechignent à rétribuer la création artistique à sa juste valeur? Quelles que soient ses motivations, cette composition l’accompagne tout au long de sa carrière. Elle emprunte tour à tour à l’architecture vénitienne et romaine comme à la sculpture antique et à Michel-Ange.

GRECO (Domínikos Theotokópoulos)
L’ouverture du cinquième sceau, dit aussi la vision de saint Jean
1610-1614 222,3 × 193 cm Huile sur toile
New York, The Metropolitan Museum of Art; Rogers Fund, 1956

Greco finit par s’y citer lui-même en reprenant dans la toile de l’église San Ginès à Madrid [cat. 53] le motif du retable qu’il exécute pour l’église d’Illescas. Comme un phénomène de persistance rétinienne, la figure effrayée, bras en l’air, réapparaît au fil des années : sur Le Triptyque de Modène [cat. 03], Le Songe de Philippe II [cat. 18] ou L’Adoration des bergers du musée national de Bucarest (1596-1600). À l’extrême fin de sa vie, elle devient le personnage principal de La Vision de saint Jean [cat. 76].

Derniers feux – 1600-1614
Quand Greco s’éteint en 1614, Caravage est mort depuis quatre ans déjà. Qui pourrait penser qu’une telle peinture fût encore possible si tard dans un siècle qu’on dirait bientôt « baroque » ? Cette anomalie
n’est due qu’à la résistance du pinceau de Greco et au fier isolement de Tolède, devenue sa citadelle.

Jeune garçon soufflant sur une braise (El Soplón)
Vers 1569-1570
Huile sur toile
60 × 50,8 cm
Madrid, collection Colomer

A bien des égards pourtant, ses clairs-obscurs, ses grands effets déclamatoires, sa touche libre et enlevée anticipent l’art de certains peintres du XVIIe siècle. Après un long temps d’oubli, ce sont les
impressionnistes et les avant-gardes qui sauront le redécouvrir et le comprendre au point d’en faire leur prophète, voire, plus intimement encore, leur camarade sur les bancs indisciplinés de la modernité.

St Véronique
Tolède

« De l’inconnu, des noces qui s’y consomment et qui nous valent les chefsd’oeuvre, Greco tire la pourriture divine de ses couleurs, et son jaune et
son rouge qu’il est le seul à connaître. Il en use comme de la trompette des
anges. Le jaune et le rouge réveillent les morts qui gesticulent et déchirent
leur linceul […]. Les créatures de Greco, ne les verrait-on pas souvent
déshabillées par la foudre ? Elles restent nues sur place, immobilisées
dans l’attitude où elles furent surprises par la mort.
Et leurs linges s’envolent, se tordent, s’arrachent au loin, figurent les
nuages auxquels on ne peut pas ne plus revenir dès qu’on s’occupe
de Greco […]. Un jour nous verrons ce limon sculpté de la terre devenir
les Baigneurs de Cézanne, et de croisement en croisement, aboutir à
l’effrayante race d’hommes sauterelles, d’hommes chiens, d’ogres à tête
de bouquet de fleurs dont Salvador Dali peuple ses solitudes. »
Jean Cocteau, Le Greco, 1943

Ce que j’en retiens, c’est le jeu des mains, les regards levés vers le ciel, ou échangés, les paysages

Grand Palais
Galeries nationales
Galerie sud-est

Podcats France culture

Toulouse-Lautrec Résolument moderne

Jusqu’au 27 janvier 2020 au Grand Palais galeries nationales
entrée Square Jean Perrin
commissariat : Stéphane Guégan, Conseiller scientifique auprès de la Présidence de l’établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie ; Danièle Devynck, Conservateur en chef, Directrice du musée Toulouse-Lautrec, Albi
scénographie : Martin Michel

Lautrec Yvette Guilbert

Trois rejets conditionnent la vision courante de Toulouse-Lautrec (1864-1901) : il aurait méprisé les valeurs de sa classe, négligé le marché de l’art, exploité le monde de la nuit parisienne et du sexe tarifié, en le regardant de haut. La libération des formes et la verve satirique du meilleur de l’oeuvre en seraient la preuve. A cette vision conflictuelle de sa modernité, typique des années 1970-1980, il faut en substituer une autre, plus positive. Cette exposition – qui réunit environ 200 oeuvres – veut, à la fois, réinscrire l’artiste et dégager sa singularité. La contradiction n’est qu’apparente, tant Lautrec lui-même a agi simultanément en héritier, en homme de réseau, en conquérant de l’espace public et en complice du monde qu’il a traduit avec une force unique, une mansuétude parfois féroce, rendant plus intense et significative « la vie présente » sans la juger.

Plutôt que de l’affilier à la caricature qui cherche à blesser, voire humilier, il faut le rattacher à une lignée très française du réalisme expressif, brusque, drôle, direct (dirait Yvette Guilbert) dont sa correspondance égrène les noms : Ingres, Manet, Degas. Comme eux, par ailleurs, Lautrec fait de la photographie son alliée. Plus qu’aucun autre artiste du XIXe siècle, il s’associa aux photographes, amateurs ou professionnels, fut conscient de leur pouvoir, servit leur promotion, s’appropria leurs effets dans la recherche du mouvement. L’archive photographique de Lautrec rejoint, du reste, les pratiques du jeu aristocratique sur les apparences et les identités qu’on échange à plaisir, moyen de dire que la vie et la peinture n’ont pas à se plier aux limites ordinaires, ni à celles de l’avant-garde.
« Tout l’enchante », résume Thadée Natanson.

Depuis 1992, date de la dernière rétrospective française de l’artiste, maintes expositions ont exploré les attaches de l’oeuvre de Toulouse-Lautrec avec la « culture de Montmartre » dont il serait, à la fois, le chroniqueur et le contempteur. Cette approche sociologique, heureuse par ce qu’elle nous dit des attentes et inquiétudes de l’époque, a réduit la portée d’un artiste que ses origines, ses opinions et son esthétique ouverte préservèrent de toute tentation inquisitrice.

Lautrec ne s’est jamais érigé en accusateur des vices urbains et des nantis impurs. Par sa naissance, sa formation et ses choix de vie, il s’est plutôt voulu l’interprète pugnace et cocasse, terriblement humain au sens de Daumier et Baudelaire, d’une liberté qu’il s’agit de mieux faire comprendre au public d’aujourd’hui. A force de privilégier le poids du contexte ou le folklore du Moulin Rouge, on a perdu de vue l’ambition esthétique, poétique dont Lautrec a investi ce qu’il apprit, tour à tour, auprès de Princeteau, Bonnat et Cormon.
.                                Toulouse lautrec avec son cousin Tapié de Céleyran

Comme l’atteste sa correspondance, Manet, Degas et Forain lui ont permis, dès le milieu des années 1880, de transformer son naturalisme puissant en un style plus incisif et caustique. Nulle évolution linéaire et uniforme pour autant : de vraies continuités s’observent de part et d’autre de sa courte carrière.

L’une d’entre elles est la composante narrative dont Lautrec se départit beaucoup moins qu’on pourrait le croire. Elle est particulièrement active aux approches de la mort, vers 1900, quand sa vocation de peintre d’histoire prend une tournure désespérée. L’autre dimension de l’oeuvre qu’il convient de rattacher à son apprentissage, c’est le désir de représenter le temps, et bientôt d’en déployer la durée plus que d’en figer l’élan. Encouragé par sa passion photographique et l’adoubement de Degas, électrisé par le monde des danseuses et des inventons modernes, Lautrec n’aura cessé de reformuler l’espace-temps de l’image.

Dès que l’oeuvre bascule dans la synthèse saisissante des années 1890, ouverte par l’affiche révolutionnaire du Moulin Rouge, Lautrec développe une stratégie entre Paris, Bruxelles et Londres, que l’exposition souligne en distinguant la face publique de son oeuvre du versant plus secret. Lautrec renonce au Salon officiel, non à l’espace public, ni au grand format. Preuve qu’il cherchait bien, comme Courbet et Manet avant lui, une relève de la peinture d’histoire par l’exploration de la société moderne en ces multiples visages, au mépris souvent des bienséances. Qu’il ait joui du spectacle de Montmartre, qu’il ait célébré l’aristocratie du plaisir et des prêtresses du vice à la façon de Baudelaire, est indéniable.

La maison close lui offre même un espace où les femmes jouissent d’une indépendance et d’une autorité uniques, si paradoxales soient-elles. Viveur insatiable, Lautrec perfectionne vite les moyens de communiquer l’électricité du cancan, l’éclat dur des éclairages modernes et la fièvre d’une clientèle livrée aux excès. Le mouvement, que rien ne bride, se décompose devant nos yeux, aboutissant aux affiches les plus dynamogènes, comme aux estampes de Loïe Fuller et aux panneaux de La Goulue, également cinématographiques.

Il y a là une folie de la vitesse et une capacité pré-futuriste qui réunit le galop du cheval, les chahuteuses des cabarets, la fièvre vélocipédique à l’automobile. Or, même la magie des machines ne parvient pas à déshumaniser sa peinture et ses estampes, toujours incarnées.A l’instar de ses écrivains d’élection, qui furent souvent les familiers de la Revue Blanche, Lautrec est parvenu à concilier la fragmentation subjective de l’image et la volonté de hisser la vie moderne vers de nouveaux mythes. Liant peinture, littérature et nouveaux médiums, l’exposition trouve son chemin, au plus près de cet accoucheur involontaire du XXe siècle.

Henri de Toulouse-Lautrec a su se créer une place dans la vie parisienne festive de la fin du XIXème siècle en capturant la bohème, ses nuits animées et les coulisses de ses cabarets.

                           Henri de Toulouse-Lautrec
                           Bruant à bicyclette
Parfois réduite aux scènes de vie de Montmartre qui ont fait son succès, l’oeuvre du peintre français est impressionnante. Toulouse-Lautrec est mort à 36 ans, en laissant derrière lui quelque 737 peintures, 275 aquarelles, 369 lithographies et plus de 5000 dessins.

Grand Palais galeries nationales
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