À partir de septembre 2024, la Fondation Beyeler à Riehen/Bâle présente la première rétrospective consacrée à Henri Matisseen Suisse et dans l’espace germanophone depuis près de deux décennies. L’exposition réunit plus de 70 oeuvres majeures en provenance de prestigieux musées européens et américains ainsi que de collections privées, mettant en lumière l’évolution et la diversité du travail précurseur de l’artiste. L’exposition prend pour point de départ le célèbre poème : L’invitation au voyage de Charles Baudelaire, qui contient de nombreux thèmes clé également présents dans les oeuvres de Matisse. S’inscrivant dans une lignée d’expositions hors pair telles « Paul Gauguin » (2015), « Monet » (2017) et « Le jeune Picasso – Périodes bleue et rose » (2019), « Matisse – Invitation au voyage » sera à voir à la Fondation Beyeler du 22 septembre 2024 au 26 janvier 2025. Commissariat Raphaël Bouvier
Henri Matisse (1869–1954) compte parmi les artistes les plus célèbres de l’art moderne. Son oeuvre précurseur a profondément influencé des générations d’artistes, de ses contemporains à nos jours. En libérant la couleur du motif et en simplifiant les formes, il a redéfini la peinture et apporté à l’art une légèreté nouvelle. Matisse a également innové dans le domaine de la sculpture et, avec les papiers découpés de son oeuvre tardif, il a développé une pratique unique à la croisée de la peinture, du dessin et de la sculpture.
« Ce que je poursuis par-dessus tout, c’est l’expression » Henri Matisse
Luxe Calme et volupté, centre Pompidou
L’exposition couvre toutes les périodes du travail de l’artiste. C’est un pur bonheur de se laisser guider dans l’exposition, en suivant la notice de salle fournie en diverses langues. Elle commence avec les oeuvres de ses débuts produites vers 1900, passant par les toiles révolutionnaires du fauvisme et les travaux expérimentaux des années 1910, les tableaux sensuels de la période niçoise et des années 1930, pour culminer enfin dans les légendaires papiers découpés de l’oeuvre tardif des années 1940 et 1950. Placée sous le commissariat de Raphaël Bouvier, l’exposition réunit des oeuvres emblématiques et d’autres rarement exposées, en provenance de musées et de collections particulières de premier plan, dont le Baltimore Museum of Art ; le Centre Pompidou, Paris ; le K20, Düsseldorf ; le Kimbell Art Museum, Fort Worth ; le Museum of Modern Art, New York ; la National Gallery, Washington ; et le San Francisco Museum of Modern Art.
« En dessinant aux ciseaux dans des feuilles de papier colorées à l’avance, d’un même geste pour associer la ligne à la couleur, le contour à la surface. » Henri Matisse en conversation avec André Verdet, 1951
L’exposition présente des chefs-d’oeuvre tels La desserte (1896/1897), Luxe, calme et volupté (1904), La fenêtre ouverte, Collioure (1905), Le luxe I (1907), Baigneuses à la tortue (1907/1908), Poissons rouges et sculpture (1912), Figure décorative sur fond ornemental (1925/1926), Grand nu couché (Nu rose) (1935), L’Asie (1946), Intérieur au rideau égyptien (1948) et Nu bleu I (1952). Cette profusion de tableaux, de sculptures et de papiers découpés de tout premier plan donne à voir l’évolution et la richesse de l’oeuvre singulier de Matisse.
Baigneuses à la Tortue
Les voyages
« J’ai souvent fait des voyages en imagination et comme le but principal de mon travail est la clarté de la lumière, je me suis demandé : Comment peut-elle être de l’autre côté de l’hémisphère? » Henri Matisse à propos de son voyage dans les mers du Sud
L’exposition prend pour point de départ le célèbre poème L’invitation au voyage de Charles Baudelaire (1821–1867), auquel Matisse s’est référé à de nombreuses reprises. Les termes de « luxe, calme et volupté » qui y apparaissent comme motifs poétiques se retrouvent chez Matisse en tant que fils conducteurs et quintessence de son art. Suivant le poème de Baudelaire, l’exposition à la Fondation Beyeler invite donc à un voyage au fil de l’oeuvre de Matisse, dans lequel le voyage joue également un rôle important. C’est la quête de la lumière idéale qui incitait Henri Matisse à entreprendre ses nombreux voyages. Ayant grandi dans le nord de la France, il la trouve dans un premier temps dans le sud méditerranéen du pays, poursuit ensuite ses explorations en Italie, en Espagne et en Afrique du Nord, puis lors d’une traversée des États-Unis débutée à New York, et enfin dans le Pacifique Sud. Au cours de ses nombreux voyages en Europe et au-delà, qui le mènent également en Russie, il fait la découverte d’environnements naturels, de cultures et de traditions picturales qu’il incorpore à son propre travail. Le voyage et l’expérience multiple de la lumière qu’il entraîne ont été des moteurs décisifs de l’évolution artistique de Matisse, des oeuvres fauvistes révolutionnaires de ses débuts aux emblématiques papiers découpés de son oeuvre tardive.
L’expérience du voyage et l’atelier comme lieu de travail forment ainsi les deux pôles entre lesquels se déploie l’oeuvre de Matisse. La vie et l’oeuvre de l’artiste sont rythmés et influencés par un va-et-vient continu entre les déplacements en France et à l’étranger et l’investissement de différents lieux de travail. Les expériences, les souvenirs et les objets collectés pendant ses voyages constituent des thèmes aussi centraux de ses oeuvres que l’atelier comme lieu de production artistique. La fenêtre ouverte est un motif récurrent dans l’oeuvre de Matisse. En tant que lieu d’articulation entre l’intérieur et l’extérieur, entre un ici à portée de main et un là-bas lointain, elle exprime la coexistence du chez soi et du voyage. Dans sa dimension symbolique, la fenêtre ouverte constitue tout particulièrement une invitation au voyage.
Fenêtre à Collioure
« Quand j’ai compris que chaque matin je reverrais cette lumière, je ne pouvais croire à mon bonheur. » Henri Matisse à propos de Nice
Dans un espace multimédia conçu spécifiquement pour l’exposition, les voyages de Matisse sont donnés à voir et à vivre par le biais de photographies historiques animées et de panneaux muraux. Des photographies et des films offrent par ailleurs des aperçus de ses ateliers et de son processus de création.
Un catalogue d’exposition richement illustré, publié sous la direction de Raphaël Bouvier pour la Fondation Beyeler et mis en page par Bonbon, Zurich, paraît au Hatje Cantz Verlag, Berlin. De nombreux auteurs et autrices ont contribué à la portée scientifique du catalogue, en premier lieu Larissa Dätwyler, Robert Kopp et Griselda Pollock, ainsi qu’Alix Agret, Dita Amory, Patrice Deparpe, John Elderfield, Claudine Grammont, Jodi Hauptman, Ellen McBreen et Anne Théry.
Cet été, l’artiste franco-suisse Julian Charrière transforme le grand magasin historique bâlois Globus, actuellement en cours de rénovation, avec une œuvre visant à repousser les limites et traverser les frontières. « Calls for Action » mêle art public et conservation de la nature en établissant une connexion directe entre la ville de Bâle et une forêt de nuage des Andes occidentales en Équateur, afin de mettre en lumière l’interconnectivité de notre planète ainsi que les enjeux environnementaux qui mettent en péril des écosystèmes essentiels. Un vaste écran est accroché à la façade du grand magasin, telle une fenêtre ouvrant en temps réel sur la biodiversité foisonnante d’une écorégion menacée. « Calls for Action » est le deuxième volet du « Globus Public Art Project » : pendant les trois années de rénovation de son grand magasin emblématique sur la place du marché de Bâle, Globus collabore avec la Fondation Beyeler pour inviter des artistes à concevoir et à réaliser de nouvelles œuvres in situ en dialogue avec le bâtiment et le public.
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Pour la première fois au cours des plus de 25 ans d’histoire de la Fondation Beyeler, l’ensemble du musée et son parc environnant seront transformés en un lieu d’exposition expérimental d’art contemporain. Organisée par laFondation Beyeler en partenariat avecLUMA Foundation, la manifestation réunira le travail de 30 artistes issu·e·s de différents horizons et disciplines, dont Michael Armitage, Anne Boyer, Federico Campagna, Ia Cheng, Chuquimamani-Condori et Joshua Chuquimia Crampton, Marlene Dumas, Frida Escobedo, Peter Fischli, Cyprien Gaillard avec Victor Man, Dominique Gonzalez-Foerster, Wade Guyton, Carsten Höller avec Adam Haar, Pierre Huyghe, Arthur Jafa, Koo Jeong A, Dozie Kanu, Cildo Meireles, Jota Mombaça, Fujiko Nakaya, Alice Notley, Precious Okoyomon, Philippe Parreno, Rachel Rose, Tino Sehgal, Rirkrit Tiravanija et Adrián Villar Rojas, Félix González-Torres
Les développeurs
Développée par Sam Keller, Mouna Mekouar, Isabela Mora, Hans Ulrich Obrist, Precious Okoyomon, Philippe Parreno et Tino Sehgal en étroite collaboration avec les participants et participantes, l’exposition vise à stimuler la liberté artistique, l’échange interdisciplinaire et la responsabilité collective. L’approche, telle que formulée par Philippe Parreno et Precious Okoyomon, reconnait :
Félix González-Torres
« les complexités et les incertitudes inhérentes au rapprochement des artistes, mais considère également ces enchevêtrements comme faisant partie intégrante du processus de création ».
L’exposition est donc envisagée comme
« une proposition dynamique plutôt que statique, un projet ontologique évolutif qui reflète la complexité et la diversité inhérentes à la réunion sous un même toit de voix artistiques distinctes ».
Conçue comme un organisme vivant qui change et se transforme, l’exposition a été développée par un nombre croissant de personnes, qui ont apporté leur réflexion sur toutes les étapes de la réalisation de l’exposition, depuis sa conception, son élaboration et sa production jusqu’à sa création et sa présentation. En particulier, Tino Sehgal a été invité à créer des éléments d’exposition transformateurs pour la présentation générale, notamment pour les oeuvres de la collection. NB : (même pendant la présentation à la presse, on a pu voir des modifications dans l’accrochage)
Evénements collectifs variés
À l’instar d’événements collectifs tels que « Il Tempo del Postino » (organisé par Art Basel, la Fondation Beyeler et Theater Basel avec le soutien de LUMA Foundation et commandé par le Festival international de Manchester et le Théâtre du Châtelet, à Paris) et « To the Moon via the Beach » (commandé et produit par LUMA Foundation), le projet trace des parcours plutôt que des filiations strictes. Tout comme l’exposition et l’expérience elle-même, le titre de cette manifestation d’été est proposé par les participants et participantes et change périodiquement.
Parmi les intervenants et intervenantes, on compte des artistes, des poètes et poétesses, des architectes, et designeuses, des musiciens et musiciennes, des compositeurs et compositrices, des philosophes et des scientifiques. Toutes et tous ont été accueilli·e·s pour transformer le site de la Fondation Beyeler, s’étendant à travers les galeries et le foyer aux espaces annexes, comme la billetterie, le vestiaire ou la boutique, au jardin d’hiver, aux terrasses et au parc. Le public pourra redécouvrir de façon inattendue les espaces de galerie existants, mais aussi explorer des espaces qui ne lui sont pas familiers. En arrivant à des moments différents, les visiteurs et visiteuses profiteront d’expériences différentes dans les mêmes espaces. Plusieurs temporalités se chevaucheront à travers des expositions, des espaces sociaux, des spectacles, des concerts, des lectures de poèmes, des conférences et des activités communautaires, encourageant les visites multiples en offrant des billets de retour. L’architecture en labyrinthe invitera à explorer la performance de différentes manières.
Les oeuvres
Les liens et les interrelations entre les oeuvres individuelles se développent en dialogue étroit avec les artistes. Cet échange s’étend également aux oeuvres de la propre collection de la Fondation Beyeler, qui est mise à la disposition des artistes en tant que ressource et fait partie intégrante de l’exposition. Parallèlement aux projets artistiques temporaires, des oeuvres d’artistes tels que Louise Bourgeois, Paul Klee, Claude Monet et Vincent Van Gogh seront exposées.
Alors que la première manifestation de ce projet collectif sera montrée cet été à Riehen/Bâle, en Suisse, l’exposition collective interdisciplinaire évoluera et se transformera comme un organisme vivant, et les prochains événements seront présentés sous une autre forme à Arles et dans d’autres sites LUMA.
LIT DE RÊVE
Carsten Höller (*1961) avec Adam Haar (*1992) Chambre d’hôtel de rêve 1 : Rêver de voler avec des agarics de mouche volante, 2024
Pendant l’exposition, les visiteurs peuvent dormir dans la chambre d’hôtel de rêve 1 . Pendant les heures d’ouverture du musée, les plages horaires sont fixées à 60 minutes par personne. Le prix est inclus dans le billet d’entrée. Les créneaux ne peuvent pas être réservés à l’avance : les inscriptions se font sur place au musée selon les disponibilités. Une fois par semaine, il est possible de passer la nuit entière du vendredi au samedi dans le « Dream Bed ». L’expérience dure de 20h à 8h et ne peut être réservée qu’en ligne. Afin de rendre cette soirée au musée abordable pour tous les budgets, les prix varieront. Le personnel de sécurité du musée fournira des draps propres.
Le « Dream Bed » est un robot qui se déplace pendant le sommeil du visiteur. Les rêves sont détectés via des capteurs intégrés au matelas, qui mesurent la fréquence cardiaque, la respiration et les mouvements. Ces lectures ne sont pas enregistrées. Les différentes phases de sommeil et intensités de rêve sont synchronisées avec les mouvements du lit. Au fur et à mesure que le visiteur s’endort et se réveille, une reproduction d’un champignon rougeoyant tourne au-dessus du lit.
Les billets pour la nuitée dans le «Dream Bed» peuvent être trouvés ici .
Informations Pratiques
Fondation Beyeler La Fondation Beyeler à Riehen près de Bâle est réputée à l’international pour ses expositions de grande qualité, sa collection d’art moderne et d’art contemporain de premier plan, ainsi que son ambitieux programme de manifestations. Conçu par Renzo Piano, le bâtiment du musée est situé dans le cadre idyllique d’un parc aux arbres vénérables et aux bassins de nymphéas. Le musée bénéficie d’une situation unique, au coeur d’une zone récréative de proximité avec vue sur des champs, des pâturages et des vignes, proche des contreforts de la Forêt-Noire. La Fondation Beyeler procède avec l’architecte suisse Peter Zumthor à la construction d’un nouveau bâtiment dans le parc adjacent, renforçant ainsi encore l’alliance harmonieuse entre art, architecture et nature. www.fondationbeyeler.ch LUMA Foundation LUMA Foundation a été créée en 2004 par Maja Hoffmann à Zurich, en Suisse, afin de soutenir la création artistique dans les domaines des arts visuels, de la photographie, de l’édition, des films documentaires et du multimédia. Considérée comme un outil de production pour les multiples initiatives lancées par Maja Hoffmann, LUMA Foundation produit, soutient et finance des projets artistiques qui visent à approfondir la compréhension des questions liées à l’environnement, aux droits de la personne, à l’éducation et à la culture. www.luma.org; www.westbau.com
Horaires d’ouverture de la Fondation Beyeler
tous les jours 10h00–18h00, le mercredi jusqu’à 20h00 accès depuis la gare SBB, prendre le Tram 1 ou le 2, jusqu’à Messeplatz puis prendre le tram 6 jusqu’à l’arrêt la Fondation
du 28 janvier – 21 avril 2024à la Fondation Beyeler Commissaire :l’exposition est placée sous le commissariat de Martin Schwander, Curator at Large, Fondation Beyeler, en collaboration avec Charlotte Sarrazin, Associate Curator.
Martin Schwander, Jeff Wall et Sam Keller directeur de la Fondation Beyeler
Introduction
En ce début d’année, la Fondation Beyeler consacre une importante exposition personnelle à l’artiste canadien Jeff Wall (*1946). Il s’agit de la première exposition de cette envergure en Suisse depuis près de deux décennies. Wall, qui a largement contribué à établir la photographie en tant que forme autonome d’expression artistique, compte aujourd’hui parmi ses représentant·e·s majeur·e·s. Réunissant plus d’une cinquantaine d’oeuvres réalisées au fil de cinq décennies, l’exposition présente une vue d’ensemble très complète du travail précurseur de l’artiste, allant de ses emblématiques grandes diapositives montées dans des caissons lumineux à ses photographies grand format noir et blanc et ses tirages en couleur au jet d’encre. L’exposition met un accent particulier sur les oeuvres des deux dernières décennies, parmi elles des photographies données à voir en public pour la première fois. L’exposition a été conçue en étroite collaboration avec l’artiste.
Son travail
Dans son travail, Jeff Wall sonde les limites entre fait et invention, hasard et construction. Depuis le milieu des années 1970, il a exploré différentes façons d’étendre les possibilités artistiques de la photographie. Wall qualifie son travail de « cinématographie », voyant dans le cinéma un modèle de liberté de création et d’invention, liberté qui avait été freinée dans le domaine de la photographie par sa définition dominante comme « documentaire ». Beaucoup de ses photographies sont des images construites impliquant une planification et une préparation longues et minutieuses, une collaboration avec des acteurs·rices et un important travail de « postproduction ». Jeff Wall crée ainsi des images qui divergent de la notion de la photographie comme principalement une documentation fidèle de la réalité.
Wall est né en 1946 à Vancouver au Canada, où il vit et travaille. Il commence à s’intéresser à la photographie dans les années 1960, âge d’or de l’art conceptuel. À partir du milieu des années 1970, il produit de grandes diapositives montées dans des caissons lumineux. Avec ce format, jusqu’alors associé plutôt à la photographie publicitaire qu’à la photographie d’art, il innove et lance une forme nouvelle de présentation d’oeuvres d’art. Depuis le milieu des années 1990, Wall a encore élargi son répertoire – d’abord avec des photographies noir et blanc grand format puis avec des tirages en couleur. Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions personnelles dans le monde entier, entre autres à la Tate Modern, Londres (2005), au Museum of Modern Art, New York (2007), au Stedelijk Museum, Amsterdam (2014) et au Glenstone Museum, Potomac (2021).
Evolution
Les images de Jeff Wall évoluent entre instantané documentaire, composition cinématographique et invention poétique libre, confrontant les spectateurs·rices à une vaste palette de sujets et de thèmes, à la beauté et à la laideur, à l’ambiguïté et à l’inconfort. Pour Wall, l’art de la photographie se doit d’être aussi libre que toutes les autres formes artistiques dans son éventail de sujets et de traitements – aussi poétique que la poésie, aussi littéraire que le roman, aussi pictural que la peinture, aussi théâtral que le théâtre, et tout cela avec pour objectif d’atteindre à l’essence même de la photographie.
L’exposition
L’exposition à la Fondation Beyeler s’ouvre dans le foyer du musée avec la juxtaposition de deux oeuvres emblématiques de 1999. Morning Cleaning, Mies van der Rohe Foundation, Barcelonamontre les préparatifs matinaux effectués dans le célèbre pavillon avant l’arrivée des premiers visiteurs. L’agent d’entretien est en train de nettoyer les grandes baies vitrées donnant sur un miroir d’eau, nous faisant ainsi assister à un moment habituellement invisible dans la vie de ce célèbre édifice.
A Donkey in Blackpoolreprésente une étable modeste et pourtant très riche sur le plan visuel, occupée par la figure familière d’un âne, qui nous apparaît ici dans un moment de repos. L’association des deux images réunit des univers socialement et culturellement très différents tout en dirigeant notre attention sur leurs points communs – les êtres humains et les animaux entretiennent tous deux une relation profonde aux intérieurs qui les abritent. L’exposition a été conçue de manière à créer une séquence de comparaisons et de juxtapositions de ce type, tissant des échos et des résonances entre les sujets, les techniques et les genres. Pour le catalogue, l’artiste a rédigé un guide qui présente les différentes dimensions de la production des images et de leur agencement dans l’exposition.
Ainsi, la première salle de l’exposition présente une série de diapositives montées dans des caissons lumineux qui mettent en avant des paysages. Produits entre 1987 et 2005, ces paysages urbains offrent une vaste vision des zones urbaines et périurbaines de Vancouver. Jeff Wall considère les paysages urbains comme un aspect important de son travail, qui lui permet d’explorer l’essence même de la ville, les rapports qu’elle entretient avec les zones non urbaines ou périurbaines qui l’entourent, et sa spécificité en tant que théâtre du maillage infini d’événements qui constituent la vie en société.
Les salles suivantes réunissent des scènes réalisées dans des intérieurs et des extérieurs variés, publics et privés, représentant des hommes et des femmes, des personnes pauvres et aisées, jeunes et âgées – certaines images témoignant d’un travail et d’un artifice recherchés, d’autres ne semblant avoir nécessité aucun effort, en couleur et en noir et blanc, transparentes et opaques, de grand et de petit format, représentant le réel et l’irréel, et un large éventail d’atmosphères, d’états d’esprit et de relations.
Les oeuvres les plus célèbres de l’artiste
L’exposition inclut beaucoup des oeuvres les plus célèbres de l’artiste, parmi elles After ‘Invisible Man’ by Ralph Ellison, the Prologue (1999–2000),
construction d’une scène du roman de 1952 d’Ellison qui montre le jeune protagoniste noir en train de rédiger l’histoire du livre dans son repaire secret en sous-sol, éclairé d’exactement 1369 ampoules électriques. A Sudden Gust of Wind (after Hokusai) (1993), l’une des oeuvres aux dimensions les plus impressionnantes de Wall, est une adaptation contemporaine d’une des planches de la série de gravures sur bois de Katsushika Hokusai Trente-six vues du mont Fuji (1830- 1832). Ces deux images puisent leurs origines dans les oeuvres d’autres artistes ;
Wall s’accorde la liberté de trouver ses sujets là où le mène son imagination. A Sudden Gust of Wind est l’une des premières oeuvres pour lesquelles l’artiste a recouru à la technologie numérique, qui lui permet de combiner plusieurs négatifs individuels en une seule image finale.
Les oeuvres récentes en contrepoint des oeuvres anciennes
La plupart des oeuvres récentes de Wall sont inclues dans l’exposition, généralement présentées en contrepoint à des images plus anciennes. Fallen rider (2022), image d’une femme qui vient de chuter de sa monture,
est accroché face à War game (2007), où trois jeunes garçons, apparemment photographiés pendant un jeu de guerre, sont allongés sous surveillance dans une prison improvisée.
Dans Parent child (2019), c’est une petite fille qui est allongée, cette fois sur un trottoir dans l’ombre paisible d’un arbre, sous le regard d’un homme qui est probablement son père.
Comme des images de film, les photographies de Wall semblent saisir un instant en train de se dérouler – l’avant et l’après demeurent hors champ. Sur un mur voisin est accroché Maquette for a monument to the contemplation of the possibility of mending a hole in a sock (2023), dans lequel une autre figure contemplative, une femme d’un certain âge tenant à la main une aiguille, considère un trou dans le talon usé d’une chaussette mauve. La repriseuse semble irréelle, telle une apparition nous rappelant à l’incertitude qui pèse sur la volonté et la capacité de l’humanité à réparer ce qui a été usé, sursollicité et abîmé.
Le catalogue
Le catalogue de l’exposition, mis en page par Uwe Koch en consultation étroite avec l’artiste, est publié en version anglaise et allemande par Hatje Cantz Verlag, Berlin. Sur 240 pages, il contient des illustrations des oeuvres de l’exposition, une conversation entre Jeff Wall et Martin Schwander, une explication détaillée de l’artiste lui-même de la sélection des oeuvres et de leur accrochage dans les onze salles de l’exposition, ainsi que des essais rédigés par Martin Schwander et Ralph Ubl.
Horaires d’ouverture de la Fondation Beyeler : tous les jours 10h00–18h00, le mercredi jusqu’à 20h00
Programmation associée « Jeff Wall »
Dimanche, 28 janvier 14h –15h Conférence de Jeff Wall L’artiste canadien Jeff Wall s’exprimera personellement sur place au sujet de son travail actuel et de sa toute nouvelle exposition, qui sera présentée à la Fondation Beyeler du 28 janvier au 21 avril 2024. L’exposition peut être visitée avant et après la manifestation. La conférence sera donnée en anglais. Prix : billett d’entrée Un lundi sur deux à partir du 29 janvier 14h–15h Perspectives – en allemand Un lundi sur deux, nous vous invitons au parcours thématique autour de thèmes choisis, en rapport avec l’exposition « Jeff Wall », en compagnie d’un.e membre de notre équipe de médiation. Ce format vous permet de découvrir les oeuvres sous des angles inattendus, d’élargir vos connaissances et d’approfondir votre compréhension de certaines oeuvres choisies. 29.01. Échos – l’histoire de l’art pour toile de fond 12.02. Une absence – langage et image 26.02. Freeze – l’instant décisif 11.03. Par procuration – poupées, zombies, actrices et acteurs 25.03. Visions du monde – paysage et société 08.04. Poses, postures et gestes – le corps signifiant Prix : billet d’entrée + CHF 7.- Samedi, 3 février Dimanche, 4 février Samedi, 2 mars Dimanche, 3 mars Samedi, 20 avril Dimanche, 21 avril 10h–18h Open Studio – en allemand Au travers de différents ateliers, l’Open Studio offre à ses participants l’opportunité d’aborder et d’approfondir divers thèmes et techniques de travail, ainsi que de s’essayer eux-mêmes à quelques explorations créatives. Sans inscription. Participation gratuite et ouverte à tous les âges (en compagnie d’un adulte pour les enfants jusqu’à 12 ans). Dimanche, 4 février Dimanche, 3 mars Dimanche, 21 avril 11h–12h Visite accompagnée en famille – en allemand Une expérience artistique et ludique pour les enfants de 6 à 10 ans accompagnés de leurs parents. La visite accompagnée et interactive en famille fait de l’art une expérience ludique pour petits et grands. Le nombre de participants est limité. Prix : jusqu’à 10 ans : CHF 7.- /Adultes : billet d’entrée Un mercredi sur deux à partir du 7 février 12h30–13h Conversation autour d’une oeuvre – en allemand Lors de cette confrontation courte mais intense avec une oeuvre d’art choisie, vous aurez accès à des informations sur les singularités de l’oeuvre en question, sur son auteur et sur l’époque de sa genèse. Le nombre de participants est limité. 07.02. Jeff Wall, Dead Troops Talk, 1992 21.02. Jeff Wall, The Storyteller, 1986 06.03. Jeff Wall, After ‘Invisible Man’ by Ralph Ellison, 1999/2000 20.03. Jeff Wall, War game, 2007 03.04. Jeff Wall, In the Legion, 2022 17.04. Jeff Wall, Restoration, 1993 Prix : billet d’entrée + CHF 7.- Mercredi, 7 février Mercredi, 6 mars 18h30–19h30 Visite avec les commissaires de l’exposition Vous souhaitez voir les expositions de la Fondation Beyeler à travers les yeux de celles et de ceux qui les conçoivent ? Cette visite vous en donne l’occasion. Les commissaires ne se contentent pas de vous renseigner sur la conception, l’organisation et la programmation de l’exposition, mais vous apportent également des éclairages sur les artistes, leur époque, la genèse des oeuvres et leur signification dans le contexte artistique. Le nombre de participants est limité. Prix : CHF 35.- / Bénéficiaires d’une rente AI 30.- / Moins de 25 ans 10.- / Art Club, Young Art Club, Amis, Museums-PASS-Musées 10.- Dimanche, 11 février Dimanche, 10 mars Dimanche, 7. avril Visite accompagnée – en français Aperçu de l’exposition « Jeff Wall ». Le nombre de participants est limité. Prix : billet d’entrée + CHF 7.- Jeudi, 22 février Jeudi, 14 mars Jeudi, 11 avril 10h30–11h30 Sketch it! – en allemand « Sketch it » donne l’occasion de se confronter de manière créative à des oeuvres choisies exposées à la Fondation Beyeler. En particulier, les oeuvres photographiques de Jeff Wall nous inspirent à explorer différentes techniques. Nous posons ainsi un regard neuf sur les oeuvres originales. Tous les matériaux nécessaires sont mis à disposition. Prix : billet d’entrée + CHF 10.- Dimanche, 25 février Dimanche, 7 avril 9h–12h L’art au petit déjeuner – en allemand Délicieux petit–déjeuner au « Beyeler Restaurant im Park » suivi d’une visite accompagnée (11–12h) de l’exposition. Le nombre de participants est limité. Attention : la vente des billets se termine le vendredi après-midi. Prix : CHF 80.- / Bénéficiaires d’une rente AI 75.- / Moins de 25 ans 55.- / Art Club, Young Art Club, Amis, Museums-PASS-Musées 48.- Mercredi, 28 février 18h–20h30 Atelier pour adultes – en allemand L’atelier pour adultes offre la possibilité d’approfondir de manière active par la pratique ce que l’on a vu et vécu durant la visite guidée. L’objectif est de comprendre les techniques artistiques en atelier et de les mettre en pratique. Point n’est besoin de notions ni de compétences artistiques; toutes les personnes s’intéressant à l’art – que ce soit sous l’angle esthétique, philosophique ou artisanal – sont les bienvenues. Le nombre de participants est limité. Inscription obligatoire : tours@fondationbeyeler.ch ou 061 645 97 20. Prix : billet d’entrée + CHF 20.- (matériel inclus) Jeudi, 29 février 16h30–17h30 Visite accompagnée pour personnes avec un handicap visuel – en allemand Les visites guidées destinées aux malvoyants et aveugles contiennent des descriptions détaillées qui permettent de faire ressentir l’oeuvre au plus profond. Votre chien guide peut vous accompagner dans le musée. Nous souhaitons vous informer du fait que les oeuvres ne peuvent pas être touchées. Entrée gratuite pour une personne accompagnante. Le nombre de participants est limité. Inscription obligatoire : tours@fondationbeyeler.ch ou 061 645 97 20. Prix : billet d’entrée Jeudi, 7 mars 16h30–17h30 Visite accompagnée pour personnes avec un handicap auditif – en allemand Un(e) interprète traduit les explications des oeuvres d’art de l’exposition en cours simultanément en langage des signes. Le nombre de participants est limité. Inscription obligatoire : tours@fondationbeyeler.ch ou 061 645 97 20. Prix : billet d’entrée Mercredi, 13 mars 14h–16h30 Ateliers pour enfants – en allemand Découverte de l’exposition au cours d’une visite guidée suivie d’expérimentations ludiques dans l’atelier. Inscription obligatoire : tours@fondationbeyeler.ch ou 061 645 97 20. Prix : CHF 10.- matériel inclus Dimanche, 14 avril 10h–18h Journée des familles – en français, allemand & anglais Organisée autour de l’exposition « Jeff Wall », la Journée des familles sera consacrée aux histoires, aux secrets et aux ambiances qui imprègnent les univers visuels de l’artiste canadien. Des visites guidées en famille offriront un accès amusant aux oeuvres et aux thèmes de l’exposition. Les plus jeunes pourront voyager sur le tapis des contes ou explorer le musée en compagnie de Fred l’écureuil. Des ateliers pour tous les âges proposeront des activités de création, de découverte et de jeu. Toutes les animations de la Journée des familles sont comprises dans le billet d’accès au musée. L’accès au musée est gratuit jusqu’à 25 ans
Organisée par la Fondation Beyeler et le Louisiana Museum of Modern Art, Denmark, en coopération avec le Musée national géorgien et le Ministère géorgien de la culture, du sport et de la jeunesse, avec le soutien cordial de la Infinitart Foundation.
L’exposition « Niko Pirosmani » est placée sous le commissariat du commissaire invité Daniel Baumann et a été développée avec Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, et Irakliy Purtskhvanidze, conseiller
de la Fondation Beyeler en Géorgie. La coordination et la direction du projet sont assurées par Regula Moser, Associate Curator à la Fondation Beyeler.
Visible jusqu'au 28 janvier 2024
En guise de conclusion et de temps fort de l’année, la Fondation Beyeler consacre une exposition au légendaire peintre géorgien Niko Pirosmani(1862–1918), à la fois grand solitaire énigmatique et précurseur influent de l’art moderne. Pirosmani fait l’objet d’une quasi vénération parmi les amateurs·rices d’art et il est célébré comme un héros national dans son pays natal, mais il est encore peu connu du vaste public en Europe occidentale. Réunissant environ 50 oeuvres majeures, il s’agit de la plus importante exposition internationale jamais consacrée à Pirosmani. Elle est organisée par la Fondation Beyeler en coopération avec le Musée national géorgien de Tbilissi et le Louisiana Museum of Modern Art de Humlebæk. Les artistes contemporains de renom Thea Djordjadze et Andro Wekua ont été invités à accompagner la présentation des oeuvres de Pirosmani à Bâle de leurs propres propositions.
Niko Pirosmani, la procession
La parole aux images
Les images de Pirosmani transforment le quotidien en merveilleux. Elles sont aussi frontales et immédiates que fascinantes et mystérieuses. La plupart sont peintes à traits de pinceau précis et dynamiques dans des couleurs éclatantes sur toile cirée noire. Pris dans leur ensemble, la technique et le style de Pirosmani de même que sa palette et ses motifs constituent un phénomène unique au sein de l’art moderne.
Pirosmani dépeint la plupart du temps des animaux ou des gens du peuple, souvent des archétypes tels une mère et ses enfants, un pêcheur, un cuisinier ou un facteur. Parfois il s’agit de portraits de personnes précises, comme dans le cas de l’actrice Marguerite de Sèvres et de l’artiste d’avant-garde Ilia Zdanevitch. Pirosmani a également produit des paysages épiques aux perspectives multiples, représentant de manière simultanée des événements non synchrones comme des beuveries, des chasses et des processions.
Ses natures mortes sont souvent des oeuvres de commande, entre autres pour des tavernes. Certaines images représentent des célébrations et des fêtes qui jouent un rôle particulier dans la culture géorgienne. Avec tout ce qu’elles donnent à voir de quotidien, nombre des oeuvres de Pirosmani présentent pourtant aussi un caractère presque allégorique de par leur renvoi à des phénomènes fondamentaux et primaires de la vie humaine. Le travail de Pirosmani est empreint de spiritualité, mais il apporte aussi un témoignage documentaire sur un pays à la croisée de l’est et de l’ouest et sur une ville, Tbilissi, à l’époque considérée comme le « Paris de l’Est ».
Les icônes
Les figures humaines et animales sont représentées avec tendresse et dignité – et non sans humour. Doté d’une grande sensibilité, Pirosmani crée des images d’une puissance expressive rare, véritables icônes. Avec sa peinture d’une brillante simplicité et d’une élégante sincérité, il s’avère maître de la réduction à l’essentiel. Souvent, les humains et les animaux regardent le·la spectateur·rice de manière à la fois insistante et détachée. D’une intensité ardente, ils remplissent le cadre de l’image et se détachent sur un même fond noir avec lequel ils forment cependant un tout.
Dans cet espace d’apparence atemporelle, ils déploient une présence saisissante. Les oeuvres de Pirosmani partagent presque toutes une quiétude harmonieuse qui souligne leur dimension spirituelle. Dans un contexte de modernité marquée par le mouvement et le changement, Pirosmani a créé des images dans lesquelles ses compatriotes pouvaient reconnaître leur cadre de vie familier, tandis que l’avant-garde y découvrait une peinture radicale.
L’étrange Pirosmani
Malgré de nombreuses recherches et analyses, et maints récits et témoignages qui ont façonné sa légende, on ne sait presque rien des oeuvres de Pirosmani, de leur signification, de leurs sources d’inspiration, de leurs modèles, de leurs commanditaires et acheteurs, ou de leurs dates et lieux de production. Le travail de Pirosmani témoigne d’une existence à l’humanité aussi universelle que surnaturelle, mais ses visions et ses intentions artistiques demeurent d’une inaccessibilité rare chez un artiste reconnu du XXe siècle.
Si d’innombrables histoires circulent à propos de Niko Pirosmani, on ne dispose que de peu de faits avérés. Fils de paysan, orphelin dès son jeune âge, en 1870 il quitte sa province natale de Kakhétie pour lacapitale Tbilissi, où il vit chez une famille aisée et reçoit une éducation. Il apprend à peindre en autodidacte, se forme au métier de typographe, travaille pour les Chemins de fer transcaucasiens, tient une laiterie et peint des enseignes et des portraits de commande. En 1912, le poète Mikhaïl Le Dentu et les artistes de l’avant-garde Kirill et Ilia Zdanevitch découvrent les images de Pirosmani dans les tavernes de Tbilissi, hauts lieux de la vie culturelle de la ville alors en pleine effervescence.
Enthousiasmés, les frères Zdanevitch se mettent à collectionner les oeuvres du peintre autodidacte et à le soutenir dans son travail. Le Dentu le qualifie de « Giotto géorgien ». Dès 1913, les tableaux de Pirosmani sont inclus dans l’influente exposition « La Cible » à Moscou aux côtés de ceux de Marc Chagall, Natalia Gontcharova et Kasimir Malevitch. Alors qu’il n’a fréquenté aucune académie des beaux-arts, en 1916 il est invité à adhérer à la Société des artistes géorgiens, à laquelle il tourne cependant très vite le dos. Il vit en tant que bohémien vagabond dans les tavernes de Tbilissi, incapable ou non désireux de s’intégrer à la société. Niko Pirosmani décède vers 1918 dans le dénuement et la pauvreté. Son lieu d’inhumation précis reste inconnu à ce jour. Nombre de ses oeuvres se perdent, d’autres passent aux mains de l’État après l’annexion de la Géorgie par l’Union soviétique. Quelques années seulement après sa mort, des artistes et des écrivain·e·s d’avant-garde publient des textes sur lui, entament des recherches biographiques et analysent son travail.
Niko Pirosmani, le médecin
Dans les décennies qui suivent, des expositions, des livres et des films lui sont consacrés. Une exposition de ses oeuvres à Paris est annulée dans la tourmente de la Première Guerre mondiale et le projet ne verra finalement le jour qu’en 1969. En 1972, Pablo Picasso produit une eau-forte pour une publication consacrée à Pirosmani. Pirosmani est souvent décrit inexactement comme le « Rousseau de l’Est », parfois célébré de manière contestable comme un « primitif moderne » ou alors – dans la veine du récit rattaché à van Gogh – dénigré comme un marginal frappé de folie ou glorifié comme un génie méconnu. Aujourd’hui, Pirosmani est l’artiste le plus populaire de Géorgie et il compte de fervents admirateurs et admiratrices dans les milieux artistiques du monde entier, parmi eux Georg Baselitz, Peter Doig et d’autres.
En Suisse
En Suisse, l’oeuvre de Pirosmani a été montré pour la première fois en 1995 au Kunsthaus Zürich dans le cadre de l’exposition « Zeichen & Wunder. Niko Pirosmani und die Gegenwartskunst ». Conçue par la commissaire suisse Bice Curiger, l’exposition présentait le travail de Pirosmani en conjonction avec celui d’artistes contemporain·e·s. En 2019, Curiger a également assuré le commissariat de l’exposition « Niko Pirosmani – Wanderer between Worlds » à la Fondation Vincent van Gogh Arles, également présentée sous forme légèrement modifiée à l’Albertina à Vienne.
La Fondation Beyeler publie au Hatje Cantz Verlag un important catalogue compilé sous la direction du commissaire invité Daniel Baumann. Il réunit des articles rédigés par les expertes géorgiennes Mariam Dvali, Irine Jorjadze, Nana Kipiani et Ana Shanshiashvili ainsi que des réflexions des artistes géorgiens Thea Djordjadze et Andro Wekua. Il présente par ailleurs, pour la première fois traduits en allemand, des textes sources historiques des écrivains et artistes géorgiens Grigol Robakidze, Demna Šengelaia et Kirill Zdanevitch. L’exposition et le catalogue ont pour objectif de réunir des images et des faits, et de mettre en lumière l’art de Pirosmani sans interprétations tendant à la spéculation et au mythe. Le contexte historique du travail de Pirosmani dans la capitale caucasienne florissante de Tbilissi vers 1900 sera également mis en avant. En amont de l’exposition, tous les tableaux ont été examinés et préparés pour l’exposition par les restaurateurs·rices de la Fondation Beyeler et leurs collègues géorgien·ne·s.
Informations pratiques
Horaires d’ouverture de la Fondation Beyeler : tous les jours 10h00 – 18h00, le mercredi jusqu’à 20h00, le vendredi jusqu’à 21h00
Fondation Beyeler depuis la gare SBB tram n° 2 descendre à MessePlatz puis tram n° 6 jusqu’à l’arrêt Fondation Beyeler
La Dentelière de Vermeer en prêt au Louvre Lens
Pendant près d’un an, le musée du Louvre prête sa précieuse Dentellière de Vermeer au Louvre-Lens. Le chef-d’œuvre est visible gratuitement dans la Galerie du temps.
Jusqu'au 17 septembre 2023, la Fondation Beyeler consacre en tant que premier musée en Suisse une importante exposition individuelle à l’artiste colombienne Doris Salcedo (*1958) L’exposition est placée sous le commissariat de Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, et de Fiona Hesse, responsable de projet et Associate Curator à la Fondation Beyeler.
Introduction
Simultanément à son installation Palimpsest, 2013–2017, présentée à la Fondation Beyeler depuis octobre 2022, la Fondation présente huit séries d’oeuvres majeures datant de différentes périodes de son travail. Sur 1300 mètres carrés, l’exposition donnera à voir une centaine d’oeuvres, parmi elles des oeuvres clés en provenance de collections internationales de premier plan ainsi que des oeuvres rarement exposées détenues dans des collections particulières. Les objets, sculptures et interventions in situ de Doris Salcedo ont pour thème les expériences et les répercussions de conflits violents dans le monde. Ses travaux ont souvent pour toile de fond des événements spécifiques mais leur portée et leur résonance sont universelles et imparables. Ils tournent souvent autour de réflexions sur la perte, la souffrance individuelle et la manière dont les sociétés gèrent le deuil collectif.
Le thème
Doris Salcedo a grandi à Bogota, la capitale colombienne qu’elle décrit comme un épicentre de catastrophes. Confrontée incessamment à l’effroi des structures de pouvoir politiques et de la détresse humaine de son pays natal, elle a développé une conscience sociale et politique marquée. Il en résulte des oeuvres qui donnent forme aux émotions déclenchées par ces expériences. Au lieu de représentations simplistes, Salcedo quête les sentiments et les sensations que partagent les spectateurs·rices. Comme elle le dit elle-même :
« Ce que je cherche à tirer de ces travaux, c’est cet élément qui nous est commun. » Doris Salcedo
Les oeuvres
Les oeuvres de Doris Salcedo nécessitent souvent des années de préparatifs, de recherches et de travail de terrain, débouchant sur des processus de conceptualisation complexes et minutieux. Les horreurs que thématise l’artiste ne sont jamais montrées directement. Au lieu de cela, elle choisit des matériaux et des moyens d’expression qui rendent visibles la terreur et l’effroi de manière oblique tout en étant porteurs de beauté et de poésie. Avec son travail, Doris Salcedo cherche à établir des ponts entre la souffrance et la détresse de l’existence humaine d’une part et les espoirs et les aspirations d’une autre.
Doris Salcedo Solo Exhibition Museum of Contemporary Art Chicago 21 February – 24 May 2015
OEuvre majeure de l’exposition, A Flor de Piel, 2011–2014, consiste en des centaines de pétales de rose cousus ensemble en un linceul filigrane dont les plis se drapent sur une vaste surface au sol. L’oeuvre a pour point de départ un crime commis contre une infirmière colombienne, qui avait été torturée à mort et dont le corps n’a jamais été retrouvé. Le titre A Flor de Piel est une expression espagnole proche de l’expression française « à fleur de peau » : avec sa double référence aux fleurs et à la peau, elle décrit des émotions d’une telle intensité qu’elles en deviennent clairement apparentes aux autres, par exemple par un rougissement de la peau. Pour Salcedo, le geste consistant à suturer les pétales les uns aux autres est une part importante de l’oeuvre, qui rassemble ainsi les corps martyrisés et illustre la précarité et la fragilité de la vie.
Salle 3
Dans la salle suivante s’alignent les tables de Plegaria Muda, 2008–2010. En 2008, Salcedo se penche sur la criminalité des gangs à Los Angeles et constate que les victimes et les agresseurs partagent souvent des contextes socio-économiques semblables et des circonstances pareillement défavorisées. Partant de cette observation, elle a empilé dos à dos et séparées par une couche de terre des paires de tables de la taille de cercueils. Chacune de ces paires symbolise l’une de centaines de dyades bourreau/victime dont les destins restent tragiquement liés. Évoquant un cimetière récemment aménagé, l’oeuvre reflète également la douleur des mères endeuillées de Colombie à la recherche de leurs fils disparus dans des fosses communes. Plegaria Muda, qui signifie « prière silencieuse », témoigne de l’importance universelle d’une inhumation et d’un adieu personnels et dignes. L’herbe qui pousse à travers les plateaux des tables faits à la main, comme autant de lueurs d’espoir, exprime la conviction de Salcedo que la vie s’impose même face aux abus les plus terribles.
Salle 6
Disremembered, 2014/15 et 2020/21, illustre plusieurs aspects importants de l’oeuvre de Salcedo : il s’agit d’une sculpture presque immatérielle, à peine tangible, qui ne se révèle à nous que de près. Une étoffe de soie semblable à une chemise, conçue par Salcedo suivant le modèle de sa propre blouse, est traversée de très nombreuses petites aiguilles qui opposent quelque chose de menaçant à la délicatesse évanescente de la sculpture. En amont de ce travail, Salcedo a parlé avec des mères ayant perdu des enfants lors de violences armées dans des quartiers difficiles de Chicago. La douleur constante et inconsolable de ces femmes est symbolisée par les plus de 12’000 fines aiguilles piquées directement dans l’étoffe et clairement visibles en raison de la transparence de la sculpture.
Salle 4
Cette polarité entre délicatesse et violence est commune à beaucoup d’autres oeuvres de Salcedo. Atrabiliarios, 1992–2004, montre ainsi des chaussures usées, insérées dans des niches aménagées dans la paroi d’exposition et recouvertes d’une peau animale tendue qui en opacifie la vue. Salcedo cherche ainsi à préserver la mémoire de leurs anciennes propriétaires : des femmes victimes de disparition forcée en Colombie.
salle 5
La série Untitled, 1989, comporte plusieurs meubles de bois saisis dans du béton. Pour cette oeuvre, Salcedo a passé du temps avec les familles de victimes de la violence endémique et de la guerre civile en Colombie. Elle s’est saisie d’objets du quotidien des victimes, rendus inutiles par leur mort, pour symboliser leur absence.
Salle 8
Unland, 1995–1998, s’appuie sur des interviews menées dans le nord de la Colombie avec de jeunes orphelins qui avaient été témoins du meurtre de leurs parents. Les moitiés de tables reliées par un mélange de soie et de cheveux humains représentent l’équilibre fragile de familles déchirées par la violence.
Doris Salcedo Solo Exhibition Museum of Contemporary Art Chicago 21 February – 24 May 2015
Salle 1
Untitled, 1989–93, a été conçu en réaction à deux massacres commis en 1988 dans le nord de la Colombie dans les plantations bananières de La Negra et La Honduras. Les sculptures se composent de chemises de coton blanches coulées dans du plâtre et transpercées de barres d’acier. Faisant allusion à l’absence du corps humain, les chemises évoquent la tenue de travail standard des ouvriers de ces plantations ainsi que la tenue mortuaire des défunts.
Palimpsest
Dans la vaste installation, 2013–2017, Salcedo se penche sur le sort des réfugié·e·s et des migrant·e·s mort·e·s noyé·e·s ces 20 dernières années lors de la dangereuse traversée de la Méditerranée ou de l’Atlantique en quête d’une vie meilleure en Europe. Cinq années durant, elle a recherché les noms des victimes qui apparaissent et s’estompent sur les dalles couleur sable des quelque 400 mètres carrés au sol que recouvre l’installation.
À propos de Doris Salcedo
Doris Salcedo est née en 1958 à Bogota en Colombie, où elle vit et travaille encore aujourd’hui. Elle a étudié la peinture et l’histoire de l’art à l’Université de Bogota, puis au début des années 1980 la sculpture à l’Université de New York. En 1985, elle retourne en Colombie. Elle sillonne alors le pays à la rencontre de rescapé·e·s et de proches de victimes d’actes de violence et de brutalité. La sensibilisation provoquée en elle par ces échanges par rapport aux thèmes de la guerre, de l’aliénation, du manque de repères et du déracinement forme depuis la base de son travail . Salcedo a attiré l’attention avec des installations à grande échelle telles Untitled, 2003, Shibboleth, 2007, ou Plegaria Muda, 2008–2010. Untitled, 2003, réalisé pour la 8ème Biennale internationale d’Istanbul, se composait d’environ 1550 chaises en bois empilées entre deux bâtiments pour rendre compte de la migration et de l’expulsion de familles arméniennes et juives d’Istanbul. Pour Shibboleth, 2007, à la Tate Modern à Londres, elle a conçu une longue faille crevassée parcourant le sol de la Turbine Hall, inscrivant ainsi dans l’espace de manière sensorielle les expériences de délimitation et d’exclusion sociales ainsi que de séparation. En 2015, le Museum of Contemporary Art Chicago a présenté une première rétrospective de son travail. Le musée de Glenstone dans le Maryland lui a consacré l’année dernière une exposition individuelle. À la Fondation Beyeler, Doris Salcedo a été représentée en 2014dans une présentation de la collection incluant des oeuvres de la Daros LatinamericaCollection. Palimpsest a été présenté en 2017 au Palacio de Cristal du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid puis à White Cube à Londres. Cette installation saisissante est donnée à voir à la Fondation Beyeler depuis l’automne dernier pour la première fois dans l’espace germanophone. La dernière oeuvre en date de Salcedo, Uprooted, 2020–2022, est actuellement présentée à la 15ème édition de la Biennale de Sharjah.