Je ne peux que reprendre le texte de Norbert Corsino, rédigé en mars 1993, tant il est représentatif du personnage :
Boucles blanches, yeux bleus, Robert Cahen ne touche pas le sol : il a quelque chose d’un ange. Parfois il faut se retourner sur son passage pour voir s’il a des ailes ou non. Des ailes du type « omoplates » ou « chevilles » on n’en voit point. Et pourtant il vole. Plus exactement il flotte dans l’air : à la fois suspendu au gré du temps et migrateur comme certains oiseaux, sachant où il va, sachant quand il revient. Les traces de ses envolées sont visibles. Son œuvre vidéo est là pour nous montrer ses voyages dans l’imaginaire. La vidéo-ailée de Robert C. ralentit le passage du temps. Sa pâte originelle de musicien renvoie à une mémoire sonore dans la manière d’entretenir les images.
La
rétrospective qui lui est consacrée à Lucca en Toscane, à la
Fondazione Ragghianti (
23 octobre 2009 – 10 jan 2010) nous présente les installations et vidéos acquises par le
Frac Alsace en 1997.
Dans le cadre de sa mission de formation et de sensibilisation à l’art contemporain, le Frac Alsace propose des prêts d’œuvres issues de sa collection auprès de collèges ou lycées, institutions ou entreprises, maisons des arts ou musées….
C’est la plus grande exposition d’installations vidéo de l’auteur en Italie. Il présente 13 oeuvres de 1979 à 2008: 11 installations et 2 vidéos (ces 2 œuvres sont spécialement «installées» pour l’occasion).
Ce lieu avec son cloître est absolument magique, proche du jardin botanique et des remparts, la façade ne laisse pas deviner les trésors qu’elle abrite.
En avançant plus en avant dans l’exposition, vous pénétrer dans l’univers onirique du magicien qu’est Robert Cahen.
Le voyage, la contemplation du paysage, la métamorphose du regard, mais aussi un temps lent et méditatif, la pensée sur l’idée de paysage, le temps de la vie, la mémoire, la rencontre avec l’autre.
C’est ainsi que de salles en salles vous pouvez rêver et contempler :
Tombe (avec les objets) , expliqué par RC lui-même dans mon montage vidéo (mais oui j’ai osé …)
Intimiste, Robert Cahen, est intéressé par la vérité des êtres, cette passion des hommes qui le faisait déjà s’intéresser aux passants rencontrés en Chine. Dans les films qu’il compose minutieusement, Robert Cahen travaille sur le temps, sa marche inexorable, par exemple ces
Paysages-passage.
7 visions (qui étaient à la Chapelle St Jean de Mulhouse), Robert Cahen dispose des caissons où le regard est mis en conduite forcée pour recueillir des images saisies au vol pendant son voyage en Chine. Vus de loin, ces caissons de bois écru ressemblent fort à des cercueils.
Suaire,
C’est encore le thème de la mort, une mort si douce qu’elle n’est plus que la trace quasi-immatérielle de ce tissu flottant, qui s’expose, ralentie, dans une image fragile et comme transparente sur le Suaire.
Le visage surgit imperceptiblement, fixe, puis s’anime par un lent mouvement de paupière, jusqu’à sa disparition, image en suspension, passage de la vie à la mort, qui subsiste dans la mémoire
Paysages-passages
Robert Cahen invite le passager en partance à entrer dans la couleur des sons, le bruit des vagues, le sifflet d’un train. Il colore les quais de la gare du Montenvers de couleurs extrêmement vives et crues, révélant délicatement le kitsch du tourisme familial de la Vallée blanche.
il y a
Attention ça tourne, Tombe avec les mots (italiens)
accrochés dans une pièce sombre, des objets de toute sorte -jouets, ustensiles, vêtement- tombent inexorablement dans une installation intitulée…Tombe !
Françoise en mémoire
Les mots semblent prolonger le portrait, ils passent au travers de l’écran, viennent de ce visage pour se fondre dans l’espace environnant. Les mots qui flottent devant le visage de Françoise sont comme une clé. Ce visage si proche, qui nous fait face, nous le regardons avec ces mots. Cette femme, nous la comprenons avec ses mots, nous partageons les mêmes mots.
Presque une photographie. À la limite entre image fixe et image animée. La pose est simple, le sujet est assis, le cadrage rapproché. Presque un portrait photographique.
Dans cette installation, pas de paysages, pas de pays lointains, pas d’effets sur l’image, pas de son, et pas de mouvement de caméra, un long plan fixe. Presque rien ne bouge. En tout cas dans la partie filmée. Car il y aussi ces mots, ces mots qui passent, lentement et miroitent au sol, comme provenant de l’autre écran, celui qui représente Françoise. Avec un flottement proche d’installations comme Tombe de 1997 ou Tombe (avec les mots) de 2001.
Ce ne sont pas seulement deux projections simultanées que l’on voit ici, c’est évidemment la relation qui se tisse entre les deux parties de l’œuvre, entre les deux écrans qui importe. Pour Robert Cahen « on ne peut pas regarder deux choses à la fois », il précise là que notre regard doit faire un choix, une suite de choix. On regarde un écran, sachant que l’on perd en partie ce qui se déroule sur l’autre. On pourrait dire : quand on regarde l’un, on voit l’autre ; et voir n’est pas regarder… Robert Cahen choisit régulièrement, dans d’autres œuvres, de présenter plusieurs images en même temps, L’île mystérieuse (1991), ou Paysages-passage (2000).
Une image comme flottante, un visage comme suspendu dans l’espace d’une part, des mots en mouvement de l’autre. Les deux projections passent en boucle, elles sont proches sans être pour autant synchronisées. Ainsi, ce n’est pas un lien de cause à effet que Robert Cahen a voulu tisser entre ces deux projections qui composent l’installation. Ce sont deux boucles parallèles, tout à fait autonomes, mais intimement reliées, articulées. Comme deux mondes parallèles interconnectés. D’une part le visage silencieux, dans le temps dilaté cher à Robert Cahen, légèrement ralenti, aux mouvements parfois imperceptibles mais bien présents. D’autre part le monde des mots, ces mots qui glissent au sol, qui flottent lentement comme dans de l’eau, ou comme sous l’eau, donc aussi assourdis, filtrés, vus au travers de quelque chose qui fait jouer la lumière.
Comme des mots oubliés qui ressurgissent, à la manière des « vieux rêves » dans le roman, La fin des temps d’Haruki Murakami (1985, Japon). Dans cette installation de Cahen les mots sont des bribes, comme des fragments de mondes épars, sans phrases ni histoires précises : mon enfant, silence, métamorphose, disparition, le vent, l’autre… Dans le livre de Murakami, le narrateur arrive dans une ville murée, qui n’est autre qu’un espace construit dans son propre cerveau. Dans ce monde très organisé, il a pour tâche la lecture des « vieux rêves ». Il travaille à la mémoire d’un monde, le sien en fait ; il scrute et sonde sa propre histoire, qui lui échappe…
Dans l’installation de Cahen, les mots concernent la mémoire de Françoise, mais peut-être aussi celle de nous tous.
Chez Murakami, la seule issue à ce monde fermé sur lui-même est la rivière qui traverse la ville : y plonger pour passer sous l’enceinte et découvrir l’inconnu, au-delà.
Les reflets et le mouvement fluide des mots silencieux qui glissent devant Françoise me font penser à cette rivière de la Fin des temps : ils sont l’accès à une connaissance, ils semblent signifier le passage entre la mémoire et le monde, entre un monde intérieur et notre espace de spectateur-lecteur.
Un des premiers films de Robert Cahen, Karine (1976), est un portrait qui se construit dans le temps (l’artiste photographie l’enfant du jour de sa naissance jusqu’à l’âge de six ans et le film se construit de ces photographies). De la naissance à l’enfance. Avec Françoise en mémoire, c’est une femme âgée qui nous fait face, cette fois dans un temps suspendu, presque arrêté, ralenti. Ce temps dilaté, qui nous rend sensible au moindre changement d’expression, au moindre battement de paupières, au moindre souffle. Alors ces deux œuvres, Karine et Françoise… se répondent, enfance et vieillesse, temps concentré et temps suspendu, apprentissage de la parole et mémoire questionnée par les mots, nous rappelle Stéphane Mroczkowski
Enseignant-chercheur en arts visuels à l’Université de Strasbourg, artiste
et
Sanaa Passage en noir, capitale du Yemen,
Horizontales couleurs,
Voici ce que RC dit pour les cartes postales :
Les cartes postales,
c’est un rêve d’enfant qui se réalise: tenir en main une photographie et la voir tout à coup prendre vie. Voir ce qui s’est passé après l’instant fixé sur la pellicule. Pour faire les Cartes Postales, on choisit de se rendre dans des endroits dont on rêve, des endroits connus, typiques, révélateurs d’une ville ou d’un pays. On filme en plan fixe en guettant ce qui peut se passer d’intéressant, en essayant de capter l’esprit de l’endroit. De retour de tournage, on choisit les moments où quelque chose d’inattendu, de drôle s’est produit. Au besoin, on l’accentue par des effets spéciaux ou par le travail du son. Le but est de faire « feuilleter » au spectateur une collection d’images devant laquelle il va se demander: Que va-t-il se passer cette fois-ci ?
Les cartes postales ont été réalisées par Robert CAHEN, Stéphane HUTER et Alain LONGUET en totale collaboration à tous les stades du travail, entre 1984 et 1986. La collection regroupée sur trois bandes de 13.30 minutes chacune comporte 450 Cartes Postales: Rome, Alger, Lisbonne, Paris, New York, Londres, l’Egypte, l’Islande, le Canada, la Côte d’Azur, la Normandie…
Certaines de ses vidéos, ne m’étaient pas inconnues, elles avaient donné lieu à des expositions, dans divers endroits de la région, (Alsace – Suisse) mais le fait de les voir rassembler dans ce lieu prestigieux, propice à la méditation et à la contemplation, non seulement permet d’avoir une approche d’ensemble, de l’oeuvre abondante, de la démarche poétique et fantastique de l’artiste, mais font ressortir toute sa puissance émotionnelle. Un moment fort, puissant et très émouvant.
Comment ne pas citer ce commentaire de J.-P. Fargier dans Le Monde du 23 avril 1996 : C’est un frémissement intérieur, le rythme des couleurs vidéos, le mouvement arrêté du temps Tous ces effets auraient pu le conduire à l’abstraction. Il n’en n’est rien. La cinquantaine d’œuvres réalisées par l’auteur depuis 1971 procède en fait d’une technique mixte : fidélité au sujet autant qu’à la matière, réalisme intimiste, lyrisme et narration… Robert Cahen n’hésite pas à assembler des » micro-histoires » jouant de tous ces éléments avec beaucoup d’humour. Minutieusement et sans concession, le vidéaste a construit une œuvre qui s’est donnée à voir et à entendre, avec quel plaisir, plaisir partagé.
grande ringraziamento a Elena Fiori e il suo interprete, per avermi accolto e guidato attraverso questa bella mostra
photos extraites du catalogue de l’exposition, sauf la photo 3, montage vidéo de l’auteur
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