Le Grand Palais, à Paris, présente dans une rétrospective dédiée
au grand maître catalan Joan Miró (1893-1983), près de 150 oeuvres, jusqu’au 4 février 2019.
ceci est la couleur de mes rêves
« Il m’est difficile de parler de ma peinture, car elle est
toujours née dans un état d’hallucination, provoqué
par un choc quelconque,
objectif ou subjectif, et duquel je suis entièrement
irresponsable. Quant à mes moyens d’expression, je m’efforce d’atteindre
de plus en plus le maximum de clarté, de puissance et
d’agressivité plastique, c’est-à-dire de provoquer d’abord une sensation physique,
pour arriver ensuite à l’âme. » « Déclaration », Minotaure : revue artistique et littéraire,
n° 3-4, décembre 1933, p. 18, dans Joan Miró :
Écrits et entretiens, Margit Rowell (éd.),
Paris, Daniel Lelong, 1995, p. 132
Les oeuvres sont réunies afin de donner à cet oeuvre unique
et majeure toute la place qui lui revient dans la
modernité. Des prêts exceptionnels, provenant de grands musées
internationaux, européens et américains, ainsi que de grandes
collections particulières mettent l’accent sur les périodes
charnières de Miró qui déclarait : « Les gens comprendront de mieux en mieux que
j’ouvrais desportes sur un autre avenir, contre toutes
les idées fausses, tous les fanatismes ». La création de cet artiste protéiforme, colorée, poétique,
d’exception irrigue l’art de tout le XXe siècle, irradiant de sa
puissance et de sa poésie près de sept décennies avec une
générosité et une originalité inégalées.
Dans une scénographie, créée tout spécialement pour les
espaces du Grand Palais et rappelant l’univers
méditerranéen de Miró, des oeuvres majeures (peintures
et dessins, céramiques et sculptures, livres illustrés)
se côtoient afin de mettre en lumière cet itinéraire marqué de renouvellements incessants.
L’exposition débute au premier étage, avec les périodes
fauve, cubiste et détailliste, suivie de l’époque surréaliste où Miró invente un monde poétique, inconnu jusqu’alors
dans la peinture du XXe siècle. Ces périodes fécondes
mettent en évidence les questionnements de l’artiste, ses
recherches ainsi que sa palette de couleurs toujours au
service d’un vocabulaire de formes inusitées et nouvelles.
C’est un esprit rebelle et libre qui crée un langage propre Ni abstrait ni figuratif, riche de multiples inventions, c’est
dans un parcours poétique que l’on découvre le langage
résolument neuf que n’a eu de cesse de développer Miró. Son art prend ses sources dans la vitalité du quotidien
pour s’épanouir dans un monde jusqu’alors méconnu où les
rêves du créateur occupent une place privilégiée.
« Il me faut un point de départ, explique Miró, ne serait-ce qu’un grain de poussière ou un éclat de lumière. Cette forme me procure une série de choses, une chose faisant naître une autre chose. Ainsi un bout de fil peut-il me déclencher un monde. »
La montée du fascisme, dans les années 1930, le voit s’engager
dans une lutte sans fin pour la liberté. Des peintures dites
« sauvages » illustrent la force étrange et inédite qu’il donne
à son oeuvre dans ces moments de tension extrême.
Pour l’exposition universelle de 1937, il expose à côté de Guernica
son oeuvre , le Faucheur, un paysan avec une faucille.
Oeuvre malheureusement perdue, qu’il avait donnée aux espagnols.
Dans les années 1940, l’apparition des Constellations, une série
de petits formats exceptionnelle exécutée à Varengeville-sur-Mer,
en Normandie, livre un dialogue avec des rêves inassouvis.
Bientôt ce sera l’interrogation sur la céramique qui donnera
naissance à une sculpture qui témoigne, là aussi, de cette passion
pour la réalité et une part de rêverie qui n’était pas a priori
imaginable dans cette discipline.
Miró transforme le monde avec une apparente simplicité
de moyens, qu’il s’agisse d’un signe, d’une trace de doigt ou de celle
de l’eau sur le papier, d’un trait apparemment fragile sur la toile,
d’un trait sur la terre qu’il marie avec le feu, d’un objet insignifiant
assemblé à un autre objet.
Il fait surgir de ces rapprochements étonnants et de ces mariages
insolites un univers constellés de métamorphoses poétiques qui vient
réenchanter notre monde. « Pour moi, avoue Miró, un tableau doit être comme
des étincelles. Il faut qu’il éblouisse comme la beauté d’une femme ou
d’un poème ».
Les dernières salles sont consacrées aux vingt-cinq dernières années
de la création du peintre. Dans son grand atelier de Palma de Majorque
construit par son ami l’architecte Josep Lluis Sert, Miró peint
des oeuvres de plus grands formats qui donnent une ampleur
nouvelle à un geste toujours aussi méticuleusement précis.
Le vide s’empare d’une grande partie des toiles longuement
méditées. Miró déploie une énergie nouvelle
avec des signes et des formes mettant en évidence une création
toujours en éveil. De grandes sculptures en bronze, parfois peintes,
disent, aussi à cette époque, la juxtaposition heureuse entre
le réel et l’irréel. Dans cette oeuvre ultime où le noir surgit
souvent avec une force nouvelle, le tragique frôle toujours
l’espoir.
Ainsi Miró investit-il l’univers pictural et sculptural avec une
acuité attisée par le temps qui passe. Jean-Louis Prat
Exposition organisée à Paris par le Museum Rietberg Zurich
et la Berlinische Galerie Berlin, en collaboration avec
les musées d’Orsay et de l’Orangerie. Dada, mouvement artistique foisonnant et subversif, naît à
Zurich pendant la Guerre de 14-18 et se déploie ensuite à travers
plusieurs foyers, Berlin, Paris, New York…
Par leurs œuvres nouvelles – poésie sonore, danse, collages,
performance –, les artistes dadaïstes rejettent les valeurs
traditionnelles de la civilisation, tout en s’appropriant les formes
culturelles et artistiques de cultures extra-occidentales, l’Afrique,
l’Océanie, l’Amérique.
Le Musée de l’Orangerie propose une exposition sur ces
échanges en confrontant œuvres africaines, amérindiennes
et asiatiques et celles, dadaïstes, de Hanna Höch, de Jean Arp,
de Sophie Taeuber-Arp, de Marcel Janco, de Hugo Ball, de
Tristan Tzara, de Raoul Haussmann, de Man Ray, de Picabia….
Ainsi sont évoquées les soirées Dada, avec plusieurs archives,
film de danse et documents sonores, musicaux, mais aussi la
diversité, l’inventivité et la radicalité des productions Dada –
textiles, graphisme, affiches, assemblages, reliefs en bois,
poupées et marionnettes – face à la beauté étrange et la rareté
d’œuvres extra-occidentales, statue africaine Hemba, masque
africain de Makondé, masque Hannya du Japon, proue
de pirogue de guerre maori…
Le propos a toute sa place au musée de l’Orangerie, berceau de la collection Jean Walter – Paul Guillaume.
Celui-ci, grand marchand d’art africain, a joué un rôle
de premier plan dans cette confrontation qui s’opère sur
fond d’interrogations sur l’hybride, le genre, la posture coloniale.
En contrepoint de l’exposition sont présentées dans le musée
des œuvres de deux artistes contemporains :
– deux photographies de l’artiste Athi-Patra Ruga issues
d’une performance et d’une réflexion sur l’identité… A Vigil for Mayibuye (from the Exile series), 1915 et The Future White Woman of Azania, 2012
– un ensemble d’œuvres (tapisseries, photographie et dessins)
d’Otobong Nkanga dont deux tapisseriesIn pursuit of Bling,
2014. Athi-Patra Ruga réside et travaille à Johannesburg.
Explorant les frontières entre la mode, la performance
et l’art contemporain, Athi-Patra Ruga expose et subvertit
le corps confronté aux structures, aux idéologies et à la
politique. Débordant de références multiculturelles éclectiques,
d’une sensualité charnelle sous-tendue d’humour, ses
performances, vidéos, costumes et images photographiques
créent un monde où l’identité culturelle n’est plus déterminée
par l’origine géographique, l’ascendance ou l’aliénation
biologique, mais bien plus par une construction hybride. Otobong Nkanga, artiste formée au Nigeria et à Paris,
vit et travaille à Anvers. Les dessins, installations, photographies,
performances et sculptures d‘Otobong Nkanga interrogent
de différentes manières la notion de territoire et la valeur
accordée aux ressources naturelles.
Dans plusieurs de ses travaux Otobong Nkanga réfléchit
de manière métonymique les différents usages et valeurs
culturelles connectés aux ressources naturelles, explorant
ainsi comment sens et fonction sont relatifs au sein de cultures,
et révélant les différents rôles et histoires de ces matières,
tout particulièrement dans le contexte de sa propre vie et
de ses souvenirs.
Cette présentation a été rendue possible grâce au soutien
de Fabienne Leclerc / Galerie In Situ, Paris.
Commissariat général Ralf Burmeister, directeur des archives d’artistes
à la Berlinische Galerie de Berlin Michaela Oberhofer, conservateur des Arts d’Afrique
et d’Océanie au Museum Rietberg de Zurich Esther Tisa Francini, directrice des archives écrites
et des recherches de provenance au Museum Rietberg de Zurich
Commissariat pour l’étape parisienne Cécile Debray, conservatrice en chef du patrimoine, directrice
du musée de l’Orangerie Cécile Girardeau, conservateur au musée de l’Orangerie
Assistées de Sylphide de Daranyi, chargée d’études
documentaires, et Valérie Loth, chargée de recherches,
au musée de l’Orangerie
Se termine le 19 février 2018
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Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu’il vous faut. Cicéron
Jardins se veut un modeste écho à la phrase, souvent
reprise mais essentielle, de Foucault : « Le jardin, c’est la pluspetite parcelle du monde et puis
c’est la totalité du monde. »
150 ans après la publication de l’ouvrage fondateur
d’Arthur Mangin, Les Jardins : histoire et description et
quarante ans après l’exposition déterminante de la Caisse
nationale des monuments historiques et des sites en 1977,
Jardins, 1760-1820. Pays d’illusion, terre d’expérience,
l’engouement que suscite le patrimoine vert en France ne se
dément pas, avec aujourd’hui 22 000 parcs et jardins
présentant un intérêt historique, botanique ou paysager,
dont près de 2000 sont inscrits ou classés au titre des monuments historiques. Jardins, dont le titre entend
refléter sobrement toute la diversité du sujet, considère à
la fois l’histoire de l’art des jardins et l’histoire des expositions
sur ce thème, qui n’a que rarement retenu l’attention
des institutions culturelles.
Si sa présence au musée semble fondée sur une
contradiction –le jardin, monument vivant, par nature
changeant, éphémère et in situ, n’est-il pas l’objet par
excellence d’une exposition impossible ? –
les liens entre le musée et le jardin sont en vérité étroits.
Lieux de savoir et de plaisir, qui naissent,
grandissent et meurent, ils sont aussi un espace
que peut arpenter, à son rythme, le visiteur.
entité délimitée au sein d’un territoire, espace
mis en scène et donc miroir du monde. Présenté dans les Galeries nationales du Grand Palais, ce rassemblement
pluridisciplinaire de peintures, sculptures, photographies,
dessins, films, etc., n’est ni une histoire complète de l’art des
jardins, ni un état des lieux qui prétendrait à l’exhaustivité.
Des notions connexes, comme celle de nature, sont tenues
à l’écart d’un propos fermement centré sur son sujet mais
qui entend néanmoins montrer, comme dans un grand collage,
le jardin comme oeuvre d’art totale, qui éveille tous les sens,
et poser la question essentielle de la représentation.
Le parcours thématique, où s’entremêlent l’histoire de l’art
et celle des sciences, est construit comme une promenade
où le jardin « réel » – ni littéraire, ni symbolique, ni philosophique
– est entendu à la fois comme ensemble botanique
et construction artistique.
Cette exposition « jardiniste », un mot d’Horace Walpole repris par Jean-Claude-Nicolas Forestier, entend défendre
le jardin comme forme d’art et ses créateurs comme artistes. Jardins se concentre sur les expérimentations menées
en Europe – et plus particulièrement en France – de la Renaissance
à nos jours. Si le jardin médiéval est souvent le point de
départ des grands panoramas de la discipline, l’histoire de l’art
comme celle de la botanique invitent à privilégier un autre
commencement.
A la Renaissance, les savants et les artistes
animés par une nouvelle démarche critique relisent
les sources antiques – illustrées par la présence inaugurale,
au sein de l’exposition, d’une fresque de la Maison du Bracelet d’or de Pompéi – à la lumière d’une observation minutieuse de
la plante. Ces réinterprétations, accompagnées de véritables
révolutions artistiques incarnées par les extraordinaires dessins d’Albrecht Dürer, conduisent aussi à la création
à Padoue (1545) du premier jardin botanique. Si les plantes y
sont toujours cultivées pour leur rôle utilitaire, leur
rassemblement a désormais aussi une vocation démonstrative
et sert de support à l’enseignement scientifique.
L’hortus conclusus médiéval se brise et s’ouvre au monde,
avec des jardins qui s’enrichissent des découvertes des
grands explorateurs ; il s’ouvre aussi au paysage, entre
dans le champ des arts et devient un véritable projet pictural
pour des artistes qui disposent, notamment grâce à la
perspective, d’outils de représentations inédits et révolutionnaires.
De la petite touffe d’herbe d’Albrecht Dürer au « jardin planétaire » de Gilles Clément, les jeux d’échelles
constituent un fil rouge de ce parcours. La visite commence avec
la terre, prélude à un vaste ensemble qui met à l’honneur les
éléments premiers et le vocabulaire des jardins.
Si l’exposition commence avec la bibliothèque de Koîchi Kurita, elle se termine poétiquement avec les
deux vallons de pollen de fleurs de châtaignier
de Wolfgang Laib.
Jusqu’au 24 juillet 2017 Grand Palais
accès square Jean Perrin
commissariat : Laurent Le Bon, conservateur général du
patrimoine, président du Musée national Picasso, Paris
commissaires associés : Marc Jeanson, responsable de l’Herbier
national du Museum national d’histoire naturelle ; Coline Zellal, conservatrice du patrimoine, Musée national Picasso, Paris
scénographie : Laurence Fontaine
Tous les jardins sont sur France Culture ! à (ré)écouter sans modération
23/03/2017 – 17:59 —
Les 18 et 19 mars derniers, la nature était l’invitée d’honneur des ondes
de France Culture.
Voici une petite sélection d’émissions diffusées
pendant ces deux journées exceptionnelles sur
France Culture autour du thème du jardin. A (ré)écouter ou podcaster sans modération !
Invité par le musée Rodin à travailler à partir de
l’ouvrage que Rodin consacra il y a plus de
cent ans aux « Cathédrales de France », En effet, le rapprochement de ces deux artistes est à l’image de la naissance du projet : d’abord presque fortuit, dont la nature s’adapta naturellement à l’évolution de la création d’Anselm Kiefer. Pragmatiquement, comme on assiste à l’éclosion puis à la croissance d’une plante inconnue, nous avons vu apparaître des efflorescences, certaines branches se ramifiant, d’autres stoppant leur croissance, et avons ménagé l’espace autour d’elles. Catherine Chevillot Conservateur général du patrimoine directrice du musée Rodin
Anselm Kiefer a très vite souhaité élargir ses
investigations à l’ensemble de l’univers créatif
du sculpteur. Kiefer est un artiste qui, comme Rodin,
expérimente sans fin des combinaisons de formes
et s’intéresse à la matière, associant délibérément
des éléments de provenance et de statut différents.
À travers ses vitrines, peintures, livres, il joue de tous
les supports et use de toutes les techniques pour
comprendre ou digérer l’héritage du passé
et apprivoiser ici l’univers rodinien.
L’exposition commence par la présentation
de vitrines, toutes inédites. Elles se répondent
les unes aux autres, mêlant aux vestiges de sa propre
vie des objets de nature et d’origine diverses et créant
par la même occasion des rapprochements souvent
inattendus et parfois déroutants.
En effet, lorsque Kiefer s’immerge dans l’oeuvre
de Rodin, il entame un long périple. Des croquis
d’architectures, en nombre limité, à l’immense corpus
des dessins érotiques, qu’il consulte à plusieurs
reprises, l’artiste s’arrête volontiers aux dessins
découpés avant d’être attiré par les innombrables
sujets en plâtre déclinés par Rodin et la profusion
d’abattis – fragments de jambes, bras ou têtes.
Ce voyage dans l’univers rodinien lui permet aussitôt
d’imaginer des formes nouvelles.
Ainsi dans ses vitrines, Kiefer agence les débris
de ces progénitures qu’il s’approprie. Il introduit
divers éléments, d’autres matériaux. Et de ces
métamorphoses, il attend, patient, que
se produise selon ses propres termes « l’étincelle ».
De la même manière, les moules des sculptures
l’interpellent. Soudainement confrontés à l’univers
de Kiefer, ces éléments témoignent d’une vie passée
comme d’une autre à venir. Kiefer s’intéresse moins
au procédé de moulage qu’à l’effet mystérieux
de l’empreinte. C’est la matrice qu’il retient,
celle susceptible de donner vie, mais qui
suppose de la part du regardeur un complément
de recherche ou d’interprétation. À lui de
réinventer la forme prisonnière et prête à éclore.
À la lisière de l’étrange, chacune de ses vitrines
est une ode au mystère, un univers poétique
dans lequel Kiefer nous invite à le suivre. Sursum corda
Sursum corda convoque de manière explicite une
référence chrétienne par son titre biblique associé
à une échelle en spirale – peut-être celle de
Jacob – et à un arbre, qui même séché n’est pas sans
évoquer celui de la connaissance. Les mots latins « sursum corda » – en français « élevons nos coeurs »
– inscrits sur la vitrine par Kiefer, prononcés par le
prêtre lors de la messe avant la prière eucharistique,
sont un appel à la prière, une élévation symbolisée
par l’échelle qui tend vers un au-delà et relie tant bien
que mal la terre au ciel. L’arbre s’enracine dans une
terre nourricière et fertile faite de sédiments, de débris,
de fragments de têtes de damnés directement empruntés
au répertoire rodinien, héritage artistique,
esthétique et strate ancestrale, à partir de laquelle
l’arbre et l’échelle s’élèvent. Ce travail fait écho
aux réalisations de Rodin mêlant oeuvres en plâtre
et végétaux, comme le grand assemblage réunissant
deux figures d’Ève, une Femme accroupie et un branchage.
Dimanche des rameaux
Cette vitrine offre une lecture inhabituelle
et paradoxale de ce moment qui marque l’entrée
du Christ dans Jérusalem, accueilli par une
foule en liesse, qui, quelques jours plus tard à peine,
le condamnera. La palme, ou le rameau, qui était
brandie en signe d’acclamation gît, piétinée, à moitié
cassée, au fond de la vitrine. Comme si tout
était vain, l’espérance déçue et le salut impossible.
La grande tige s’élève tel un mât dépecé et sec,
tandis que les branchages, abîmés et tordus,
proches d’un balai de sorcière, s’écrasent sur
les restes d’un moule sans fond. Il est la matrice
devenue inutilisable, vide, creuse et stérile.
Peintures Dans sa peinture, l’artiste-alchimiste se confronte
à la matière qu’il sature de pigments. Les couches
sont labourées, les empâtements pétris.
Et de ces substances oppressantes aux tonalités
terreuses surgissent avec noblesse les « Tours-Cathédrales », noircies, blessées mais
triomphantes, promesses d’une renaissance
et annonciatrices de la floraison à venir.
En 2013, Kiefer entreprend un travail autour de
la « Cathédrale » en hommage à Rodin et à son
ouvrage publié en 1914. Livres
Dans l’éternité de ses livres, véritable empreinte de son
oeuvre, il n’hésite pas à rejoindre l’univers poétique et
érotique du sculpteur, entre dévotion sacrée
et jouissance profane. Tous uniques, ces livres partagent
la même puissance d’évocation poétique et spirituelle :
la femme, sensuelle et tentatrice, s’accapare l’église,
joue avec elle.
Les taches colorées librement répandues rappellent
le travail du sculpteur. La série de livres
aux effets marbrés fait naître de la matière
des silhouettes féminines et évanescentes. Car
pour Kiefer comme pour Rodin, et selon la formule
de Michel-Ange, l’idée et la forme sont partie
intégrante de la matière, qu’elle soit de marbre
ou de plomb. À eux, passeurs, de les faire émerger
et exister. Ainsi les lignes souples et sensuelles
de ces nus féminins surgissent de la feuille
et se fondent dans les veines qui évoquent celles
du marbre. Absolution Au centre de la salle, Absolution, oeuvre
monumentale et unique, constituée à partir
d’éléments de plusieurs figures (Torse d’Ugolin
assis, La Terre, Tête de la Martyre), recouverte
d’un grand drapé, ajoute moins à la modernité
du sculpteur qu’à son audace et à sa capacité
à se renouveler. Sans doute réalisée vers 1900,
cette oeuvre mystérieuse et sans équivalence
dans la production de l’artiste, présentée aujourd’hui pour la première fois au public,
proclame – cent ans après sa mort – tout le génie
créatif du sculpteur-explorateur et puissant
éclaireur.
Chez Kiefer le tissu s’invite souvent sous la forme d’un
vêtement, qu’on pourrait croire vide mais qui est bel
et bien « habité » par des éléments symboliques et suggestifs ;
ainsi les Walkyries, ces vierges guerrières issues de
la mythologie nordique, voient leurs armures laisser
place à de simples tuniques désincarnées.Femmes et Architecture L’exposition se termine à l’étage du musée dans le cabinet
d’art graphique où est évoquée la fervente admiration
de Rodin pour l’architecture médiévale.
Carnet à la main, il parcourut la France,
à la découverte de la plus modeste des églises
comme de la plus glorieuse des cathédrales.
Cette passion architecturale traversa sa
vie et sa carrière, irriguant toutes les phases
de sa création graphique et sculptée (La Cathédrale, L’Ecclésiaste et même son Monument à Balzac). Une série de dessins
retrace la réflexion de l’artiste sur la dimension
organique qu’il attribua à ces édifices.
Les croquis d’architecture se transforment
progressivement en silhouettes féminines
combinées ou transformées en éléments
ornementaux avant de faire place à des figures
allégoriques. Son ouvrage Les Cathédrales
de France, publié en 1914 est un ultime hommage.
Il espérait ainsi les arracher définitivement
à l’oubli.
Musée Rodin, Paris
du 14 mars au 22 octobre 2017
The Barnes Foundation, Philadelphie
du 17 novembre 2017 au 12 mars 2018
Commissariat général
Catherine Chevillot Directrice du musée Rodin
Conservateur général du patrimoine
Commissariat scientifique
Véronique Mattiussi Responsable scientifique du fonds historique
Adjointe au chef de service de la Recherche
« Icônes de l’art moderne – la Collection Chtchoukine »
vient de fermer ses portes ce dimanche 5 mars.
Elle a accueilli en quatre mois et demi 1 205 063 visiteurs.
C’est l’exposition qui détient en France le record
de fréquentation d’une exposition d’art, dépassant
l’exposition « Toutankhamon et son temps »
qui avait attiré en 1967, au Petit Palais, 1,2 millions
de visiteurs en six mois. C’était le must en 2016
à tous points de vue.
Anne Baldassari
Conservateur du Patrimoine
Commissaire général de l’exposition
Directeur du catalogue L’organisation parfaite et la circulation devant les oeuvres et dans le musée expliquent ce record.
La collection Chtchoukine est une légende moderne.
Occultée durant près d’un siècle pour des raisons
idéologiques, la collection de Sergueï Chtchoukine
reste encore aujourd’hui méconnue du grand public.
De fait, depuis sa dispersion en 1948, elle n’a jamais
été réunie comme une entité artistique singulière
et cohérente. L’exposition
« Icônes de l’Art moderne » en présentant à Paris une
sélection emblématique de cent-trente oeuvres
de la collection Chtchoukine a visé à lui restituer
toute sa valeur patrimoniale comme à
la resituer à sa juste place dans l’histoire de l’art moderne,
celle d’un des premiers foyers
d’« insurrection de la peinture » (André Breton).
C’est à partir de 1898 que Sergueï Chtchoukine,
grand industriel moscovite, entre en contact
avec les marchands Paul Durand-Ruel, Ambroise Vollard,
Berthe Weill, puis Georges Bernheim et
Daniel Henry-Kahnweiler.
Les relations affinitaires qu’il entretient avec les artistes
comme Matisse, influencent fortement la formation
de sa collection exemplaire de l’art le plus radical de son temps.
Grâce à la généreuse participation du Musée d’État de l’Ermitage
et du Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine qui ont
contribué à l’élaboration du projet, l’exposition présente
un significatif ensemble de 127 chefs-d’oeuvre des
maîtres impressionnistes, postimpressionnistes et
modernes de la collection Chtchoukine, tout particulièrement
représentatifs de l’art de Monet, Cézanne, Gauguin,
Rousseau, Derain, Matisse ou Picasso, mais aussi de Degas,
Renoir, Toulouse-Lautrec ou Van Gogh.
L’exposition traite également de l’impact de la collection Chtchoukine ouverte au public dès 1908 sur la formation
des mouvements cubofuturistes, suprématistes et constructivistes,
à travers un ensemble de 31 oeuvres (29 peintures, papiers collés,
constructions et reliefs, et 2 sculptures) des artistes majeurs
de l’avant-garde russe (Galerie Trétiakov, Musée d’art
contemporain de Thessalonique, Musée Pouchkine,
Stedeljik Museum, MoMA). L’exposition réunit ainsi
des chefs-d’oeuvre des maîtres tels que Malévitch,
Rodtchenko, Larionov, Tatline, Klioune, Gontcharova,
Popova ou Rozanova.
Un parcours muséographique en treize grandes
séquences a permis de suivre l’évolution du goût
du collectionneur russe « découvreur » de l’art moderne
depuis la toute première collection de toiles romantiques
et symbolistes qu’il réunit au tournant du siècle jusqu’aux
ensembles stupéfiants de modernité de Matisse et surtout
de Picasso dont les oeuvres furent alors frappées par l’anathème
de « peste noire ».
Composant des ensembles monographiques
(Monet, Gauguin, Matisse, Picasso)
ou thématiques (Première collection, Paysage, Autoportraits,
Portraits, Natures-mortes), ces séquences ont suivi le fil
chronologique de la période 1898-1914.
L’exposition a ainsi rendre compte et a synthétisé les polarités
particulières auxquelles obéit la collection Chtchoukine où culmine le genre du paysage avec près de quatre-vingt-dix toiles
sur les deux-cent-soixante-quinze numéros de la collection.
Puis suivent des ensembles d’oeuvres dédiés aux portraits,
essentiellement féminins, (près de soixante-dix oeuvres),
aux natures mortes (une quarantaine d’oeuvres), aux compositions
mythologiques et religieuses évoquant ce « temps
des cosmogonies » invoqué par Matisse (une quarantaine d’oeuvres),
et enfin aux scènes de genre (une dizaine d’oeuvres).
Le genre du nu, véritable sujet tabou pour Chtchoukine prit le plus
souvent dans sa collection la forme elliptique d’allégories telles
que Le Bois sacré, (Maurice Denis),
Nymphe et satyre (Matisse), ou Trois Femmes (Picasso).
Sergev Chtchoukine1854-10 janvier 1936 1917 Révolution et prise du pouvoir par Lénine
et les bolcheviks. 29 octobre 1918 Décret de nationalisation de la
Collection Chtchoukine (274 oeuvres). 1919 Création du Musée de la nouvelle peinture occidentale
(collections Chtchoukine et Morosov). 1922 Transformation du Musée de la nouvelle peinture
occidentale en Musée national d’art moderne occidental (GMNZI). 25 octobre : Ekaterina, Michel Keller son époux et leurs six enfants
quittent la Russie pour Riga, puis pour la France. 1928 Fusion des deux départements historiques du GMNZI.
La collection Chtchoukine est déménagée dans l’ancien
palais Morozov. 10 janvier 1936 Décès à Paris de Sergueï Ivanovitch Chtchoukine,
âgé de quatre-vingt-deux ans. 6 mars 1948 Décret de Staline ordonnant la dissolution du GMNZI.
Les collections sont réparties entre le Musée d’État des Beaux-Arts
Pouchkine à Moscou et le Musée d’État l’Ermitage à Leningrad. une vidéo
Partager la publication ""Icônes de l'art moderne – la Collection Chtchoukine""
L’exposition Rembrandt intime, au musée Jacquemart André
se termine le 23 janvier. Si vous ne craignez pas la foule et la promiscuité des salles
du Musée Jacquemart, n’hésitez pas, ce sont des chefs d’oeuvre
les commissaires de l’exposition, Peter Schatborn,
conservateur en chef émérite du Cabinet national des estampes
au Rijksmuseum, Emmanuel Starcky, Directeur des musées
nationaux et domaine de Compiègne et Blérancourt. Génie au talent multiple, Rembrandt tient une place à part
dans l’histoire de l’art et dans les collections du musée Jacquemart-André, qui abritent trois chefs-d’oeuvre incontestés du maître. C’est autour de ces trois tableaux majeurs,
qui éclairent chacun une période clé de la carrière de Rembrandt,
que l’exposition est construite, sur l’artiste et sur l’homme.
Au-delà des épreuves qui ont rythmé sa vie,
Rembrandt a toujours porté un regard tendre et généreux
sur le monde qui l’entourait, et en particulier sur ses proches,
liant intimement le fil de son oeuvre à celui de sa vie. Des oeuvres du tout jeune Rembrandt, aussi foisonnantes
que surprenantes, aux portraits vibrants de sa maturité,
l’exposition explore les moments forts de la vie de l’artiste pour révéler toutes les facettes d’un talent qui n’a cessé
de se renouveler.
Peintre magistral, Rembrandt fut aussi un immense
dessinateur et un graveur hors-pair : maîtrisant à la perfection ces trois techniques, il en a exploré toutes
les possibilités en virtuose et créé un jeu d’échos entre ses
peintures, ses dessins et ses gravures. Fidèle à cette démarche, l’exposition du musée Jacquemart-André fait
aujourd’hui dialoguer tableaux et oeuvres graphiques du
maître pour mieux entrer dans l’intimité de son processus créatif.
Édouard André et Nélie Jacquemart achetèrent trois tableaux
de Rembrandt qui restent de nos jours incontestés :
Le Repas des pèlerins d’Emmaüs (1629),
le Portrait de la princesse Amalia van Solms
(1632), et le Portrait du Docteur Arnold Tholinx (1656). Chacune de ces trois oeuvres illustre une époque différente
et fondamentale de la création de Rembrandt.
Habité par un pouvoir créatif qui force l’admiration, Rembrandt touche à l’universel, tout en s’attachant
à représenter son cercle intime.
Ses proches, comme ses parents et sa femme Saskia (Paris, Bibliothèque nationale de France et Fondation Custodia),
font l’objet de nombreuses études.
L’artiste va aussi, tout au long de sa vie, se représenter lui-même
et porter l’art de l’autoportrait à ses sommets
(Berlin, Kupferstichkabinett; Paris, Petit Palais et musée du Louvre).
Lorsqu’il réalise vers 1629 le Repas des pèlerins d’Emmaüs, Rembrandt a acquis une
parfaite maîtrise de la technique picturale à laquelle il allie une
grande compréhension psychologique des sujets qu’il traite. Tout comme Saint Paul assis à sa table de travail
(Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum) qui lui est contemporain,
le chef-d’oeuvre de la collection Jacquemart-André permet
d’affirmer que Rembrandt atteint
alors un premier sommet de son art. Il a alors seulement 23 ans. Lorsqu’arrivent les années 1650-1660, la renommée de Rembrandt
s’étend jusqu’en Italie – il reçoit d’ailleurs la visite de Côme III de Médicis,
grand-duc de Toscane, en 1667. Loin de se contenter de ses succès, Rembrandt poursuit une quête artistique qui l’amène à dépasser
les limites du réel et à accéder à une vision de la vie qui transcende
les apparences, alors même que les épreuves s’accumulent.
Saskia est morte en 1642, il vend sa maison et ses collections
en 1656 pour échapper à la faillite, puis perd successivement sa
compagne Hendrickje Stoffels et son fils Titus. Pourtant,
habité par l’art, il surmonte toutes les difficultés et
développe un nouveau style.
Chef-d’oeuvre pictural, la Jeune fille à sa fenêtre de 1651
(Stockholm, Nationalmuseum), est considérée comme la première
oeuvre à illustrer ce changement. Le modèle, d’une présence presque
palpable, semble sortir de la toile et témoigne de l’émotion
de l’artiste devant cette jeune femme. Le style de Rembrandt
devient très libre et rapide, puis heurté et presque abstrait.
En 1656, quand il réalise le Portrait du docteur Arnold Tholinx (Paris, Musée Jacquemart-André) autour
duquel sont rassemblées les oeuvres de cette
dernière salle, Rembrandt est capable de dire la nature profonde
de l’être, comme le montre également le
Portrait d’Hendrickje Stoffels, sa dernière compagne
(Londres, National Gallery).
L’exposition «Magritte. La trahison des images» au Centre
Pompidou se termine le 23 JANVIER 2017
Elle propose une approche à ce jour inédite de l’oeuvre de l’artiste
belge René Magritte. Rassemblant les oeuvres emblématiques, comme
d’autres peu connues de l’artiste, provenant des plus importantes
collections publiques et privées, l’exposition offre une lecture
renouvelée de l’une des figures magistrales de l’art moderne.
Une centaine de tableaux, de dessins, et des documents d’archives,
sont réunis pour offrir au public cette approche qui s’inscrit dans la
ligne des monographies que le Centre Pompidou a consacré aux
figures majeures de l‘art du 20e siècle :
« Edward Munch. L’oeil moderne », « Matisse. Paires et séries »
et « Marcel Duchamp. La peinture, même ».
Elle explore un intérêt du peintre pour la philosophie,
qui culmine, en 1973, avec Ceci n’est pas une pipe que publie
Michel Foucault, fruit de ses échanges avec l’artiste.
Dans une conférence qu’il donne en 1936, Magritte déclare
que Les affinités électives, qu’il peint en 1932, marque un tournant
dans son oeuvre. Ce tableau signe son renoncement à l’automatisme,
à l’arbitraire du premier surréalisme. L’oeuvre, qui montre un oeuf
enfermé dans une cage, est la première de ses peintures vouées
à la résolution de ce qu’il nomme : un « problème ».
Au hasard ou à la
« rencontre fortuite des machines à coudre et des parapluies »,
succède une méthode implacable et logique, une solution apportée
aux « problèmes » de la femme, de la chaise, des souliers, de la pluie….
Les recherches appliquées à ces « problèmes », qui marquent le tournant « raisonnant » de l’oeuvre de Magritte, ouvrent l’exposition.
À l’art de Magritte sont associés des motifs (Rideaux, Ombres, Mots,
Flamme, Corps morcelés..), que le peintre agence et recompose
au fil de son oeuvre. L’exposition replace chacun de ces motifs
dans la perspective d’un récit d’invention de la peinture,
de mise en cause
philosophique de nos représentations : aux rideaux, l’antique querelle
du réalisme qui prit la forme d’une joute entre Zeuxis et Parrhasios ;
aux mots, l’épisode biblique de l’adoration du veau d’or qui confronte
la loi écrite et les images païennes ; aux flammes et aux espaces clos,
l’allégorie de la caverne de Platon ; aux ombres, le récit de l’invention
de la peinture relatée par Pline l’ancien.
EXTRAIT DU TEXTE DE BARBARA CASSIN
Le peintre-roi « Les tableaux de Magritte qui appartiennent à la série La Condition humaine renvoient très directement à l’allégorie de la caverne de Platon, ils l’« imagent » en quelque sorte. (…] Peindre, c’est selon la définition la plus communément admise dans nos cultures, cadrée par la définition grecque de l’art en général, « imiter la nature ». Or voici qu’avec Magritte il s’agit, non pas de peindre des objets, mais de peindre la ressemblance.
Peindre donc l’opération même de la mimêsis, peindre quelque chose comme l’acte de peindre, la peinture en acte. Peindre la peinture. […] Magritte s’inscrit derechef dans la grande tradition de la peinture, cosa mentale depuis Léonard de Vinci, et, derechef, avec un tour de plus : la peinture est non seulement chose mentale, elle fait voir la pensée, elle la met en visibilité ici et maintenant dans le monde. »
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