« Le choix de dessiner est éthique maintenant, le dessin a quelque chose d’essentiel, l’affirmation de l’humanité, il n’y a pas de distance entre la pensée et la main, c’est l’homme, c’est l’humanité.
Depuis 50 ans mes images ne font qu’interroger l’homme et sa relation avec ce qui l’entoure, les autres, l’histoire, la politique, la pratique des Pietà, interroger l’homme et les violences qu’on lui fait« . EPE
L’artiste Ernest Pignon- Ernest a investi la Grande chapelle du Palais des Papes jusqu’au 29 février 2020.
L’exposition, baptisée « Ecce Homo » retrace le parcours de l’artiste et explique sa démarche artistique, intellectuelle, politique depuis plus de 60 ans, par un panel d’œuvres provenant de la galerie Lelong & Co de Paris, de collections privées, du musée de Montauban et des témoignages photographiques de son travail prolifique dans les rues du monde entier. Près de 400 œuvres – photographies, collages, des dessins au fusain, pierre, encre noire et gomme, des documents – sont ainsi exposés évoquant ses interventions de 1966 à nos jours. Ernest Pignon-Ernest est considéré comme l’initiateur du « street art » de par les images grand formats à la pierre noire, au fusain, les collages qu’il réalise dans les rues des villes et sur les murs des cités depuis près de 60 ans. C’est en voyant Guernica de Picasso, qu’il décide de devenir artiste. Il explique qu’il expose dans la rue, parce que c’est tout simplement la plus grande galerie du monde. Il voyage, se nourrit de rencontres, réalise des décors pour le théâtre, élabore des revues, réalise des portraits, des affiches, des collages…des milliers d’œuvres, toujours dans un esprit d’engagement politique et social, de défenseur de grandes causes, en gardien de la mémoire et de l’histoire collective.
En janvier 2020 il a l’intention de créer « in situ » une œuvre pour Avignon dans l’espace du trésor bas du Palais des Papes. (La personne qui a commenté la visite guidée, dit qu’elle ignorait ce qu’il en est du projet.)
Depuis 2011, date à laquelle j’ai vu « les Mystiques du Carmel » qu’il a exposé Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis (voir sur mon blog) il me tardait de voir l’ensemble de ses oeuvres exposées à Avignon. L’exposition, dans l’immense nef de la grande chapelle du Palais, d’une dimension très solennelle, le lieu où il appose ses sérigraphies a une importance primordiale, l’harmonie entre certaines oeuvres et l’architecture est évidente. L’exposition faite de dessins et sérigraphies, de photographies in situ est trop dense. Une présentation plus dépouillée aurait été plus forte, nous aurait interpellée encore davantage.
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Le ton est donné dès l’entrée, face à ces linceuls suspendus de la prison Saint-Paul à Lyon et transposés ici sur ces murs du XIV siècle.
En 1971, il pose ainsi sur une dizaine de marches du Sacré-Cœur des silhouettes de gisants, hommage aux fusillés de la Commune contre la mémoire desquels cette architecture pâtissière fut érigée. Plus tard la fusillade du métro Charonne
Trois ans plus tard, pour protester contre le jumelage de Nice avec Le Cap, dans une Afrique du Sud alors sous le joug de l’apartheid, il placarde dans les rues de la ville le dessin d’une famille noire parquée derrière des barbelés.
Depuis, il n’a cessé de plaider, à coups d’images, pour le droit à l’IVG ou contre le mur de séparation entre Israël et la Palestine.
Mahmoud Darwich dont le portrait est apposé à Ramallah, à Bethléem, à Naplouse, sur le mur de séparation et aux checkpoints
Depuis, ses sérigraphies grandeur nature façon suaires ont tapissé les rues de Paris, Nice, Naples ou Ramallah. Hommage d’un artiste à un poète, afin de ramener à sa place, celui qui en a été mis hors, par les ignominies.
Sa méthode consiste à faire se rencontrer un lieu et un thème.
C’est de nuit qu’il colle, sans jamais d’autorisation – il a été arrêté plus de cinquante fois –, repérant de jour, calculant la pose au millimètre près,
sa méthode qui consiste à faire se rencontrer un lieu et un thème.
A Naples qu’ il a arpentée de jour comme de nuit, sur les pas de Virgile, du Caravage et d’Erri De Luca. Il lui a fallu trois mois et quatre versions déchirées avant de trouver son Pasolini assassiné, portant son propre cadavre « AutoPietà« , image ô combien saisissante, que l’on retrouve
« face au mur » de la Chapelle.
L’artiste indique que le siècle de Vivant Denon est loin, que le XIX e est passé par là. La femme de face, exhibe son sexe, mais détourne la tête, se cache les yeux, la culpabilité a fait son ouvrage, dessin fascinant.
C’est encore à Naples qu’Ernest Pignon-Ernest a collé durant la nuit une citation de la mort de la vierge du Caravage. Il n’a gardé que le visage, le buste, la main droite et le bras gauche de la vierge. Le lendemain matin, deux vieilles femmes, deux vendeuses de cigarettes et autres babioles, toujours assises derrière une petite table dans la rue, se sont mises à veiller cette image.
Quelques années plus tard,Ernest Pignon-Ernest est revenu à Naples. Les deux vielles napolitaines n’étaient plus là. A partir d’une photo, il a redessiné Antonietta, l’une deux, et a collé ce dessin à l’endroit où elle avait tenu, avec son amie, son petit commerce. Toute la rue a été bouleversée par cette image et voulait la protéger par une vitre. Ernest Pignon-Ernest a refusé mais a promis de revenir dessiner Antonietta si le dessin était détruit. Et c’est ce qu’il a fait en 2011.
Les immigrés, la guerre à Haïti, les poètes, (Neruda, Rimbaud, Maïakovsky) les humiliés les opprimés, les injustices, tout s’élabore dans la perspective des relations et interactions avec les lieux, soigneusement repérés, auxquels ils sont destinés. Son humanité transperce et nous interpelle et nous laisse pensif et ému.
Liens de vidéos
https://youtu.be/6WkiBb01YPU
https://youtu.be/Xr2uJCLLaUU
https://youtu.be/D82ASB05MTk
Palais des Papes Avignon
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