Très bel hommage à Raymond Waydelich lors de ses obsèques ce jour en la Cathédrale de Strasbourg par Frédérique Goerig-Hergott, ancienne conservatrice au musée Unterlinden et actuelle directrice des musées de la ville de Dijon.
Avec son autorisation :
Ma première rencontre avec Raymond a eu lieu dans son atelier en 2009, il y a 15 ans, donc assez récemment en regard de son âge et de sa carrière. Il avait 71 ans, soit l’âge de mon père. En tant que conservatrice, j’étais intéressée par son parcours, curieuse de l’entendre me parler de son engagement et de son travail de mémoire. Il était très touché par le fait qu’une conservatrice s’intéresse à lui, m’avouant qu’excepté Roland Recht, j’étais la première professionnelle des musées à venir le voir.
Je voulais découvrir les premières œuvres de 1973 de REW consacrées à Lydia Jacob, une jeune apprentie couturière née en 1876 : Raymond avait trouvé son manuscrit au marché aux puces à Strasbourg et avait fait d’elle l’héroïne de ses œuvres dans son célèbre cycle Lydia Jacob Story.
Nous étions tous les deux à fouiller l’atelier, exhumant des pages du manuscrit de Lydia Jacob que REW avait retravaillées, ainsi que les premières boîtes-reliquaires que je cherchais. J’ai exposé dès 2010 et fait entrer une sélection de cet ensemble dans les collections du musée Unterlinden à Colmar pour garder la trace de celui que je considérais comme l’un des plus importants artistes alsaciens vivants.
Ce qui m’intéressait chez lui ? Le sujet de l’archéologie du futur, l’exploration de la disparition de civilisations imaginaires et aussi ses préoccupations écologiques et existentielles exprimées dès 1971 dans une exposition à l’Ancienne Douane à Strasbourg :
– que laissons-nous à nos enfants,
– quel regard porteront-ils sur nous à travers les vestiges de notre histoire ?
– quelle est la part d’interprétation des archéologues de notre civilisation disparue ?
A Paris, son travail ne passait pas inaperçu.
En 1976, Suzanne Pagé présente plusieurs œuvres de REW dans l’importante exposition « Boîtes » au musée d’art moderne de la Ville de Paris aux côtés de Kurt Schwitters, Marcel Duchamp, Max Ernst, Christian Boltanski et bien d’autres. Curieusement, cet épisode de sa carrière n’apparait pas dans les ouvrages qui sont consacrés à REW et pourtant cette exposition était un événement majeur.
En 1978, Jean-Jacques Lévêque choisit Waydelich pour représenter la France à la Biennale de Venise (20 ans après un autre alsacien : Hans Arp). REW y présente L’Homme de Frédehof, 2820 après J.-C. : immense environnement à sa mesure, une archéologie du futur qui renvoyait les visiteurs à leurs responsabilités face à l’avenir de notre planète.
C’était il y a 46 ans, 8 ans avant Tchernobyl. La galerie des Offices de Florence acquiert pour ses collections le personnage central de son installation : « Autoportrait contemporain ».
Cette œuvre sera le premier jalon marquant d’un vaste travail de mémoire où se mêlent présent et avenir, à travers le regard porté par l’artiste sur les traces de notre civilisation.
Depuis, REW n’a cessé de multiplier les brouillages archéologiques, les fossilisations du temps dans des entreprises parfois hors normes, mobilisant l’enthousiasme et l’intervention de ses contemporains, la population, l’administration et les entreprises.
En 1995, son site de Mutarotnegra, 3790 après J.-C. installé place du Château à Strasbourg offre le plus remarquable témoignage culturel de l’Alsace des années 1990. 320 m3 de terre ont été évacués pour installer 14 fûts étanches remplis d’objets dans un caveau de béton destiné à être ouvert le 23 septembre 3790. A l’intérieur des fûts, un cadeau fabuleux d’une parcelle de la mémoire de l’Alsace fait aux archéologues du futur : la collecte d’une impressionnante série d’objets issus de la vie quotidienne et des messages destinés aux lointains descendants. Le 23 septembre 1995 à 17h, le « Caveau du futur » fut scellé par une plaque de commémoration en fonte.
La créativité de REW était débordante, l’artiste était chercheur, inventeur, explorateur, collectionneur, partageur. Son œuvre est foisonnante, protéiforme. Il a participé à plus d’une centaine d’expositions en France et à l’étranger, entrainant avec lui d’autres artistes. Il n’a cessé de mettre sa créativité au service de la mémoire de son temps, de la culture, de la transmission, soutenant des associations caritatives et humanitaires.
REW aimait l’humour et la dérision, ne se prenait pas au sérieux. Il avait la gouaille d’un être aussi fulgurant que délicat, aussi bruyant que discret, aussi généreux qu’effacé.
Je crois qu’il souffrait du syndrome de l’imposteur : gêné parfois par son succès, il répétait qu’il était autodidacte et ne savait pas dessiner. Je lui répondais de ne pas s’en inquiéter : Picasso peignait à 15 ans comme Raphaël et avait cherché toute sa vie à se débarrasser de ses acquis pour parvenir à peindre avec la spontanéité d’un enfant. De ce fait, Raymond avait une chance et une liberté inouïes et une sacrée longueur d’avance.
REW n’a jamais trahi ses origines, ses rêves d’enfant bercés entre les aventures de Tarzan, de Zorro, de James Bond, les Westerns et ses lectures du journal Spirou. Les découvertes d’Heinrich Schliemann, pionnier de l’archéologie grecque, ont marqué toute sa vie et son œuvre. Parmi les artistes contemporains, il admirait Marx Ernst et vénérait Marcel Duchamp, qu’il qualifiait de génie universel.
REW était tout ce que j’aime chez un artiste : le talent spontané, l’inventivité débordante, l’intelligence créative et la générosité qui caractérise les génies.
Lorsqu’il a été élu Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres, il a œuvré pour que Rémy Bucciali et moi-même recevions nos médailles d’Officier et de Chevalier en même temps que lui par Catherine Trautmann à l’Hôtel de Ville de Strasbourg.
En octobre prochain, il devait recevoir le Bretzel d’Or et nous devions nous retrouver.
J’ai aimé l’artiste, j’ai aimé l’homme. Il était un père, un frère, un ami. Il me manque, il nous manque, il manque à l’Alsace et à la Culture.
Je l’ai toujours défendu et je continuerai de le faire. J’espère que l’Alsace se mobilisera pour lui consacrer un musée et si je peux l’y aider, je le ferai.
Raymond, I love you. Help ! »
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