« L’Île des morts » d’Arnold Bocklin

Cette île mystérieuse, baptisée l‘île des morts, exerce sur moi une sorte
d’attirance/répulsion. Je ne peux m’empêcher de la scruter et d’imaginer,
une histoire tragique, un mystère terrifiant.
Il en existe cinq versions.

L’auteur de cette toile est Arnold Böcklin. Il est considéré comme le représentant de l’âme germanique.

Cette icône du symbolisme touche un nerf sensible de cette époque et en tant que reproduction gravée a trouvé sa place dans de nombreux intérieurs bourgeois de la fin de siècle.
Largement popularisé par une gravure de Max Klinger, véritable icône européenne du symbolisme fin-de-siècle, il s’agit d’un des tableaux les plus diffusés, reproduits, copiés, plagiés, interprétés et réinterprétés de l’histoire de la peinture et des formes symboliques. Apprécié au plus haut point d’Elisabeth d’Autriche comme de Lénine, de Hitler et de D’Annunzio, Clemenceau et Freud en possèdent une reproduction. Strindberg en fait la toile de fond de la scène finale de La sonate des spectres. Il inspire Serge Rachmaninov, mais aussi des metteurs en scène comme Patrice Chéreau, Martin Scorsese et Richard Peduzzi à Bayreuth, ainsi que des auteurs de bande dessinée. Dali le pastiche. En 1945, Mark Robson en reconstitue le décor pour un film d’horreur avec Boris Karloff. Plusieurs sites Internet lui sont consacrés…

Depuis 1880, elle est conservée au Kunstmuseum de Bâle.
Elle représente une île au coucher du soleil, vers laquelle se dirige une embarcation conduite par un passeur. À ses côtés dans le bateau, un défunt debout, dans son linceul regarde vers la crique dans laquelle va entrer la barque. Sur l’île, une cour dans l’ombre, des rochers escarpés et de hauts cyprès donnent à l’ambiance un parfum de solitude et d’oppression.

Genèse de l’œuvre

En avril 1880, Böcklin travaille sur la première version de L’Île des Morts, quand Marie Berna-Christ lui commande « un tableau propice à la rêverie ». Böcklin décide de faire une seconde version de dimensions légèrement réduites, toutes deux achevées en juin 1880. La forme blanche et le cercueil sont un ajout effectué à la demande de Marie Christ-Berna, commanditaire de la seconde version. Cependant cet ajout convainc Böcklin de sa nécessité, car il retouchera la première version pour l’inclure, et maintiendra ce motif dans toutes les versions suivantes. Cette demande de Marie Christ-Berna ne peut être comprise qu’en évoquant succinctement sa vie.
Elle épouse en 1864 M. Berna qui meurt un an plus tard. En avril 1880, presque au moment où elle commande le tableau à Böcklin, elle se fiance avec le comte Waldemar von Oriola, qu’elle épouse en décembre. On comprend alors cette volonté de Marie Berna de se représenter accompagnant son ancien mari, le confiant à cette île. Elle peut ainsi mettre fin plus facilement à son deuil, et accepter ce nouveau départ par cette forme d’adieu tout en conservant le souvenir de son ancien compagnon. Elle marque la fin et le renouveau de sa vie, sentiment souvent rattaché à la mort.

Arnold Böcklin, L’île des morts, version de 1883 (Alte Nationalgalerie de Berlin).

Au-delà du deuil de Mme Berna, cet ajout équilibre visuellement la composition, et cette tache blanche crée un contraste lumineux avec l’intérieur de l’île recouverte de ces arbres sombres. Cette forme vaporeuse attire le regard, diminuant ainsi l’appréhension du gouffre ténébreux du centre de la peinture. Il est clair que dans les versions suivantes cette forme cesse de ne représenter que Mme Berna mais une sorte de compagnon de route, un adjuvant, voire un ange. La mort apparaît alors juste comme un passage calme, dont cette île est la destination.

Arnold Böcklin, L’île des morts, seconde version de 1880 (Metropolitan Museum de New York)

À partir de la troisième version, le ciel nocturne laisse place à un jour blême, diminuant la portée énigmatique de la traversée. En parallèle, l’île devient plus précise dans ses contours, et la main de l’homme à travers les aménagements se fait plus visible. Dans la cinquième version, la « mystique » de l’œuvre semble avoir laissé place au concept plus « artificiel » de l’île tombeau, bien qu’y réside toujours l’ombre de la mort.

Arnold Böcklin, L’île des morts, version de 1886 (Museum der Bildende Künste de Leipzig).

L’île, dans sa dernière version, est une suite de falaises abruptes, plus hautes et plus claires, formant un hémicycle fermé par une construction humaine absente des premières versions, délimitant ainsi un téménos : en grec, espace coupé du reste du monde et donc sacré. L’horizon plus clair permet de voir l’espace lointain et rien ne s’y trouve, intensifiant l’isolement de l’île. De plus, on n’y accède que par une barque, en traversant une mer d’huile. Le passeur, qui rappelle par sa fonction l’antique Charon, le nocher, dans la dernière version est un homme noir, possiblement pour signifier la distance
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                    Version de 1884, détruite lors du bombardement de Rotterdam

En effet, nous pouvons voir ici l’image d’une île ne se trouvant pas en Europe, voire éloignée de toute réalité ; elle ne représente qu’un ailleurs, inconnu et inaccessible aux gens du commun.
En ajoutant ses initiales A. B. sur la tombe à l’extrême droite de l’île, à partir de la troisième version, Böcklin nous livre ici sa vision de l’artiste et se compte parmi les élus. L’artiste devient cet être isolé, ce héros qui doit sans cesse faire le voyage vers l’île, symbole de l’inaccessible et de l’indéfini. La mort et la solitude deviennent alors synonymes, pour celui qui à travers ce périple tire du néant la matière de la création. C’est d’ailleurs l’interprétation qui se dégage du roman de Roger Zelazny portant le même titre.

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 L’Ile des Vivants
Arnold Böcklin (1827-1901) a peint ce tableau deux ans après la dernière
des cinq versions de « l’île des morts » (1880-1886)
Un peu Kitch

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La galerie aménagée au Kunstmuseum pour Böcklin

 

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.