Caspar Wolf et la conquête esthétique de la nature

Jusqu’au 01.02.2015 au Kunstmuseum Basel
 

Caspar Wolf, Les séracs du glacier inférieur de Grindelwald avec la Lütschine et le Mettenberg
Caspar Wolf, Les séracs du glacier inférieur de Grindelwald avec la Lütschine et le Mettenberg

Les Alpes comme spectacle grandiose de la nature – cette conception est étonnamment récente. C’est seulement dans le courant du XVIIIe siècle que l’on a commencé à ressentir les abruptes chaînes de montagnes comme « sublimes » et esthétiquement excitantes. Au cours de vastes excursions, le peintre paysagiste suisse Caspar Wolf (1735-1783) a été l’un des premiers à faire du monde encore largement inexploité des Alpes le sujet de sa peinture. Les gigantesques blocs de rochers, les ruisseaux qui grondent, les formations glaciaires bizarres sont autant de motifs qui se dressent dans ses compositions picturales comme pour nous barrer la route. D‘imposants panoramas se déploient, à leurs pieds l’homme émerveillé apparaît minuscule. Grâce à ses formulations radicales qui vont bien au delà de l’idylle baroque, Wolf est l’un des plus importants précurseurs du romantisme européen. En même temps, son œuvre est imprégné de l’esprit des Lumières.
Caspar Wolf, détail
L’exposition rassemble 126 œuvres de Caspar Wolf et de ses contemporains, ainsi qu’une sélection de photographies actuelles des lieux qu’il a peints dans les Alpes. En parallèle de l’exposition, le cabinet des estampes du Kunstmuseum Basel présente les plus belles pièces de son riche fonds de dessins et de gravures de Caspar Wolf.
On doit à un coup de pouce du destin, que Caspar Wolf, né dans des conditions humbles dans le village de Muri (canton d’Argovie), devienne cette figure notable de l’histoire de l’art européen : pionnier de la peinture alpestre et précurseur le plus important du romantisme européen.
C’est la rencontre entre Caspar Wolf et l’influant éditeur bernois Abraham Wagner (1734–1782) qui va changer le destin du peintre au succès jusqu’alors modéré. Wagner nourrit un projet ambitieux : la publication d’un livre de type encyclopédique sur les paysages alpins, avec des illustrations de première qualité artistique, et qui doivent reposer sur l’observation immédiate de la nature. Les motifs qu’a alors en tête Wagner se situent dans des régions très peu explorées et difficile d’accès en haute montagne. Il s’agit de donner au public une nouvelle vision du monde alpin d’une précision et d’un caractère spectaculaire inconnus jusqu’alors. Comme auteur pour les parties rédigées de l’ouvrage, Wagner a choisi le pasteur bernois et scientifique renommé Jacob Samuel Wyttenbach. Wolf doit accompagner ces deux hommes dans leurs longues expéditions en haute montagne et transmettre par l’image cette expérience unique de la nature.
Entre les années 1773 et 1779, Wolf réalise ainsi une vaste série d’œuvres consacrées aux Alpes suisses. Dans son atelier, il compose, à partir des études qu’il a effectuées sur le motif, quelques 200 peintures grandioses qui allient l’observation spontanée avec une mise en forme artistique très savante. Wolf peint avec brio chaines de montagnes et glaciers, cascades et grottes, ponts et torrents, lacs et hauts plateaux, qu’il dispose tantôt en larges panoramas, tantôt en compositions fermées à s’en rendre claustrophobe. De véritables monuments de la nature y figurent, parmi lesquels, en raison de la destruction progressive du paysage, plusieurs ne sont pas parvenus jusqu’à nous : les fameux séracs du glacier inférieur de Grindelwald – qu’on peut admirer dans deux majestueux paysages de Wolf – ont, par exemple, fondu depuis longtemps.
 Caspar Wolf  La Caverne du Dragon près de Stans /  Gouache 31 x 46 cm Aarau, Aargauer Kunsthaus

Caspar Wolf
La Caverne du Dragon près de Stans /
Gouache
31 x 46 cm
Aarau, Aargauer Kunsthaus

Les tableaux de Wolf ne se laissent ranger ni dans la peinture védutiste si populaire à son époque, ni dans une représentation aux seules ambitions documentaires. Ils touchent à des choses plus fondamentales : en définitive, ils thématisent la relation entre l’expérience sensible de la montagne et le concept que ce mot véhicule.
D’où provient donc cette étonnante assurance esthétique avec laquelle l’artiste pénètre dans ce territoire vierge que constitue le projet alpin? La confrontation intensive de l’artiste avec l’art français pendant son séjour à Paris en 1770/1771 semble avoir été déterminante comme le montrent, dans l’exposition, des tableaux de François Boucher, Claude-Joseph Vernet, Philippe-Jacques de Loutherbourg, dit le Jeune et Hubert Robert. Aussi curieux que cela puisse paraître dans ce contexte, la peinture contemporaine de marines, avec ses orages et ses naufrages, est ce qui a particulièrement inspiré Wolf.
  Caspar Wolf    Titel:   Sturm über dem Thunersee / Storm over Lake Thun / Tempête sur le Lac de Thoune    Mat. / Technik:   Öl auf Leinwand / oil on canvas / huile sur toile    Masse:   54.4 x 81.7 cm    Creditline:   Kunstmuseum Basel, Geschenk von Edith Raeber-Züst, Basel, zum Gedenken an ihren Gatten, Dr. Willi Raeber / Kunstmuseum Basel, gift of Edith Raeber-Züst, Basel, in memory of her husband, Dr. Willi Raeber/ Kunstmuseum Basel, legs de Mme Edith Raeber-Züst, Bâle, en mémoire de son époux, Dr. Willi Raeber

Caspar Wolf
 Tempête sur le Lac de Thoune
huile sur toile
54.4 x 81.7 cm
Creditline:
Kunstmuseum Basel, legs de Mme Edith Raeber-Züst, Bâle, en mémoire de son époux, Dr. Willi Raeber

Dans la salle 1 sont présentés ses débuts à Muri, où il peint des oeuvres décoratives pour l’abbaye bénédictine de Muri, puis il abandonne son village et sa femme pour rencontrer des commanditaires à Bâle. Ensuite à Paris, travaillant dans l’atelier de  Loutherbourg il peut se confronter et s’inspirer des artistes parisiens, Loutherbourg et Vernet.
Il est tellement impressionné par les paysages « sublime » de côtes battues par les orages et de bateaux naufragés, qu’il s’attaque à des sujets similaires. Après son retour à Muri
il peint des scènes de chasse dans l’extrême théâtralité qui fait la force des scènes de catastrophes maritimes des peintres français.
Caspar Wolf
Dans la salle 2, c’est l’apparition de compositions par paires de tableaux présentant des vues opposées, une fois à droite, une fois à gauche, en été, en hiver, de manière idyllique,
puis dramatique.
Caspar Wolf 4
Dans la salle 3 on gravit la montagne jusqu’à une certaine hauteur, pour jouir du panorama.
Salle 4, se sont les contraires des panoramas, des paysages bloqués, des tunnels, des glaciers, le temps qui tourne à l’orage, des phénomènes climatiques extrêmes.
Caspar Wolf  Vue panoramique de la vallée de Grindelwald avec le Wetterhorn, le Mettenberg et l’Eiger huile sur toile 82 x 226 cm Creditline: Aargauer Kunsthaus, Aarau  AARGAUER BILD 8 959
Caspar Wolf
Vue panoramique de la vallée de Grindelwald avec le Wetterhorn, le Mettenberg et l’Eiger
huile sur toile 82 x 226 cm
Creditline: Aargauer Kunsthaus, Aarau
AARGAUER BILD 8 959

Salle 5, Wolf a démontré dans ses études de cascades, la fugacité de l’eau, puis des ponts, en pierre ou des passerelles en bois.
Salle 6, les cavernes constituent un motif privilégié dans son oeuvre. Soit très reconnaissable la caverne du Dragon près de Stans, ou celle de l‘Ours dans le Jura
avec laquelle il a pris plus de liberté. Dans la gouache, la Grosse Table de pierre du glacier de Lauteraar, curieux phénomène naturel, on remarque, à l’arrière plan, un homme portant sur le dos les toiles, que Wolf faisait transporter pour pouvoir les corriger sur le site même.
Caspar Wolf  La grosse pierre sur le glacier de Lauteraar /  Crayon et huile sur carton 24 x 38.7 cm Creditline: Kunsthaus, Aarau
Caspar Wolf
La grosse pierre sur le glacier de Lauteraar /
Crayon et huile sur carton
24 x 38.7 cm
Creditline:
Kunsthaus, Aarau

Salle 7, Wolf s’intéresse à la figure humaine, aux activités humaines, l’apparition de son fidèle chien. Puis apparaissent des constructions réalisées par la main de l’homme : cabanes, étables, routes, barrages, soit elles dominent la composition, soit, elles se blottissent dans une vallée ou se perdent à l’intérieur des coulisses montagneuses.
De la réalité, elles passent au paysage idyllique, correspondant au goût de l’époque.
Le paysage de haute montagne, avec un croix au sommet, une cascade, un groupe de sapins et la vue sur la vue forment le « best of » des Alpes, une représentation idéale de la Suisse. Le groupe de 3 lieux qui évoquent l’histoire de la confédération suisse : le Rüttli
(qui comporte en tout petit la scène du serment sur la rive du fleuve), la chapelle de Guillaume Tell dans la Hohle Gasse Caspar Wolf
et la Chapelle de Bruder-Klaus (St Nicolas) avec une figure de moine. Nicolas de Flue, saint patron de la Suisse, lors de la diète de Stans en 1481, fournit un sage conseil qui évita la désintégration de la confédération.
Force symbolique et politique, la réminiscence historique est préservée dans le paysage de l’époque Wolf : l’observation de la nature et la réflexion sur ce qui fait la Suisse y apparaissent de concert.
Caspar Wolf
Commissaires: Bodo Brinkmann et Katharina Georgi
Publication
À l’occasion de l’exposition, le Kunstmuseum Basel publie le catalogue Caspar Wolf et la conquête esthétique de la nature, avec des contributions de Andreas Beyer, Bodo Brinkmann, Viktoria van der Brüggen, Katharina Georgi, Gilles Monney, Regula Suter-Raeber, conception Gabriele Sabolewski. Editions Hatje Cantz, 2014. Editions allemande et anglaise, env. 224 p., env. 180 ill., 22 x 26 cm, relié.
www.kunstmuseumbasel.ch/shop
Horaires
Kunstmuseum Basel
Ma–Di 10–18h
Museum für Gegenwartskunst
Ma–Di 11–18h
Les deux musées sont fermés le 24.12.2014.
Tarifs
Kunstmuseum Basel
Exposition spéciale « Caspar Wolf »
Adultes CHF 21 / EUR 19, réduit CHF 8 / EUR 7,
gratuit jusqu’à 13 ans
Collections permanente et temporaire
Adultes CHF 15 / EUR 13, réduit CHF 8 / EUR 7,
gratuit jusqu’à 13 ans
Museum für Gegenwartskunst
Collections permanente et temporaire
Adultes CHF 12 / EUR 11, réduit CHF 5 / EUR 4,
gratuit jusqu’à 13 ans
Photos courtoisie Kunstmuseum Basel

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.