Sensualité et spiritualité – À la recherche de l’absolu

L’exposition Sensualité et spiritualité. À la recherche de l’absolu, composée de cent quatorze oeuvres, peintures et dessins, a l’ambition de renouveler le regard porté sur la peinture religieuse de Jean-Jacques Henner (1829-1905).

Grâce aux prêts importants consentis par plusieurs institutions
françaises et à la collection du musée, elle permet de
saisir comment Henner aborde le sujet religieux, entre représentation
sensuelle et profonde spiritualité. L’exposition met également
en lumière la singularité de sa démarche artistique qui allie
recherche de perfection formelle et absolu métaphysique.
Afin de replacer Henner dans son milieu artistique, philosophique
et politique, plu sieurs oeuvres de ses amis et contemporains sont
présentées : Paul Baudry, Léon Bonnat, Eugène Carrière, Alphonse
Legros, Gustave Moreau, Pierre Puvis de Chavannes et Théodule
Ribot. C’est le cheminement de la pensée de l’artiste et la fabrique
de son oeuvre que le visiteur peut ainsi découvrir au travers des
carnets, des agendas, des dessins et études préparatoires aux
tableaux présentés aux Salons.
« J’étais tout à fait au début de ma route »
Jean-Jacques Henner est né le 5 mars 1829
à Bernwiller, petit village situé au sud de l’Alsace. Il débute sa formation au collège d’Altkirch auprès de Charles Goutzwiller qui lui enseigne le dessin, puis dans l’atelier de Gabriel Guérin à Strasbourg. Tous deux lui communiquent leur passion pour les oeuvres des primitifs allemands. Le Christ mort d’Holbein du musée de Bâle

HANS HOLBEIN LE JEUNE, Le Christ au tombeau,1521-1522 (© Kunstmuseum Bâle / M. P. Bülerx)

 et le retable d’Issenheim de Grünewald qu’il admire à Colmar vont tout particulièrement marquer son oeuvre. Puis, il s’installe à Paris pour suivre la formation dispensée à l’École des Beaux-Arts qui repose sur le dessin d’après modèles vivants et la copie d’antique, et fréquente les ateliers de Drölling et Picot. Présenté pour la première fois, après un long travail de restauration, le Ecce Homo de 1849 est le premier tableau à sujet religieux de Henner. Cette oeuvre où les personnages ressemblent à des « figures habillées » illustre ses premières recherches artistiques.
C’est en abordant un thème de l’Ancien Testament, Adam et Ève découvrant le corps d’Abel, qu’il est récompensé en 1858 par le premier Grand prix de Rome de peinture. La confrontation des trois études dessinées, de l’esquisse peinte à côté de la version définitive permet de saisir ses hésitations et tâtonnements pour trouver la composition juste. Il modifie la position du bras et de la main droite d’Abel sur le sol, le dos et le profi l du visage d’Ève ; il adoucit les contours des figures. Le corps d’Abel étendu mort au premier plan ouvre une série de compositions sur le nu masculin, thème de prédilection de l’artiste tandis que le traitement d’Ève, penchée sur le corps de son fils, préfigure les Vierges de pitié des années 1890.
JEAN-JACQUES HENNER, Adam et Ève trouvant le corps d’Abel, 1858
(© École nationale supérieure des beaux-arts, Paris / J.-M. Lapelerie)

« Je me rappelle, pour mon académie du concours de
Rome, j’avais travaillé deux jours ; je faisais mesquin
quand, tout à coup, j’ai pris un parti et j’ai posé mes tons […] C’est cela qui m’a fait avoir le prix. »
En 1859, Henner part à Rome comme pensionnaire à la Villa Médicis où
il demeure jusqu’en 1864. Son séjour en Italie lui permet de se familiariser avec les grands artistes : Fra Angelico, Titien, Bellini, Botticelli et Raphaël.
À la Galleria de Parme, il reproduit à plusieurs reprises la
Descente de croix de Corrège dont le traitement de la lumière
et l’usage du clair-obscur l’influencent profondément.
Ce travail de copie d’après les maîtres constitue une étape
importante dans la formation des artistes du XIXe siècle. Il permet à Henner de se constituer un répertoire de modèles, de formes, de lignes et de
couleurs dans lequel il va puiser pour construire son langage pictural.
La « grande forme » et le sensible
Influencé par Léonard, Corrège et Rembrandt, Jean-Jacques Henner est avant tout attentif à la forme, perçue non comme la restitution d’éléments
observés, mais au contraire comme principe d’unitépermettant de rendre sensible l’essence de l’être. Il note dans son agenda, le 17 septembre 1875 :
« Je me suis trop attaché à certains petits détails, à l’oeil
par exemple, et j’ai oublié la grande forme ».

Ses préoccupations font écho à la philosophie spiritualiste de Félix Ravaisson-Mollien (1813-1900), dont il fi t le portrait en 1886, et de Gabriel
Séailles (1852-1922). Pour Ravaisson, en effet,
« l’art écarte les obstacles pour faire voir à l’état de
pureté la tendance, la volonté de la nature, c’est à-
dire au lieu de la réalité avec ses imperfections
inévitables, l’idéale et absolue vérité ».
La présentation de la série d’oeuvres et d’études autour de la Madeleine illustre le cheminement artistique de Henner. Inspiré sans doute par un
petit tableau figurant « une jeune vierge endormie sur une pierre » qu’il a découvert en visitant l’église Santa Prasseda de Rome et copié dans un
carnet, il peint en 1860 une Madeleine pénitente.
Jean-Jacques Henner (1829-1905), Madeleine pénitente

Cette oeuvre présente bien des similitudes avec celle réalisée par son ami Paul Baudry exposée au Salon de 1859. Si elles évoquent d’abord de belles
« pécheresses », la sensualité et la beauté du corps renvoient également à une recherche d’absolu spirituel.
La Madeleine au désert de 1878 marque une évolution de son approche artistique. Peu à peu, il se détache de sa formation académique, abandonnant
le répertoire iconographique traditionnel et la description des corps pour chercher à peindre des formes épurées.
Un même processus est à l’oeuvre dans la série de représentations du Bon Samaritain ou de Saint Jérôme. Henner délaisse les détails pour tendre vers une composition idéale rendant sensible la souffrance. Pour son Saint Jérôme, des dizaines de séances sont nécessaires en 1880 afin de simplifier le modelé et trouver l’expression juste :

« la main gauche de mon saint Jérôme m’a fait joliment chercher […] j’avais l’impression qu’il tendait la main pour demander un sou. Voilà ce qu’il fallait[…] la main bien ouverte,  les doigts raidis. »

Le thème majeur de l’exposition, manifeste la
religiosité spécifique qui caractérise l’oeuvre de Henner. Elle renvoie aux drames humains qui l’ont particulièrement marqué : la mort de ses soeurs,
Madeleine en 1852 puis Marie-Anne en 1893, et la maladie de son frère Séraphin. Toutefois, c’est moins la méditation sur la mort qui retient l’attention
du peintre que l’intérêt pour la figuration de l’Esprit : peindre le corps et rendre l’âme.
Cet aspect est particulièrement remarquable dans l’ensemble d’oeuvres sur le thème du

Christ mort que réalise Henner à partir de 1876. S’inspirant
du Christ au tombeau d’Holbein ou du Christ mort couché sur son linceul de Philippe de Champaigne, il reprend à cinq reprises, entre 1879 et 1899 le
même sujet : un corps nu masculin, allongé à l’horizontale
dans un espace de plus en plus serré.
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Henner se concentre sur l’expression du visage du Christ, rendue grâce à une technique
picturale maîtrisée, alliant la pâte épaisse et le glacis le plus subtil. L’ombre et la lumière qui sculptent les formes dans l’esprit de Corrège, les contours flous inspirés de Léonard et Rembrandt, le contraste entre le clair et le foncé à la manière des espagnols Vélasquez ou Ribera, confèrent aux scènes une dimension sacrée. Henner est parvenu à rendre la nature humaine et divine du Christ.

JEAN-JACQUES HENNER, La Descente de croix, 1860 (© RMN-Grand Palais / T. Querrec)

En 1902, Henner peint un Christ mort étendu au pied de la croix et ajoute, à l’arrière-plan, des membres de sa famille (Madame Séraphin Henner, Eugénie Henner portant toutes les deux le voile alsacien du deuil ainsi que Jules Henner) dans l’attitude des donateurs. Il mêle ici, sans véritable hiérarchie, la sphère sacrée et la sphère profane. Cette oeuvre qui clôture le cheminement de la pensée de l’artiste illustre l’interpénétration,
fréquente dans la peinture religieuse du tournant du siècle, de la scène biblique et du quotidien.

« C’est la chose la plus
diffi cile en peinture de faire un Christ »

Jean Jacques Henner Christ

Avec Saint Sébastien, Henner franchit une nouvelle étape dans sa quête de l’absolu. Pour
cette oeuvre présentée au Salon en 1888, il néglige les éléments utilisés traditionnellement
pour illustrer le martyre : les flèches apparaissent discrètement en bas du tableau, il n’y a pas d’arbre et toute représentation de la souffrance est absente. Le paysage urbain qui servait de cadre à la scène, présent dans les premières études dessinées,
a disparu. Il laisse place à un fond sombre. Le corps du saint est simplement évoqué. Sa
forme est très synthétique, sans détails anatomiques.Il a perdu sa pesanteur et la lumière intense qui l’enveloppe accentue le caractère abstrait et anti-naturel de la scène, la projetant dans un au-delà rempli de mystères.
JEAN-JACQUES HENNER, Saint Sébastien, 1887-1888

texte et images coutoisie musée Jean Jacques Henner
Musée JJ Henner
43 avenue de Villiers
75017 Paris
01 47 63 42 73
publics@musee-henner.fr
www.musee-henner.frwww.henner-intime.fr (blog)
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Accès  Métro : Malesherbes (ligne 3), Monceau (ligne 2)
Bus : 30, 31, 94
Horaires
11h-18h, tous les jours sauf le mardi et certains jours
fériés
Nocturne jusqu’à 21h le premier jeudi du mois
Tarifs
Plein tarif : 5 €, 7 € (exposition + activités culturelles)
Tarif réduit : 3 €, 5 € (exposition + activités culturelles)
Gratuité : conditions applicables dans les musées
nationaux
Parcours-atelier de dessin pour les enfants :
6,50 € (tarif unique)
Réservation : publics@musee-henner.fr

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.