Le 500 e anniversaire du retable d’Issenheim

Les 500 ans d’un chef-d’œuvre (vidéo)
 

Panneau de la cruxifiction Retable d'Issenheim musée Unterlinden Colmar

 

article paru dans l’Alsace du 6 avril, signé Annick Woehl

Le 500 e anniversaire du retable d’Issenheim, cette année, est inscrit parmi les commémorations nationales. Toute une série d’animations et de rencontres a été imaginée par le musée Unterlinden. Les festivités débuteront le 14 avril à 20 h, par un concert de la Maîtrise des garçons de Colmar devant le retable.
Figurent aussi au programme la publication, mi-juin, d’un timbre représentant les panneaux de Grünewald (lancement à Paris et au musée colmarien) et la présentation, pour la première fois en France, de Décor, une oeuvre de 2011 d’Adel Abdessemed représentant quatre Christ en barbelés, sous forme d’un dialogue avec le retable. L’exposition sera inaugurée le 26 avril en présence de Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, et de François Pinault, propriétaire de l’œuvre.
Si les commémorations nationales ont retenu cet anniversaire dans leur sélection annuelle, c’est que le retable a le statut de chef-d’œuvre.
Mais en quoi ?
Réponse de Pantxika De Paepe, conservatrice du musée Unterlinden et spécialiste du retable :
« Dès la fin du XVI e siècle, il est cité partout. ‘’Il y a un chef-d’œuvre à Issenheim’’, lit-on. C’est aussi une œuvre atypique, donc qui interpelle. Mais surtout, c’est une œuvre qui touche tout le monde, quelle que soit la culture de chacun. Je le constate régulièrement lors de mes visites avec des Japonais, des enfants de maternelle, des étudiants en mathématiques… Avec tous, il se passe quelque chose. Le retable marque ; quand on l’a vu, on ne l’oublie pas .»
la visite du panneau de la crucifixion commentée par Pantxika De Paepe, la conservatrice du musée Unterlinden de Colmar

 

Matthias-Grunewald-peint-dans-ce-visage-(un-detail-du-panneau-de-la-crucifixion)

LE CORPS DU CHRIST. – Matthias Grünewald a été le premier à peindre la souffrance de manière radicale. Le corps du Christ est saturé de pustules, stigmates de la flagellation ; du sang visqueux coule de ses pieds cloués. On voit aussi les conséquences physiques de la crucifixion, une mort souvent très lente puisque le « condamné », qui ne peut plus respirer, meurt étouffé. Là, on voit l’effort pour soulever la cage thoracique, pour tenter de trouver un peu d’air. Les malheureux prenaient appui sur leurs pieds pour tenter de respirer. Raison pour laquelle, quand on voulait écourter le supplice, on coupait les muscles des mollets…
AU-DELÀ. – Toutes les représentations de la crucifixion antérieures à Grünewald étaient soit narratives (avec beaucoup de personnages, notamment les soldats jouant aux dés), soit dans le pathos. « Là, cela va au-delà. Parce que le corps du Christ… ; parce que le fond sombre… (dans les noirs verts du fait du vieillissement des vernis ; en réalité dans les bleus gris).

Vierge et St Jean détail du retable d'Issenheim musée Unterlinden Colmar

LA VIERGE EN PAMOISON. – Saint Jean, qui, pour cela, se voit doter d’un bras droit un peu long, soutient la Vierge en train de s’évanouir. Celle-ci a le visage livide et porte un manteau blanc au-dessus de sa tenue bleue conventionnelle. « C’est l’idée géniale du peintre », commente Pantxika De Paepe. La conservatrice du musée Unterlinden de Colmar voit dans ce drap le linceul dans lequel on enveloppera son fils défunt à la mise au tombeau.

Marie Madeleine détail Retable d'Issenheim Colmar

LE PETIT POT DE MARIE-MADELEINE. – Marie-Madeleine est à genoux dans un geste de supplication. « Elle y croit encore », alors que pour la Vierge, avec ses mains fermées, « la chose est accomplie », commente la conservatrice. Marie-Madeleine est représentée avec ses attributs : les longs cheveux, les beaux vêtements et surtout le pot d’onguent.
Agneau détail du retable d'Issenheim musée Unterlinden Colmar

L’AGNEAU. – L’agneau, dont le sang coule vers le calice, est l’image même du sacrifice. Avec la petite croix, cela renvoie à la crucifixion, puisque le Christ meurt pour laver le péché originel du monde.
Pantxika De Paepe précise que les fidèles du XVI e siècle, y compris le fermier alsacien, connaissaient tous ces symbolismes chrétiens, ces codes de représentation. Les attributs étaient là pour guider le fidèle dans sa reconnaissance des personnages représentés.

St Jean Baptiste détail du Retable d'Issenheim musée Unterlinden Colmar

JEAN-BAPTISTE, L’ABSENT. – Grünewald a choisi de représenter Jean-Baptiste dans la scène de crucifixion alors qu’il n’y était pas. À cette époque, en effet, il était déjà mort, décapité à la demande de Salomé. On le reconnaît car il porte une peau de chameau, son attribut.

Resurrection - panneau du retable d'Issenheim musée Unterlinden Colmar

Ce visage (détail de la résurrection) n’est presque plus matériel. Il semble fait de lumière. Cet effet illustre la prouesse technique de Matthias Grünewald, le premier artiste à se passer de l’étendard de la victoire sur la mort, attribut habituel de la résurrection
JUGEMENT DERNIER. – Grünewald « a voulu montrer d’autres choses ». Il a innové en intégrant dans son panneau la représentation symbolique du Jugement dernier. C’est-à-dire qu’il réunit la Vierge, le Christ et Jean-Baptiste. Signifiant ainsi le Jugement dernier, il ouvre la perspective de la résurrection. « On ne trouve cela que chez Grünewald », assure la conservatrice. Et le message était d’importance puisque « tous les Chrétiens attendent ce moment du Jugement dernier et donc de la résurrection ». D’autant plus d’importance, sans doute, pour le public du couvent des Antonins pour lequel le retable avait été commandé, à savoir des malades encore plus anxieux de la mort prochaine.

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Curriculum
Il n’y a quasiment aucun document sur le retable ou sur Matthias Grünewald. Les scientifiques ont néanmoins avancé sur divers points, par déduction. Tentative de curriculum vitae du retable avec la conservatrice Unterlinden.
Date de naissance : entre 1512 et 1516.
Lieu de naissance : probablement Strasbourg, dans l’atelier de Nicolas de Haguenau.
Commanditaire : le couvent des Antonins à Issenheim.
Arrivée à Issenheim : date inconnue.
1793 : dans le contexte de la Révolution, le gouvernement national protège les œuvres contre le risque de vandalisme en les faisant transférer vers les chefs-lieux de département. Le retable se retrouve au couvent Saint-Pierre à Colmar (l’ancien collège royal des Jésuites), qui s’appelait le musée national de Colmar.
1852 : arrive au musée Unterlinden à Colmar qui ouvrira un an après.
Sous protection : à plusieurs reprises, durant les deux guerres mondiales, le retable est déménagé pour être mis en sécurité. Il fait ainsi plusieurs allers et venues. Par exemple en 1914, il est placé dans le coffre-fort de la Caisse d’épargne, rue Bruat à Colmar ; en 1942, il se retrouve, en caisses, dans les caves du Haut-Koenigsbourg.
Accident de la vie : un seul, en juillet 1903. Lors d’une prise de photos, le petit panneau de saint Antoine était tombé. Il lui reste une cicatrice, une fente dans le bois.
extrait de l’article paru dans l’Alsace du 06/04/2012 par Annick Woehl
certaines photos empruntées  ici ou au  musée Unterlinden

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.

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