Chhttt…Le merveilleux dans l’art contemporain (2ème volet)

chhttt-affiche9.1234219352.JPGJusqu’au – 10 mai 2009
 
Après le merveilleux spectaculaire des œuvres présentées dans Waoohhh!, le second volet de l’exploration du thème au CRAC Alsace, intitulé Chhttt…, présente des œuvres où celui-ci se fait plus conceptuel et minimal : un merveilleux qui naît d’avantage d’une certaine façon de regarder et de magnifier le quotidien, le banal, l’inframince.
Les artistes réunis dans Chhttt… s’intéressent, chacun à leur manière, au postulat suivant : le fait merveilleux n’est pas merveilleux en lui-même, il est merveilleux dans sa relation avec le réel. On peut donc créer un merveilleux en appliquant cette relation sur une réalité quelle qu’elle soit, la plus ordinaire comme la plus fugace.
Se trouve ainsi révélé ce dont, d’habitude, on ne s’aperçoit pas : ce qui se trouve dans les plis du réel.
Les moyens requis par les artistes pour explorer ces plis du réel et interroger notre perception sont nombreux : jeux subtils d’apparition et de disparition des images et des objets (Simon Schubert, Estefania Peñafiel Loaiza, Yves Chaudouët),yves-chaudouet.1234220299.jpg mouvement lent des corps (Robert Breer), vibrations de la lumière, de la couleur et/ou de la ligne (Jugnet + Clairet, Sandra Böhme, Camila Oliveira Fairclough), évocation d’éléments universels par des objets et procédés pourtant modestes (Bruno Peinado, Pierre Ardouvin, Pierre Alferi), etc.
Finalement, le merveilleux à l’œuvre dans Chhttt… est peut-être celui qui, simplement, permet de se poser des questions nouvelles, inattendues, insolites, et pourtant essentielles : quand fondra la neige , où ira le blanc ?
(Rémy Zaugg) La météo elle-même s’était adaptée au vernissage….
Cette exposition minimaliste et conceptuelle est toute en subtilités.
L’exposition s’accompagne d’un petit journal, qui comporte un texte inédit de Pierre Alferi, extrait de son prochain livre, à paraître au printemps 2009.
avec : Pierre Alferi (FR), Pierre Ardouvin (FR), Sandra Böhme (D), Robert Breer (EU), Yves Chaudouët (FR), Jugnet + Clairet (FR), Perrine Lievens (FR), Camila Oliveira Fairclough (BR), Bruno Peinado (FR), Estefania Peñafiel Loaiza (EC), simon-schubert-4.1234221042.JPGSimon Schubert (D), Guido van der Werve (NL), Rémy Zaugg (CH)
Mes coups de cœur sont nombreux :
Peintre-philosophe, « artiste conceptuel », Rémy Zaugg a réalisé un œuvre riche et complexe autour de la question de l’artremy-zaug.1234219447.JPG et de ses conditions de perception. Liant la place de l’artiste à celle du spectateur, le « sujet percevant », son art, empreint de nombreuses références théoriques, explore diverses thématiques, de l’effacement à celle de la trace et soulève la problématique de l’absence. Quand fondra la neige où ira le blanc ? Voici une question bien étrange et énigmatique que pose l’artiste dans cette œuvre à la limite du monochrome : l’écriture de couleur blanche tend à se fondre, voire à véritablement se confondre à l’arrière-plan blanc. Blanc sur blanc. On pense évidemment à Casimir Malevitch et sa célèbre œuvre Carré blanc sur fond blanc… Mais, au-delà de cette expérience du néant, l’œuvre de Rémy Zaugg, représente la dissolution du visible en s’articulant autour d’un subtil jeu de mots, en conflit avec leur sens, leur perception et leur forme. À peine lisible, à peine visible, cette question posée crée une forme de dialogue intime avec le lecteur/regardeur.
Artiste vidéaste, Guido van der Werve, compose des scénarios imaginaires. Son œuvre, indéniablement romantique, se caractérise également par une esthétique de l’absurde et du décalage, qui remet en question, interroge et découvre les incohérences de notre monde et nos rêves inaboutis. Entre détachement et amusement, Guido van der Werve cherche à surprendre le spectateur. Ainsi, Nummer Zeven, The Clouds are more beautiful from above, qui relate une tentative ratée de vouloir quitter la Terre, exprime l’échec et la perte tout en illustrant le désir d’évasion de l’artiste face à l’ennui grâce à la fin tragique d’une fusée, soigneusement construite par l’artiste, qui au moment de décoller explose. Détournant l’ordre logique des choses, usant d’une tonalité tragicomique et dévoilant de nouveaux horizons l’artiste interpelle le spectateur et l’incite à une réflexion, à la fois mélancolique et existentialiste.
robert-breer61.1234219981.JPGRobert Breer déjoue les catégories formelles, stylistiques et conceptuelles et réalise un travail libre et rigoureux à la fois. Son oeuvre polymorphe (sculptures , peintures, dessins , films) se caractérise par les échanges entre ces différentes pratiques. Robert Breer éprouve les seuils de conscience, de perception et les limites de la représentation. Ses sculptures, modules géométriques, sont une allusion ironique à l’art minimal. Ces présences discrètes sont motorisées. Elles se déplacent très lentement, à même le sol, de manière presque imperceptible et sans logique. La perception ténue du mouvement offre au spectateur une reconnaissance du temps et de l’espace qu’il occupe.’ (Extraits du communiqué de presse de l’exposition Robert Breer, gb agency, 2001)
Artiste multiforme, Yves Chaudouët explore des univers à la fois singuliers et multiples avec une grande liberté de moyens et tisse des liens nouveaux entre différentes disciplines. Souvenirs d’enfance et fascination pour le monde marin sont les sources d’inspiration de l’installation Tiefseefische, dans laquelle il plonge le spectateur dans l’obscurité desyves-chaudouet-poisson.1234220147.jpg abysses. L’artiste façonne ici un monde encore inconnu et inexploré par l’homme, dans lequel le spectateur découvre des êtres – presque – imaginaires. Fragiles et précieux, ces espèces des profondeurs sont en verre, ce qui permet d’offrir une palette d’effets saisissants, comme le jeu de lumière et de reflets sur les surfaces lisses, translucides ou opaques. Poissons, étoiles, monstres marins, c’est donc tout c’est un bestiaire océanique fantasque et luminescent, flottant dans l’espace, qui transforme la grande salle du CRAC en un immense et curieux fond marin, qui n’est pas sans rappeler les fascinants mondes nés sous la plume de Lautréamont ou encore de Mallarmé.
Jouant à dé-produire et à re-produire l’image que se donne le monde, Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet explorent dans leurs œuvres les conditions et le processus de production d’une œuvre, ainsi que leurs représentations et leurs limites. Ce travail conceptuel autour de l’image met en scène l’acte artistique ou « le faire » comme un élément permettant de mieux appréhender le système et le contexte dans lesquels il s’inscrit. Avec Ligne FB-BT, néon bleu dans un caisson translucide ou encore Ligne de partage du ciel, les deux artistes investissent le genre du paysage avec le ciel comme champ d’observations. Si Ligne FB-BT est une « sculpture » matérialisant l’éclat lumineux du ciel, les peintures de la série Ligne de partage du ciel sont quant à elles une capture d’un bout de ciel, vaste étendue à la limite du monochrome, où seule une ligne à peine perceptible se dessine. Cette évocation d’un au-delà, frôlant l’abstraction et la dématérialisation, est le résultat de l’analyse du passage de la lumière vers la forme, une tentative illusoire d’approcher une image idéalisée. Un phénomène insaisissable, un motif fugitif ou encore un non-visible qui devient pourtant palpable et apparent au spectateur.
Le travail de Perrine Lievens interroge avec finesse la forme et son intégration dans un espace donné. Ce faisant, le traitement plastique conceptuel de ses œuvres propose une subtile relecture du réel, en perturbant l’approche et la perrine-lievens-2.1234220684.JPGcompréhension que nous avons de celui-ci. Transformant notre environnement commun, Perrine Lievens joue avec le spectateur, appelé à faire l’expérience d’un univers réinventé et d’en changer sa perception. Témoin de ce jeu, le balcon exposé dans les escaliers du CRAC et revisité par un effet de lumière diffus, perd son utilité et devient inaccessible : il n’est plus le lien entre deux espaces distincts, intérieur et extérieur. Transgressant l’ordre habituel des choses, Vue se donne à voir au lieu de donner à voir. S’offrant ainsi à notre regard, il confère à l’objet qu’il incarne une nouvelle dimension poétique.
texte provenant du site du CRAC, photos de l’auteur et provenant du site du Crac.
 

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.

7 réflexions sur « Chhttt…Le merveilleux dans l’art contemporain (2ème volet) »

  1. Ping : Lisa rogaine
  2. Ping : My Homepage
  3. Chhttt… l’émerveillement feutré
    Après avoir arpenté les chemins d’un merveilleux spectaculaire, Sophie Kaplan nous entraîne, au CRAC, dans un univers où l’inattendu magique se décline de façon plus discrète. Quoique…
    Dans les profondeurs marines avec Yves Chaudouët.
    Pensez que la neige tombe. Pensez que la neige tombe partout, tout le temps. Lorsque vous parlez avec quelqu’un, pensez que la neige tombe entre vous et cette personne. Cessez de converser lorsque vous pensez que la personne est couverte de neige. » En 1963, Yoko Ono, alors plus plasticienne radicale qu’égérie pop-rock, énonçait cette douce recommandation à la poésie floconneuse.
    Elle est reprise dans ce second volet du merveilleux dans l’art contemporain, intitulé Chhttt…, qui explore les propositions d’une douzaine de plasticiens dont l’imaginaire flotte au vent d’un émerveillement situé parfois au bord de « l’inframince » cher à Duchamp. « Ce qui m’intéressait cette fois-ci, c’était de voir comment l’émerveillement peut naître d’un fait qui n’est pas merveilleux en lui-même mais apparaît comme tel à travers le regard que porte sur lui l’artiste », indique Sophie Kaplan, directrice du Centre Rhénan d’Art Contemporain. « Révéler ce qui se trouve caché dans les plis du réel », ajoute-t-elle.
    Des plis qui stimulent les images subliminales. Ainsi Pierre Ardouvin avec un ventilateur et quelques balles de ping-pong fait-il retentir la pluie sur une plaque de tôle ondulée quand le tandem Jugnet + Clairet crée une improbable mais néanmoins poétique Ligne de partage du ciel. Dans ce paysage mouvant où le magique affleure à la surface du réel, le déclic peut s’avérer défaillant, victime d’une infinie discrétion. Les peintures à la géométrie minimaliste de la Brésilienne Camila Oliveira Fairclough ou les Traces anodines de l’Équatorienne Estefania Penafiel Loaiza peinent ainsi à produire de l’émerveillement.
    Le travail très spectral de Sandra Böhme sur l’image vidéo est autrement plus convaincant : l’artiste allemande y transforme une scène de zoo en une dramaturgie inquiétante sans qu’aucune menace ne soit explicitement indentifiable. Très « hantée » aussi, les gauffrages sur papier blanc dans lesquels Simon Schubert met en place des intérieurs vides, avec leurs couloirs en perspective ou leurs escaliers en contre-plongée qui donnent à la surface quelque chose de la troisième dimension – sensation claustrophobique et sidération d’une telle maîtrise technique.
    Mais Chhttt… penche parfois sensiblement du côté de Waoohhh !, précédente évocation du merveilleux dans l’art contemporain, qui en privilégiait l’aspect plus spectaculaire. C’est le cas du balcon en néon de Pierrine Lievens ou de l’installation d’Yves Chaudouët qui monopolise la grande salle du CRAC, plongeant le visiteur dans les profondeurs marines – tout un peuple de poissons, méduses et autres étoiles de mer, réalisé en verre, y apparaît dans une semi-pénombre. Quant à Guido Van der Werve qui tente, le temps d’une vidéo, de réexpédier dans l’espace un fragment de météorite avec une fusée bricolée, l’explosion finale ne participe pas vraiment de cette approche feutrée que revendique l’exposition.
    Entre la proposition de feu Rémy Zaugg – qui interrogeait sur une plaque d’aluminium Quand fondra la neige où ira le blanc ( ? ) – et la mélopée welche revisitée par Pierre Alferi avec des citations cinématographiques d’une belle fraîcheur, Chhttt… tangue quelque peu. Reste au final, comme souvent chez Sophie Kaplan, le sentiment d’une odyssée visuelle savoureuse. Drôle et poétique. Grave et déjantée. Qu’elle se crie ou se murmure, peu importe…
    Serge Hartmann – DNA

  4. Au risque de vous décevoir, là c’est même certain, j’ai repris le texte du CRAC, car j’ai trouvé qu’il était très bon et que je ne saurais mieux l’exprimer,
    aussi j’ai cité mes sources au bas du billet.
    C’est une expo tout en raffinement, du moins pour une bonne partie, je vais sûrement faire encore un autre billet.

  5. Après Méliès, je me suis laissée emportée par le merveilleux que vous nous relatez ici avec brio, je crois que je vais rajouter un balcon illuminé dans mon album « balcon ». Me permettriez-vous que je cite une petite partie de votre texte pour illustrer cette image ?
    Chhttt … un Bellini merveilleux vous attend …

  6. Décidément vous êtes partout,
    même si je n’écris pas souvent, je vous lis presque tous les jours et je suis contente de vous avoir retrouvée.

Les commentaires sont fermés.