Au MUSÉE RATH, GENÈVE jusqu’au 27 OCTOBRE 2019
Quelle musique, le silence !
Jean Anouilh
Silences , exposition dont la commissaire est Lada Umstätter
Scénographie : atelier oï, La Neuveville
Collaboration scientifique / Musée d’art et d’histoire (MAH)
Marguerite Burnat Provins
Autoportrait le doigt sur la bouche vers 1900, huile sur toile
Musée du Valais
L’art est-il silencieux ?
cette exposition lève le voile sur les différentes formes de silence exprimées par l’art, de la fin du XVe siècle à aujourd’hui.
L’idée que les musées sont les nouveaux lieux de culte où règne le silence de la contemplation n’est pas nouvelle. Lieux de silence ? Pas vraiment avec tous les audios guides quelquefois parasites
et leurs utilisateurs malentendants …
Cette exposition réunit les grands noms de l’art européen et des artistes plus confidentiels (Barraud, Bruegel, Burnat-Provins, Corot, Courbet, Dürer, Fantin-Latour, Hammershøi, Hodler, Liotard, Morandi, Mušič, Rembrandt, Vallotton, Woog), ainsi que de l’art actuel (Collishaw, Huber, Marclay, Turell…)
Le parcours inclut quelque cent-trente peintures, sculptures, oeuvres graphiques, vidéos et installations, dont près d’un tiers proviennent des collections du MAH. Pour la majeure partie de la sélection, Silences bénéficie du généreux concours des prêteurs institutionnels et privés (Suisse, France, Italie et Allemagne).
Mêlant les genres, les motifs et les époques, cette exposition est centrée sur le silence envisagé non seulement comme l’absence de bruit, de son ou de parole, mais aussi comme un état, une présence au monde, dont certaines oeuvres d’art nous offrent une forme condensée
Parcours de l’exposition
Une première partie, organisée autour de la figure humaine, met en avant les mises en scène du quotidien silencieux, des Hollandais du Siècle d’or à Corot et Fantin-Latour en passant par Liotard. En contrepoint à ces représentations idéalisées, s’ajoutent celles du non-dit, comme chez Vallotton. Une place de choix est donnée au genre silencieux par excellence, celui de la nature morte, sous ses deux versants complémentaires : la vie silencieuse (still life) et la vanité, invitation à la méditation sur la finitude de la vie (Brueghel, Collishaw, Neu, Stoskopff). S’ensuit l’espace du silence religieux, avec des oeuvres conçues pour susciter la dévotion et pour refléter la grande variété des réactions à la manifestation du sacré, de l’extase à la stupeur en passant par l’angoisse de la mort (Baugin, Rembrandt, Ribera). Une autre forme de cette inquiétude est la mélancolie, source d’intrigantes représentations symboliques (Carrière, Dürer, Mark Lewis) et de saisissants autoportraits (de Liotard à François Barraud), mais aussi d’un réinvestissement de genres traditionnels, poussés jusqu’à une
forme de pure poésie du silence (Hammershøi, Morandi, Mušič).
La mélancolie et la rêverie ouvrent le champ plus large de l’espace du silence, aussi bien concret sous la forme du paysage (Calame, Clot, Hodler, Huck), que mental ou abstrait avec tous les degrés intermédiaires des espaces symboliques (Gertsch, Rossi) ou conceptuels (Edmondson, Huber, Joly, Serra, Turell). Enfin, l’expérience du silence s’enrichit avec des oeuvres situées dans une zone intermédiaire et fertile entre musique et artsplastiques (Appia, Cage, Marclay).
Du bruit au silence
Du chef d’orchestre à la Performeuse sourde
Vie silencieuse
still life
Non-dit
Cette section se concentre sur les modes silencieux de communication.
Félix Vallotton fut le chantre de ces non-dits exprimant une palette infinie d’émotions : l’amour, la haine, la culpabilité, le pardon, etc.
Sa célèbre série Intimités, illustrant dix moments de la vie amoureuse
de la Parisienne Misia Sert, Felix Vallotton (1865-1925)
Les Intimités : Le Mensonge, 1897
Xylographie vélin crème, 250 x 323 mm
Inv. E 79-0531, don de Lucien Archinard
© Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds
Silence sacré
Dans l’art chrétien, maintes oeuvres ont pour fonction de susciter
la piété et de favoriser la proximité et le dialogue intérieur avec Dieu. L’image de dévotion se fait le support d’un art de la méditation, en mettant le spectateur en présence même de l’événement religieux représenté,
dont il devient ce faisant contemporain. Lubin Baugin (vers 1610-1663)
Vanité
Memento mori : souviens-toi que tu vas mourir !
Mat Collishaw (1966)
Chacune des oeuvres de la série
Last Meals on Death Row de l’artiste anglais Mat Collishaw
présente des mets correspondant au menu choisi par un
condamné à mort pour son dernier repas. Elles sont
mises en scène dans des compositions et des conditions d’éclairage directement inspirées de l’esthétique des natures mortes hollandaise du XVIIe siècle. Si la banalité de la vaisselle et des aliments présentés – le plus souvent des mets extrêmement simples ou de la junk food – tranche avec
la richesse de ceux de ses modèles anciens, l’artiste ne les met pas moins en valeur par des éclairages somptueux, dans un contraste qui, ajouté à leur contexte tragique, en fait d’authentiques et poignantes vanités contemporaines. Le choix du menu de leur dernier repas, ultime choix
de la vie des détenus, pourrait laisser attendre un choix personnel révélateur. Or, il est le plus souvent que le reflet d’habitudes de consommation d’une déroutante banalité.
Cette oeuvre de Mat Collishaw peut être considérée comme une
méditation sur notre relation au monde à travers des images où
les représentations de la beauté et de la cruauté se mêlent
inextricablement.
Mélancolies
La célèbre gravure de Dürer – dont on reconnaît le château de Chillon sur les bords du Léman en Suisse dans le paysage à l’arrière-plan – donne son nom à cette section qui réunit des instants méditatifs chargés de mystère, un sujet prisé notamment par les artistes symbolistes du tournant du
XXe siècle. Plusieurs autoportraits (Barraud, Liotard, Music, Woog) viennent illustrer ces moments de réflexion et d’introspection.
Poésie du silence
Dès l’Antiquité, la peinture a été désignée comme une « poésie muette ». Célèbre pour ses scènes d’intérieur dénuées de toute présence humaine et pour ses personnages parfaitement cois, le peintre danois Vilhelm Hammershøi donne à cette expression toute sa saveur. De leurs côtés, l’Italien Giorgio Morandi et le Slovène Zoran Mušič ont réduit la nature morte et le paysage à l’essentiel, en tendant vers l’abstraction, pour en faire émaner sa plus pure expression poétique.
Paysages silencieux
La peinture de paysage invite à la contemplation et par là-même à une réponse silencieuse. D’abord considérée comme un genre mineur et décoratif, elle conquiert son autonomie en se nourrissant d’une étude attentive et topographique de la nature, de la fin du XVe au XVIIIe siècle. Solidaire du rapport changeant de l’homme à son environnement, cet art de délectation peut également se faire support de projection ou de méditation sur les relations de l’homme à la nature : menaçante ou domestiquée, préservée ou aujourd’hui à son tour menacée.
Alexandre Calame (1810-1864) Le Mont-Rose, 1843
Huile sur toile, 110 x 149 cm
© Musée d’art et d’histoire de Genève
Espaces du silence
Un autre défi de la peinture a toujours été de traduire l’espace et de représenter des espaces silencieux. Cela participe souvent d’une recherche de l’absolu. Ce silence peut être exprimé sous la forme concrète d’un paysage où domine le calme apparent de la nature à l’état brut ou au travers d’une peinture métaphysique et chargée de symboles comme chez Edmonson et Huber. À force d’abstraction, certaines représentations d’espaces concrets tendent aussi à construire un espace mental silencieux. L’art abstrait rejoint aussi souvent une forme de silence, qu’il oppose parfois aux troubles du monde.
Partitions du silence
Quand John Cage signe sa partition de 4 minutes et 33 secondes de silence, le compositeur transforme une feuille de musique en oeuvre plastique. Dans sa série intitulée Espace rythmique de décors pour Émile Jaques-Dalcroze, Adolphe Appia imagine des espaces d’un dépouillement extrême que pourront occuper le geste, le son et le rythme. Dans cette section soulignant les interpénétrations entre musique et arts plastiques, l’art contemporain est particulièrement fertile avec notamment les oeuvres de Christian Marclay.
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D’entrée le ton est donné, la scénographie sobre est remarquable.
La semi-obscurité incite à chuchoter, l’intimité avec les toiles
exposées s’installe. La couleur noire des murs, pour la peinture ancienne,
le vert pale pour les toiles contemporaines, sont un écrin flatteur pour l’ensemble.
Les salles communiquent par un sas lumineux que l’on franchit avec
gourmandise. Chaque salle est ponctuée par un texte d’introduction, la brochure explicative et les cartels sont un peu difficile à lire dans la pénombre, l’éclairage bien conçu, cependant permet de se poser sur
un banc, pour lire. Certaines oeuvres sont interdites à la photo, chose
qui n’est plus très courante actuellement. Je me suis fait reprendre par
le gardien, prise dans ma frénésie de photos, ce n’est évident de bien voir les cartels.
Catalogue
Silences, sous direction de Lada Umstätter, avec les contributions de Jan Blanc, Sylviane Dupuis,
Alix Fiasson, Elisa de Halleux, Gabriel Umstätter.
Coédition Musée d’art et d’histoire, Genève, et Editions Favre, Lausanne, 2019.
MUSÉE RATH, GENEVE
Place Neuve
accès bus 3 depuis la gare CFF
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