Cécile Debray et Assia Quesnel, les commissaires de l’exposition "Gertrude Stein et Pablo Picasso. L'invention du langage", vous guident dans le Musée du Luxembourg à travers un siècle d’art, de poésie, de musique et de théâtre.. Une exposition à découvrir jusqu'au 28 janvier 2024
scénographie : Studio Matters mise en lumière : Aura Studio
Un écrivain devrait écrire avec ses yeux et un peintre peindre avec ses oreilles. Gertrude Stein, 1940
Les 2 artistes
L’amitié entre l’artiste Pablo Picasso et l’écrivaine Gertrude Stein s’est cristallisée autour de leur travail respectif, fondateur du cubisme, à partir de ce qui constitue leur pratique littéraire et picturale : décomposition analytique des objets du quotidien, du langage et de la peinture, sérialité, circularité et répétition – autant de formulations et de trouvailles fondatrices des avant-gardes picturales et littéraires du XXe siècle.
Gertrude Stein est une immigrée américaine, juive, homosexuelle, installée à Paris, rue de Fleurus, peu après l’arrivée en 1901 de Pablo Picasso, jeune artiste espagnol. Leur position d’étrangers, maîtrisant approximativement le français, leur marginalité fondent leur appartenance à la bohème parisienne et leur liberté artistique.
Gertrude Stein dans les jardins du Luxembourg Leur postérité est immense. Examiner leur complicité, leur inventivité et suivre le parcours de Gertrude Stein entre Paris et les États-Unis, permet d’esquisser une traversée des approches conceptuelles, performatives et critiques de l’art, de la poésie, de la musique et du théâtre à travers de grandes figures de l’art américain : John Cage, Jasper Johns, Robert Rauschenberg, Merce Cunningham, Nam June Paik, Yvonne Rainer, Lucinda Childs, Trisha Brown, Ray Johnson, Bruce Nauman, Carl Andre, James Lee Byars, Joseph Kosuth, Hanne Darboven, Andy Warhol, Glenn Ligon, Ellen Gallagher, Gary Hill, Deborah Kass, Felix Gonzalez- Torres…
Ainsi l’exposition entend porter un éclairage inédit et documenté sur l’oeuvre poétique mal connue de Gertrude Stein, en regard des peintures et des sculptures de Picasso, le « Paris Moment » (rue de Fleurus et rue Christine, à deux pas du musée du Luxembourg qu’elle fréquente assidument).
La postérité américaine de ce dialogue forme la seconde partie du parcours, l’« American Moment », avec des oeuvres emblématiques issues de l’écriture steinienne, des années 1950 à nos jours : depuis le Living Theater et les expérimentations musicales, plastiques et théâtrales néo-dada et fluxus, en passant par l’art minimal autour du langage et du cercle, jusqu’aux oeuvres néo-conceptuelles et critiques.
Une série de portraits et d’oeuvres hommages, comme le fameux polyptique Ten Portraits of Jews of the Twentieth Century d’Andy Warhol ou des photographies de Cecil Beaton, évoque l’icône Gertrude Stein.
Cette exposition est programmée dans le cadre de la Célébration Picasso 1973-2023, coordonnée par le Musée national Picasso-Paris, qui à cette occasion partage sa collection par le prêt exceptionnel de 26 oeuvres de sa collection essentiellement centrées autour des années héroïques des Demoiselles d’Avignon et du cubisme, ainsi qu’un ensemble d’archives remarquable. La Célébration Picasso et l’exposition sont placées sous le haut patronage de la Présidence de la République.
Un programme de performances conçues par le metteur en scène Ludovic Lagarde accompagne l’exposition pour faire entendre l’écriture cubiste de Gertrude Stein. Ces performances de 30 à 40 minutes auront lieu à l’occasion des nocturnes du lundi à 19h ou à 20h (programme détaillé) , pendant toute la durée d’ouverture au public de l’exposition (hors vacances scolaires et 2 octobre) dans la salle Tivoli adjacente aux espaces d’exposition (sur simple présentation du billet de l’exposition).
Rmn – Grand Palais 254-256 rue de Bercy 75 577 Paris cedex 12 horaires d’ouverture : tous les jours de 10h30 à 19h nocturne les lundis jusqu’à 22h sauf le 2 octobre les 17 octobre, 24 et 31 décembre de 10h30 à 18h fermeture exceptionnelle le 25 décembre accès : M° St Sulpice ou Mabillon Rer B Luxembourg Bus : 58 ; 84 ; 89 ; arrêt Musée du Luxembourg / Sénat informations et réservations: museeduluxembourg.fr
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Le Musée d'Art moderne de Paris accueille, jusqu'au 24 janvier 2024, une rétrospective magistrale de l'œuvre de Nicolas de Staël.
Charlotte Barat-Mabille et Pierre Wat, sont les commissaires de l’exposition.
Le Musée d’Art Moderne de Paris consacre une grande rétrospective à Nicolas de Staël (1914-1955), figure incontournable de la scène artistique française d’après-guerre. Vingt ans après celle organisée par le Centre Pompidou en 2003,l’exposition propose un nouveau regard sur le travail de l’artiste, en tirant parti d’expositions thématiques plus récentes ayant mis en lumière certains aspects méconnus de sa carrière (Antibes en 2014, Le Havre en 2014, Aix-en-Provence en 2018). La rétrospective rassemble une sélection d’environ 200 tableaux, dessins, gravures et carnets venus de nombreuses collections publiques et privées, en Europe et aux Etats-Unis. À côté de chefs-d’oeuvre emblématiques tels que le Parc des Princes, elle présente un ensemble important d’oeuvres rarement, sinon jamais, exposées, dont une cinquantaine montrées pour la première fois dans un musée français.
Le Soleil 1963, CP Organisée de manière chronologique, l’exposition retrace les évolutions successives de l’artiste, depuis ses premiers pas figuratifs et ses toiles sombres et matiérées des années 1940, jusqu’à ses tableaux peints à la veille de sa mort prématurée en 1955. Si l’essentiel de son travail tient en une douzaine d’années, Staël ne cesse de se renouveler et d’explorer de nouvelles voies : son « inévitable besoin de tout casser quand la machine semble tourner trop rond » le conduit à produire une oeuvre remarquablement riche et complexe, « sans esthétique a priori ». Insensible aux modes comme aux querelles de son temps, son travail bouleverse délibérément la distinction entre abstraction et figuration, et apparaît comme la poursuite, menée dans l’urgence, d’un art toujours plus dense et concis : « c’est si triste sans tableaux la vie que je fonce tant que je peux », écrivait-il.
Eau de vie 1948 La rétrospective permet de suivre pas à pas cette quête picturale d’une rare intensité, en commençant par ses voyages de jeunesse et ses premières années parisiennes, puis en évoquant son installation dans le Vaucluse, son fameux voyage en Sicile en 1953, et enfin ses derniers mois à Antibes, dans un atelier face à la mer.
Les poissons Antibes 1955
« Je sais que ma vie sera un continuel voyage sur une mer incertaine » : Nicolas de Staël, l’urgence de la peinture
Biographie
La vie de Staël a d’emblée créé un mythe autour de son art : de son exil après la révolution russe jusqu’à son suicide tragique à l’âge de 41 ans, la vie du peintre n’a cessé d’influer sur la compréhension de son oeuvre. Sans négliger cette dimension mythique, la rétrospective entend rester au plus près des recherches graphiques et picturales de Staël, afin de montrer avant tout un peintre au travail, que ce soit face au paysage ou dans le silence de l’atelier.
Le Bateau 1956 Enfant exilé devenu voyageur infatigable, l’artiste est fasciné par les spectacles du monde et leurs différentes lumières, qu’il se confronte à la mer, à un match de football, ou à un fruit posé sur une table. Variant inlassablement les outils, les techniques et les formats (du tableautin à la composition monumentale), Staël aime « mettre en chantier » plusieurs toiles en parallèle, les travaillant par superpositions et altérations successives. Le dessin joue, dans cette exploration, un rôle prépondérant dont une riche sélection d’oeuvres sur papier souligne le caractère expérimental.
Le film
Un extrait du documentaire : Nicolas de Staël, la peinture à vif de François Lévy-Kuentz, co-écrit avec Stéphane Lambert et Stephan Lévy-Kuentz et produit par Martin Laurent, Temps Noir, en coproduction avec ARTE France, est présenté en permanence dans les salles de l’exposition et diffusé dans son intégralité sur ARTE le 24 septembre 2023 et en replay.
Le catalogue
Le catalogue de l’exposition permet d’approfondir encore la connaissance du travail du peintre, grâce à des textes sur sa relation aux maîtres du passé et à son contemporain Georges Braque,ou encore son rapport au paysage et à la nature morte. L’ouvrage contient également un entretien des commissaires avec Anne de Staël, fille aînée de l’artiste, ainsi que le texte intégral et inédit du « Journal des années Staël » de Pierre Lecuire, écrivain, éditeur et ami proche de Staël.
Informations Pratiques
HORAIRES
Mardi au dimanche de 10h à 18h (fermeture des caisses à 17h15) Nocturne les jeudis jusqu’à 21h30 uniquement pour les expositions temporaires.
Fermeture le lundi et les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre. Fermeture exceptionnelle à 17h les 24 et 31 décembre.
TRANSPORTS
Métro : ligne 9 – Arrêt Alma-Marceau ou Iéna Station Vélib’ : 4 rue de Longchamp ; 4 avenue Marceau ; place de la reine Astrid ou 45 avenue Marceau
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L’exposition « Corps à Corps » (6 septembre 2023 – 25 mars 2024) propose un nouveau regard sur les représentations de la figure humaine en photographie, en faisant dialoguer la collection du Centre Pompidou et celle de Marin Karmitz.
Dans ce podcast/texte, la commissaire Julie Jones aborde les thèmes de l’exposition et présente plusieurs oeuvres du parcours. Scénographie : Camille Excoffon
Avec la rencontre de deux collections photographiques exceptionnelles – celle, publique, du Centre Pompidou – Musée national d’art moderne et celle, privée, du collectionneur français Marin Karmitz – l’exposition « Corps à corps » offre un regard inédit sur les représentations photographiques de la figure humaine, aux 20e et 21e siècles
L’exposition
Rassemblant plus de 500 photographies et documents, réalises par quelque 120 photographes historiques et contemporains, l’exposition dépasse les catégories d’étude classiques telles que le portrait, l’autoportrait, le nu ou encore la photographie dite humaniste. Elle dévoile des particularités, des manières de voir photographiques et rend visibles des correspondances entre artistes. On leur découvre des obsessions communes, dans leur façon d’appréhender le sujet, comme dans leur approche stylistique. Ces rapprochements peuvent éclairer une certaine pratique, à un moment précis de l’histoire, ou au contraire montrer la proximité de visions éloignées dans le temps. Les images exposées nourrissent aussi des questionnements sur la responsabilité du photographe : comment la photographie participe-t-elle à la naissance des identités et a leur visibilité ? Comment raconte-t-elle les individualités, le rapport a l’autre ?
La collection du Centre Pompidou – Musée national d’art moderne et la collection Marin Karmitz, distinctes par leur origine, leur nature, et leur fin, apparaissent ici complémentaires. Regard public et regard privé dialoguent et construisent de nouveaux récits. Ensemble, ils proposent une réflexion sur l’idée même de collection. Comment une collection se construit-elle, et quelle est la part de la subjectivité dans sa constitution ? Comment la transmettre au public ? La collection de photographies du Centre Pompidou est devenue en près de cinquante ans l’une des plus importantes au monde. Riche de plus de 40 000 tirages et de 60 000 négatifs, elle est constituée de grands fonds historiques (Man Ray, Brassai, Constantin Brancusi ou Dora Maar), et compte de nombreux ensembles de figures incontournables du 20e siècle, comme des corpus importants de la création contemporaine. Forme aux métiers du cinéma et de la photographie dans les années d’après-guerre et figure majeure du cinéma français, Marin Karmitz se fascine, depuis plusieurs décennies, pour la création, sous toutes ses formes. Sa collection photographique révèle un intérêt immuable pour la représentation du monde et de celles et ceux qui l’habitent. Qu’il s’agisse des grandes figures de l’avant-garde, telles Stanisław Ignacy Witkiewicz, dont Marin Karmitz à récemment fait don d’un ensemble d’oeuvres important au Centre Pompidou, jusqu’à des figures contemporaines, comme l’artiste SMITH.
Photographes exposés (non exhaustif)
Berenice Abbott, Laia Abril, Michael Ackerman, Laure Albin-Guillot, Dieter Appelt, Richard Avedon, Alain Baczynsky, Hans Bellmer, Jacques-Andre Boiffard, Christian Boltanski, Agnes Bonnot, Constantin Brancusi, Bill Brandt, Brassai, Johannes Brus, Gilles Caron, Henri Cartier-Bresson, Mark Cohen, Joan Colom, Antoine d’Agata, Roy DeCarava, Raymond Depardon, Pierre Dubreuil, Hans Eijkelboom, Walker Evans, Patrick Faigenbaum, Louis Faurer, Fernell Franco, Robert Frank, Douglas Gordon, Sid Grossmann, Raoul Hausmann, Dave Heath, Michal Heiman, Lewis Hine, Lukas Hoffmann, Francoise Janicot, Michel Journiac, Valerie Jouve, Birgit Jurgenssen, James Karales, Chris Killip, William Klein, Josef, Koudelka, Tarrah Krajnak, Hiroji Kubota, Dorothea Lange, Sergio Larrain, Saul Leiter, Helmar Lerski, Leon Levinstein, Helen Levitt, Eli Lotar, Dora Maar, Vivian Maier, Man Ray, Chris Marker, Daniel Masclet, Susan Meiselas, Annette Messager, Lisette Model, Zanele Muholi, Joshua Neustein, Janine Niepce, J.D. ‘Okhai Ojeikere, Homer Page, Trevor Paglen, Helga Paris, Gordon Parks, Mathieu Pernot, Anders Petersen, Friederike Pezold, Bernard Plossu, Barbara Probst, Gerhard Richter, Alix Cleo Roubaud, Albert Rudomine, Ilse Salberg, Lise Sarfati, Gotthard Schuh, Claude Simon, Lorna Simpson, SMITH, W. Eugene Smith, Stephanie Solinas, Annegret Soltau, Jo Spence, Louis Stettner, Paul Strand , Christer Stromholm, Josef Sudek, Val Telberg, Shōmei Tōmatsu, Jakob Tuggener, Ulay, Johan van der Keuken, Leonora Vicuna, Roman Vishniac, Andy Warhol, Hitomi Watanabe, Weegee, William Wegman, Koen Wessing, Nancy Wilson-Pajic, Stanisław Ignacy Witkiewicz…
Ensemble(s) : collections et regards croisés.
Entretien de Julie Jones avec Marin Karmitz
Marin Karmitz et Julie Jones au Centre Pompidou, commissaires de l’exposition Photo c Didier Plowy
Extrait du catalogue de l’exposition :
J.J. Nous commencons l’exposition par un face-a-face entre les portraits en plan très rapproché que Stanisław Witkiewicz réalise dans les annees 1910 et les photographies que Constantin Brancusi prend de ses premières ≪ têtes ≫ sculptées a la même époque. Ils introduisent un ensemble de visages photographies par d’autres, comme Lewis Hine, Helmar Lerski, Dora Maar, Roman Vishniac, Johan van der Keuken, Paul Strand ou Daniel Masclet, parfaitement modelés par la lumière et l’ombre, par le cadrage, grâce auxquels des identités particulières émergent. Nous concluons l’exposition par la présentation de ≪ fantômes ≫, soit des individualités indéfinies, dissolues. Qu’évoque pour vous ce passage ?
M.K. Le poids des évènements historiques traumatiques que nous avons traversés et traversons aujourd’hui influe inexorablement sur notre conception du corps, sur notre vision de l’autre et de nous-mêmes. La dissolution de l’individu, avec toute sa complexité, toutes ses particularités, tout ce qui le rend unique me semble être d’une terrible actualité. Comment redonner vie a cet individu ? Si l’on veut sortir de la nuit, et aller vers le jour, il faut résister, essayer de se libérer. Il faut créer. C’est une forme de responsabilité. Il faut réapprendre à voir.
Les premiers visages
Par la photographie, nous appréhendons le corps et entrons dans son intimité. L’image du visage, en particulier, éclaire le rapport à l’autre. Comme le disait le philosophe Emmanuel Levinas : « […] il y a dans le visage une pauvreté essentielle ; la preuve en est qu’on essaie de masquer cette pauvreté en se donnant des poses, une contenance. Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer ». Au début du 20e siècle, le visage pris en plan rapproché devient un motif récurrent dans l’œuvre photographique des avant-gardes. Le cadrage comme le jeu dramatique des lumières et des ombres renforcent l’impression de présence du sujet. Traité hors de tout contexte (individuel ou social), le visage anonyme devient prétexte à des études formelles. Pour d’autres photographes, dont la démarche relève davantage du documentaire social, photographier le visage est un acte d’engagement, une manière de rendre visible la personne. Pour tous, l’émergence de ces visages impose un face-à-face qui assure au sujet son identité autant qu’il la questionne.
Stanisław Ignacy WitkiewiczPaul Strand
Automatisme ?
Les photomatons apparaissent dans les années 1920, d’abord aux États-Unis, puis en Europe. Cette photographie pauvre, automatique et sans auteur fascine très tôt les artistes surréalistes. La cabine de prises de vues, espace restreint devenu petit théâtre, est prétexte à de multiples grimaces, à des portraits extatiques, les yeux fermés, têtes décoiffées ou à des portraits de groupe indisciplinés. Ainsi, dès ses origines, cette photographie populaire, alors au service des méthodes modernes de contrôles administratif et policier, est détournée en un nouvel espace de liberté et de révolte. De nouveau dans les années 1960, période marquée par le développement des arts performatifs, et jusqu’à aujourd’hui, de nombreux artistes s’emparent de cette esthétique, voire du dispositif même. Ils dénoncent ainsi les carcans imposés par la société contemporaine via la bienséance et la persistance des stéréotypes culturels comme identitaires. Jouant, parfois non sans humour, avec ses codes (frontalité, anonymat, sérialité…), tous renversent les rapports de pouvoir en soulignant la multiplicité et la complexité des subjectivités.
Fulgurances
Intermédiaire entre le photographe et le photographié, l’appareil de prises de vue transforme la manière de percevoir l’autre. À l’affût, le photographe attend l’apparition de l’image :
sa vision, humaine, devient photographique ; il pense le réel par son cadre, puis il le met « en boîte ». L’appareil lui permet de saisir un instant, de capter l’autre, de le posséder par son image. Cette présence au monde si particulière a souvent été comparée aux pratiques de la chasse ou de la collection. Mais cette traque agit aussi parfois comme un révélateur. Visionnaire plus que voyeur, le photographe perçoit et isole des individualités, il met en lumière des anonymes perdus dans la foule. Par une attention aux atmosphères et à l’intimité des regards et des gestes, il donne à voir des rapports humains. « La photo, affirmait Chris Marker en 1966, c’est l’instinct de chasse sans l’envie de tuer. C’est la chasse des anges… On traque, on vise, on tire et – clac ! au lieu d’un mort, on fait un éternel. »
Fragment
Morcelé par le cadrage – lors de la prise de vue et/ou lors du tirage de l’épreuve –, l’individu devient objet anonyme. Tête, main, doigt, œil, oreille, jambe, torse, pied, cou, bouche, sexe, peau, sein, nombril, cheveux…, ces morceaux de corps et d’épiderme se transforment
Henri Cartier Bresson l’Araignée d’amour 1934, collection Marin Karmitz
en paysages incertains, parfois inhospitaliers. L’observateur échoue cependant à détourner son regard, tant la sensualité des corps y est décuplée. Le rapport photographe/photographié apparaît comme résolument déséquilibré ; la femme, objectivée, est sans conteste un motif récurrent dans ce type d’image. Nombre d’artistes ont néanmoins su utiliser cette même rhétorique de la fragmentation pour dénoncer la persistance de l’inégalité des rapports de pouvoir et de contrôle dans la société contemporaine. Si ces images-fétiches racontent le désir, elles peuvent aussi encourager, tout simplement, à mieux voir : la grâce et l’élégance d’un geste, d’un corps au travail, d’un corps au repos, d’un corps souffrant ou d’un dialogue silencieux entre deux êtres.
En soi
Absorbées dans leurs pensées, rêveuses, contemplatives ou soucieuses, conscientes ou non d’être saisies par l’appareil, ces personnes existent au-delà de leur image. Effacé, le photographe semble n’être qu’un témoin impassible, extérieur aux instants et aux intériorités qu’il enregistre. Si ces prises de vue peuvent être spontanées, l’observation (celle du photographe et celle du regardeur) y paraît plus longue, plus posée, plus « picturale ». Certains photographes peuvent mettre en scène leur invisibilité par un dépouillement stylistique (frontalité, neutralité des tons, dispositif sériel…) ; d’autres, confessant une empathie absolue envers le sujet, privilégient un usage dramatique du cadrage Bernard Plossu et des jeux de clair-obscur. Ces images sont souvent celles de solitudes, d’états mélancoliques ou de corps en transe. Elles appellent un hors-champ inaccessible tant, chez le regardeur, le sentiment d’être étranger à la scène domine la lecture.
Intérieurs
En 1967, le philosophe Michel Foucault forge le terme d’« hétérotopie » pour définir un lieu à part au sein d’une société, régi par des règles, des fonctionnements et des temporalités qui lui sont propres. Asiles psychiatriques, prisons, cimetières, musées, théâtres, cinémas, villages de vacances, lieux de culte… L’hétérotopie a des fonctions et des natures diverses : elle peut accueillir l’imaginaire, être espace de liberté comme de mise à l’écart. Elle révèle d’autres manières de vivre ensemble et de penser le monde. Pourquoi photographier ces lieux clos et autonomes ?
Smith Comment représenter ces corps collectifs, quel portrait réaliser de l’individu au cœur de ceux-ci ? Parfois, les photographes veillent à garder ce qu’ils estiment être une juste distance ; certains participent entièrement à ce qu’ils enregistrent en partageant, souvent sur un temps long, la vie de ces autres. Leurs images dévoilent des sphères intimes, des corps contraints, des corps libérés, des dépendances mais aussi des lieux de contestations sociales et politiques. Toutes donnent une voix à des identités souvent condamnées à l’invisibilité par la société contemporaine.
Spectres
Dissimulation des corps, enregistrements de reflets, utilisation du flou, recours au photomontage…, ces procédés, aussi divers soient-ils, mettent tous en scène une forme de disparition. Si l’image enregistre, fixe et donne à voir des identités, celles-ci paraissent dissolues et indéterminées, telles des fantômes. Les particularités individuelles s’effacent au profit d’une anatomie collective indéfinie et d’un « fluide » intangible : le corps devient matière anonyme. Faire une image de ces mutations implique un rapport au réel et au photographique plus incertain. Ce qui importe n’est plus de capter l’instant, mais de donner à voir l’expérience d’une transition : la lumière, l’ombre et le cadre perdent leurs fonctions traditionnelles ; ils sont utilisés ici pour souligner un passage. Chacune à leur manière, ces photographies montrent comment la conception de la figure humaine se transforme au contact des autres,des événements historiques et contemporains, parfois traumatiques. Si elles témoignent souvent d’une violence à l’égard du corps, elles peuvent aussi accompagner sa possible renaissance.
Informations pratiques
Le Centre Pompidou 75191 Paris cedex 04
+ 33 (0)1 44 78 12 33
Métro : Hôtel de Ville, Rambuteau RER Châtelet-Les-Halles
Horaires Exposition ouverte tous les jours de 11h à 21h, sauf le mardi.
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Du 7 au 23 septembre 2023 Vernissage le 7 septembre à partir de 18h Sous le commissariat de Marie Deparis-Yafil Galerie Marguerite Milin 11 rue Charles-François Dupuis 75003 Paris
Pour une fois je vais parler/écrire d’une exposition que je n’ai pas vue, d’une part par amitié pour Naji, d’autre part pour la gravité du sujet
Note d’intention
Bien que fléau menaçant tous les enfants du monde, à tous les niveaux des sociétés, et à des degrés divers de barbarie, la violence sexuelle faite sur enfant reste un sujet éminemment tabou, tant sur les plans politique que culturel. L’art lui-même, à diverses époques, a pu se faire l’écho bienveillant, sinon complice, de pratiques dont on connait pourtant les ravages physiques et psychologiques sur l’adulte que l’enfant abusé sera devenu. Il est temps, aujourd’hui, que cela cesse, et que l’on puisse aussi entendre et voir la parole des artistes qui, d’une manière ou d’une autre, luttent pour que la parole des victimes soit entendue et reconnue. Cette exposition collective, une première sur ce sujet, constitue un moyen d’objectiver la question, au travers de propositions artistiques contemporaines fortes, donnant matière – au propre comme au figuré- à réflexion, ambitionnant de contribuer à faire bouger les lignes.
Les artistes
Avec : Jessy Deshais, Naji Kamouche, Sylvie Kaptur-Gintz, Sandra Krasker, Monk, Piet.sO, Anne Plaisance, Virginie Plauchut, Erik Ravelo Suarez, Camille Sart, Maïssa Toulet, Tina Winkhaus.
QUI NE DIT MOT…
se réfère explicitement au proverbe d’origine latine qui tacet consentire videtur («qui se tait semble consentir»), laissant au lecteur le soin de finir lui même la phrase, et posant ainsi deux questions cruciales, intimement liées: celle du consentement, celle du silence. La locution populaire fait écho à cette tenace présupposition que celui qui n’objecte pas de refus donne tacitement son accord, préjugé si souvent répété dans les entourages des victimes, depuis «Tu aurais pu dire non» à «Pourquoi n’a-t-il/elle rien dit pendant toutes ces années?» … C’est le «non» qui n’a pas pu être dit, ou n’a pas été entendu, dont la victime devra sans cesse se justifier, c’est le long silence, dont il faudra se justifier encore, face à une ignorance et une suspicion persistantes des raisons profondes qui nourrissent un secret durant parfois des décennies. C’est aussi l’injonction au silence régnant dans les entourages, les familles…toute une mécanique des yeux et des oreilles tacitement fermés, socle parfois inattaquables des structures familiales et sociales… «Qui ne dit mot…consent», est aussi un principe de droit, à la racine même de principe de prescription, qu’il nous faut aujourd’hui ré examiner et requestionner.
QUI NE DIT MOT… pour prendre à rebours donc, cette croyance que celui qui se tait consent, pour affirmer que le silence d’une victime ne vaut évidemment pas consentement, que rien n’est moins tacite que la domination par le silence. Mais «Qui ne dit mot…» fait aussi allusion au silence de «ceux qui savent». Aujourd’hui, peut-être plus que jamais, savoir et ne rien dire doit pouvoir être appréhendé comme une forme de consentement au délit ou au crime. Cette parole là aussi doit être libérée. Dans le même temps, on ne peut – encore une fois- voler la parole à la victime, ni extorquer sa vérité. Les enjeux sont complexes. Evitant l’écueil de l’angélisme, opposant une image édulcorée de l’enfance à une réalité sordide, comme celui du voyeurisme, refusant toute ambiguité complaisante, cette exposition, premier moment d’un projet d’ampleur, entend ne laisser le moindre doute sur les intentions des artistes et du commissaire. Au travers d’oeuvres de tous médias – peinture, sculpture, photographie, vidéo, installation…- l’exposition explore différentes approches, entre corps et esprit, réalité et mémoire, traumatisme et résilience, violence et réparation, avec une attention particulière portée à l’histoire : celle des enfances volées, des vies de famille spoliées, des adolescences mortifères, des adultes devenus avec peine, à qui on n’offre le plus souvent ni le droit de souffrir, ni la reconnaissance de cette blessure que rien ne viendra suturer. Elle parle de manière plus générale, des systèmes et mécanismes de domination à l’oeuvre dans cet asservissement et cette réification du corps de l’autre, de l’emprise et de la manipulation, du silence et du secret, et prétend en ce sens à l’universel. Elle engage, enfin, sur la voix de la résilience celles et ceux qui croient en le pouvoir cathartique de l’art. QUI NE DIT MOT… est une victoire sur le silence, et la première exposition rassemblant des artistes contemporains pour dire non. texte de Marie Deparis-Yafil
PRÉSENTATION EN AVANT-PREMIERE DU DOCUMENTAIRE « Odette et moi», de Anne Lucie Domange Viscardi, en présence d’Anne Lucie Domange Viscardi, Andréa Bescond et Déborah Moreau, à partir de 18h.
« Odette et moi» est un documentaire qui capte la transmission d’un spectacle, mais pas n’importe quel spectacle ! Écrite et interprétée par Andréa Bescond, mise en scène par Eric Métayer, « Les chatouilles ou la danse de la colère », jouée pour la première fois en 2014, est une oeuvre artistique essentielle qui marque un moment import libération de la parole au sujet de la pédocriminalité. En 2016, forte de son incroyable succès au regard du sujet abordé et portée par l’énergie d’Andréa Bescond, la pièce remporte le Molière du Seul(e) en Scène. Adaptée en 2018 pour le cinéma, la pièce devenue film remporte à nouveau le succès et deux Césars, celui de la meilleure adaptation pour Andréa Bescond et Eric Métayer, et celui de la meilleure comédienne pour un second rôle pour Karin Viard. Après l’avoir interprété durant plus de 4 ans, Andréa Bescond décide de transmettre le spectacle pour qu’il continue d’exister tandis qu’elle souhaite vivre d’autres aventures artistiques.
Le documentaire « Odette et moi» raconte l’histoire de cette transmission, de cette passation entre Andréa Bescond et Déborah Moreau, évoquant au passage le contenu même du texte , et son histoire. D’avril 2018 à juin 2019, Anne Lucie Domange Viscardi suit les deux actrices et nous fait témoins du processus de transmission de ce spectacle hors catégorie, des auditions jusqu’à la première représentation à Avignon. Au travers de ce passage de relais, grâce à la puissance du spectacle, émouvant, réaliste et savamment parsemé d’humour, on découvre et comprend la mécanique des agresseur.e.s, le déni de l’entourage, et la capacité des humain.e.s à se relever quoiqu’il arrive. On assiste également à la naissance d’une comédienne talentueuse, Déborah Moreau, qui relève ce défi artistique avec talent et détermination !
Lecture
Le samedi 9 septembre lors du VERNISSAGE RENCONTRES AVEC LES ARTISTES il y a eu la PRÉSENTATION ET LECTURE DE « Mon Secret » DE NIKI DE SAINT PHALLE Visite commentée, rencontres et discussions privilégiées avec les artistes présents, à partir de 14h. Présentation de la ré-édition du livre « Mon Secret », de Niki de Saint Phalle, par Ariana Saenz Espinoza et Christine Villeneuve, co-édité par les éditions Le rayon blanc et les éditions des femmes-Antoinette Fouque, à partir de 18h30, suivi d’une lecture d’extraits de l’ouvrage.
Informations pratiques
GALERIE MARGUERITE MILIN 11 rue Charles-François Dupuis 75003 Paris OUVERTE TOUS LES JOURS DU MARDI AU SAMEDI DE 12h à 19h et sur RDV www.margueritemilin.com galeriemargueritemilin@gmail.com mdeparisyafil@gmail.com
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Mardi 12 septembre, sur le site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France à Paris, a eu lieu la cérémonie d’annonce des lauréats de la 34e édition duPraemium Imperiale, « Nobel des arts ». Vija Celmins (États-Unis) a été choisie dans la catégorie Peinture, tandis qu’Olafur Eliasson (Danemark, Islande) s’illustre dans la catégorie Sculpture. Dans la catégorie Musique, Wynton Marsalis (États-Unis) a été sélectionné. Diébédo Francis Kéré (Burkina Faso, Allemagne) brille dans la catégorie Architecture et Robert Wilson (États-Unis) remporte la catégorie Théâtre-Cinéma. Le Prix d’encouragement pour les jeunes artistes a quant à lui été remis à deux programmes américains, la Harlem School of Arts de New York et au Rural Studio d’Alabama.
Un des prix artistiques internationaux les plus prestigieux
Chaque lauréat reçoit la somme de 15 millions de yens (soit environ 96 000 euros), un diplôme et une médaille remis à Tokyo, le 18 octobre prochain, par Son Altesse Impériale le prince Hitachi, oncle de l’empereur Naruhito du Japon et parrain d’honneur de la Japan Art Association, la plus ancienne fondation culturelle du Japon. Le Praemium Imperiale, surnommé le « Nobel des arts », compte parmi les plus prestigieux prix artistiques internationaux. Il a été créé en 1988 par la Japan Art Association et distingue chaque année, grâce au mécénat du groupe media Fujisankei, des artistes ou collectifs dans les domaines de la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique, le théâtre et le cinéma. Six comités internationaux élaborent une liste d’artistes qui est soumise ensuite à un jury japonais qui procède à la sélection finale. Les lauréats sont choisis « pour leurs réalisations artistiques, leur rayonnement international et parce qu’ils ont contribué, par leur œuvre, à enrichir l’humanité », explique le Praemium Imperiale dans un communiqué. En tout, le palmarès compte 170 artistes. On y retrouve Christo, Niki de Saint Phalle, Norman Foster, Frank Gehry, Pierre Soulages, David Hockney, Anish Kapoor, Sebastião Salgado ou encore Ai Weiwei.
Des lauréats sensibles à la fragilité et à la beauté de la Nature
Cette année, plusieurs lauréats font la part belle à la beauté et à la fragilité de la Nature. Composées de nuances infinies de noirs, blancs et gris, les peintures et dessins de Vija Celmins représentent méticuleusement le monde naturel et nous emmènent vers des espaces inconnus. Après avoir commencé dans l’expressionnisme abstrait, l’artiste plasticienne américaine abandonne la couleur pour une palette monochrome. Ses œuvres sont conservées dans de prestigieuses collections comme le Museum of Modern Art (MoMA) à New York et la Tate Modern à Londres et ont été exposées au Centre Pompidou à Paris ou encore au Ludwig Museum à Cologne.
Olafur Eliasson exploite quant à lui les éléments naturels (tels que la couleur, la lumière, l’eau et la glace) pour réaliser des œuvres qui invitent à la méditation et qui modifient notre perception pour « éveiller les consciences tout en créant l’émerveillement », précise le Praemium Imperiale. Sculptures, installations, peintures, photographies, vidéos… Bien qu’il prenne différentes formes, le travail de l’artiste peut être éphémère, mais non moins poétique, et prend vie à travers le regard du visiteur. « L’art éphémère a d’autant plus besoin de l’observateur qu’il a très peu de réalité concrète – juste de la lumière, de l’air, du mouvement, ou quelque chose d’intangible, décrit Olafur Eliasson. La présence des spectateurs devient donc plus importante encore : ces derniers complètent l’œuvre en coproduisant l’expérience. » En 2003, il a représenté le Danemark à la Biennale de Venise et a marqué les esprits avec son soleil géant dans le Turbine Hallà la Tate Modern de Londres, qui a connu un succès international et a attiré plus de deux millions de visiteurs.
Diébédo Francis Kéré met quant à lui l’innovation au service d’un projet visant à accroître le bien-être des communautés. L’architecte burkinabé s’engage en faveur de la justice sociale et estime que « même les plus dépourvus ont droit au confort et à la beauté », déclare-t-il au journal « Le Monde ». Il associe savoir-faire artisanal africain et design moderne pour réaliser ses bâtiments. Diébédo Francis Kéré a reçu le Prix Aga Khan d’Architecture en 2004 pour son École primaire de Gando et a été le premier architecte africain à remporter le prix d’architecture Pritzker, en 2022.
En plus d’être l’auteur de productions théâtrales les plus marquantes de ces dernières décennies (par leurs décors travaillés, d’étonnants éclairages et des chorégraphies radicales), Robert Wilson travaille également le dessin, la sculpture, le verre ou encore la photographie et crée ainsi des œuvres expérimentales où dialoguent les arts visuels et les arts vivants. Lauréat du Lion d’or de la Biennale de Venise, le metteur en scène et plasticien a déjà été honoré à maintes reprises et est notamment membre de l’Académie américaine des Arts et des Lettres ainsi que de l’Académie des arts de Berlin.
Lu sur connaissance des arts
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1-Jacobus Vrel, Femme saluant un enfant à la fenêtre Huile sur bois. – 45,7 × 39,2 cm Paris, Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, inv. 174
EXPOSITION À LA FONDATION CUSTODIA Après une étape initiale au Mauritshuis de La Haye, la Fondation Custodia accueille du jusqu' au 17 septembre 2023 l’exposition Jacobus Vrel. Énigmatique précurseur de Vermeer. Cet évènement se tient en parallèle de l’exposition Rein Dool. Les dessins, présentée auparavant au Dordrechts Museum.
Ce dernier se devait d’être présent dans les salles de la « maison de l’art sur papier » ainsi que Ger Luijten, regretté directeur, aimait à décrire la Fondation. En outre, la Fondation Custodia propose une immersion dans le Siècle d’or hollandais afin de mettre en relief l’originalité de Vrel : un choix de tableaux, de dessins et de gravures issus de sa propre collection est complété par de très beaux prêts de la Alte Pinakothek de Munich, du Mauritshuis, du Rijksmuseum et d’autres musées allemands et néerlandais.
Présentation
Cette première présentation monographique consacrée au peintre rassemble ses oeuvres majeures disséminées dans les plus grands musées – Amsterdam, Bruxelles, Détroit, Munich, Vienne… – et dans de prestigieuses collections particulières. On y voit aussi, bien entendu, l’une des scènes de genre les plus connues et surprenantes du peintre qui est conservée à la Fondation Custodia.
L’étape parisienne de l’exposition est très différente de celle du Mauritshuis car la sélection d’oeuvres de Jacobus Vrel a été enrichie de neuf tableaux et de l’unique dessin connu de l’artiste.
Fondation Custodia Jacobus Vrel – Scène de rue avec un homme – pierre noire, encadrement à la plume et encre brune
Ressemblance ?
À première vue, rien ne semble relier Jacobus Vrel au célèbre Johannes Vermeer hormis leurs initiales « JV ». Pourtant, nombre de leurs tableaux partagent un même calme contemplatif, le rôle central joué par des figures féminines et, bien souvent, un certain mystère. Ainsi, beaucoup d’oeuvres de Jacobus Vrel furent longtemps attribuées à Vermeer. Inconnues du grand public, elles intriguent et fascinent les historiens d’art depuis plus d’un siècle. Qui était donc ce mystérieux peintre du XVIIe siècle hollandais ?
Rien n’est connu de la vie de Jacobus Vrel. Seul un de ses tableaux porte une date : « 1654 », que l’on peut lire dans la partie gauche de la Femme à la fenêtre de Vienne, juste après le nom « J. Frel » [fig. 2]. Ici, la signature de Vrel ne se détache pas sur le blanc d’un morceau de papier tombé sur le sol de la composition, contrairement à la majorité de ses scènes d’intérieur. Car Jacobus Vrel a signé ou monogrammé presque toutes ses oeuvres connues. Étrangement – mais tout semble étrange chez Vrel – il orthographie son patronyme de façons très variées : « J. Frel », comme à Vienne, « Vrel », « Vrell », « Vrelle », voire « Veerlle ». Dans l’intérieur d’église et la Vieille femme lisant [fig. 6], il donne également son prénom en toutes lettres : « Jacobüs Vreel ».
On ne connaît que quarante-cinq oeuvres de sa main : un unique dessin et quarante-quatre tableaux, tous peints sur panneaux de bois. Le catalogue raisonné établi par l’équipe scientifique internationale qui a porté ce projet les a tous répertoriés dans la monographie consacrée à Jacobus Vrel, publiée au printemps 2021. L’étape parisienne de l’exposition présente le dessin et vingt-deux de ces tableaux, soit plus de la moitié de la production connue de l’artiste.
En dehors de ses oeuvres, on ne dispose que d’un seul document contemporain mentionnant le peintre. Il est d’une grande importance car il nous informe que trois tableaux de Vrel se trouvaient dans une prestigieuse collection de peintures du XVIIe siècle. Il s’agit de celle de l’archiduc Leopold Wilhelm, gouverneur des Pays-Bas du Sud (l’équivalent de l’actuelle Belgique) alors sous la tutelle de l’Espagne des Habsbourg. Lorsque s’achevèrent ses fonctions à Bruxelles, l’archiduc rentra à Vienne et y fit envoyer sa vaste collection. C’est là qu’un inventaire détaillé fut rédigé en 1659 où l’on trouve « Deux pièces de même format à l’huile sur bois, dans l’une une cheminée hollandaise auprès de laquelle est assise une femme malade, et dans l’autre une femme qui regarde par la fenêtre. […] Originaux de Jacob Frell. » et plus loin « Une huile sur bois, où l’on voit deux paysans et une paysanne. Par Jakob Fröll ». Dans l’inventaire aussi, le nom du peintre fut donc orthographié de deux manières différentes.
Tableaux identifiés
Les deux premiers tableaux furent facilement identifiés dès la fin du XIXe siècle comme étant celui du Kunsthistorisches Museum de Vienne [fig. 2] – dont le coeur est justement constitué de la fameuse collection de Leopold Wilhelm – et son pendant vendu par le musée et aujourd’hui dans la Leiden Collection à New York. Le troisième tableau avait en revanche été perdu de vue et c’est l’une des nouveautés apportées par le projet de recherches mené pour l’exposition que d’avoir permis l’identification du seul paysage connu de la main de Jacobus Vrel [fig. 3]. Il est lui aussi conservé au musée de Vienne mais était depuis le XVIIIe siècle attribué à l’artiste Johannes Lingelbach (Francfort 1622 – 1674 Amsterdam). Si l’absence d’information sur le peintre – en dépit de ces trois oeuvres dans la collection de Leopold Wilhelm – n’avait pas suffi à rendre perplexes les historiens de l’art, les tableaux de Jacobus Vrel les ont aussi mis à l’épreuve. Ils sont en effet difficiles à placer au sein de la production picturale hollandaise. Ses vues de rues semblent offrir une plongée dans la vie urbaine des Pays-Bas du XVIIe siècle, mais elles intriguaient par leurs architectures inclassables. Dans la Scène de rue animée acquise récemment par la Alte Pinakothek de Munich, la gamme monochromatique et les accents géométriques paraissent même d’une étonnante modernité [fig. 4].
4- Jacobus Vrel, Scène de rue animée Huile sur bois. – 39 × 29,3 cm Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Alte Pinakothek, inv. 16502
De plus, ces représentations n’ont pas d’équivalent dans la peinture de vues de villes, un genre qui se développe surtout dans la seconde moitié du Siècle d’or. Vrel choisit en effet de dépeindre des ruelles anonymes avec des personnages simples – ni riches, ni pauvres – contrairement à ses confrères [fig. 5].
5- Jacobus Vrel, Scène de rue, femme assise sur un banc Huile sur bois. – 36 × 27,5 cm Amsterdam, Rijksmuseum, inv. SK-A-1592
Quant aux scènes d’intérieur peintes par Vrel, elles sont également difficiles à ordonner dans l’art hollandais. Ces pièces vides d’objet – à l’exception du morceau de papier au sol qui porte sa signature, délimitées par des murs tout aussi vides et une fenêtre derrière laquelle on distingue une pâle figure d’enfant émergeant de l’obscurité, sont sans équivalent dans l’art de son siècle [fig. 1 et 6].
6-Jacobus Vrel, Vieille femme à sa lecture, un garçonnet derrière la vitre
Huile sur bois. – 54,5 × 40,7 cm The Orsay Collection
Scènes de genre hollandaises
D’autres intérieurs, plus proches sans doute des scènes de genre hollandaises auxquelles nous sommes accoutumés, s’en distinguent cependant par leurs figures féminines vues de dos, dont l’expression échappe au spectateur, comme dans les compositions de Vienne [fig. 3], de Bruxelles et de Lille. Dans le très beau tableau de Détroit [fig. 7], un garçonnet observe par une porte à deux battants un ailleurs qui demeure hors-champ tandis qu’une femme cherche des poux dans la chevelure d’une fillette et se détache sur un grand pan de mur vide d’une audacieuse modernité.
7-Jacobus Vrel, Intérieur, femme peignant une fillette, un garçon près de la porte Huile sur bois. – 55,9 × 40,6 cm Détroit, The Detroit Institute of Arts, don de The Knoedler Galleries, 1928, inv. 28.42
La palette restreinte, la sobriété et le silence qui se dégagent de ces scènes ont bien souvent fait comparer Jacobus Vrel au peintre danois Vilhelm Hammershøi (1864 – 1916). C’est certainement le caractère intemporel de ses oeuvres qui attira Jean Clair au début de sa brillante carrière consacrée à l’art du XXe siècle. Son article de 1968 « Jacobus Vrel, un Vermeer du pauvre » est l’une des analyses les plus fines du travail du peintre « chroniqueur des petites gens des villes ». Constatant combien Vrel se distingue de ses confrères hollandais, Jean Clair montre que ses choix formels se rapprochent de ceux de Vermeer : aucune perspective plongeant dans les rues environnantes, dans des enfilades et des pièces qui s’emboîtent. Enfin, Jean Clair insiste très justement sur le refus de Vrel de « se laisser enfermer dans un réalisme étroit » permettant ainsi aux spectateurs d’accéder à une forme de « ravissement intemporel ».
Le projet international de recherche : La Haye – Munich – Paris
C’est pour tenter de percer le mystère de Jacobus Vrel que la Alte Pinakothek de Munich, la Fondation Custodia et le Mauritshuis ont uni leurs forces et entrepris un projet de recherche international dès 2018. L’exploration des archives confiée à Piet Bakker, l’un des grands spécialistes néerlandais dans ce domaine, n’a hélas livré aucune information sur les lieux de naissance et de décès ni sur l’activité du peintre. En revanche, les analyses dendrochronologiques mises en oeuvre pour ce projet (c’est-à-dire la datation des panneaux de bois sur lesquels sont peints les tableaux) ont établi que Vrel avait créé ses premières vues de villes autour de 1635 et ses scènes d’intérieurs vers 1650. Cela en fait donc, non pas un suiveur comme on l’a longtemps présumé, mais bien un précurseur de Vermeer. Vrel était généralement placé dans l’école de Delft, mais il convient désormais de l’imaginer actif dans l’est des Pays-Bas. Les historiens de l’urbanisme et de l’architecture Boudewijn Bakker et Dirk Jan de Vries ont montré que certaines des vues de villes peintes par Vrel – comme le tableau de Hambourg [fig. 8] –présentent des éléments qui sont tirés de la topographie et des bâtiments de la ville de Zwolle, charmante cité où naquit le grand peintre Gerard ter Borch (1617 – 1681). C’est peut-être ce dernier qui fut le lien entre Vrel et Vermeer car un document d’archive atteste que Ter Borch et Vermeer se connaissaient.
Jacobus Vrel et le Siècle d’or hollandais
Afin de mieux faire comprendre l’originalité des oeuvres de Jacobus Vrel, la Fondation Custodia consacre trois salles de son exposition aux contemporains hollandais du peintre qui ont traité des sujets similaires : vues de villes et scènes de genre. Si les représentations urbaines de Vrel n’ont pas d’équivalent dans l’art des Pays-Bas, il est pourtant le premier peintre du Siècle d’or à avoir choisi pour sujet des vues de rues et de bâtiments sans aucun événement historique ou marquant. C’est un type de peintures qui allait connaître un développement important dans la seconde moitié du XVIIe siècle avec des artistes qui se spécialisent dans ce genre comme Jan van der Heyden (1637 – 1712) ou les frères Gerrit (1638 – 1698) et Job Berckheyde (1630 – 1693). De ce dernier, l’exposition montre un tableau évoquant les canaux bordés d’arbres de la ville de Haarlem prêté par le Mauritshuis. De la fabuleuse collection du musée de La Haye vient aussi la Vue d’un marché par Egbert van der Poel (1621 – 1664), un artiste qui, comme Vrel, se spécialise dans les représentations urbaines et les scènes de genre.
10- Pieter Janssens, dit Elinga (1623 – 1682), Femme à sa lecture, vers 1665-1670 – Huile sur toile. – 75,5 × 63,5 cm Munich, Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Alte Pinakothek, inv. 284
Les vues de villes furent aussi très prisées des dessinateurs hollandais et plusieurs feuilles remarquables de la Fondation Custodia et du Rijksmuseum mettent leur art en lumière. Le visiteur de l’exposition saisira ainsi combien les ruelles peintes par Jacobus Vrel tiennent une place à part dans la production néerlandaise. En revanche, lorsqu’il dépeint des intérieurs, Vrel fait appel à un répertoire de motifs déjà bien en place dans l’art hollandais. Ses figures de femmes cuisinant, cousant, au chevet d’une malade ou s’occupant d’enfants ont de nombreux parallèles, comme le montre l’exposition. Pour évoquer les artistes Esaïas Boursse (1631 – 1672) et Quiringh van Brekelenkam (après 1622 – après 1669) [fig. 9], les peintures de la Fondation Custodia sont complétées par les généreux prêts du Rijksmuseum, du musée de Bonn et de la Alte Pinakothek de Munich. Cette dernière envoie également à Paris son magnifique tableau de Pieter Janssens, dit Elinga (1623 – 1682) [fig. 10] dont les intérieurs peuplés de figures féminines invitent à une même rêverie que ceux de Vrel.
11- Gerard ter Borch (1617 – 1681)- La Chasse aux poux, vers 1652-1653 Huile sur bois. – 33,2 × 28,7 cm La Haye, Mauritshuis, acquis avec le soutien de la Vereniging Rembrandt, inv. 744
Quant au Mauritshuis, il a accepté de prêter l’un de ses tableaux iconiques de Gerard ter Borch (1617 – 1681) : La Chasse aux poux [fig. 11] normalement exposé dans la salle des Vermeer à La Haye. On y retrouve le thème de l’épouillage maternel de la composition de Vrel conservée à Détroit [fig. 7] mais traité par Ter Borch de façon plus intimiste avec une attention toute particulière accordée aux expressions des visages et à la description des étoffes.
Les arts graphiques ne sont pas en reste pour cet éloge du quotidien que les artistes hollandais du XVIIe siècle ont offert à la postérité. La Fondation Custodia est riche de dessins de Rembrandt évoquant la vie des femmes, probablement à l’origine conservés par le maître dans un album consacré à ce thème. On peut admirer le plus beau d’entre eux – unanimement reconnu comme l’une des feuilles majeures de l’artiste. Rembrandt y représente sa femme, Saskia, alitée, sans doute pendant l’une de ses grossesses [fig. 12]. Le motif de la malade allongée dans un lit
12.-Rembrandt Harmensz van Rijn, dit Rembrandt (1606 – 1669) Intérieur avec Saskia alitée, vers 1640-1641 Plume et encre brune, lavis brun et gris, corrections à la gouache blanche. – 142 × 177 mm Paris, Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, inv. 266
Aux côtés des dessins et gravures sélectionnés dans la collection de la Fondation Custodia sont exposés de nombreux prêts du Rijksmuseum, comme la série de la graveuse Geertruydt Roghman (1625 – 1651) qui présente de frappantes similarités avec certaines scènes de Vrel [fig. 13].
13- Geertruydt Roghman (1625 – 1651) Une femme nettoyant des ustensiles de cuisine Gravure au burin. – 213 × 171 mm Amsterdam, Rijksmuseum, Rijksprentenkabinet, don de F. G. Waller, Amsterdam, inv. RP-P-1939-571
On peut aussi admirer le dessin dans lequel une femme vue de dos se penche par l’ouverture d’une porte à deux battants [fig. 14], un motif très prisé par Vrel. Longtemps attribuée à Rembrandt, cette feuille est aujourd’hui donnée à Nicolaes Maes (1634 – 1693), l’un de ses brillants élèves qui, lui aussi, a bien souvent représenté des femmes dans l’intimité de leur foyer ainsi que l’attestent d’autres dessins exposés de l’artiste.
Renseignements pratiques
Fondation Custodia 121, rue de Lille – 75007 Paris
www.fondationcustodia.fr
Heures d’ouverture Durant les périodes d’exposition : tous les jours sauf le lundi, de 12h à 18h
Le billet d’entrée donne droit à la visite des 2 expositions
Transports Métro Assemblée Nationale (ligne 12) ou Invalides (lignes 8 et 13, RER C) Bus 63, 73, 83, 84, 94 : Assemblée Nationale
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Jusqu'au 8 janvier 2024, Le Louvre invite le musée de Capodimonte, de Naples Plus de soixante-dix des plus grands chefs-d’oeuvre du musée napolitain sont exposés dans trois lieux différents du Louvre Commissariat général : Sébastien Allard, directeur du département des Peintures du musée du Louvre et Sylvain Bellenger, directeur du musée de Capodimonte. Commissariat scientifique : Charlotte Chastel-Rousseau, conservatrice en chef au département des Peintures, Dominique Cordellier, conservateur général au département des Arts graphiques, musée du Louvre et Patrizia Piscitello, conservatrice de la collection Farnèse et des collections de peintures et de sculptures du XVIe siècle, Allessandra Rullo, directrice du département des Collections, conservatrice des peintures et des sculptures des XIIIe-XVe siècles, Carmine Romano, conservateur, responsable de la numérisation et du catalogue numérique des oeuvres, Museo e Real Bosco di Capodimonte.
Jusqu'au 8 janvier 2024, Le Louvre invite le musée de Capodimonte, de Naples Plus de soixante-dix des plus grands chefs-d’oeuvre du musée napolitain sont exposés dans trois lieux différents du Louvre Commissariat général : Sébastien Allard, directeur du département des Peintures du musée du Louvre et Sylvain Bellenger, directeur du musée de Capodimonte. Commissariat scientifique : Charlotte Chastel-Rousseau, conservatrice en chef au département des Peintures, Dominique Cordellier, conservateur général au département des Arts graphiques, musée du Louvre et Patrizia Piscitello, conservatrice de la collection Farnèse et des collections de peintures et de sculptures du XVIe siècle, Allessandra Rullo, directrice du département des Collections, conservatrice des peintures et des sculptures des XIIIe-XVe siècles, Carmine Romano, conservateur, responsable de la numérisation et du catalogue numérique des oeuvres, Museo e Real Bosco di Capodimonte.
Présentation
Réaffirmant l’importance des collaborations entre les institutions muséales européennes, le musée du Louvrea noué pour l’année 2023 un partenariat d’une envergure inédite avecle musée de Capodimonte.
Chefs d’oeuvre
Ancienne résidence de chasse des souverains Bourbon, le palais (la Reggia en italien) abrite aujourd’hui l’un des plus grands musées d’Italie et l’une des plus importantes pinacothèques d’Europe, tant par le nombre que par la qualité exceptionnelle des oeuvres conservées. Capodimonte est l’un des seuls musées de la péninsule dont les collections permettent de présenter l’ensemble des écoles de la peinture italienne. Il abrite également le deuxième cabinet de dessins d’Italie après celui des Offices ainsi qu’un ensemble remarquable de porcelaines.
Une ambitieuse programmation culturelle donne à cette invitation, au-delà des salles du musée, les dimensions d’une véritable saison napolitaine à Paris.
« En 2023, les plus beaux chefs-d’oeuvre du musée de Capodimonte dialogueront avec ceux du Louvre, au sein même du musée, dans le cadre d’un dispositif inédit. Une programmation musicale et cinématographique foisonnante viendra enrichir cette invitation pour définitivement installer Naples à Paris pendant près de six mois. Palais royaux transformés en musées, riches de collections héritées des plus grands souverains, symboles des liens historiques entre la France et l’Italie, le Louvre et Capodimonte ont beaucoup à partager et à dire. Je veux sincèrement remercier Sylvain Bellenger, Directeur du musée de Capodimonte, qui en confiance et amitié nous fait le grand honneur d’accepter notre invitation. Cette collaboration exceptionnelle et exclusive, illustre parfaitement l’élan européen et international que je souhaite pour le Louvre. », déclare Laurence des Cars
UN DISPOSITIF EXCEPTIONNEL
Salon Carré, Grande Galerie et salle Rosa (Aile Denon, 1er étage)
La volonté des deux musées est de voir les insignes chefs-d’oeuvre de Naples se mêler à ceux du Louvre, dans une présentation véritablement exceptionnelle : la réunion des deux collections offre pendant six mois aux visiteurs un aperçu unique de la peinture italienne du XVe au XVIIe siècle, permettant également une vision nouvelle tant de la collection du Louvre que de celle de Capodimonte.
Trente-et-un tableaux de Capodimonte, parmi les plus grands de la peinture italienne, dialoguent avec les collections du Louvre (oeuvres de Titien, Caravage, Carrache, Guido Reni pour n’en citer que quelques-uns), soit les compléter en permettant la présentation d’écoles peu ou pas représentées – notamment bien sûr, la singulière école napolitaine, avec des artistes à la puissance dramatiques et expressives tels que Jusepe de Ribera, Francesco Guarino ou Mattia Preti.
Sébastien Allard, « l’une des premières tentatives de l’histoire de l’art pour rendre la vision perspective da sotto in sù ».
Cela est aussi l’occasion de découvrir la bouleversante Crucifixion de Masaccio, artiste majeur de la Renaissance florentine mais absent des collections du Louvre, un grand tableau d’histoire de Giovanni Bellini, La Transfiguration,
dont le Louvre ne possède pas d’équivalent ou encore trois des plus magnifiques tableaux de Parmigianino, dont la célèbre et énigmatiqueAntea. La confrontation de ces oeuvres avec les Corrège du Louvre promet assurément d’être l’un des moments forts de cette réunion.
PRESENTATION DU MUSEE DE CAPODIMONTE Par Sylvain Bellenger
L’exposition Naples à Paris, Le Louvre invite le Musée de Capodimonte est une première dans l’histoire des expositions. Le sujet de l’exposition n’est ni un artiste ni un mouvement, ni même un pays, mais un musée. Le musée, on le sait depuis longtemps, et chaque jour d’avantage, n’est pas un simple contenant mais bien un acteur de l’histoire. Ses collections constituent un grand récit, avec l’exposition ce récit se transforme en dialogue, des oeuvres se rencontrent et racontent le Musée, les deux musées.
La rencontre est d’autant plus forte que l’invitation faite à Capodimonte, pendant la fermeture de ses galeries pour de grands travaux, est de s’exposer non pas isolé, mais en compagnie des collections italiennes du Louvre, dans la Grande Galerie, le Salon Carré, la salle Salvator Rosa et la salle de la Chapelle, les lieux les plus historiques et les plus illustres du musée, ainsi que dans la salle de l’Horloge. Le choix des oeuvres a été fait pour solliciter cette rencontre qui porte un éclairage nouveau sur les oeuvres mais aussi sur la collection, son esprit, son histoire.
Des histoires qui se ressemblent
L’histoire de Capodimonte est indissociable de l’histoire du royaume de Naples comme l’histoire du musée du Louvre est indissociable de la Révolution française. La création du premier est liée à la création du royaume qui occupa toute la botte italienne comme la création du second résulte de la Révolution Française. Comme le Louvre, la Reggia di Capodimonte est un des rares palais royaux à être transformé en musée.
Mais Capodimonte a la particularité d’avoir été construit pour abriter des collections, celles de la famille Farnèse qu’Élisabeth Farnèse (1692-1766), reine consort d’Espagne par son mariage en 1714 avec Philippe V d’Espagne, le petit fils de Louis XIV, donne à son cinquième fils, Charles de Bourbon (1716-1788), duc de Parme et de Plaisance quand il devient roi de Naples en 1734.
Le royaume de Naples, antique Vice-Royaume espagnol et plus récemment Vice-Royaume autrichien fut l’enjeu de toutes les convoitises des grandes puissances européennes – l’Espagne, l’Autriche et la France – pendant les guerres de succession d’Espagne (1701-1714), puis celle de Pologne (1733-1738). Il devient, grâce à l’habileté diplomatique d’Élisabeth Farnèse un royaume indépendant gouverné jusqu’á l’Unité de l’Italie par les Bourbons de Naples, une branche cadette des Bourbons d’Espagne. Élisabeth, la dernière des Farnèse, grande famille de collectionneurs, qui depuis la Renaissance, avec le Cardinal Alexandre Farnèse, sous le Pontificat de Paul III Farnèse, avait constitué une des plus grandes collections d’antiques et d’oeuvres des grandes écoles italiennes (Venise, Bologne, Florence, Rome), commandités, hérités ou conquises, qui étaient abritées dans les grands palais familiaux, le palais Farnèse, la villa de Caprarola ou le palais de la Pilotta à Parme.
L’ensemble de cette fabuleuse collection familiale fut transporté à Naples, qui s’enrichit subitement d’une collection d’oeuvres d’art comparable à celle des grandes capitales européennes. Naples sous le règne de Charles de Bourbon devient une Capitale des Lumières que les découvertes des villes romaines d’Herculanum et de Pompéi activement promues par le nouveau pouvoir, met sur la carte du monde.
La traditionnelle vitalité de la vie musicale de la ville se développe avec la création du théâtre San Carlo, le premier théâtre d’opéra d’Europe et la création à Capodimonte d’une manufacture de porcelaine, un enjeu technologique d’avant-garde pour toute l’Europe du XVIIIe siècle qui fait de la capitale du nouveau royaume une des destinations principales du Grand Tour. Naples est alors, après Londres et Paris, la troisième ville d’Europe. La collection Farnèse est alors hébergée dans l’aile sud-ouest de la Reggia de Capodimonte, majestueuse construction située sur une des collines de la Ville, où est planté un énorme parc pour la chasse, passe-temps favori de tous les Bourbons. La collection devient une collection dynastique et Charles de Bourbon la laisse à Naples, à son fils Ferdinand IV, quand la mort de son demi-frère Ferdinand VI, en 1759, le fait monter, vingt-cinq ans après son intronisation napolitaine, sur le trône d’Espagne.
La collection Farnèse enrichie par tous les régimes politiques qui, de Joachim Murat, roi de Naples de 1808-1815, à la Maison de Savoie jusqu’à la République unitaire, dote Capodimonte d’une collection qui illustre bien au-delà de l’école napolitaine pratiquement toutes les écoles de la péninsules représentés au plus haut niveau.
En 1957, après la Seconde Guerre mondiale, Capodimonte restauré devient le Musée National de Capodimonte. La grande pinacothèque du Sud promeut de grandes expositions sur la civilisation napolitaine. En 2014, la réforme du ministre Franceschini rend le musée autonome de la Surintendance de Campanie et lui adjoint le parc royal, un jardin historique planté au XVIIIe et au XIXe siècle avec des essences qui sont souvent des cadeaux diplomatiques offerts au roi de Naples. Ce parc, le Bosco de Capodimonte, est le plus grand parc urbain d’Italie : outre la Reggia, il contient une vingtaine d’édifices qui sont placés sous la direction unique du nouveau site « Museo e Real Bosco di Capodimonte ».
Tous ces édifices font depuis 2017 partie d’un MasterPlan, qui leur attribue une destination, culturelle, éducative, sportive ou culinaire et qui entoure la grande pinacothèque d’un véritable campus culturel pluridisciplinaire : une Foresteria et Centre de recherche sur l’art et l’architecture des grandes cité portuaires, dans l’ancienne Capraia, une école de jardiniers dans l’Ermitage des Capucins, un musée de l’Arte Povera dans la Palazzina dei Principi, une école de digitalisation des biens culturels et des paysages, une Maison de la photographie, un centre de la santé et du bien-être, trois résidences d’artistes, une chapelle récemment dotée d’un décor de porcelaine réalisé par Santiago Calatrava dans les locaux même de la Manufacture Royale de porcelaine, aujourd’hui une école des métiers de la porcelaine,… L’entrée du parc est gratuite et sa récente restauration en fait un des lieux favoris des Napolitains.
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Jusqu'au 5 novembre 2023, la Fondation Cartier pour l’art contemporain invite le sculpteur australien Ron Mueck à exposer un ensemble d’oeuvres jamais montrées en France aux côtés d’oeuvres emblématiques de sa carrière.
Commissaire d’exposition : Hervé Chandès
Commissaire associé : Charlie Clarke
Chargée du projet d’exposition : Aby Gaye
Présentation
Né en 1958 à Melbourne et vivant au Royaume-Uni depuis 1986, Ron Mueck développe une oeuvre qui touche à l’universel et renouvelle profondément la sculpture figurative contemporaine. Il crée des oeuvres aux dimensions surprenantes et empreintes d’une inquiétante étrangeté. De nombreux mois, et parfois plusieurs années, lui sont nécessaires pour créer chacune de ses sculptures. Ron Mueck a réalisé en un peu plus de 25 ans un corpus de quarante-huit oeuvres, dont les dernières sont achevées au printemps 2023 pour l’ouverture de l’exposition.
L’exploration d’un nouveau processus de création
Mass 2017
Par son échelle et sa facture, l’installation monumentale Mass marque un nouveau jalon dans la carrière de Ron Mueck. Cette oeuvre commandée par la National Gallery of Victoria (Melbourne, Australie) en 2017, est la plus grande qu’il ait jamais réalisée. Composée de cent gigantesques crânes humains, Mass est reconfigurée par l’artiste en fonction de l’espace pour chaque présentation. Elle offre une expérience physique et psychique fascinante qui nous amène à contempler les notions fondamentales de l’existence humaine. Son titre donne à lui seul une idée de la polysémie de l’oeuvre. Le mot anglais « mass », signifiant à la fois un amas, un tas, une foule mais aussi une messe, est une source d’interprétations propres à chaque visiteur. L’iconographie du crâne, elle-même, est ambigüe. Si l’histoire de l’art l’associe à la brièveté de la vie humaine, elle est aussi omniprésente dans la culture populaire.
Pour l’artiste, « le crâne humain est un objet complexe, une icône puissante, graphique, que l’on identifie immédiatement. Familier et étrange à la fois, il rebute autant qu’il intrigue. Il est impossible à ignorer, accaparant inconsciemment notre attention ».
Les crânes se présentent comme un groupe, une somme d’individus qui s’impose au visiteur. En cela, Mass se distingue des précédentes oeuvres de Ron Mueck qui avait, jusqu’alors, toujours représenté l’être humain dans son individualité.
Également exposé pour la première fois en France, Dead Weight (2021), un crâne en fonte de près de deux tonnes, contraste avec ses oeuvres habituellement naturalistes. Les traces du moulage de cette sculpture demeurent, l’artiste ayant volontairement laissé les marques de sa fabrication et la nature brute du matériau parler d’elles-mêmes.
Le film
Ce nouveau procédé lui permet également de raconter de nouvelles histoires, de traiter des sujets différents, tels que des personnages en groupes et même en action. En les libérant d’une abondance de détails réalistes, Ron Mueck traduit d’une manière plus directe la dynamique qui les anime. Un court film réalisé par le photographe français Gautier Deblonde dans l’atelier de l’artiste documente la création de ses deux oeuvres les plus récentes et est diffusé sur les plateformes digitales de la Fondation Cartier.
Trois oeuvres emblématiques des années 2000
Pour Baby (2000), minuscule sculpture d’un petit garçon qui vient de naître, Ron Mueck a pris pour modèle une image trouvée dans un manuel de médecine montrant un bébé tenu en l’air par les pieds quelques minutes seulement après l’accouchement. Aux antipodes de l’installation Mass, évocation du corps post-mortem, cette minutieuse représentation des premiers instants de la vie attire tout aussi intensément l’attention. En inversant l’image originale et en accrochant la sculpture au mur à la manière d’un crucifix, l’artiste présente tout d’abord son oeuvre telle une icône religieuse. Mais en l’observant de plus près, le visiteur est transpercé par le regard presque insolent du bébé.
Man in a boat (2002)
Man in a boat (2002) représente une scène particulièrement mystérieuse. Un homme dont les bras cachent la nudité est assis à la proue d’une longue barque et se penche en avant, le regard interrogatif ou scrutateur. Comme souvent chez Ron Mueck, ce personnage semble « se retirer ou dériver dans des états intérieurs qui nous sont à peu près inaccessibles », selon les mots du critique d’art Justin Paton.
Man in a boat 2002
A Girl (2006),
Avec A Girl (2006), le visiteur se retrouve face à un gigantesque nouveau-né, qui porte son premier regard sur le monde. Maculé de traces de sang, le cordon ombilical toujours présent, son corps est encore marqué par l’expérience de l’accouchement. L’artiste joue sur une impressionnante distorsion d’échelle pour évoquer à la fois le miracle et l’épreuve de la naissance, instant oublié et pourtant fondamental pour chacun d’entre nous.
Girl 2006
Les oeuvres de Ron Mueck, à la fois profondément mystérieuses et réalistes à l’extrême, font surgir le rêve dans le réel et nous invitent à nous confronter à notre rapport au corps et à l’existence.
Three Dogs 2023
L’exposition dévoile également une spectaculaire sculpture représentant un groupe de chiens menaçants, créée spécialement pour l’occasion, dont Ron Mueck nourrissait déjà le projet lorsqu’il préparait son exposition monographique à la Fondation Cartier en 2013.
La forme et le mouvement
Mass marque également un tournant dans la carrière de Ron Mueck, l’expression de son ouverture à de nouvelles manières de sculpter. Depuis la création de celle-ci, l’artiste s’éloigne de sa pratique antérieure qui s’attachait à reproduire sur ses sculptures le grain de la peau, l’implantation des cheveux, les détails des vêtements, agençant les matériaux pour obtenir un effet de réel saisissant. En se focalisant désormais sur la forme, la composition et le mouvement, Ron Mueck souhaite amener le visiteur au plus près de ses intentions et de l’essence de son travail.