Les derniers jours
jusqu’au’18 juillet 2016
Cette exposition est organisée par la Réunion des musées
nationaux – Grand Palais et la Fondation Calouste Gulbenkian.
Il n’y a probablement pas d’exemple aussi étonnant
, au XXe siècle, d’un artiste majeur tombé dans
l’oubli que celui d’Amadeo de Souza-Cardoso. (vidéo)
Au point que l’historien d’art américain Robert Loescher
l’a qualifié en 2000 comme
« l’un des secrets les mieux gardés du début de l’art moderne ».
Emporté à trente ans par l’épidémie de grippe espagnole,
après avoir quitté au début de la guerre cette avant-garde
parisienne dont il était l’une des figures les plus originales,
Amadeo est sorti des écrans radar et n’a conservé sa célébrité
que dans son propre pays. Il a pourtant eu le temps
de laisser une oeuvre étourdissante, à la fois en prise
avec toutes les révolutions esthétiques de son temps et ne
ressemblant à aucune autre.
Si l’on observe finement la chronologie de son compagnonnage
avec Amedeo Modigliani ou Constantin Brancusi,
c’est bien souvent lui qui fait figure d’inventeur de formes.
Amadeo de Souza-Cardoso est déjà au Grand Palais en 1912, exposant au Salon d’Automne Avant la Corrida, une toile qui figurera
ensuite à la célèbre exposition de l’Armory Show aux Etats-Unis en 1913.
Elle y est vendue immédiatement comme presque tous
les autres envois de l’artiste qui fait sensation.
C’est ainsi que plusieurs de ses chefs-d’oeuvre sont
conservés aujourd’hui aux Etats-Unis, en particulier à
l’Art Institute de Chicago.
La vie de Souza-Cardoso est courte et intense.
On distingue deux grandes périodes qui sont matérialisées
dans le parcours de l’exposition :
la période de Paris (1906-1914) et le retour à Manhufe,
Portugal (1914-1918).
Cependant, tout au long de sa vie artistique qui dure
un peu plus d’une décennie, Amadeo vit entre ces deux mondes :
il voyage, va et vient, éternel insatisfait, désireux d’être ailleurs,
manifestant une perpétuelle instabilité géographique.
Fils d’une famille traditionnelle de la riche bourgeoisie
rurale, Amadeo part pour Paris dans une situation financière
confortable, loin de la condition de boursier
qui est celle de nombre de ses compatriotes
– qu’il ne fréquente d’ailleurs sur place que
pendant une courte période.
Il fait ses adieux à sa mère en lui affirmant qu’il
lui faut accomplir son destin.
La ville qu’il découvre, centre euphorique de toutes
les ruptures, attire son attention sur les artistes
qui rompent avec les canons classiques. Amadeo participe,
lui aussi, à ce mouvement de rupture ;
il fait ses premiers pas dans cet univers
cosmopolite en développant un dialogue créatif
avec ses compagnons de travail : Modigliani, Brancusi, Archipenko,
le couple Delaunay, Otto Freundlich, Boccioni, entre autres,
et prend contact avec des agents artistiques, des éditeurs
ou des commissaires d’exposition, comme Walter Pach,
Wilhelm Niemeyer, Ludwig Neitzel, Herwald Walden,
Adolphe Basler, Harriet Bryant.
En 1908, lorsqu’il s’installe à la Cité Falguière (Montparnasse),
il se lie avec certains artistes qui, comme lui,
se situent en marge des mouvements programmatiques,
notamment Modigliani et Brancusi.
Le petit village de Manhufe au Nord du Portugal, imprègne
l’univers visuel d’Amadeo et se retrouve au long des multiples
étapes de son travail. Il ne s’agit pas seulement de paysages
ou de représentations de la nature ; ce lieu renferme ce
qu’Amadeo considère comme sien, un paysage naturel
mais aussi mental. Il intègre dans tout son processus créateur
ce qui pourrait être perçu comme des thèmes traditionnels :
objets du quotidien, paroles de chansons populaires et
poupées folkloriques, instruments de musique régionaux,
montagnes, forêts, châteaux imaginaires et intérieurs familiers.
Ces éléments sont représentés selon des solutions stylistiques où se combinent cubisme, futurisme, orphisme et expressionnisme.
Amadeo confronte des fragments du monde rural
et du monde moderne dans une même dynamique
et, sans hiérarchie, il opère une fusion entre sa région
d’origine et le vertige des machines, des mannequins
mécaniques, des fils télégraphiques et téléphoniques,
des ampoules électriques et des panneaux publicitaires,
des émissions de radio, des moulins à eau, des parfums,
du champagne…
Devenu urbain par choix, l’artiste garde le lien avec
le mouvement ondulatoire de ses montagnes, qu’il peint
à maintes reprises et qui servent de fond à des tableaux
de phases diverses. Et c’est d’ailleurs devant ces montagnes
qu’il trace son autoportrait, habillé en peintre,
à la manière du Greco.
La simple représentation, même augmentée par
les moyens du cubisme, ne lui suffira pas.
Il procède par représentation
et par « incorporation », ses oeuvres intégrant – notamment par collage –
de nombreux objets régionaux ou urbains.
Les lettres/mots, appliqués à l’aide de pochoirs en carton
ou en zinc (qu’il fait lui-même ou commande), sont autant de
nouveaux éléments de polysémie – références à la publicité industrielle
(Barrett, Wotan) et commerciale (Coty, Brut, 300, Eclypse)
mais sans rôle narratif ou illustratif dans la peinture.
Amadeo détourne les significations, ainsi que les
formes : ses disques chromatiques peuvent être des cibles
colorées ou des assiettes en faïence populaire sur lesquelles
tombent des insectes…
Curieusement, son histoire familiale rapporte que l’artiste
compose sa toute première peinture sur deux battants d’une armoire
de la salle à manger ; le très jeune Amadeo y reproduit, vers 1897,
les couvercles de boîtes à biscuits de la marque Huntley & Palmers.
Tous ces indices d’incorporation du monde nouveau dans son oeuvre
montre qu’Amadeo a une conscience aiguë de ce que signifie
« être moderne », qui se traduit non seulement dans ses
thèmes (exaltation de la mécanisation), mais aussi dans méthodes et
techniques ou encore dans sa volonté de se faire connaître
en promouvant personnellement son identité d’artiste.
Cette stratégie est mise en oeuvre très tôt avec
la publication d’une édition de ses XX Dessins et des 12 Reproductions,
et s’exprime encore dans l’emploi du tampon de sa signature.
Selon un parcours chrono-thématique, l’exposition réunit
environ 300 oeuvres : peintures, dessins, gravures,
photographies, ainsi qu’une sculpture et deux masques africains.
Parmi elles, quelques oeuvres d’artistes contemporains
d’Amadeo dont il fut proche comme Brancusi, Modigliani,
Robert et Sonia Delaunay.
Dans la rotonde un triptyque vidéo, commandé spécialement par la
Fondation Calouste Gulbenkian à l’artiste Nuno Cera, consacre les lieux chers à
Amadeo (Manhufe au Portugal, la Bretagne et Paris).
En dix ans, Amadeo de Souza-Cardoso a tracé une voie totalement
singulière dont la redécouverte en France, bien
tardive, ne devrait en être que plus saisissante.
Grand Palais
galeries nationales
entrée square Jean Perrin
(1887-1918)
commissaire : Helena de Freitas, historienne de l’art, Fondation Calouste Gulbenkian, Lisbonne
scénographie : Atelier Jodar Architecture
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