Lorenzo Lotto (1480-1556), L’adoration des bergers (1534, huile sur toile, 147 x 166 cm), Pinacoteca Tosio Martinengo, Brescia (Italie). Domaine public.
Le récit de la naissance de Jésus dans l’évangile de Luc.
Collège des Bernardins origine
Le texte biblique
Il advint aussi, en ces jours-là, que sortit un édit de César Auguste ordonnant de recenser tout le monde habité. Ce fut le premier recensement, Quirinius étant gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville. Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth vers la Judée, vers la ville de David qui s’appelle Bethléem, parce qu’il était de la maison et de la lignée de David, pour se faire recenser avec Marie promise pour être sa femme, laquelle était enceinte. Or il advint, comme ils étaient là, que furent accomplis les jours où elle devait enfanter. Et elle mit au monde son fils, celui qui fut son premier-né, et elle l’emmaillota et le coucha dans la mangeoire parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle. Il y avait dans la région même des bergers qui vivaient aux champs et qui passaient les veilles de la nuit à veiller leur troupeau. Et voici, l’ange du Seigneur se tint près d’eux et la gloire du Seigneur resplendit autour d’eux et ils furent saisis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit : Et soudain il y eut avec l’ange une multitude de l’armée céleste louant Dieu et disant : Et il advint, quand les anges les eurent quittés pour le ciel que les hommes, les bergers se disaient entre eux : Et ils vinrent en hâte et ils trouvèrent Marie et Joseph et le nouveau-né placé dans la mangeoire. Après avoir vu, ils firent connaître la parole qui leur avait été dite au sujet de cet enfant. Et tous ceux qui les entendirent s’étonnèrent de ce que leur disaient les bergers. Quant à Marie, elle conservait avec soin toutes ces paroles, conférant en son cœur. Et les bergers s’en retournèrent, glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu comme il leur avait été annoncé. |
Évangile selon saint Luc, chapitre 2, versets 1 à 20. Traduit du grec de la tradition byzantine par les équipes du programme de recherche La Bible en ses Traditions. |
La Fuite en Egypte Caravage
L’éclairage
La Nativité : naissance d’un tout petit enfant nommé Jésus |
À la veille de Noël, ce passage de l’évangile de Luc tombe à pic : il met en lumière la succession des scènes qui rythment l’événement de la Nativité. À vrai dire, on assiste même à tout un défilé de personnages et d’allers-retours.
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Fra Angelico Florence
« Entre le bœuf et l’âne gris », vraiment ?
La tradition chrétienne a largement popularisé de nombreux chants de Noël, parmi lesquels le célèbre « Entre le bœuf et l’âne gris » . Mais d’où viennent ce bœuf et cet âne ? Avez-vous relevé la mention de ces deux animaux dans le texte de l’évangile ?
Certes, la mention de la « mangeoire » dans laquelle Jésus est déposé situe la scène dans un décor où le bœuf et l’âne auraient toute leur place (puisqu’une mangeoire est par définition un grand récipient où est déposée la nourriture destinée aux animaux).
Mais autant le dire d’emblée : vous ne trouverez pas la moindre trace du bœuf et de l’âne dans les évangiles. Il s’agit purement et simplement d’une tradition, qui ne s’explique pas directement par le texte de l’évangile.
Mais pourquoi le bœuf et l’âne sont-ils parmi les personnages principaux des crèches de Noël ? La tradition populaire dit que l’haleine du bœuf et de l’âne servent à réchauffer le petit Jésus. C’est une belle invention qui découle en fait d’une exégèse antique. Car la référence au bœuf et à l’âne provient… du Livre d’Isaïe, dans l’Ancien Testament !
« Le bœuf connaît son possesseur ; et l’âne, la crèche de son maître :
Israël ne connaît pas, mon peuple ne réfléchit pas. » (Is 1,3)
Le prophète Isaïe reproche au peuple d’Israël de ne pas connaître ou reconnaître son Dieu — au contraire du bœuf et de l’âne qui, eux, connaissent leur maître.
Pour les Pères de l’Église, le bœuf et l’âne représentent symboliquement le peuple humble qui reconnaît son sauveur et son Dieu dans ce petit enfant posé dans une mangeoire.
Petit détour par le Livre du prophète Habacuc
Mais on peut aussi avancer une seconde explication. Dans la traduction grecque de la Bible (la Septante), un court verset du prophète Habacuc dit* :
- « Tu te manifesteras au milieu de deux animaux » (Ha 3,2 LXX)
Dès les premiers siècles de notre ère, les chrétiens ont donc interprété cette prophétie comme l’annonce de la naissance de Jésus.
Finalement, c’est à partir de références issues d’Isaïe ou d’Habacuc que la tradition chrétienne a symboliquement associé le bœuf et l’âne au récit de la naissance de Jésus, même si les évangiles n’en disent rien.
*Vous ne trouverez pas cette phrase telle quelle dans les traductions de l’hébreu, car ce verset dans la version hébraïque dit : « Au milieu des années, fais-la connaître » (Ha 3,2)
Un voyage à dos d’âne ?
Le duo de l’âne et du bœuf n’est donc pas mentionné dans le texte des évangiles. Mais l’âne seul tient, lui, une place toute particulière dans les représentations des deux récits autour de Noël où on retrouve la Sainte Famille… et un âne :
- Marie et Joseph viennent à Bethléem pour se faire recenser (Lc 2, 1-7). Or, ils viennent de loin (de Nazareth, 150 km plus au nord). Les peintres et les artistes ont souvent représenté ce voyage avec Marie à dos d’âne — même si rien ne le dit explicitement dans le texte.
- Dans l’évangile de Matthieu, le récit de la fuite en Égypte (Mt 2, 13-23) est souvent représenté comme un voyage à dos d’âne — même si, une fois de plus, le texte de l’évangile n’en dit rien !
En fait, dans l’Ancien Testament l’âne est l’animal royal par excellence. Ainsi, lors de son entrée à Jérusalem (fêtée par les Chrétiens lors du « dimanche des Rameaux »), Jésus arrive à dos d’âne, et ce détail fait écho à un passage prophétique du Livre de Zacharie qui annonce la venue du Messie sur une monture royale, alias à dos d’âne.
Bref, on se plaît chaque semaine à décrypter les habiles indices glissés dans les tableaux des peintres inspirés par les Écritures. Il faut savoir lire les images qui peuplent nos imaginaires non pas pour les « débunker », mais pour savoir d’où viennent certaines traditions et comment elles pointent vers une vérité plus profonde ! Ainsi, on pourra mieux apprécier les chefs-d’oeuvre, à l’image de ce tableau d’Aleksender Lauréus qui fait discrètement figurer trois personnages au second plan au fond à droit. L’âne au premier plan pointe vers le voyage qui commence ici mais qui mènera Jésus jusqu’à sa passion.
Aleksander Lauréus (1783-1823), Âne sellé (1820, huile sur toile, 25 x 33 cm), Pori Art Museum (Finlande). Domaine public.
Les moutons de la crèche
Pour finir ce numéro sur la présence des animaux autour de cet enfant qui naît à Bethléem, comment ne pas mentionner les moutons ou brebis ? Pour le coup, l’évangile de Luc parle des bergers qui viennent reconnaître et saluer cet enfant. On sait que les bergers surveillent leurs troupeaux (Lc 2,8), il y avait donc des brebis.
Encore une fois, il s’agit d’un détail symbolique. Dans le Proche-Orient ancien et l’Ancien Testament, le métier de berger a une connotation royale. L’un des textes les plus célèbres à cet égard est sans doute le psaume 23. Il s’agit d’un poème qui présente Dieu sous la figure d’un berger :
« Le Seigneur me fait paître, je ne manquerai de rien.
Il me fait reposer dans de verts pâturages.
Il me mène près des eaux rafraîchissantes, il restaure mon âme. » (Ps 23, 1-3)
La tradition des « moutons de la crèche » trouve d’ailleurs une magnifique interprétation :
- À la suite de leurs maîtres les bergers de Bethléem, les brebis et moutons viennent rendre visite à ce nouveau-né.
- Or Jésus lui-même se présentera en disant : « je suis le bon berger » (Jn 10, 11) et sa mort sur la croix reprend le modèle du sacrifice de l’agneau célébré par les Juifs lors de la fête de Pessah.
- Ainsi, les brebis (comme le bœuf et l’âne dans le Livre d’Isaïe) peuvent symboliser l’ensemble de la création qui vient reconnaître cet enfant comme son sauveur.
Finalement, ce ne sont pas seulement Marie, Joseph et les bergers qui entourent l’enfant dans la mangeoire de Bethléem, mais aussi les anges et les animaux. Autrement dit, toute la création se trouve réunie à la crèche pour célébrer la naissance du Christ !
Juan Bautista Maíno (1581-1649), L’adoration des bergers (vers 1614, huile sur toile, 314 cm x 174 cm), Musée du Prado, Madrid (Espagne). Domaine public.
Le mot de la fin
L’image du bœuf et de l’âne prenant place avec Marie et Joseph autour du
« petit Jésus » est devenue une tradition. Et le poète Jules Supervielle (1884-1960) fait partie de ceux qui ont donné à cette tradition toute sa puissance poétique.
« Sur la route de Bethléem, l’âne conduit par Joseph portait la Vierge : elle pesait peu, n’étant occupée que de l’avenir en elle. Le bœuf suivait, tout seul. Arrivés en ville, les voyageurs pénétrèrent dans une étable abandonnée et Joseph se mit aussitôt au travail.
“Ces hommes, songeait le bœuf, sont tout de même étonnants. Voyez ce qu’ils parviennent à faire de leurs mains et de leurs bras. Cela vaut certes mieux que nos sabots et nos paturons. Et notre maître n’a pas son pareil pour arranger les choses, redresser le tordu et tordre le droit, faire ce qu’il faut sans regret ni mélancolie.”
Joseph sort et ne tarde pas à revenir, portant sur le dos de la paille, mais quelle paille, si vivace et ensoleillée qu’elle est un commencement de miracle.
“Que prépare-t-on là ? se dit l’âne. On dirait qu’ils font un petit lit d’enfant«
“On aura peut-être besoin de vous cette nuit”, dit la Vierge au bœuf et à l’âne. […]
Une voix légère mais qui vient de traverser tout le ciel les réveille bientôt. Le bœuf se lève, constate qu’il y a dans la crèche un enfant nu qui dort et, de son souffle, le réchauffe avec méthode, sans rien oublier. D’un souriant regard, la Vierge le remercie. Des êtres ailés entrent et sortent feignant de ne pas voir les murs qu’ils traversent avec tant d’aisance. »
Jules Supervielle (1884-1960), Le bœuf et l’âne de la crèche, nouvelle parue dans le recueil de contes L’enfant de la haute mer, Paris, Gallimard, 1931
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