David Hockney

Texte d‘Emmanuel Honegger
vice président SAAMS société des amis des arts et
des musées de Strasbourg
Voici la réponse d’Emmanuel Honneger, auquel j’avais
fait part de mon ennui, lors
de la visite de l’exposition
des 82 portraits de
David Hockney, au Ca Pesaro à Venise.

Tout y est tellement prévisible, préformaté, fait pour plaire.
Le film sur David Hockney fut un moment de magie.
Nous l’avons vu peindre en « plein air » avec un assemblage de
6 toiles sur plusieurs chevalets à la fois, nous avons croisé son
regard bienveillant, écouté sa voix chaleureuse.
David Hockney est un peintre, dessinateur, graveur, photographe,
anglais, né en 1937. Il a aujourd’hui 80 ans. Les historiens d’art
le considèrent comme pop’artiste dans la mouvance de l’hyper-réalisme.
Lui ne s’en soucie guère.
Je dirai pour ma part qu’il produit des images respirant la joie
de vivre : piscines représentant le rêve américain dans sa série
California dreaming, portraits de famille et d’amis, autoportraits,
paysages du Yorkshire sa province natale. Il utilise à merveille la
boite à outils constituée, au cours des siècles, autant par la peinture
et les techniques de ses prédécesseurs qu’aujourd’hui par
l’informatique de pointe.

A 60 ans, il a posé temporairement ses pinceaux et s’est lancé
pendant deux ans dans une étude approfondie de la peinture
à partir du XVe siècle. Il s’agissait, pour lui, de démontrer
que plusieurs artistes occidentaux avaient utilisé des instruments
d’optique. On a hurlé au crime de lèse-majesté comme si
l’outil était plus important que l’artiste
.Mais il ne suffit pas d’utiliser une camera obscura pour peindre
comme Leonard de Vinci, cela se saurait.
Je vous épargnerai sa démonstration, elle est étayée sur 326
pages d’un livre publié au Seuil :
« Savoirs secrets, les techniques perdues des maîtres
anciens
».
Pour venir à bout de ce travail, il a épinglé au mur de son atelier
près de 800 photocopies couleur de tableaux couvrant
500 ans d’art occidental sur un panneau de 7 mètres de long.
Il y a observé les incohérences de perspective, les motifs brodés
sur les robes soudain reproduits avec une minutie si
extraordinairement précise qu’elle nécessitait la projection
d’une image ou tout au moins l’assistance d’appareils optiques.
Je ne vous parle pas de cela pour en refaire la démonstration,
ce n’est pas l’objet du film que nous allons voir, mais pour vous
dire combien David Hockney connait les peintres, connait
la peinture, combien il s’y est intéressé et combien son art
en est imprégné. Remarquable dessinateur, il a enseigné le dessin
à l’université de l’Iowa, du Colorado et de Californie .
Il n’est donc pas exagéré de dire qu’il a la compétence et
les moyens pour utiliser ce que j’appelle la boite à outils de ses
prédécesseurs, leur savoir faire. Il n’est pas exagéré non plus de
faire des rapprochements entre sa peinture et celle aujourd’hui
reconnue par l’histoire de l’art.
Les façades structurées en lignes se croisant à angle droit
dans ses tableaux de villas californiennes, évoquent l’abstraction
géométrique de Mondrian.
La couleur qu’il applique au rouleau sur laquelle il trace
des signes pour simuler les mouvements de l’eau ou les reflets
des vitres, ou des motifs floraux sur un fauteuil ou un transat,
nous rappellent les décors de Matisse.
Les oppositions de couleurs complémentaires bleu et orange,
violet et jaune, dans ses paysages, sont l’expression d’une
palette fauve qui dialogue avec Maurice Vlaminck ou André Derain.
« Je ne sais pas comment je vois les couleurs,
mais je les vois et je les aime. Je suppose que je les
exagère un peu. »
dit-il de lui-même .
On veut bien le croire.
En 2015 la fondation Van Gogh en Arles lui consacrait une
exposition, reconnaissant de fait son admiration pour ce peintre
inclassable à l’écriture si audacieuse. Un artiste, Van Gogh,
qui se souciait peu des codes de la perspective et des ombres.
Pour David Hockney

« La perspective est une invention européenne.
Dans les arts chinois et japonais, il n’y en a pas. On entre
immédiatement dans le paysage. Il n’y a pas non plus de
reflets dans l’eau ni d’ombre. Les reflets, les ombres, seul l’art
européen les utilise.
»
En cela Hockney est « pop’art »
Mais est-il réductible au pop-art comme on a souvent tendance
à le présenter? Je ne le crois pas.
Alors que la figure la plus emblématique du Pop’art, Andy Warhol,
représente la banalité des boites de soupe Cambell’s
ou des boites de savon Brillo ; alors que Warhol détourne
le procédé d’impression sérigraphique pour mécaniser et
dépersonnaliser l’art, en faire un objet de consommation de
masse et qu’il va jusqu’à stéréotyper l’image de Marilyn ;
David Hockney, lui, s’attache à l’opposé, à la représentation
de la grande bourgeoisie, de son mode de vie, de ses piscines
bleu azur. Il décrit un american way of life idéalisé.

Alors que Roy Lichtenstein, autre figure emblématique du
pop’art, reproduit des fragments de bandes dessinées
agrandis 100 fois,  qu’il nous en montre les points de trame
comme si nous les observions à la loupe, qu’il représente la
vie fantasmée des héros de BD aimant, pleurant ou se battant
les armes à la main ;
David Hockney, en peintre contemplatif pop, met en scène
les riches demeures californiennes et regarde leurs hôtes vivre,
plonger, prendre leur douche en toute oisiveté.
Son art est narratif, il raconte des histoires et quand l’homme
n’y figure pas ou n’y figure plus, sa présence reste suggérée en
creux par l’éclaboussure d’un plongeon, l’ordonnancement rigoureux
d’une futaie, le lacet d’une route qui traverse la campagne
depuis le premier plan jusqu’à l’horizon.

Il travaille en à-plat avec des couleurs pures, à la manière
de décors de théâtre, comme s’il contemplait la vie en tant que
représentation.
Vous ne serez donc pas étonné d’apprendre que David Hockney
a créé de nombreux décors de théâtre ou d’opéra :
La Carrière d’un libertin, Le Sacre du printemps, Le Rossignol et
Oedipus Rex, tous les quatre de Stravinsky,
La Flûte enchantée de Mozart,
Parade de Satie,
Les Mamelles de Tirésias de Poulenc,
L’Enfant et les sortilèges de Ravel,
Tristan et Iseult de Wagner,
Turandot de Puccini,
La Femme sans ombre de Strauss .

Hockney y a mis son génie au service des couleurs et de
l’éclairage, créant un parallèle entre les décors et le
paysage sonore de la musique telle qu’il la voyait et la ressentait.
Dans sa vie d’artiste, David Hockney a exploré de nombreuses
techniques. Il les a longuement travaillées jusqu’à en exprimer
pleinement les avantages et les particularités.
Après avoir travaillé à l’huile, il s’est intéressé à la peinture
acrylique soluble à l’eau. Il y voyait le médium le plus à même
de capter la lumière, son éclat et sa transparence.
Puis il s’est tourné vers l’aquarelle également soluble
à l’eau mais dont la technique ne tolère aucun repentir et requiert
une grande sureté et rapidité d’exécution. Ce fut pour lui un
« retour à la simplicité », une palette limitée à quelques couleurs,
parfois quatre seulement. Il a beaucoup travaillé pour maîtriser
cet art de l’esquisse, de la spontanéité, de la légèreté.
Le dessin, dans cette technique, est appliqué directement
au pinceau sans tracé préalable au crayon.

Dans sa période d’analyse des peintures de maîtres dont
je vous ai parlé tout à l’heure, à travers le prisme d’instruments
optiques, il s’est astreint, pour réaliser des portraits, à l’usage
d’une chambre claire, une sorte de projecteur utilisable
en plein jour.
Je vous cite un extrait du début de son livre :
d’abord j’ai trouvé la chambre claire extrêmement
difficile à utiliser. Elle ne projette pas une image réelle
du sujet, mais une illusion de ce sujet dans l’œil de l’artiste.
Si vous bougez la tête, tout bouge avec elle, et l’artiste doit
savoir prendre des notes, très rapidement, et fixer la position
des yeux, du nez et de la bouche, pour saisir une « ressemblance
».
Il faut être très concentré. J’ai persévéré et continué à utiliser
la méthode pendant le reste de l’année, sans cesser d’apprendre.
J’ai commencé à m’intéresser davantage à l’éclairage
du sujet, à remarquer à quel point celui-ci est important
quand on utilise un instrument d’optique, comme pour
la photographie. […] Tout cela m’a intrigué et j’ai commencé
à scruter les peintures avec beaucoup d’attention.

Sur six pages de son livre, Hockney a choisi de nous livrer
dix-huit dessins réalisés entre mars et décembre illustrant
l’évolution de la qualité de son trait. Cela montre la rigueur à
laquelle David Hockney s’astreignait pour progresser dans
la recherche et la maîtrise de nouvelles techniques.
Je vous ai dit au début qu’Hockney est un photographe ;
il a réalisé près de 30 000 clichés et les utilise comme
éléments de collage dans des œuvres qu’il nomme
« drawings with a camera » « dessins avec un appareil photo ».
Il s’agit pour lui de se rapprocher des choses avec un
regard ouvert, de fixer un moment fugitif pour le réemployer
dans une de ses compositions. Il frôle, dans cette période,
les problématiques du cubisme qu’il considérait comme destruction
d’une perspective jugée enfermante.
Hockney parle volontiers de perspective inversée,
une notion inventée au début du XXème siècle par Pavel Florenski,
un pope orthodoxe, mathématicien, russe. Il y voit l’occasion
d’élargir son champ suivant des lignes fuyant vers la gauche
et la droite, au lieu de converger vers un axe ou un
point central selon les règles définies à la Renaissance .
Maintenant que les tablettes IPad le permettent, David Hockney,
jamais en retard d’une nouvelle technique, a apprivoisé
ce nouveau médium et développé une nouvelle virtuosité.
Après avoir exploité le Polaroïd et la photocopieuse, il s’est laissé
séduire par la rapidité de l’image d’ordinateur.
Cet infatigable chercheur illustre parfaitement ce que
représente le progrès technique pour un artiste : c’est un outil,
il s’en explique ainsi :
« La vitesse et les couleurs aujourd’hui disponibles constituent
une nouveauté ; travailler à l’huile ou à l’aquarelle,
cela prend du temps
».
Je vous le disais tout à l’heure, ce n’est pas l’outil qui fait l
’œuvre mais bien l’artiste qui choisit son outil.
Nous allons le voir dans un instant, David Hockney
joue du pinceau, du fusain ou de l’Ipad avec le même bonheur.
A 80 ans, il enrichit encore son vocabulaire graphique
d’une liberté et  d’une puissance coloristique plus pop
que jamais.
Maintenant, nous allons éteindre la lumière, redevenir des enfants
et découvrir les histoires de ce merveilleux conteur.
5 novembre 2017 Emmanuel Honneger
un partenariat SAAAMS/odyssée
Un livre de Catherine Cusset sur David Hockney
le podcast sur France Culture

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.

5 réflexions sur « David Hockney »

  1. Je ne parle que des expositions que j’ai vues,
    Celle de Venise ne m’a pas incitée à voir l’expo de Paris, du reste
    Je n’en ai pas eu l’occasion. C’est pourquoi après un contact avec Emmanuel Honneger je lui donne la parole sur mon blog

  2. Je suppose que vous n’avez pas compris ma lassitude devant 82 portraits,formatés, sans imagination et sans attrait.
    Je ne parle que des expositions que j’ai vues,
    Celle de Venise ne m’a pas incitée à voir l’expo de Paris, du reste
    Je n’en ai pas eu l’occasion. C’est pourquoi après un contact avec Emmanuel Honneger je lui donne la parole sur mon blog

  3. C’est curieux que vous vous soyez ennuyée à l’exposition DAVID HOCKNEY !!!!!!!!
    Je pense que vous n’aviez pas saisi ou compris ses véritables démarches .

  4. Merci à ma fidèle lectrice, c’est aussi ça les réseaux sociaux, il suffit de les utiliser à bon escient, d’accepter d’appendre tous les jours, des choses nouvelles qui peuvent nous enrichir.
    Je prends pour exemple ma chère Malou,(+) qui à 87 ans, voulait un Ipad, sur son lit d’hôpital afin de se tenir au courant des nouvelles du monde, surtout en littérature et en art.

  5. Bonjour Elisabeth Itti,
    Merci beaucoup d’avoir parlé de cet ennui à Emmanuel Honegger.
    J’aime bien qu’il ait pris le temps de vous répondre et encore plus, la chance que vous nous donnez de le lire, en le publiant ici.
    Je vous le dis régulièrement, j’apprécie votre travail, vraiment !
    A bientôt de vous rencontrer,
    Dominique-Anne Offner

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