Aux frontières de l’illustration et de la peinture, Antonio Segui a construit un univers burlesque, absurde, peuplé d’une multitude de personnages projetés dans une course folle. L’Espace Malraux de Colmar lui ouvre ses portes jusqu’au 24 octobre 2010.
On est d’abord surpris par un flot d’images, comme dans ces puzzles qui vous donnent la migraine, images qui sont presque à chaque fois les mêmes, tout en changeant de couleurs ou en étant bi, voir tricolore, mais rien à voir avec notre chauvinisme. Ce sont des images populaires proches du graffiti, une sorte de bande dessinée, où les personnages affluent, grouillent, un surpeuplement qui donne le tournis. Un personnage récurrent, l’homme au chapeau, Humphrey Bogart ou Antonio dans son élégante jeunesse, il est né en 1934 en Argentine.
Ses personnages courent les uns après les autres, les uns vers les autres, s’évitent, sont en lévitation. Il y a aussi des femmes à l’aspect rude.
Sa thématique est celle de l’espace urbain, une allégorie de la société moderne.
Son univers surréaliste, un peu à la Keith Haring, dans le graphisme, nous parle de la condition humaine avec frénésie, passion, mais surtout avec humour et dérision, une naïveté picturale, un trait cernant les aplats de couleurs, sans perspective.
De manière frontale , il raconte dans sa candeur latine le dérisoire de la vie, son absurdité, ses ambiguïtés. C’est un vrai plaisir que de se perdre dans ses fresques gigantesques, mais il ne faut pas oublier les gravures exposées dans la mezzanine, sarcastiques, tragiques, humoristiques. Il y a une série d’huiles, sur toile marouflée de papier journal, dont le cadre fait partie intégrante des natures mortes. Comme dans toute son œuvre, exposée dans le monde entier, il va à l’essentiel.
photos de l’auteur
Partager la publication "Antonio Segui"
Lu dans l’Alsace le Pays :
L’Espace Malraux à Colmar accueille, jusqu’au 24 octobre, trente toiles et six gravures d’Antonio Segui, peintre argentin.
Depuis une cinquantaine d’années, l’Argentin Antonio Segui anime un petit monde grouillant. Au centre de ces constructions toujours urbaines, il y a un personnage à l’allure latine, chapeauté ou pas, en costume cravate ou pas. « Ce personnage est apparu quand j’étais aux Beaux-arts [à Paris et Madrid où l’artiste a fait ses classe]. Je n’en suis toujours pas lassé », raconte le peintre.
Né à Cordoba en Argentine, en 1934, Antonio Segui débarque en France dans les années 60. Il y vit toujours, à Arcueil, près de Paris. « La première chose que j’ai faite ici c’est d’aller voir le Musée de l’Homme », se souvient ce collectionneur d’art primitif. Il découvre aussi l’expressionnisme allemand, Grosz, Dix : « J’ai été très influencé par eux à mes débuts, j’ai eu la prétention de suivre cette direction. »
Prétention réussie : ses tableaux oscillent entre BD, caricature et satire humaine sur le pouvoir aveugle de l’argent, la violence, la solitude avec ces personnages qui cohabitent sur ses toiles, trop pressés sans doute pour ne jamais se rencontrer.
« Madoff est sympathique, même si c’est un bandit ! »
À 76 ans, Segui poursuit son travail quasi obsessionnel, à l’œuvre chaque jour de 8 h à 20 h. « Sinon, je ne sais pas quoi faire ! » Toujours dans l’ironie, le burlesque.
Accroché à des séries qui lui permettent d’expérimenter diverses techniques, de « renouveler [sa] façon d’écrire », il présente une des dernières à Colmar consacrée au voyou financier Madoff. « Cette affaire m’a beaucoup impressionné. Je trouve le personnage sympathique, même si c’est un bandit. Quelqu’un qui arrive à faire ce qu’il a fait, c’est unique. »
Ne pas s’y méprendre, sa « sympathie » n’empêche par Segui d’épingler le financier et tous les boursicoteurs à sa suite : « Ils le méritent bien quand même ! » L’Espace Malraux propose notamment des versions monochromes fluo, jaune, vert… aux couleurs du Stabilo. Une manière de surligner le propos ? « Exact », ponctue l’intéressé.
Artiste engagé, Segui ? « Non, je suis un artiste, c’est tout. Mais un homme engagé. Le message doit passer par des subterfuges. Je n’aime pas les choses très claires. » Pourtant, l’Argentine des militaires lui avait interdit tout retour au pays : « À l’époque, être artiste était synonyme de subversif. En plus j’avais les cheveux longs et la barbe, c’était mauvais signe ! Mais même si je suis attaché à mon pays, j’ai passé ces dix ans tranquillement. Je n’étais pas nostalgique de cette Argentine… » Depuis, l’homme a repris ses voyages réguliers à Cordoba, deux fois par an, « pour [se] ressourcer ».
« J’aime un tableau qui a une architecture »
L’Espace Malraux invite donc le public à pousser la porte de l’univers de Segui. Un univers compact, avec des allures de désordre, même s’il y a toujours un équilibre auquel tient l’Argentin : « J’aime bien un tableau qui a une architecture, que ça ne tombe pas à droite ou à gauche. » Le visiteur devra trouver une porte d’entrée, entre ces humains qui se croisent, se touchent, se baignent, se filent des gnons, entre ces maisons, ces chiens, ces voitures, ces avions… Fixer son attention sur un personnage, le suivre, imaginer son histoire. Et ne pas oublier que chez Segui, l’homme à la moustache frétillante, il y a toujours de l’humour, souvent de la dérision. N’allez pas chercher trop loin des explications à ses tableaux, vous le feriez beaucoup rire.
Annick Woehl
Y ALLER Espace Malraux, 4 rue Rapp à Colmar, jusqu’au 24 octobre du mardi au samedi de 14 h à 19 h, dimanche de 14 h à 18 h. Entrée libre. Tél. 03.89.20.67.59.