Jusqu’au 31 mai 2018
A la suite de la rétrospective au Centre Pompidou
en 2015/2016, d’Anselm Kiefer et 5 ans après l’inauguration
de son espace de Pantin, la Galerie Thaddaeus Ropac présente
une nouvelle série d’œuvres de l’artiste à Paris.
C’est un artiste qui m’interpelle, m’attire, m’émeut.
Je me souviens de son opéra « Am Anfang » à l’opéra Bastille,
de l’émotion éprouvée lors de Monumenta au Grand Palais,
de ma première rencontre avec l’oeuvre de l’artiste au
musée Würth d’Erstein, son goût de la provocation
(faisant le salut nazi), une visite mémorable de blogueurs
au Louvre qui a acquis 3 de ses oeuvres.
C’est avec un plaisir immense que l’on pénètre dans
la blanche galerie Thaddaeus Ropac, où les oeuvres
y trouvent leur juste place.
L’exposition Für Andrea Emo, montre une sélection d’
une vingtaine de tableaux ainsi que trois sculptures
explorant le thème de la sédimentation du souvenir si cher à
Anselm Kiefer.
Ces sculptures, qui mettent en scène une connexion spirituelle
entre différents éléments, sont autant de fossiles ou
d’artefacts mis au jour, autant de micro-fictions à déchiffrer.
D’une inventivité formelle inédite, les tableaux reflètent
l’intérêt que l’artiste porte depuis longtemps à l’idée de
destruction et de régénération. En faisant couler du plomb
en fusion, Anselm Kiefer oblitère l’image originale et insuffle
ainsi une nouvelle vie à ses propres œuvres dans un geste
radicalement iconoclaste.
Les références philosophiques et littéraires ont toujours
joué un rôle essentiel dans l’art d’Anselm Kiefer.
L’exposition est dédiée à Andrea Emo (1901-1983),
philosophe italien dont les réflexions nihilistes ont nourri le
développement de son travail. Penseur solitaire, qui a choisi
la voie de la réclusion et de l’auto-exclusion du monde
académique, Andrea Emo est une figure importante de la
nouvelle pensée métaphysique. Son écriture singulière,
sous forme de fragments et de notes, dessine une théologie
de la négativité. Chez Andrea Emo, la modalité privilégiée
du temps est le souvenir :
« il n’y a pas de nouveauté hormis dans le souvenir…..
le nouveau naît à partir de nous, qui sommes le futur,
si nous pouvons renoncer à celui-ci. »
C’est ainsi qu’Anselm Kiefer trouve dans la philosophie
du penseur italien un écho à ses propres questionnements.
Lorsqu’Andrea Emo écrit
« l’acte est la destruction des tableaux, leur mort, leur sommeil,
les tombes dont ils ont besoin pour pouvoir ressusciter »,
Anselm Kiefer, lui, dit dans son journal :
« tu as pris conscience du fait qu’un tableau éteint toujours
le suivant, que c’est un mouvement constant d’abolition
de soi et de renaissance. »
La conception cyclique du temps irrigue toute l’œuvre
d’Anselm Kiefer. Elle s’incarne ici dans la matière même
des œuvres, qui subissent un acte de destruction avant
d’entrer dans un processus de régénération.
Ainsi Anselm Kiefer écrit dans son journal, publié dans le
catalogue de l’exposition :
« hier versé du plomb. tombé sur plusieurs anciens tableaux
rejetés que tu ne voulais plus du tout voir. sans colère,
sans désespoir, contrairement à autrefois, tu as posé
les tableaux par terre et versé dessus le plomb brûlant.
plus aucun motif de désespoir, car tu le sais : quelque part
il y a un résultat, mieux, tu intègres d’emblée l’échec
dans le calcul. le résultat serait-il différent si le plomb
coulait autrement, si l’acte destructeur se produisait par
rage et non par calcul ? »
Si sur certaines toiles la couche de plomb solidifié laisse
encore entrevoir un paysage, sur d’autres elle emprisonne
les éléments picturaux rejetés par la surface calcinée.
La peinture devient alors sa propre sédimentation,
un palimpseste. Anselm Kiefer note :
« Ce pansement de plomb qui ne peut plus être détaché
de la peau de peinture, ces plaies suppurantes du plomb
encore bouillant quand le pigment n’est pas sec, les petites
pailles sur un champ que j’ai peint il y a des années et qui
apparaissent comme des restes calcinés sur le plomb solidifié
– tout cela me rappelle les poèmes de Baudelaire. »
Un catalogue bilingue allemand/anglais comprenant des
extraits du journal d’Anselm Kiefer
avec tiré à part en français est publié à l’occasion de l’exposition
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Que de souvenirs, que de découvertes en commun Christiane.
Beaucoup d’eau passée sous les ponts. Mais contrairement à Kiefer, pas de plomb sur le passé, que du bonheur.
J ai lu ton article avec beaucoup d intérêt et de plaisir. J ai aussi decouvert Kiefer à Erstein. Ses oeuvres poignantes ne peuvent laisser indifférent et les extraits que tu cites correspondent bien à la demarche d Anselm Kiefer.
Felicitations pour ton article !
Christine.
Merci cher Claude pour votre passage ici, mais aussi d’avoir été à Pantin, suite à nos conversations.
D’accord avec vous pour Monumenta, c’était absolument impressionnant d’émotions.
Für Andrea Emo et un peu restrictif, pour vous tous serait mieux. J’ai eu la joie de voir cette expo par grand soleil et cela m’a beaucoup plu. On peut regarder les oeuvres plusieurs fois et y trouver d’autres choses à voir à chaque fois. L’espace est tellement vaste que Kiefer peut tout se permettre. C’est presque trop beau. Rien n’égalera jamais le Kiefer de la Monumenta du Grand Palais et pour ceux qui n’ont pas eu la chance de voir cela, l’étape de Pantin s’impose.