L’Eloge du peu, Lee Ufan à Versailles

Ma première rencontre avec les oeuvres de Lee Ufan date de 2004, présentées à la Fondation Fernet Branca, grâce à Jean-Michel Wilmotte, architecte de renommée internationale et grand connaisseur de la culture coréenne, qui a réussi la rénovation et transformation des anciennes usines, en centre d’art contemporain. Dans l’intimité du lieu, elles dégageaient une sérénité contagieuse.
La Fondation présente actuellement et jusqu’au 31 août, les oeuvres d’un ancien élève, puis assistant de Lee Ufan, un compatriote coréen  » Lee Bae »

Lee Ufan, Relatum - Le bâton du géant
Lee Ufan, Relatum – Le bâton du géant

A Versailles, elles tiennent leur promesse. Avec des pierres, du métal et beaucoup de poésie, l’artiste apporte sa vision minimaliste, à la magnificence du parc dessiné par Le Nôtre. Les dix récits illustrés de ce marcheur philosophe, créent de nouvelles visions du monument le plus célèbre du monde.
Dans le château et surtout dans les jardins, les formes sculpturales intenses et silencieuses de l’artiste  se posent au pied de l’Escalier Gabriel, dans la perspective majestueuse dessinée par Le Nôtre ainsi qu’au détour des allées et des mystérieux bosquets, complétant et modifiant pour un temps l’atmosphère des lieux. Toutes entièrement nouvelles et pour certaines aux dimensions inusitées viennent en réponse aux espaces des jardins.
Lee Ufan, Relatum - L’Arche de Versailles
Lee Ufan, Relatum – L’Arche de Versailles

Il n’apprécie pas les oeuvres qui écrasent l’homme par leur présence qui imposent une idée, une théorie. Son prénom, Ufan veut dire soleil en coréen. Maître de l’art Zen, ses oeuvres minimalistes, sont réduites tant au niveau des couleurs, gris, blanc, noir, tant qu’ au niveau des matériaux, l’acier et la roche, le dialogue entre l’être et le temps.
Il est l’un des protagonistes du mouvement artistique intitulé Mono-Ha, terme que l’on peut traduire par “l’École des choses”.
Selon la définition de Lee Ufan, fondateur et théoricien de ce groupe d’artistes japonais, son principe était
“d’utiliser une chose sans rien y ajouter. Ils prenaient et assemblaient des matériaux industriels, des objets quotidiens, des objets naturels, sans les modifier. Cette méthode ne consistait pas à se servir des choses et de l’espace pour réaliser une idée mais est venue à vrai dire de la volonté de faire vivre divers éléments dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux ”.
Le Mono-Ha apparaît dans les mêmes années que les tendances européennes ou nord américaines regroupées au sein de l’Arte Povera, Supports-Surfaces ou Land Art, toutes manières de repenser les fondements mêmes de la sculpture ou de la peinture.
A Versailles il invite à un parcours lent, solitaire, en groupe, en famille, comme une sorte de pèlerinage, une sorte de désintoxication en 10 stations, des installations très épurées, en osmose avec l’espace et le temps, invitant à la pause, à la méditation.
le plan des oeuvres
Lee Ufan, Relatum, Earth of the Bridge
Lee Ufan, Relatum, Earth of the Bridge

Elles portent le terme générique de “Relatum”, exprimant que l’œuvre d’art n’est pas une entité indépendante et autonome, mais qu’elle n’existe qu’en relation avec le monde extérieur. Pour Lee Ufan l’acte du sculpteur consiste, en réponse à une évolution de l’art qui après des millénaires d’objets fabriqués par la main de l’homme s’est ouvert à l’objet industriel et au ready made, à critiquer l’hyper productivité du monde contemporain.
Lee Ufan a choisi de lier le faire et le non faire. Il part du principe que
“voir, choisir, emprunter ou déplacer font déjà partie de l’acte de création”. Il relie la nature à la conscience humaine avec une simple plaque de fer en dialogue avec une pierre. Il peut aussi déployer des plaques d’acier mat en une structure linéaire debout ou couchée, dont les ondulations répondent à l’espace investi.
« Cela fait longtemps que je souhaite réaliser une œuvre en forme d’arche comme un arc-en-ciel suspendu à l’horizon. Je suis donc très heureux d’avoir la chance de réaliser ce projet dans les jardins historiques du Château de Versailles. L’œuvre dépassera l’histoire de Versailles ainsi que ma propre histoire. L’espace lui-même s’ouvrira et deviendra un lieu de rencontre avec les spectateurs, une respiration conjointe. Il y a dans ce projet une forme de transcendance, de par le fait même de sa présentation à Versailles. Il ne s’agit pas de poser un objet tout droit sorti de l’atelier, mais de créer un véritable dialogue avec le site. Je pense que l’œuvre doit avoir deux sens. Cette dernière ne doit pas être un objet fermé, mais une porte ouverte. J’utilise souvent la pierre qui représente la nature, et le métal qui est un symbole de la société industrielle. Ils interagissent en fonction de l’espace et créent une relation inévitable dans le lieu. Les œuvres présentées seront principalement composées de pierre et métal. Du petit chemin, au grand jardin, jusqu’aux salons du château, la circulation de l’air dans l’espace offrira au spectateur la sensation que leur cœur palpite ».
C’est en juin 2014 que l’“espace-temps” s’ouvre dans les jardins du château de Versailles. Lee Ufan Extrait d’un entretien de l’artiste avec Philippe Piguet, L’œil #665, Février 2014
Lee Ufan, Relatum, Lames de Vent
Son énorme «Arche» d’acier incarne un vieux rêve d’enfant devant un arc-en-ciel, souvenir du Japon. C’est un immense et fin ruban d’acier bleuté, de 30 mètres de long et 40 tonnes, aux reflets changeant selon la météo, porte ouverte sur la Grande Perspective, jusqu’aux mystérieux bosquets royaux.
Lee Ufan, Relatum - L’ombre des étoiles
Lee Ufan, Relatum – L’ombre des étoiles

Notamment celui de l’Étoile, espace désertique qui abrite « L’Ombre des étoiles », (ma vidéo) une œuvre étrange, un espace minéral de granit blanc, un champ mégalithique éclairé d’une lumière lunaire, auquel Lee Ufan a donné la forme de la constellation du Grand Chariot.

Sur les pelouses il a fait onduler des plaques d’acier, comme des vagues, les lames de vent
Dans l’allée de Flore, deux plaques d’acier posées au sol qui relient, tel un pont, deux grandes roches se faisant face au bout d’un sentier étroit, escorté d’arbres et de buissons proprement alignés.
L’envoûtant bosquet des Bains d’Apollon  qui clôturent le parcours sont un endroit secret et mythique, un paysage de verdure, de bassins et de cascades déferlant de la grotte où le bel Apollon (Louis XIV) trône entouré de ses nymphes, l’artiste a creusé une tombe, d’où une grosse pierre noire figure un hommage à Le Nôtre, le contraste est saisissant.
 
Lee Ufan, Relatum, La Tombe, hommage à Le Nôtre
Lee Ufan, Relatum, La Tombe, hommage à Le Nôtre



Une seule œuvre à l’intérieur du château « un mur de coton »
C’est une invitation à sentir et à voir, avec l’intériorité de chacun et l’infinité du monde.
Jusqu’au 2 novembre
photos de l’auteur
 

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.