« L’art c’est l’amour enveloppé de beauté »
A la Fondation Beyeler, nous pouvons admirer les toiles et dessins de Giovanni Segantini (1858 –1899) né à Arco, au bord du lac de Garde, rattaché à l’Autriche à l’époque, il vécut d’abord à Milan, après le décès de sa mère, chez sa demi-sœur Irène.
Au décès du père Agostino Segatini, cette dernière demande l’annulation de la nationalité autrichienne de Giovanni, sans demander toutefois sa naturalisation italienne. Il restera un sans papier toute sa vie. Il passe un temps dans un établissement d’éducation surveillée de Marchiondi. Puis il regagne Milan où il travaille comme peintre de décoration, tout en prenant des cours du soir, pour réaliser son rêve : être peintre. Appelé Segante par tous il ajouté le n à son patronyme et s’appelle désormais Segantini.
Très vite un critique et marchand d’art Grubicy s’intéresse à lui et sera son principal agent toute sa vie. Il peint un portrait de Léopolidina Grubicy, à la collerette blanche, portrait charmant de grande bourgeoise qui assied immédiatement sa réputation.
Il fait la connaissance de Luigia Bugatti, dit Bice. Il s’installe avec elle à Pusiano dans la Brianza.
Des problèmes financiers, mais surtout le charme bucolique des montagnes de Savognin, incitent le couple à s’installer en 1886 en Suisse, dans les Grisons. Il élabore des motifs à partir de la vie villageoise et alpine de grandes toiles qui représentent les habitants, des paysans de montagne, vaquant à leurs activités, comme dans « Vacche aggiogate » qui lui a valu une médaille d’or à l’exposition universelle de Paris. La haute montagne couverte de neige, mais encore éloignée, ferme l’horizon, par son dos la vache est parfaitement intégrée dans l’horizon. Avec les montagnes les sources sont un des motifs favoris de Segantini : elles jaillissent des Aples comme « une sève vitale » symbolique.
Segantini finit par s’établir avec sa famille dans le village de Maloja, dans l’Engadine, et passe les hivers rigoureux dans le Bergell. Il peint ses immenses tableaux en plein air, à des altitudes de plus en plus élevées. Le légendaire Triptyque des Alpes, que préparent des études de grand format, constitue un sommet de son art. Cette ascension croissante fait accéder Segantini à un domaine où les montagnes lui font l’effet d’un paradis terrestre. Ses derniers mots ont été « voglio vedere le mie montagne » ( je veux voir mes montagnes ).
Giovanni Segantini s’est fait connaître par ses tableaux de montagne et ses représentations de la vie, si proche de la nature, des paysans au milieu de leurs bêtes. Il a découvert dans le divisionnisme une forme d’expression artistique moderne qui lui permettait de rendre le rayonnement particulier des Alpes dans une lumière et des coloris nouveaux.
Son oeuvre inspire la nostalgie d’une expérience de la nature intacte. Cette exposition célèbre en lui un précurseur de la peinture moderne,
La famille ayant négligé de le déclarer à l’état civil, vivant en Italie, cela l’empêcha de voyager pour défaut de passeport, l’exonéra de s’acquitter des impôts sur le revenu, n’ayant pas d’identité reconnue. La nationalité suisse lui a été accordée après à titre posthume.
Papier crayon, papier carton. Son médium justement, c’est le papier, avec le crayon, la craie, le crayon conté, la mine de plomb, de charbon, la craie blanche, noire, de couleurs, le pastel, puis l’huile.
La première salle montre ce que l’on pourrait appeler Segantini avant Segantini, soit des tableaux peints à Milan, au début de sa carrière, avant qu’il ne commence à travailler dans une manière divisionniste, non par points de couleurs pures mais par traits fins juxtaposés. On y voit déjà plusieurs chefs-d’œuvre, comme Effet de lune, fortement inspiré par Millet mais dans une tonalité bien distincte, ou encore cette Oie blanche, qui renvoie à une toile de Soutine, memento mori, une peinture pleine de liberté et d’élan ou à la Pie de Monet pour le quasi monochrome.
Une toile intrigante « La première messe » on y voit un prêtre debout sur un escalier baroque, semblant méditer, éloge de la dévotion ? Son oreille est curieusement aussi torturée que la moulure de la rampe.
L’exposition regroupe environ soixante-dix toiles et de magnifiques dessins datant de toutes les périodes de la création de cet artiste. Son parcours artistique s’ouvre sur des scènes de la vie urbaine et se poursuit par des paysages de lacs de la Brianza, au nord de l’Italie, parmi lesquels la célèbre toile « Ave Maria a trasbordo. » peinte ou dessiné au crayon, avec une voile, ou dans un format différent, rectangle sur papier à la craie. Un famille silencieuse, assoupie même, traverse le lago di Pusiano, seuls les moutons s’inclinent vers l’eau, tout le reste répand une paix divine, l’harmonie avec la nature. La barque semble symboliser le parcours de la vie, entre naissance et mort, eau et ciel, tandis que le cercle de couleur
concentrique qui s’élargit autour du soleil prête à l’action une sublimité cosmique. Le tableau impressionne autant par son audace formelle : la frontalité, la simplicité chromatique, l’éclat lumineux du soleil couchant, le reflet du principal motif dans l ‘eau. La même virtuosité somptueuse se retrouve dans les dessins au crayon.
Le célèbre Triptyque des Alpes représente sans conteste le sommet de la création de Segantini. Comme en témoignent ses titres programmatiques « La Vie – La Nature – La Mort », il prend pour thème l’intégration harmonieuse des hommes et des bêtes dans le cycle de la nature. On verra dans cette exposition de spectaculaires versions dessinées de ce triptyque. Vers la fin de sa vie, Segantini connaît également une notoriété internationale grâce à ses oeuvres symbolistes, dont La Vanità (La Vanité, 1897).
Ses autoportraits, à vingt jeune homme plein d’assurance, puis l’autoportrait délirant que la présence du sabre transforme en fantasmagorie, reflet des années difficiles ? Puis celui de 1893, l’artiste apaisé, sentimental. Puis celui de 1895, , avec un regard perçant, lecteur de Nietzsche il se considère comme l’annonciateur de vérités éternelles, d’où la poussière d’or qui orne son portrait.
Puis le dernier de 1898/99, pressentiment d’adieu, de mort , il est célèbre et lance le projet d’un panorama de l’Engadine pour l’exposition universelle de Paris, qui échoue. Il en reste le Tryptique des Alpes, représentation de la divinité de la nature et du cycle de la vie.
On ne peut manquer le retour de la forêt, tableau inoubliable, emblématique, où il s’approche de la monochromie coloriste. Il représente un paysage enneigé, que traverse une femme qui tire son traîneau, chargé de bois mort. Symbole de la solitude ou même allégorie de la mort, le bois mort apparaît constamment au premier plan dans les toiles de Segantini, dont l’univers pictural est déterminé par le thème du cycle des saisons et de l’existence. C’est la couverture du catalogue de l’exposition.
Ne pas oublier l’Ore mesta, en 2 taille, puis au crayon.
Dans « mes modèles » Baba incarnait avant tout pour l’artiste un idealtype de toutes les figures féminines, bergères et jeunes paysannes.
Les deux mères, Segantini n’a pu terminer sa toile, il est mort d’une péritonite, c’est Alberto Giacometti son ami, qui y ajouta la bergère et son enfant sur le dos, ainsi que le mouton et son agneau.
Mezzogiorno Alpi 1891
Une image de Paradis, qui rassemble les éléments essentiels de l’art Segantini. Le soleil embrase la lisière des arbres, une brise légère souffle, D’une main Baba, la gouvernante de l’artiste retient le chapeau, les yeux tournés vers l’avenir, le firmament. Les moutons broutent en nous tournant le dos, tout ce concentre sur le regard, tout pénétré de divisionnisme, l’artiste décompose la matière en lumière et en couleur et atteint ainsi une force lumineuse proprement surnaturelle, c’est la toile de l’affiche, qui au premier coup d’œil semble naïve de simplicité.
Les vastes salles baignées de lumière du bâtiment conçu par Renzo Piano, avec leurs échappées sur le paysage réel, mettent particulièrement bien en valeur la vénération de Segantini pour la nature, qui coïncide à maints égards avec la quête actuelle d’espaces naturels intacts.
Photos de l’auteur et courtoisie de la Fondation Beyler
jusqu’au 25 avril 2011
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Communication Presse Beyeler
Plus de 100 000 visiteurs pour l’exposition Segantini à Fondation Beyeler de Riehen/Bâle
Depuis son ouverture à la mi-janvier, l’exposition «Segantini» de la Fondation Beyeler a déjà attiré à Riehen plus de 100 000 amateurs d’art. La rétrospective consacrée au célèbre peintre des Alpes que fut Giovanni Segantini rassemble environ 70 toiles et dessins, dont 10 œuvres qui n’avaient encore jamais été présentées au public.
L’exposition « Segantini » de la Fondation Beyeler incite à se poser cette question : faut-il voir en lui un artiste qui a porté l’art du XIXe siècle à sa perfection ou un précurseur de l’art moderne ?
Très apprécié de son vivant comme en témoignent les nombreuses distinctions dont il a fait l’objet, Giovanni Segantini (1858-1899) est mort au sommet de la gloire, à 41 ans seulement. Après avoir connu une grande popularité avant la Première guerre mondiale, il est tombé dans l’oubli. Malgré l’audace radicale de ses compositions picturales novatrices, la place croissante du cubisme dans l’art l’a relégué à l’arrière-plan. Les trois cercles culturels auxquels Segantini se rattachait (l’Autriche, l’Italie et la Suisse) ne présentaient en effet guère d’intérêt pour la critique d’art du XXe siècle, d’empreinte essentiellement française et qui ne voyait d’avant-garde que de Paris.
Les historiens d’art qui ont entrepris, au lendemain de 1968 et au cours des quarante dernières années, de réviser cette attitude à l’égard de l’art du XIXe siècle, ont défini le symbolisme comme le grand courant de la culture de la fin du siècle. Dans cette perspective, les Sécessionnistes allemands et viennois qui se réclamaient de Segantini ont pris une importance nouvelle. La complexité de l’œuvre de Segantini est apparue clairement sur la toile de fond de ce renouveau.
Vingt ans après la rétrospective organisée au Kunsthaus de Zurich (1990) et dix ans après l’exposition du Kunsthaus de Saint-Gall (1999), la Fondation Beyeler invite à jeter un regard nouveau sur le peintre des montagnes, des paysans et de leurs bêtes. L’exposition Segantini de la Fondation Beyeler aborde toutes les périodes de son œuvre, tout le spectre de son univers thématique, l’ensemble des genres et des techniques artistiques, les dessins aussi bien que les gigantesques panoramas sur toile. Elle comprend environ 45 toiles et 30 dessins provenant de collections particulières et de musées.
Les commissaires de cette exposition sont l’arrière petite-fille de l’artiste Diana Segantini, Guido Magnaguagno et Ulf Küster.
L’exposition « Segantini » est visible à la Fondation Beyeler, Riehen/Basel, jusqu’au 25 avril 2011.
Tout est extravagant dans la vie et l’oeuvre de Giovanni Segantini (1858-1899), à commencer par le fait que l’on ne peut pas continuer la phrase par « peintre italien » ou « peintre suisse », puisque Segantini n’était d’aucune nationalité.
Il est né à Arco sur le bord du lac de Garde, alors dans l’Empire austro-hongrois. Très vite orphelin, il est recueilli brièvement par une demi-soeur à Milan, qui le fait renoncer à la nationalité autrichienne, mais oublie de lui faire donner l’italienne. Il vit donc sans papiers d’identité, en Italie, puis en Suisse à partir de 1886. La confédération finit par lui accorder la citoyenneté helvétique, à titre posthume.
C’est encore en Suisse, à la Fondation Beyeler, qu’un très bel hommage lui est aujourd’hui rendu en 75 toiles et dessins, qui peut prendre des airs de révélation pour un visiteur français. Jusqu’ici en effet, aucune exposition ne lui a été consacrée en France, alors qu’il s’agit d’un des artistes majeurs de son temps, entre symbolisme, postimpressionnisme et primitivisme.
Deuxième singularité de Segantini : sa précocité. En 1873, à 15 ans, il est apprenti chez un photographe. L’année suivante, il est admis à l’Académie de Brera, à Milan. En trois ou quatre ans, avec une aisance déconcertante, il assimile l’art ancien et le moderne, leurs techniques et leurs maîtres. Dès 1880, il signe des paysages et des portraits d’une résolution et d’une splendeur chromatique qui le projettent aussitôt au premier plan. Hésiter, transiger, adoucir sont des verbes inconnus de lui.
Sa vie privée en témoigne. En 1879, il rencontre Luigia Bugatti, dite « Bice », soeur de Carlo, l’illustre architecte et décorateur, tante de Rembrandt Bugatti, le sculpteur, et d’Ettore, l’ingénieur automobile. Sans identité légale, il ne peut l’épouser, ce qui n’empêche qu’ils fondent une famille de quatre enfants, au risque de scandaliser leurs contemporains.
Troisième étrangeté, et la principale : Segantini, en dépit de ses premiers succès, quitte Milan l’industrielle dès 1880 pour s’établir d’abord à Pusiano, village au bord d’un petit lac, près du grand lac de Côme. C’est la première étape de son voyage hors du présent. Celui de la métropole lui apparaît vite insupportable. Tout ce qui restreint sa liberté le blesse. Aussi s’écarte-t-il. Pusiano, c’est un monde de bergers, de pêcheurs, de femmes et d’hommes simples, comme on dit alors.
En 1886, deuxième départ, pour Savognin, en Suisse, dans le canton des Grisons. Là, ce sont les Alpes, l’altitude, les alpages, un monde plus reculé que Pusiano.
En 1894, la civilisation l’y rattrape néanmoins. On lui demande de payer des impôts, on l’adjure de décliner sa nationalité. Il monte donc plus haut, en Engadine, à Maloja. Il monte si haut qu’en septembre 1899, alors qu’il s’est installé sur les pentes du Schafberg, il meurt d’une péritonite parce que, trop loin et trop haut, il ne peut être descendu à temps pour subir l’opération qui l’aurait sauvé.
Sa peinture suit la même trajectoire vers une simplicité héroïque et archaïque. La magnifique adresse des débuts est bientôt dépassée. Il veut aller aux sentiments essentiels par l’essentiel des formes. Les sentiments essentiels, ce sont la force vitale, la fécondité, la souffrance, la peur de la mort. Ils sont visibles à nu dans les travaux, les croyances et les rites du monde rustique, alors que les moeurs modernes les cachent. Gauguin, quand il se rend en Bretagne en 1886, puis en Océanie en 1891, pense de même qu’il y retrouvera une authenticité disparue à Paris.
L’essentiel des formes, c’est la géométrie d’ovales et de parallèles dans laquelle Segantini enferme des scènes évidemment emblématiques, une femme perdue dans l’immensité du paysage alpestre, une autre qui guide ses moutons, ou, plus symbolique, la rencontre au ruisseau de la jeune fille nue et du serpent du mal. Là encore, on songe aux toiles mythologiques de Gauguin, à leurs sujets chrétiens ou « maoris », pures histoires de désirs et de souffrances.
La nudité des compositions est d’autant plus impressionnante que Segantini élargit sans cesse ses formats. Elle est accentuée par la réduction du champ chromatique à un petit nombre de dominantes, quelques plans de verts, de bleus ou de blancs obtenus par juxtaposition de touches en points ou en bâtonnets. Segantini adapte à son projet le divisionnisme de Seurat pour suggérer l’herbe, la neige et le ciel et donner à ses toiles une luminosité proprement alpestre. Ainsi est-il l’un des deux grands peintres de la montagne, l’autre étant son contemporain, le Suisse Ferdinand Hodler (1853-1918).
Ils ont un autre point commun, « l’audace de tout oser » sur la toile – formule de Gauguin. Quand Segantini peint sa Récolte des foins, il fait croître dans la partie supérieure de la toile un long nuage gris plomb. Cette forme pourrait ruiner l’oeuvre en l’écrasant de sa masse. Or elle se tient suspendue, à la fois opaque et légère, comme un nuage justement. Peu de peintres auraient essayé. Bien peu auraient réussi.
En 1897, Segantini met en chantier un gigantesque panorama de l’Engadine, qu’il destine à l’Exposition universelle de 1900 à Paris. Puis il lui substitue un deuxième projet, le Triptyque des Alpes, qui fut montré dans le pavillon italien.
Il y travaille en plein air, en altitude. La toile est protégée des intempéries par des planches. Segantini la confronte constamment à la nature, non pour obtenir un paysage exact – il se moque de cette vérité-là -, mais pour parvenir à une oeuvre qui soit à la mesure de l’exaltation que suscitent en lui les éléments premiers du monde. Ce processus de création lui a été fatal, comme le voyage aux Marquises l’a été à Gauguin.
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« Segantini ». Fondation Beyeler, Baselstrasse 101, Riehen (Suisse). Tous les jours de 10 heures à 18 heures ; le mercredi jusqu’à 20 heures. Entrée : 25 CHF (19 €). Jusqu’au 25 avril. Tél. : (00-41)61-645-97-00. Sur le Web : Fondationbeyeler.ch.
Philippe Dagen