« Mille reflets du ciel
Promenaient, éveillés, les charmes de mes songes,
Et venaient éclipser l’étendard du réel. »
Max Jacob
Comment parler d’une artiste photographe, qui sait mieux que personne présenter son travail ?
En effet sur ses site et blog personnels, Anne Immele, parle avec sensibilité et poésie, de ses motivations, du choix de ses photos, de cette passion qui l’anime, au point de l’enseigner au Quai à Mulhouse, mais aussi à l’université de Strasbourg. Issue de l’école d’Arles, où elle a acquis un solide bagage, l’artiste nous montre ses travaux récents qui dialoguent entre eux en silence au rythme incessant du projecteur de diapositives où l’image d’une montre sans aiguille revient sans cesse.
« le projecteur de diapositives. Le carrousel effectue un mouvement circulaire, il tourne et projette de manière régulière 80 diapositives, qui sont toujours identiques. Ces diapositives sont des reproductions de la même image d’une montre, qui a la particularité d’avoir perdu ses aiguilles. La montre n’indique plus le temps qui passe, le carrousel tourne, mais – tout en avançant de manière cyclique – il revient sans cesse à la même image. Il n’y a aucune progression. L’instant n’en finit pas… de se répéter. Le son est particulièrement important : la scansion du carrousel qui avance d’une diapositive à la suivante a remplacé le tic-tac de la montre ». – Anne Immele
Ses formats carrés mettent en avant la problématique architecturale et sa confrontation avec l’humain.
Le regard porté par Anne Immele nous pousse au questionnement existentiel à Colmar, à l’espace Malraux, jusqu’au 30 mai 2010.
Tout d’abord les antichambres, qui montre un état des choses, un état des lieux, ces images qui pourraient paraître calmes, sereines, harmonieuses, or elle espère qu’il n’en est rien, car malgré leur apparence, immobile et hiératique, se sont des forces (intranquilles) agitées, qu’elle souhaite provoquer et convoquer. Les paysages urbains montrent des habitations récentes, des parkings, des chantiers, des lieux incertains, qui caractérisent ce qu’elle ne pourrait nommer le nivellement. Souvent il s’agit d’un nivellement géographique du terme, par exemple du nivellement du sol, qui a été aplani pour construire des immeubles, mais c’est aussi le nivellement social, avec ces immeubles, qui ne sont pas là pour convoquer la diversité, la singularité, mais au contraire montrent obstinément la similitude, une sorte d’unité, qu’on pourrait qualifier de formatage méticuleusement organisé. Ces paysages urbains sont associés à des portraits.
Dans les portraits elle joue entre la faille qui existe entre l’extériorité c’est à dire, la faille du visage qui est photographié et l’intériorité de la personne qui reste toujours inaccessible, et c’est dans cette faille que se joue toute la dimension du portrait, qui est pour elle du registre qu’elle qualifie d’effondrement.
A l’étage on peut voir les paysages immobiles, images saisies, captées dans son quotidien, dans les rues et les lieux qui lui sont familiers, au jour le jour, et là encore il s’agit pour elle de scruter, ce qu’elle nomme avec Max Jacob – « l’étendard du réel« qui peut être mieux fixé au sein des associations photographiques.
Les memento mori où elle associe les photographies récentes avec des petits tirages argentiques polaroïdes qui ont été réalisés pour certains depuis ses débuts dans les classes de la ville de Colmar, qui pour elle sont importants, pour ce qu’elle a pu apprendre de la photo pas tant du domaine technique, que du phénomène lié au temps, différentes temporalités.
Le temps du tirage photo, qui est un temps long qui est propice à la méditation, dans lequel on laisse l’image advenir, apparaître, et c’est un des sujets de memento mori, c’est principalement ce rapport au photographique et à l’apparition photographique elle-même.
La photographie a un rapport à l’instant éphémère et pourtant cet éphémère reste fixé dans un instant qui n’en finit pas, dans cette dimension temporelle là, qu’elle a voulu travailler. Il y a un autre rapport au temps, c’est celui du regard porté en arrière de manière rétroactive sur des images qui peuvent aussi être habitées par une dimension mémorielle affective, c’est aussi cette dimension là qu’elle a voulu évoquer. Ce n’est pas un hasard si ce travail de memento mori est exposé à Colmar qui est sa ville natale, c’est la conjonction de ses recherches universitaires depuis quelques mois, qu’elle ne voulait pas montrer ailleurs que dans cet espace en priorité.
photos des photos d’Anne Immelé
c’est le comble de photographier des photos, mais comment procéder autrement?
Texte largement inspiré du discours d’Anne Immelé, quasi reproduit à l’indentique.
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Annick Woehl – l’Alsace
L’Espace Malraux, à Colmar, accueille la photographe mulhousienne Anne Immelé pour « Antichambres/ Memento mori », jusqu’au 30 mai.
Une photographe en chasse une autre… Anne Immelé succède à Françoise Saur sur les cimaises de l’Espace d’art contemporain André-Malraux à Colmar. Un hasard du calendrier ? « Pas du tout, répond André Siegel, le programmateur du lieu. On a voulu montrer successivement deux regards, deux générations pour rappeler que la photo est un art. En plus, les thèmes de ces deux artistes ne sont pas très éloignés. »
Diplômée de l’École nationale de la photographie d’Arles et enseignante au Quai à Mulhouse, Anne Immelé présente plusieurs de ses travaux à Colmar, à commencer par les Antichambres, accrochés au rez-de-chaussée de l’Espace. Des images prises de 2003 à 2007 dans les villes des trois pays de la Regio, de Stuttgart à Mulhouse, son lieu de vie. « Ce travail est un questionnement sur comment on habite les espaces conçus pour nous par des urbanistes, des politiques. Comment on s’invente un quotidien dans ces lieux que l’on n’a pas forcément choisis… »
Paysages urbains
Artiste de la discrétion, de l’épure, du vide, Anne Immelé capture des paysages urbains qu’elle conçoit « comme des décors de théâtre », comme un plateau qui n’attend que la scène imaginée par le visiteur à venir. Béton, coin de parking, immeuble, lignes épurées, fuyantes… qu’animent parfois des enfants. Paradoxe, l’ensemble est plutôt doux. Le regard est attiré par les portraits qui ponctuent la série, la regardent peut-être ; portraits intimes ou extérieurs, regard frontal, de côté, méditatif ou baissé.
Dans cette série, toutes les photos sont carrées. « Jusqu’à l’an dernier, je ne travaillais que dans ce format. Il donne quelque chose de très hiératique, un grand immobilisme. Je trouve cela harmonieux et reposant. En fait, j’avais envie de voir le monde en carrés plus qu’en rectangles. Le rectangle, c’est une convention que l’on peut rapprocher de la photo avec les 24X36, mais aussi et surtout de la télévision. »
Dans la mezzanine, l’artiste présente Memento mori, un travail récent sur la photo comme déclencheur de nostalgie, de mélancolie, comme rappel de la mort inéluctable, de l’absence. Quelques images littéralement épinglées, qui mêlent argentique et numérique, vieux clichés et nouveaux, dont le plus ancien est un fascinant portrait fait à Colmar en 1989.
L’agencement comprend aussi une installation où un projecteur carrousel Kodak projette la même image d’une montre privée d’aiguilles. La régularité de la succession renvoie au tic-tac de l’horloge ou au battement de cœur, en tout cas au temps qui passe.
À la narration, Anne Immelé préfère tisser des fils entre ses images. Elle excelle à donner une présence puissante, presque hypnotisante, aux éléments banals du quotidien.
Annick Woehl – l’Alsace le Pays
Y ALLER Espace Malraux, 4 rue Rapp à Colmar, du mardi au samedi de 14 h à 19 h, dimanche de 14 h à 18 h (exposition du 10 avril au 30 mai). Entrée libre.