La Fondation Beyeler dédie sa grande exposition d’automne à l’oeuvre figurative de Thomas Schütte.
Dès que l’on pénètre dans le parc, près du Belvédère, le Vater Staat (2010) nous accueille. Certains l’ont aperçu devant la Dogana à Venise il y a 2 ans ou au Palazzo Grassi entre autres .
À l’entrée du musée, sur le frontispice se dresse un groupe de ces Fremden – les étrangers- qui avaient apporté dès 1992 la preuve de l’efficacité et de la diversité avec lesquelles Schütte est capable de traiter la figure humaine : absorbées en elles-mêmes, le regard baissé, encombrées de valises et de sacs de voyage, les figures en céramique sont livrées sans protection aux inclémences du ciel. Sont-elles en train d’arriver ou sur le point de partir ? Est-ce que ce sont des visiteurs, des réfugiés ou des gens en voyage ?
L’artiste s’est intéressé à la Guerre froide et à des thématiques plus contemporaines, entre autres dans ses maquettes : les maquettes d’habitations (Maisons de vacances de terroristes), de banque (Placement immobilier), à Art Basel -Ringe, ou la reproduction miniature d’une station-service intitulée – Fais le plein, Allemagne et réalisée pendant la guerre en Irak témoignent ainsi d’un intérêt particulier pour la représentation des modes de vie.
A l’intérieur c’est un peu le repos du guerrier : Thomas Schütte nous montre dans une salle des femmes aux formes généreuses, alanguies, dans les salles voisines de curieux guerriers caricaturaux. Des « femmes » d’acier plus grandes que nature, de monumentaux
« esprits » en bronze, des figurines miniatures et caricaturales en pâte à modeler, des têtes et des statues en céramique de taille naturelle, de délicats portraits à l’aquarelle et des autoportraits dessinés devant le miroir – l’oeuvre de Schütte témoigne d’un goût et d’un plaisir absolus à l’expérimentation et ne se laisse guère enfermer dans des catégories.
La peinture et la sculpture figuratives, et, s’y rattachant, la figure humaine sous ses diverses apparences sont au centre de cette exposition.
vernissage
Vivant à Düsseldorf, le sculpteur et dessinateur allemand Thomas Schütte (né en 1954) compte parmi les artistes les plus fascinants et les plus novateurs de sa génération. Il a étudié de 1973 à 1981 à l’Académie des beaux-arts de Düsseldorf, dans la classe de Fritz Schwegler, puis chez Gerhard Richter. Düsseldorf, Cologne et la Rhénanie étaient alors le centre artistique le plus couru et, pour les artistes, le lieu de rencontre sans doute le plus animé d’Europe, l’avant-garde américaine du Minimal Art et de l’art conceptuel y était en outre plus représentée que nulle part ailleurs. Coeur vif de cette constellation, la galerie de Konrad Fischer, où le jeune artiste encore inconnu accrochait dès 1981 sa première exposition personnelle.
Ce fut le début d’une étonnante carrière, au développement ininterrompu jusqu’à ce jour. Schütte s’est d’abord fait connaître au début des années 1980 par ses maquettes et ses objets d’essence architecturale, qu’il présente dans des expositions et n’aura que rarement transposés en constructions réelles, à l’exception de Eis (Glace), une sorte de baraque à glaces qui a beaucoup servi lors de la Documenta 8 à Kassel, en 1987. Presque en même temps que ce travail conceptuel, Schütte se met par ailleurs à élaborer une oeuvre figurative qu’inaugurent des figurines et de petites têtes modelées et bricolées avec toutes sortes de matériaux.
Il apparut cependant que l’époque n’était pas encore mûre pour ce type d’art, jusqu’à ce qu’en 1992 les figures en céramique aux éclatantes couleurs des Fremden (Les Étrangers) fassent grande sensation à la Documenta IX.
D’un seul coup, on s’aperçut que parallèlement à ses constructions en forme de maquettes, Schütte avait entrepris de développer une oeuvre de sculpture gravitant autour de la figure humaine. Inattendu à cette époque, ce thème allait prendre de plus en plus d’importance dans son travail et c’est à une oeuvre figurative extrêmement impressionnante que l’artiste donnera ensuite le jour, d’une radicalité et d’une force d’innovation qui ne semblaient plus imaginables dans ce champ. Depuis, c’est avec constance et succès que Thomas Schütte poursuit son travail dans ces deux domaines, se présentant tantôt comme constructeur de maquettes d’architecture à la fois utopiques et réelles, tantôt revenant nous montrer un nouvel ensemble de figures ou de têtes. Entre ces deux pôles, il y a le dessin, qui déroule une sorte de trace assidue traversant l’oeuvre dans son entier.
Conçue en étroite collaboration avec Thomas Schütte, l’exposition de la Fondation Beyeler offre, par son large choix de sculptures déclinées dans 3 matériaux (bronze, verre, céramique), de dessins et d’aquarelles, un aperçu global de sa création figurative des trente dernières années.
Le visiteur peut admirer ses sculptures dans les salles du muséesur leurs socles et parfois sous cloches, mais surtout à l’extérieur, dans le parc, qu’il s’agisse de pièces connues ou d’autres plus rarement montrées, mais aussi de tout nouveaux travaux.
Hase, bronze, qui à l’origine était une création de la fille de Thomas Shütte, devait servir pour toutes les occasions festives enfantines : Pâques, Noël, Halloween, etc …. Thomas Schütté l’adapte en taille XXL en 2013, et « Hase » séjourne dans le bassin derrière la Fondation dans un écrin de verdure, en crachant de l’eau par intermittence.
L’exposition présente en outre des dessins et des aquarelles, qui prennent chez Schütte une importance cruciale à chaque fois qu’il est question de la figure humaine. Si quelques dessins ont une existence isolée, ils apparaissent beaucoup plus souvent sous forme de blocs ou de séries qui naissent d’un seul élan ou sont produits sur une durée plus ou moins longue. Une série peut assumer par exemple la fonction d’un journal, comme les Aufzeichungen aus der 2. Reihe (Notes du 2e rang), représenter la tentative de cerner une certaine personne – c’est le cas de Luise –, ou résulter du simple désir d’étudier et de fixer des objets et des fleurs, dans leur beauté tout ordinaire. À travers leur légèreté, les aquarelles, les dessins et les eaux-fortes nous font voir un monde visuel libéré de la pesanteur matérielle de la sculpture. Parmi ses créations figuratives, il en est certaines, comme les United Enemies par exemple, qui peuvent accompagner Thomas Schütte sur plusieurs décennies. Les figures modelées en 1994 en pâte Fimo, une sorte de pâte à modeler, et attachées ensemble dans un second temps, prêtent à celui ou celle qui les contemple une taille de géant et nous étonnent par leur allure de marionnettes et une esthétique relevant du bricolage.
Vingt ans plus tard, ce sont à l’inverse les doubles sculptures en bronze patiné de près de quatre mètres de hauteur qui transforment le spectateur en figure lilliputienne (dans le foyer). Si l’on a tout d’abord sous les yeux une marionnette certes étrange, mais familière, on lève ensuite son regard sur une gigantesque sculpture en bronze d’origine mystérieuse. Un tel glissement d’échelle est un exemple caractéristique de la démarche de l’artiste. Schütte tient toujours compte du spectateur, il nous prend toujours en considération et nous faisons partie du jeu. Ses sculptures « entrent en scène » ou font leur « apparition », elles ne sont pas autonomes, ne se suffisent pas à elles-mêmes, mais instaurent toujours un rapport avec leur environnement et l’individu qui leur fait face et les regarde. Ce jeu souverain avec la monumentalité et l’intimité conduit depuis de nombreuses années les figures de Schütte à s’installer dans l’espace public, où elles sont visibles pour tous – visiteurs et passants.
Ses sculptures en plein air, par exemple les United Enemies dressés devant le Central Park de New York ou le Vater Staat (Père État) planté sur le parvis de la Neue Nationalgalerie de Berlin, s’inscrivent en quelque sorte naturellement dans la vie quotidienne d’une ville, comme il est apparu cet été de façon particulièrement splendide avec le groupe sculpté des Vier Grosse Geister (Quatre Grands Esprits) qu’on a pu découvrir, avant l’exposition, en trois endroits, à Zurich, à Genève et à Berne.
Cette réalisation aura donc perpétué en 2013 la tradition de la Fondation Beyeler, soucieuse depuis toujours de rendre l’art accessible au plus grand nombre dans l’espace public. Avec ses petits et ses grands ouvrages en bronze, en acier, en aluminium, en céramique, en bois et en cire, Thomas Schütte reprend la longue tradition de la sculpture figurative, ternie par l’histoire du XXe siècle et ses tragédies, et en fait surgir des oeuvres qui, dans leur rayonnement immédiat aussi bien que par les spécificités techniques de leur fabrication, sont irrévocablement de notre temps.
Au spectacle de figures et de têtes portant des titres aussi frappants que Vater Staat, United Enemies, Fratelli (Frères) ou Walser’s Wife (La Femme de Walser), on est facilement tenté de vouloir chercher l’histoire personnelle qui se tient cachée derrière l’oeuvre, de s’interroger sur leurs possibles modèles formels, sur leurs interprétations socio-critiques ou philosophiques. Mais ce n’est là qu’un aspect des choses et l’on reste par ailleurs fasciné par les sculptures elles-mêmes, captif de leur magistrale présence et surpris de les voir apparaître si différentes qu’on croyait ou qu’on attendait : familières et en même temps totalement étrangères, elles ont l’air tantôt bricolées, tantôt monstrueusement enflées, (bibendum) gigantesques et violentes, odieuses et grossières, estropiées(unijambiste ou preque) mais ne tardent pas à nous reparaître extrêmement délicates, belles et sensibles.
La présentation des « Krieger, 2007 » encapsulés, à l’image des Krieger miniature, munis de batons dérisoires, dressés sur leurs jambes précaires, entourés par les protraits des « Innocenti, 1994) , révèlent son regard clairvoyant, décalé et ironique (Kriegerdenkmal, 2003 et mini Krieger)sur les horreurs du monde ainsi qu’une sculpture « Memorial for the unknown artist » .
L’ensemble d’aquarelles ( blumen fur Konrad) présentés près du masque mortuaire de son premier galeriste en céramqiue glacée de couleur verte (Konrad (Grüner Kopf) tel un hommage délicat de cet artiste à l’apparence, froide, à l’humour décapant qui manie l’ironie avec maitrise dans son art.
exemple : quel est votre matériau préféré ? (question posée par une journaliste italienne
réponse : le bronze, parce que c’est le matériau le moins cher et le plus pérenne.
Thomas Shütte est collectionné par François Pinault, les Fratelli, Vater Staat, Efficienct men. Une de ces sculptures se trouve devant le MAMC.
Le catalogue de l’exposition Thomas Schütte. Figur est publié en langue allemande par la maison d’éditions Walther König à Cologne (ISBN 978-3-906053-11-0, 193 pages, 250 illustrations en couleur). Il contient une contribution d’Adrian Searle, de nombreux interviews de Theodora Vischer avec l’artiste, ainsi qu’un entretien entre Gerhard Richter, Thomas Schütte et Theodora Vischer.
Il disponible au musée au prix de 59 CHF. Fondation Beyeler,
Beyeler Museum AG, Baselstrasse 77, CH-4125 Riehen
Heures d’ouverture de la Fondation Beyeler :
tous les jours 10.00–18.00, jusqu’à 20 h
photos de l’auteur et images et texte courtoisie de la Fondation Beyeler
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