Techniques mixtes. 2020. 15X25X19cm.
Je laisse la parole à Anne-Marie Ambiehl, notre amie, victime
du Covid depuis le 16 septembre :
« Ça bouge dedans ».
Comment décrire la guerre qui se déroule dans mon corps depuis 83 jours ?
Des mini-soldats se livrent de violentes batailles. Ils ne pèsent qu’un gramme chacun, mais comme il y en a en des milliards, ils font une tonne. Ils me font mal, ils m’épuisent, ils m’écrasent. Dans mes bras, mes mains, mes jambes, mes pieds, ils sont armés jusqu’aux dents ; toutes armes, de toutes civilisations, de toutes époques. Je ressens à l’intérieur de ma peau chaque impact d’épée, de marteau, de masse, de fléau, de fusil, de flèche, de bombe comme autant de brûlures, picotements, décharges électriques. Les armées se déplacent par milliers de combattants, sans cesse, dans tous les sens, à toute allure, piétinant mon « dedans ». Les vibrations se font alors ressentir jusqu’à l’extérieur de ma peau. Impossible alors de recevoir une caresse ou un câlin. La peau est trop douloureuse. L’atterrissage d’un projectile catapulté dans mes genoux fait l’effet d’une bombe anesthésiante et m’empêche de bouger mes jambes et de me lever. La forte concentration de ces brutes dans mes doigts provoque des tremblements visibles à l’œil nu, ne me permettant pas, alors, de tenir un stylo ou une fourchette. Les guerriers et leurs armes rebondissent à l’intérieur de mes membres. Parfois, pendant quelques heures ou quelques jours, ils se calment. On pourrait croire qu’ils sont partis. Mais non. Ils réajustent leurs armures pour me malmener de plus belle. Le long de ma colonne vertébrale, les soldats se battent à mains nues. Des milliards de minuscules poings et pieds se ruent, tapent, frappent, cognent, rossent mes vertèbres. Tous les coups sont permis. Les gestes précis de l’ostéopathe et les pouces puissants et les ventouses de la kinésithérapeute dispersent les lutteurs pendant quelques heures, mais valeureux, ils retrouvent leur place bien vite. Dans la tête, c’est pire. Ici le désordre est amplifié par un épais brouillard dense et pesant. Les combattants se brutalisent sans ménager mes neurones entrainant ainsi des confusions de tous ordres dans mon cerveau. Les mots ne sortent plus comme je voudrais, mes phrases sont décousues, j’ai des trous de mémoire. La moindre conversation me plonge dans la brume. Lorsqu’une accalmie me permet d’écrire un mail ou de préparer un repas, je sais que je vais payer cher mon audace et mes efforts de concentration pour avoir défié « mes » guerriers en bougeant et en réfléchissant… Ils se réveillent par milliers dans mon corps, provoquant des vertiges, ne me laissant de répit qu’après de nombreuses heures de sommeil et de repos. Et ça recommence…
Anne-Marie Ambiehl, artiste-plasticienne pleine d’espoir.
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