Rodney Graham. Lightboxes

Au musée Frieder Burda de Baden Baden 
jusqu’au’26 novembre 2017
La décision de mettre sa propre biographie au
service de l’art implique toujours une décision
en faveur d’un rôle précis.


Dandy ou bohémien, allié des opprimés ou pourvoyeur
des privilégiés – à l’instar de chaque profession, le statut d’artiste
véhicule aussi ses propres clichés. L’artiste canadien Rodney Graham
met en scène ces stéréotypes avec virtuosité, se demandant comment
les identités individuelles se construisent à partir de la distribution
sociale des rôles. L’obsession de la profession. Et toujours, dans le rôle
principal : lui-même.
Son médium : le classique caisson lumineux publicitaire.

Rodney Graham, Antiquarian sleeping in his shop 2017

Ainsi, l’antiquaire mis en scène avec une profusion de détails
ou encore le cowboy moderne deviennent les supports publicitaires
d’eux-mêmes.
Pourtant, sous la surface lisse et lumineuse de la photo éclairée,
derrière la scénographie perfectionniste, point toujours la mélancolie ;
on devine ce qu’il en coûte de devoir jouer à la perfection son rôle
dans le grand théâtre de la vie. À peine un sourire, on croise
rarement le regard.
Celui-ci s’échappe volontiers vers le néant, le lointain –
ou bien vers le passé.
Rodney Graham, Paradoxical Western Scene, 2006. Leuchtkasten, 147,3 x 121,9 x 17,8 cm. Courtesy Hauser & Wirth and the artist © Rodney Graham, 2017

Plus que tout autre artiste contemporain, le Canadien
Rodney Graham, qui est né en 1949 et vit aujourd’hui à Vancouver,
s’est employé à explorer les traces laissées par les univers des XIXe et
XXe siècles. Il travaille ainsi depuis les années 1970 à une oeuvre
conceptuelle au caractère rhizomique qui n’hésite pas à
sauter sans cesse d’une époque et d’un genre à l’autre,
et il associe dans son travail film, photographie, installations,
performances, peinture, littérature et musique.

Graham
qui, aux côtés d’artistes tels que Jeff Wall ou
Stan Douglas fait partie du groupe appelé « Vancouver School »,
s’approprie les styles, modes et discours des diverses époques
allant du romantisme au postmodernisme, pour les
commenter, les repenser, les réécrire en se montrant
discrètement ironique.
Ses sources d’inspiration vont des grands noms tels
que Sigmund Freud, Richard Wagner ou Edgar Allan Poe
aux figures légendaires de la pop telles que Kurt Cobain.
La perception de soi en tant qu’artiste, les postures et
les sensibilités sont tout autant révélées que dissimulées.
Rodney Graham, Newspaper Man, 2016. Leuchtkasten, 182 x 136 x 18 cm. Museum Frieder Burda, Baden-Baden © Rodney Graham, 2017

En étroite collaboration avec l’artiste, le Musée
Frieder Burda a réussi
à mettre sur pied la plus vaste
exposition récapitulative de photographies en caissons lumineux
de Rodney Graham présentée à ce jour. Les caissons – le médium
au coeur de son oeuvre complexe – ont été réalisés de 2000
à aujourd’hui.
« Les multiples mises en scène de Graham lui-même occupent
toujours une place centrale. Il fait l’effet d’un voyageur mélancolique
traversant le temps, un Buster Keaton moderne éprouvant sous
divers déguisements les errements et tourments de la culture
contemporaine, se glissant dans le rôle de producteurs,
spectateurs ou médiateurs », explique Patricia Kamp, commissaire
de l’exposition, à propos de l’oeuvre de Rodney Graham.

L’exposition s’ouvre au rez-de-chaussée du musée
sur le triptyque monumental Antiquarian Sleeping in his Shop
de 2017. Graham incarne ici un antiquaire qui s’est endormi
en lisant dans sa boutique décorée de curiosités.
On imagine bien Ambroise Vollard dans sa galerie, pleine de curiosités.
Les accessoires qui s’y trouvent ont été chinés par Graham
lui-même dans les magasins d’antiquités et autres brocantes
de Vancouver. Ce travail peut être lu comme une allégorie
complexe d’un repli sur des styles éclectiques et des univers
intérieurs nostalgiques.
Rodney Graham, Media Studies, 77, 2016, Leuchtkasten, 232,2 x 182 x 17,8 cm. Courtesy Hauser & Wirth and the artist © Rodney Graham, 2017

Ses Media Studies 77 (2016), sur la mezzanine,
font, en pleine époque de post-vérité, figure de parodie
des sciences des médias et de la pratique universitaire.
Ici, Graham endosse le rôle d’un professeur aux allures de dandy.
Si, comme le postulait en 1964 le Canadien Marshall McLuhan,
spécialiste des études sur les médias, « le message, c’est le médium »,
il s’est figé, et son discours avec lui, pour ne former qu’une simple
surface. L’écran est mort, le tableau vide, l’unique message dans
la pièce est l’auto-mise en scène de l’enseignant. Simultanément,
Graham transcrit cette scène en une composition en deux
dimensions faite d’éléments abstraits et monochromes.
L’étage supérieur abrite des oeuvres-clés réalisées
au cours de la dernière décennie :
des photos prises dans des caissons lumineux, un grand nombre
d’entre elles montrant les incarnations les plus connues de
Graham. On y trouve par exemple le peintre amateur,
le vendeur d’appareils photo, l’artisan, le « Rambling Man »
et le cowboy. Tous les détails, tous les arrangements aux allures
de nature morte renferment des citations en images.
L’artiste ne cesse de brouiller les frontières entre culture élitaire
et culture de masse, il crée des liens entre des situations
banales et quotidiennes et introduit des allusions complexes
à l’histoire de l’art et des idées.
« Par la transposition dans un langage visuel lumineux
d’images textuelles et d’étymologies, Graham se révèle
homme de lettres, allant et venant tel un somnambule
entre les genres, méthodes et figures de référence artistiques.
»
C’est ainsi que Dorothea Zwirner, connaisseuse de l’oeuvre de
Graham, décrit son travail dans le luxueux catalogue
(disponible au musée au prix de 36 euros).
Le fondateur du musée, Frieder Burda, commente ainsi
l’exposition actuelle :
« Avec Rodney Graham s’ouvre le prochain chapitre
de notre série d’expositions consacrée à la photographie.
Les travaux captivants de Gregory Crewdson, JR et
Andreas Gursky  présentés entre nos murs ont déjà
montré les processus fascinants que la photographie
est capable de déclencher. »
Museum Frieder Burda · Lichtentaler Allee 8b
· 76530 Baden-Baden Telefon +49 (0)7221 39898-0 ·
www.museum-frieder-burda.de

Pass-musées acceptés.
Horaires:
Du mardi au dimanche 10 h à 18 h, ouvert tous les jours fériés
Transports en commun
Liaison directe par autobus depuis la gare de Baden-Baden :
Lignes comportant l’arrêt « Augustaplatz/Museum Frieder Burda »
(notamment lignes 201 et 216).

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.