Le père de l’impressionnisme, Camille Pissarro
En art, la grande affaire est d’émouvoir, que ce soit
par des touches rondes ou carrées, des virgules ou
des glacis (…) M. Pissarro ne ressemble ni à
M. Claude Monet, ni à M. Sisley. (…)
Peu de paysagistes ont, comme lui, le sentiment
juste, sain et superbe des choses agrestes.
Il rend l’odeur, à la fois reposante et
puissante de la terre.
Octave Mirbeau, Le Gil Blas, 14 mai 1887
L’année 2017 marque le grand retour de cet aîné
du groupe Impressionniste sur la scène parisienne.
Parallèlement à la rétrospective que lui consacre
le musée Marmottan Monet, qui a débuté en février,
la Réunion des musées nationaux-Grand Palais
organise ainsi au musée du Luxembourg une exposition
sur un sujet entièrement neuf, se concentrant sur
les deux dernières décennies de la carrière du peintre.
Installé dans le village d’Éragny-sur-Epte, il y développe
une forme d’utopie qui traverse aussi bien sa peinture que
son engagement politique.
Les deux grands spécialistes de l’artiste, Richard Brettell
et Joachim Pissarro, (arrière, arrière petit fils de Pissarro),
sont réunis une nouvelle fois pour assurer le commissariat
de cette ambitieuse exposition abordant la période
la moins étudiée et la plus complexe de la carrière
de Pissarro.
En 1884, après de nombreuses années marquées
par de constants déplacements, Camille Pissarro
(1830-1903) se fixe dans le village d’Éragny-sur-Epte,
dans le Vexin français, où il reste jusqu’à sa mort.
Né à Saint-Thomas, dans les Antilles danoises,
il s’est formé en grande partie en autodidacte et
conservera toute sa vie une grande indépendance
d’esprit. Arrivé en France en 1855, il devient bientôt
un pilier de l’impressionnisme naissant, participant
aux huit expositions du groupe entre 1874 et 1886.
Pour l’artiste, la propriété d’Éragny représente
l’opportunité d’une stabilité nouvelle, propice au labeur
et à la vie de famille. Le lieu propose des motifs
nouveaux que Pissarro ne se lasse pas de peindre :
fermes, pairies, vergers… Ces motifs lui permettent
de renouveler sa peinture, en s’essayant au
néo-impressionnisme, mais aussi en explorant de
nouvelles techniques telles que l’aquarelle.
La vie que mène Pissarro avec sa famille
à Éragny correspond aussi aux convictions anarchistes
que le peintre s’est forgées : pour lui, autonomie et
travail collectif vont de pair, sur le modèle des travaux
des champs qu’il représente si souvent. La nature
d’Éragny, modelée par l’effort de l’homme, procure
à l’artiste la matière de nombreux sujets.
Il s’agit de tableaux, dessins et gravures aussi
spectaculaires que peu connus, créés à Éragny pendant
une période de vingt années.
L’artiste s’y installe au printemps de 1884,
louant une belle maison de campagne dont
il deviendra propriétaire en 1892 grâce à un prêt
octroyé par Claude Monet, et où il restera toute sa vie.
L’exposition inclut non seulement les émouvants
paysages de cette pseudo-ferme, résolument rustique et
productrice (à l’opposé de la luxuriance colorée de
Giverny), que Pissarro a immortalisés au fil des saisons,
mais également des tableaux représentant une
multitude de personnages, conçus dans l’atelier et localisés
dans les terrains champêtres d’Éragny.
Une place importante est réservée aux oeuvres graphiques
de Pissarro conçues durant la même période,
aquarelles éblouissantes et gravures aussi radicales
que celles d’un Gauguin.
Pissarro invente aussi un mode de collaboration artistique
et familial inédit, notamment dans
sa collaboration avec son fils Lucien, qui culmine
avec la création de la Eragny Press.
Cette petite maison d’édition familiale initiée à
Éragny poursuivra ses activités à Londres,
rehaussant d’illustrations et de reliures
d’art les grands textes favoris de la famille.
Pissarro était passionné par l’idée du travail collectif,
avec d’autres artistes, théoriciens et écrivains
politiques, comme avec les membres de sa propre famille.
L’esthétique des oeuvres d’Éragny prend tout son sens
si elle est analysée sous l’angle politique. On sait
que Camille Pissarro était un fervent anarchiste et
qu’il fut à ce titre inquiété, à tort naturellement, après
Jusqu’au 9 juillet 2017
Musée du Luxembourg
19 rue Vaugirard, 75006 Paris
commissariat : Richard Brettell, directeur de
l’Edith O’Donnell Institute of Art History, The
University of Texas, Dallas
et Joachim Pissarro, Bershad professeur d’histoire
de l’art et directeur des espaces artistiques du Hunter
College, City University of New York
scénographie : Etienne Lefrançois et Emmanuelle Garcia
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