Chefs-d’oeuvre de Budapest
Dürer, Greco, Tiepolo, Manet, Rippl-Rónai
9 mars – 10 juillet 2016
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard
75006 Paris
Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux
– Grand Palais, le musée des Beaux-
Arts de Budapest et la Galerie nationale hongroise.
Alors que le musée des Beaux-Arts de Budapest, le célèbre Szépmüvészeti Múzeum, se lance dans une vaste campagne de rénovation qui l’oblige à fermer ses portes, les chefs-d’oeuvre les plus remarquables qui fondent sa renommée s’exposent au Musée du Luxembourg.
Budapest se distingue par la richesse de ses collections conservées au musée des Beaux-Arts et à la Galerie nationale hongroise, mais aussi par l’originalité de leur histoire commune qui prend racine au XIXe siècle. Leur genèse témoigne de la volonté des pouvoirs publics d’alors de doter la capitale hongroise d’une institution d’envergure internationale qui puisse offrir le meilleur de l’art national et européen, essentiel à la formation et à l’élévation de la population.
Portée par une politique culturelle dynamique et raisonnée, l’idée d’un musée des Beaux-Arts prend forme avec l’acquisition par l’État en 1871 des quelques six-cents chefs d’oeuvre de la collection des princes Esterhazy. Elle se développe par la suite notamment grâce à la générosité de collectionneurs hongrois, désireux de contribuer à l’entreprise en comblant progressivement les lacunes du noyau initial. 1896 marque un tournant décisif : cette année-là, le Parlement décide de faire construire un vaste bâtiment où réunir tous ces trésors alors présentés en divers endroits de la ville. Dans l’histoire de la Hongrie, la création de ce musée coïncide avec un moment d’essor économique et accompagne un âge d’or artistique. Véritable temple des muses élevé à l’orée du grand parc urbain, le nouvel édifice marqué par la référence à l’architecture antique ouvre ses portes en
1906. lI devient rapidement un rendez-vous obligé des habitants de Budapest et une collection parmi les plus prestigieuses d’Europe centrale.
Au-delà de la possibilité de voir à Paris des oeuvres de Dürer, Cranach, Greco, Tiepolo, Goya, Manet, Gauguin, Kokoschka, il s’agit de raconter la singularité du rapport à l’art de cette capitale européenne. Un certain nombre d’oeuvres les plus spectaculaires promettent d’être une découverte totale pour le public français, depuis les sculptures médiévales jusqu’au symbolisme hongrois, puisqu’aux collections du musée des Beaux-Arts se joignent celles de la Galerie nationale hongroise.
L’exposition suit un fil chronologique, mettant parfois en avant les spécificités d’une école (le siècle d’or hollandais tant aimé des Esterhazy), mais développe aussi de façon transversale quelques thèmes qui sont illustrés de façon très originale dans la collection : ainsi peut-on réunir portraits et figures de fantaisie ou scènes de genre, en passant de Hoffmann et Rubens à Messerschmidt, Goya, Füssli et Manet.
La grande peinture religieuse est également évoquée au travers des écoles européennes pour créer des face-à-face riches de sens. Quant au tournant du XXe siècle, entre symbolisme et expressionnisme, le visiteur peut s’en faire une idée nouvelle grâce à la rencontre entre des chefs d’oeuvre hongrois et des oeuvres, tout aussi rarement vues en France, de Rodin, Böcklin, ou Puvis de Chavannes.
Quelque 85 peintures, dessins et sculptures relèvent donc le défi de recréer dans la petite enceinte du Musée du Luxembourg toute la splendeur d’un musée qui ne ressemble à aucun autre et offre une perspective inattendue sur l’art européen.
parcours de l’exposition
LA FIN DU MOYEN ÂGE
Aucune date précise ne saurait fixer, de manière pertinente pour toute l’Europe, une fin pour le Moyen Âge.
Tout au plus s’accorde-t-on pour identifier le XVe siècle comme une période charnière où, diversement selon les pays, la Chrétienté s’oriente progressivement vers les Temps modernes. D’un point de vue artistique, le passage du dernier style gothique au langage rationnel de la Renaissance peut apparaître comme une rupture plus franche et un repère commode. Mais dans les faits, la révolution reste bien moins radicale que ne
l’énonce la théorie, et cela même au sein de l’école italienne qui en est le laboratoire au XVe siècle. D’ailleurs, si le Moyen Âge s’achevait vraiment là où frémit la Renaissance, ne faudrait-il pas remonter au début du XIVe siècle, à l’époque de Giotto dont les oeuvres portent déjà en elles les prémices de ce renouveau au fondement de l’art occidental des siècles suivants ?
Cette première section invite d’entrée le visiteur à s’interroger sur ce Moyen Âge tardif et sur ses multiples visages en Europe, depuis les émules de Giotto jusqu’aux premières années du XVIe siècle. Au-delà même de la ferveur pour la Vierge et les saints dont témoignent toutes ces oeuvres d’une même voix, des rapports
et des convergences apparaissent. La place prépondérante donnée à l’art hongrois entend rappeler certains moments forts de son histoire, à commencer par le règne de Sigismond de Luxembourg (1387-1437) qui réunit sous une même couronne la Bohême et la Hongrie et voit la floraison d’un style raffiné, plein de douceur. Le métissage entre gothique tardif et influences italiennes dont témoigne La Présentation de Jésus au Temple par le Maître d’Okolicsnó rappelle encore, vers 1500, le rôle actif joué dans la seconde moitié du XVe siècle par le grand roi humaniste Matthias Corvin (1458-1490) dans l’importation en Hongrie des formes nouvelles de la première Renaissance italienne.
RENAISSANCE GERMANIQUE
Au XVIe siècle, l’Europe centrale est en grande partie formée d’une nébuleuse de petits États réunis sous l’autorité d’un empereur élu par un collège de princes. Les Habsbourg d’Autriche dominent toute la période :
leurs territoires et leur influence ne cessent de s’étendre au-delà même des frontières de l’Empire, depuis l’Espagne jusqu’à la Hongrie. De cette famille sont issus sans discontinuité tous les empereurs du XVIe siècle.
L’époque est marquée par la personnalité de Charles Quint, le grand rival de François Ier. Il tente vainement de lutter contre la Réforme qui a germé au sein de l’Empire et y trouve de nombreux soutiens, dont le duc de Saxe, Frédéric le Sage, protecteur de Luther et de Cranach à Wittemberg.
Dans les contrées situées entre le Rhin et le Danube, une Renaissance originale voit le jour, tendant à s’affranchir des modèles italiens pour explorer la voie nouvelle ouverte par Dürer. Des artistes tels que Cranach et Altdorfer scrutent la figure humaine et la nature pour rendre avec une même précision les visages
et la surface des choses. Dans leurs oeuvres, que l’histoire de l’art a regroupées en une
« école du Danube», le paysage, minutieux, foisonnant, expressif et presque romantique, prend une importance nouvelle.
L’humanisme et le mécénat des princes favorisent l’éclosion de foyers et de nouvelles formes d’art dont témoigne avec éclat, à la fin du XVIe siècle, la cour de l’empereur Rodolphe II installée à Prague en 1586.
CINQUECENTO
Au XVe siècle, les territoires du nord de l’Italie, disputés entre la République de Venise et le duché de Milan, se laissent progressivement séduire par les formes nouvelles de la Renaissance toscane. Mais le XVIe siècle, que les Italiens désignent sous le nom de Cinquecento, y voit la naissance de deux écoles profondément
originales.
Tandis que Venise est dominée à la fin du XVe siècle par Giovanni Bellini, dont la leçon est perceptible dans Le Christ mort de Marco Basaiti, Milan accueille en 1482 Léonard de Vinci, le grand génie florentin.
Ses recherches marquent de manière indélébile toute une génération de peintres lombards actifs dans les premières décennies du XVIe siècle, au premier rang desquels Giovanni Antonio Boltraffio et Bernardino Luini.
À Venise, la mort de Bellini en 1516 laisse la place à Titien dont le travail sur la couleur définit une nouvelle ère dans l’art vénitien. Véronèse et Tintoret poursuivent dans son sillage. Les commandes religieuses demeurent pour les peintres une source essentielle de revenu, mais un art profane se développe parallèlement. Des tableaux inspirés de la mythologie répondent aux aspirations des humanistes férus d’Antiquité, mais
fournissent aussi d’excellents prétextes à la représentation de scènes à connotation érotique, très prisées de cette élite cultivée.
Loin d’être imperméables l’une à l’autre, les influences lombarde et vénitienne se rejoignent dans la seconde moitié du XVIe siècle dans une ville comme Bergame, géographiquement très proche de Milan mais politiquement rattachée à Venise. En témoigne une personnalité telle que Giovanni Battista Moroni, l’un des
grands maîtres de l’art du portrait.
UN NOUVEL ELAN RELIGIEUX
Au XVIe siècle, la Renaissance suit en Italie la voie du maniérisme. Dans un jeu savant de citations mutuelles, les artistes rivalisent de brio au détriment parfois de la clarté du sujet représenté : le sens de l’histoire se brouille sous la prolifération des motifs et les effets de style. À l’heure où les idées nouvelles de la Réforme se diffusent en Europe, l’irruption de motifs profanes dans l’art sacré émeut une partie du clergé et des
fidèles. Les protestants crient à l’idolâtrie. Attaquée de toutes parts, l’Église catholique se réunit en concile dans la ville de Trente. Il y est question en 1563 de l’image religieuse, de rétablir sa lisibilité, sa décence et sa fonction. Est alors réaffirmé son rôle d’instruction collective et de support de la piété individuelle. Le ton est donné aux artistes de la Chrétienté pour les siècles à venir. Pour répondre à cette volonté nouvelle,
Véronèse renoue avec un genre de composition classique, claire et équilibrée. Greco,
parmi les premiers, explore une autre voix : susciter l’empathie du fidèle par l’émotion. La vie des saints et des héros bibliques est érigée en modèle. On recherche les épisodes les plus édifiants, mais aussi les plus à même de toucher la corde sensible du fidèle et de créer une familiarité avec les saints. Un militantisme religieux s’affirme au XVIIe
siècle. Les artistes recherchent désormais l’éloquence et, peu à peu, l’art devient théâtral. Cette évolution se poursuit au XVIIIe siècle et culmine dans les grands retables baroques comme le Saint Jacques de Tiepolo, où la grandeur et l’exaltation ont pris la place du sentiment.
L’AGE D’OR HOLLANDAIS
Menées par le prince d’Orange, Guillaume le Taciturne, la Hollande et les provinces du nord des Pays-Bas se sont affranchies de la tutelle des Habsbourg pour former en 1581 la République indépendante des Provinces-Unies. Porté par un incroyable essor économique et démographique, le jeune État traverse au XVIIe siècle un siècle d’or, couronné par une production artistique d’une grande originalité. Aux centres déjà
forts d’une tradition picturale comme Haarlem, s’ajoutent de nouveaux pôles de création autour d’artistes influents tels que Rembrandt à Amsterdam ou Pieter de Hooch à Delft.
Dans ce nouveau pays à majorité protestante, l’art religieux a perdu la place qu’il occupait dans les églises.
Ne pouvant plus compter sur la manne que constituait la production de ces images pieuses, les peintres réinventent leur activité et développent les genres profanes en accord avec les besoins d’une société dominée par la bourgeoisie marchande. Dans l’art occidental, ils deviennent les maîtres incontestés des scènes de la vie quotidienne, des paysages et des natures mortes. Depuis les architectures de Bartholomeus
van Bassen jusqu’aux portraits de Frans Hals, en passant par les joyeuses compagnies de Jan Steen, leurs oeuvres semblent former comme une photographie de cette nation où l’on vit dans un véritable « embarras de richesses », passant sans heurt de la fête débridée à l’intimité et à la méditation.
L’art des Pays-Bas, nord et sud confondus, représentait, avec 263 numéros, près de la moitié de la galerie Esterházy lorsqu’elle fut ouverte au public en 1812 à Vienne. La fabuleuse collection construite essentiellement
par Nicolas II Esterházy illustre la fascination qu’exerça paradoxalement, en pleine époque néoclassique, cette peinture de genre, de paysages et de portraits, appréciée comme un contrepoint nécessaire à la grande peinture d’histoire.
CARACTÈRES
Bien souvent le souvenir que laisse la visite d’un grand musée se cristallise sur quelques visages, sur la rencontre de tel personnage que le génie d’un artiste a rempli de vie et de mystère. Ces figures qui habitent le musée semblent se connaître et se répondre. C’est pourquoi cette section oublie les bornes chronologiques et géographiques pour rassembler une sorte de famille, une façon d’incarner l’atmosphère si particulière qui
se dégage des collections de Budapest. Il ne s’agit pas uniquement de portraits à proprement parler, mais aussi de têtes d’étude ou de scènes de genre qui visent à donner à la figure un degré supplémentaire de vérité.
La confrontation de deux magistrales études d’homme barbu, distantes d’un siècle, éclaire une forme de « recherche fondamentale » et met les méthodes en perspective. Mais ces dialogues, ces regards croisés, créent avant tout un plaisir qui nous rapproche de celui de l’artiste partageant simplement avec ses modèles, présents ou imaginaires, le goût de la vie. On s’amuse de trouver le même regard embué et rêveur dans
le portrait d’Ádám Mányoki par lui-même et celui de la Jeune paysanne à la quenouille de Ceruti ; si l’on rapproche Füssli et Goya, c’est seulement pour imaginer la conversation de ces deux dames dont les portraits sont exactement contemporains, et si intéressants à comparer dans leur mise en page et le jeu graphique de leurs atours sophistiqués.
Goya encore, avec sa Porteuse d’eau, annonce Manet, dont La Maîtresse de Baudelaire, peinte avec la même touche parfaitement libre, présente, outre son air espagnol, le même mélange de fierté et de franchise.
Avec le sourire en moins, qui s’est perdu en chemin entre la jeunesse, la simplicité populaire, et les intrigues parisiennes du Second Empire…
LA NOUVELLE PEINTURE
La collection du musée des Beaux-Arts de Budapest comporte une section assez resserrée, mais de très haute qualité, consacrée à l’art français impressionniste et postimpressionniste. Elle a été construite dans l’élan de l’ouverture de 1906, au gré d’une politique volontariste d’acquisitions renforcée par des dons,
comme celui de la nature morte de Cézanne par le baron Hatvany en 1917, juste après l’achat à Berlin, en 1916, du Manet et de L’Estacade de Trouville de Monet. De ce peintre emblématique, un premier tableau
a été acquis en 1912 et un troisième, les Trois bateaux de pêche, suivra en 1945. Cette attention à l’avant garde au début de la vie du nouveau musée est d’autant plus remarquable qu’il poursuit parallèlement une ambition encyclopédique et déploie ses efforts dans tous les domaines. En 1935, le don de la collection de
Pál Majovszky fera entrer un ensemble de chefs-d’oeuvre du dessin français du XIXe siècle.
Le modèle français, incontournable pour les artistes de la fin du XIXe siècle, attire de nombreux peintres hongrois dont le plus célèbre, Mihály Munkácsy, réside plusieurs fois à Paris à partir de 1867 et y connaît un grand succès. Rétif à l’impressionnisme, il développe un réalisme expressif qui va d’une dureté spectaculaire,
comme dans le fameux portrait de Liszt, à la plus grande liberté, comme dans l’étude présentée ici, préparatoire à son grand tableau Le Mont-de-piété.
Károly Ferenczy, en revanche, sera considéré comme le « père de l’impressionnisme hongrois ». Il est pourtant lui aussi imprégné de naturalisme, celui de Jules Bastien-Lepage en particulier. Formé à Paris puis à Munich, il incarne la complexité de cette
« nouvelle peinture » mêlant diverses expériences, privilégiant les
sujets quotidiens et les jeux de lumière, et préparant la libération totale de la couleur.
SYMBOLISME ET MODERNITE
Rattachée à l’Autriche en 1867, la Hongrie traverse une période d’essor économique et artistique qui se poursuit jusqu’au début du XXe siècle. Sa capitale, née de la fusion entre Buda et Pest en 1872, est en pleine expansion. C’est l’époque où les artistes hongrois, dans une soif de renouvellement, s’ouvrent sur l’Europe,
vont se former à Vienne ou à Munich et poussent parfois jusqu’à Paris, attirés par l’effervescence suscitée par la « nouvelle peinture ».
Cette section dédiée au symbolisme et à la modernité témoigne d’une période d’intenses échanges artistiques, durant laquelle l’art hongrois se partage entre le désir de se mesurer au reste de l’Europe et la recherche d’une identité nationale. Elle évoque en filigrane l’admiration de Pál Szinyei Merse pour Arnold Böcklin au début des années 1880, les rapports de János Vaszary avec la Sécession munichoise, l’attirance de József
Rippl-Rónai pour les nabis parisiens.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la dislocation de l’Empire austro-hongrois et l’échec du premier gouvernement communiste ouvrent à Budapest une période plus trouble marquée par la diaspora.
Exilés à Vienne ou à Berlin après 1919, les artistes hongrois les plus progressistes poursuivent néanmoins leurs travaux et participent à l’élaboration des grandes avant-gardes du XXe siècle.
commissaires : Laurent Salomé, conservateur en chef du patrimoine et directeur scientifique de la Rmn-Grand Palais ; Cécile Maisonneuve, docteur en histoire de l’art, conseiller scientifique à la Rmn-Grand Palais
scénographe : Jean-Julien Simonot
ouverture : tous les jours de
10h à 19h, nocturne le vendredi
jusqu’à 21h30
Fermé le 1er mai
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