Jusqu’au 15 novembre 2015 à la Fondation Fernet Branca
La Fondation Fernet-Branca accueille les oeuvres de Claire Morgan dans le cadre
d’une coproduction avec le Osthaus Museum Hagen et le Kunstsammlung Jena.
Pour chacun des lieux, l’exposition s’adapte à l’espace dédié.
A la Fondation Fernet-Branca ce sont 500 m2 qui sont consacrés à son travail.
Claire Morgan utilise la taxidermie pour questionner l’impermanence des choses, son travail consistant en des mises en scènes géométriques d’animaux empaillés.
L’artiste souhaite que ses animaux présentent un élément d’énergie, une réalité interagissant avec l’ensemble plus vaste des formes architecturales.
Elle crée ainsi des univers desquels se dégage une énergie qui est comme solidifiée :
le temps y paraît suspendu.
Claire Morgan a par ailleurs coutume de jouer sur plusieurs registres pour entremêler les règnes végétal et animal : la gravité, le temps, la vie, la dégénérescence et la mort; tous ces paramètres sont communs aux deux règnes selon des rythmes différents.
La préoccupation de Claire Morgan concerne donc notre rapport à la nature et à l’écologie. Une mélancolie émane de son travail : il s’agit de questionner notre désenchantement face au monde qui nous entoure.
Ses installations empreintes de mélancolie qui mettent en scène l’animal ne sont donc en réalité qu’une représentation de nous-mêmes, face à la dégénérescence du monde.
Jeune artiste irlandaise, Claire Morgan s’approprie la taxidermie pour mettre en
perspective « l’immortalité comme un mystère impénétrable » dans une
conscience de l’impermanence des choses.
Si la taxidermie est présente dans l’art d’après-guerre chez les artistes comme
R. Rauschenberg (les Combines de 1954 à 1962) et plus tard chez Jannis
Kounellis (1979), l’animal empaillé est fortuit. Pour Claire Morgan en revanche,
c’est lui qui mène la danse, qui est au centre de l’événement, c’est par lui que
tout arrive.
Étymologiquement, « taxidermie » signifie « la mise en ordre de la peau », il
s’agit donc d’une manière de repositionner les choses dans leur contexte.
Maurice Blanchot écrit que « la mort suspend la relation avec le lieu », que « la
présence cadavérique établit un rapport entre ici et nulle part ».
Il en va de même avec la dépouille animale. Le vivant que l’animal était est insituable,
mais le mort qu’il est devenu à beau s’être transformé en « chose », en objet de
taxidermie, c’est à partir de ce moment qu’il commence à ressembler à lui-même.
Il y a un devenir-monument de l’oiseau qui est « si absolument lui-même
qu’il est comme doublé par soi ». N’étant plus accaparé par l’action,
n’étant plus fonctionnel, il apparaît. (Antonin Artaud)
L’artiste récolte elle-même des animaux morts accidentellement et les
empaille. ( les mouches ?) Ils sont ensuite mis en scène dans des constructions géométriques d’insectes, de pissenlits, de plastiques colorés, etc. Cette rencontre des plus
étranges crée une fragilité, un instant suspendu, un « arrêt sur image ».
Claire Morgan concentre dans ses installations une force et une énergie qui imposent
à elles seules une forte présence.
Le territoire devient l’espace. Espace qu‘Albert Einstein aurait peut-être défini par
« rien n’est fixe… ». Il émane cependant de cet univers une énergie qui paraît comme solidifiée.
« Mon travail traite du changement, témoigne Claire Morgan, du temps qui passe, et du caractère éphémère de tout ce qui nous entoure. Pour moi, créer des structures d’apparence solide ou des formes faites de milliers d’éléments
suspendus individuellement ont une relation directe avec mon expérience de ces forces. Il y a un sentiment de fragilité et une absence de solidité qui se retrouvent dans toutes les sculptures. Je les ressens comme si elles étaient entre le mouvement et l’immobilité, et donc remplies d’une certaine énergie. »
Claire Morgan précise que dans son travail, elle « ne veut pas que les animaux
délivrent un récit mais qu’ils présentent un élément de mouvement ou
d’énergie, une espèce de réalité interagissant avec l’ensemble plus vaste des
formes architecturales ». On retrouve cet « élément d’énergie » décrit par
Deleuze : « En art, il ne s’agit pas de reproduire ou d’inventer des formes, dit-il, mais de capter des forces ».
Malgré les protagonistes mis en jeux (renard, oiseaux, chat, mouche, aigrettes
de chardon et de pissenlit, nylon, polycarbonate), nous ne sommes pas face à
un événement banal. L’auteur ne nous laisse pas présager de l’action qui va
survenir, tout est énigme ; et pourtant tout est clair ou presque. Nous pouvons
penser ici à la peinture de Pompéi où Médée se prépare à tuer ses enfants. Le
temps est suspendu, comme avant l’orage, ce moment extrêmement lourd, tel
le silence avant la foudre. C’est l’instant d’avant.
Il se joue également une temporalité d’un genre double qui nous questionne
sur les rapports entre humains et non-humains, vivants et non-vivants.
Sentir le passage du temps, c’est éprouver le passage en soi, non ce qui passe.
C’est évacuer tout support, toute substance. Ni analogie, ni ressemblance
formelle, c’est une identité de fond, un affect qui circule et se mélange avec
d’autres affects pour donner une symbiose qui défait toute prévisibilité entre
les corps.
Claire Morgan joue donc sur plusieurs registres pour entremêler les règnes
végétal et animal : la gravité, le temps, la vie, la dégénérescence et la mort ; ces
paramètres sont communs aux deux règnes selon des rythmes différents. Tout
cela, elle le rend palpable et ces rythmes eux‐mêmes, visibles. Ce qui compte,
c’est le procès du monde, son déroulement conjoint avec ce qui le peuple.
Claire Morgan attache beaucoup d’importance aux titres de ses oeuvres qui, dit-elle,
« ajoutent un élément ironique ou comique permettant de les garder
ancrées dans le monde que nous humains, habitons ».
La préoccupation de Claire Morgan concerne aussi notre rapport à la nature.
Ces animaux ne sont autres que nous‐mêmes, ils ressemblent « à notre façon
de fonctionner, de vivre et de souffrir dans des environnements que nous
avons créés pour nous‐mêmes ». Une dimension écologique émane de ses
installations où tout semble possible, le bien/le mal, la vie/la mort, l’ordre/le
chaos. L’artiste vient peut‐être également mettre en garde les hommes sur le
fait que la mort est d’actualité s’ils n’adoptent pas une approche plus
écologique du monde.
Une mélancolie imprègne également le travail de Claire Morgan. Face à son
désenchantement, l’animal a une plus grande conscience du monde. Cette
préoccupation de la mort, de la dégénérescence et de la décrépitude des
choses et des êtres est très présente dans ses oeuvres.
Si l’on se souvient de la « Melancolia » de Dürer et de l’analyse de Panofsky
reprise par Jean Clair : « La conscience mélancolique […] est la conscience de
l’homme qui, sous l’influence de Saturne, est plus apte que quiconque à la
pratique des mathématiques, à l’ars geometriae, le cinquième des arts libéraux
et à leurs diverses applications ».
Chez Claire Morgan, la géométrie de ces espaces : Speaking Volumes,
Building… ainsi que les formes circulaires : Nipple, The Owl and the Pussycat,
peuvent être mis en relation avec cette entreprise de l’esprit géométrique de
l’architecture présente dans la peinture. Ici, dans une version contemporaine
Mélancolie.
texte Pierre-Jean Sugier
Commissaire de l’exposition : le Directeur : Pierre‐Jean Sugier
Fondation Fernet‐Branca
2, rue du Ballon
68300 Saint‐Louis
Tél . 00 33 3 89 69 10 77
Ouverture :
Du mercredi au dimanche
De 13h à 18h
Fermé le lundi et la mardi
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