For Your Eyes Only

Jusqu’ au 4 janvier 2015,
le Kunstmuseum de  Basel présente une sélection de plus de cent oeuvres de la
collection privée de Richard et Ulla Dreyfus-Best.
Pour la première fois, cette exposition permet à un large public de porter un regard exclusif sur l’interaction des oeuvres d’une collection incomparable aussi bien de par son exigence que par l’attitude individuelle qui a présidé à sa composition.
La collection est exemplaire de la perception contemporaine globale de l’art comme crossover : non plus structurée strictement selon les époques et les genres, mais en tant qu’entité globale et simultanée.

Stefanus Lagerensis buste, bronze 12e s
Stefanus Lagerensis buste, bronze 12e s

Ainsi trouve-t-on un buster rare du 12e siècle côtoyant des curiosités provenant de la nature ; des artefacts profanes contrastent avec des travaux de l’Ars erotica et de l’Ars religiosa ; des dessins de Maîtres du baroque sont confrontés à des peintures surréalistes, des oeuvres fantaisie maniéristes à des oeuvres symbolistes.
Magritte Das rote Modell René Magritte 1947 oder 1948 Gouache auf Papier 45 x 36 cm Privatsammlung © 2014, ProLitteris, Zurich
Magritte Das rote Modell
René Magritte 1947 oder 1948 Gouache auf Papier 45 x 36 cm Privatsammlung © 2014, ProLitteris, Zurich

De nombreuses oeuvres de la collection privée bâloise de Richard et Ulla Dreyfus-Best ont pu être admirées pendant des années dans le monde entier, à l’occasion d’expositions importantes. Elles n’ont cependant jamais été présentées jusqu’ici dans leur propre contexte de collection.
Dali Fourmis Salvador Dalí 1936 Gouache und schwarze Tinte auf Papier 24 x 13.5 cm Privatsammlung © Salvador Dalí, Fundació Gala-Salvador Dalí / 2014, ProLitteris, Zurich
Dali Fourmis
Salvador Dalí 1936 Gouache und schwarze Tinte auf Papier 24 x 13.5 cm Privatsammlung © Salvador Dalí, Fundació Gala-Salvador Dalí / 2014, ProLitteris, Zurich

For Your Eyes Only – pour la première et sans doute pour la seule et unique fois, cette exposition permet à un large public de porter un regard exclusif sur l’interaction privée de ces oeuvres.
A l’aide d’une sélection de plus d’une centaine d’entre elles, l’exposition tente de mettre en lumière l’univers éminemment spécifique de cette collection qui, de par son exigence et par l’attitude individuelle qui a présidé à sa composition, n’est comparable à aucune autre. En même temps se manifeste à cette occasion sa relation d’une brûlante actualité avec la question du pouvoir agissant de l’art, par-delà le temps et par-delà les âges.
Francken Hexenküche Frans Francken d.J. 1604 oder kurz danach Öl auf Kupfer 28 x 22 cm Privatsammlung
Francken Hexenküche
Frans Francken d.J. 1604 oder kurz danach Öl auf Kupfer 28 x 22 cm Privatsammlung

A une époque où c’est le cross over qui détermine notre perception globale de l’art, la collection Dreyfus-Best peut s’enorgueillir de revendiquer un caractère d’exemplarité. Régie en l’occurrence par un principe directeur excluant tout hasard, elle met en présence des objets, des dessins et des peintures issus du Moyen-Âge précoce jusqu’à nos jours. Principe qui non seulement favorise l’originalité et la qualité au titre de critères inéluctables, mais présuppose aussi pour chacune des oeuvres un potentiel de référence particulièrement puissant quant à leur « artificialité » (au sens propre) : c’est un véritable cabinet contemporain des arts et des merveilles, à nul autre pareil, qui nous ouvre ses portes.
Arcimboldo luft Nach Giuseppe Arcimboldo Öl auf Leinwand 74.8 x 57 cm Privatsammlung
Arcimboldo luft
Nach Giuseppe Arcimboldo Öl auf Leinwand 74.8 x 57 cm Privatsammlung

De même que sont confrontés Symbolisme et Pop-Art, de même se côtoient des artefacts profanes et des objets de l’Ars erotica et de l’Ars religiosa ; des dessins de Maîtres de la Renaissance et du Baroque affrontent les mondes des figurations mystérieuses du Surréalisme, des images oniriques et excentriques du 18e siècle rencontrent des oeuvres fantaisie du Maniérisme. Le dénominateur commun à toutes les oeuvres est une « artificialité » qui expérimente et convoque l’intégralité des possibles des formes de l’art, jusqu’à leurs limites les plus extrêmes.
Füssli Nachtmahr Johann Heinrich Füssli 1810 Öl auf Leinwand 75 x 95 cm Privatsammlung
Füssli Nachtmahr
Johann Heinrich Füssli 1810 Öl auf Leinwand 75 x 95 cm Privatsammlung

Oeuvres de : Hans Baldung Grien, Hans Bellmer, Arnold Böcklin, Victor Brauner, Pieter Brueghel d. Ä., Angelo Caroselli, Giorgio de Chirico, Francesco Clemente, Salvador Dalí, Monsù Desiderio, Gustave Doré, Max Ernst, Johann Heinrich Füssli, Marten van Heemskerk, Jan van Kessel, Alfred Kubin, René Magritte, Man Ray, Gustave Moreau, Richard Oelze, Yves Tanguy et Andy Warhol.
Vanity, Portrait of a Lady, maître autrichien 18e s
Vanity, Portrait of a Lady, maître autrichien 18e s

Une collaboration avec la Peggy Guggenheim Collection, Venise.
Catalogue
Avec la contribution de Andreas Beyer, Bodo Brinkmann, Giulia Mazzolani, Christian Müller, Philip Rylands et Seraina Werthemann
Conférences
15.10. Andrei Pop: Füsslis Exzentrik
18.11. Der Kurator Andreas Beyer im Gespräch mit der Sammlerin Ulla Dreyfus-Best
17.12. Philip Rylands: Peggy Guggenheim – Doyenne of Surrealism
De 18h30 à 19h30 dans la salle de conférences du Kunstmuseum.
Entrée libre.
St. Alban-Graben 8, case postale
CH-4010 Basel
Heures d’ouverture (pour les deux musées)
Mar–Dim 10–18h,
Lundi fermé Le 25 et le 26 décembre 2014, le musée ouvert.
Le 24 décembre 2014, le musée fermé.
images courtoisie Kunstmuseum

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.

Une réflexion sur « For Your Eyes Only »

  1. La collectionneuse a accumulé un ensemble d’une surprenante cohérence
    Harry Bellet, le Monde
    On n’envie pas le personnel chargé de faire le ménage chez Ulla Dreyfus-Best, sinon peut-être pour l’occasion qui lui est donnée de côtoyer l’une des plus étonnantes collections d’art jamais constituée par des particuliers. Des photographies de son intérieur sont publiées dans le catalogue de l’exposition que lui consacre le Kunstmuseum de Bâle : hormis les murs, normalement droits, tout n’est que courbes, contre-courbes, rocaille, recoins, autant de pièges à poussière.
    Mais poussiéreuse, la collection ne l’est pas : dans la cage d’escalier, suspendues à une chaîne rouge, se succèdent une tortue verte, une boule de démolition rouge au crochet de laquelle pendouille une bouée de plage. Nos lecteurs perspicaces auront reconnu un Jeff Koons. La bestiole indéterminée qui dépasse de l’anneau de la bouée contemple un tableau de Füssli peint entre 1805 et 1810 (des Füssli, rarissimes sur le marché, elle en possède au moins une douzaine). La tortue, elle, a vue sur une collection de crucifix et de bijoux de piété dont la fabrication s’échelonne du XVe au XIXe siècle.
    Les sept salles qu’y consacre le Kunstmuseum ne reproduisent pas l’accrochage original, mais donnent une idée très juste de ce qui fait la spécificité de la collection accumulée durant des décennies par Ulla Dreyfus-Best et son mari Richard, décédé en 2004. On pourrait la résumer par le titre du Jeff Koons, Wrecking Ball ( » Boule de démolition « ), mais aussi, rappelle Andreas Beyer, le commissaire de l’exposition, une allusion aux lois régissant aux Etats-Unis le ramassage des épaves rejetées par la mer. Et la première impression que ressent le visiteur, c’est cela : des trouvailles, apparemment dues au hasard. Ainsi, la première salle regroupe entre autres le Koons, un  » souffleur de feu  » du XIIe siècle, le fer à repasser à la semelle hérissée de clous imaginé par Man Ray en 1921, une tapisserie du XVIe siècle, ou deux  » dents  » de narval…
    Les choix sont plutôt  » olé olé  »
    Un  » souffleur de feu  » ? L’objet est très rare, les exemplaires connus se comptent sur les doigts d’une main. C’est une petite statuette en bronze représentant un personnage androgyne. On le remplissait d’eau avant de le poser sur les braises de la cheminée et la vapeur ainsi produite s’échappait par les oreilles. Sa fonction exacte ? Personne n’en sait rien, mais c’est sans doute moins son usage que la position d’observatrice qu’adopte la figure, la main droite en visière au-dessus des yeux, qui a pu séduire les Dreyfus-Best.
    Les rostres de narval ? On croyait aux âges obscurs qu’ils venaient des licornes : la seule preuve de leur existence, puisque l’animal ne pouvait être approché que par une vierge, autre espèce rare (au Moyen Age, s’entend). C’est d’ailleurs une Vierge à la licorne que représente la tapisserie accrochée dans cette même salle. Cette ode à la pureté doit se comprendre d’une seule façon : si virginité il y a, c’est celle du regard. Parce que, pour le reste, les choix sont plutôt  » olé olé « , pour ne pas dire franchement osés.
    Passons, dans la dernière salle, sur quelques objets d’usage encore courant de nos jours – voir un cas récent mais surdimensionné érigé place Vendôme –, mais qui, en l’espèce, ont quelques siècles d’âge : la collection, dans son ensemble, est très – comment le dire ? – sexuée… L’autre ligne forte, Andreas Beyer la désigne par le terme de  » maniérisme « , dont il élargit le sens :  » une attitude qui, outrepassant les frontières des disciplines et des époques, recherche l’affranchissement du canon et des règles académiques (…), affirme que l’art est issu de l’art…  »
    Certes, mais pas seulement : il faut un regard bien particulier (Ulla Dreyfus-Best a commencé sa vie professionnelle comme historienne d’art et restauratrice de tableaux) pour accrocher dans la même maison des dessins d’Hans Baldung, dit Grien (1485-1545) et un bronze de Not Vital (né en 1948) qui porte l’inscription  » Fuck You « , un crâne sculpté dans le bois par un artisan anonyme du XVIIe siècle et un autre peint à l’aquarelle, en 2009, par Rebecca Bournigault, des visages composés de légumes par Arcimboldo et ceux que dessine, à partir de versets du Coran, une vidéo de Kutlug Ataman réalisée en 2003.
    Dans ces rencontres, que l’on croirait improbables comme celle d’une machine à coudre et d’un parapluie, mais qui au fil de la visite deviennent d’une logique implacable, il était normal qu’une large place soit accordée au surréalisme. Bellmer, Brauner, Dali, Delvaux, Ernst, Magritte, Miro, Tanguy, Seligmann sont représentés en nombre. Certains, un Ernst et un Magritte notamment, n’appartiennent plus formellement à la collection : Ulla Dreyfus-Best a donné le premier à la Fondation Beyeler, le deuxième au Musée Magritte de Bruxelles. C’est qu’elle ne s’en sent pas propriétaire, ne se considérant que comme dépositaire temporaire. Il n’empêche que, dans l’intervalle de temps qu’elle et son défunt mari mirent à bâtir cet incroyable ensemble, ils ont démontré que l’argent ne suffisait pas à faire une collection : de la curiosité, du goût et de la culture ne sont pas inutiles non plus.
    Harry Bellet
    For Your Eyes Only. Kunstmuseum Basel, St. Alban-Graben 16, Bâle (Suisse).
    Jusqu’au 4 janvier 2015.
    © Le Monde

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