24 fantômes par seconde
PASSAGE / SALLE DES MACHINES
Ali Cherri
Sous le commissariat de Jean-Marie Gallais,
conservateur, Pinault Collection
Introduction
«Le Passage de la Bourse de Commerce accueille les œuvres d’Ali Cherri, artiste libanais installé en France. Dans sa jeunesse, ce dernier est marqué par la guerre civile au Liban, et notamment par les spoliations, vols et trafics d’œuvres d’art que les guerres engendrent.
Investissant les vingt-quatre vitrines, dispositif muséal par excellence pour présenter des objets, son œuvre s’inspire également du cinéma et de ses vingt-quatre images par seconde:
ses sculptures sont pensées comme des flashes fantomatiques qui s’inscrivent dans un espace liminal entre la vie et la mort, entre le passé et le présent, et qui invitent à réfléchir aux manipulations séculaires d’artefacts culturels.»
Emma Lavigne
Ali Cherri, L’Homme aux larmes, 2024, tête en pierre sculptée du 14-15e
siècle, argent patiné, plâtre, acier,
49 × 41 × 31 cm. Pinault Collection. Courtesy de Galerie Imane Farès.
Photo: Studio Ali Cherri.
«“Puis vint le cinéma pour ressusciter les corps”, écrit Ali Cherri.
“L’histoire du cinéma est une histoire de morts qui survivent en images. Le cinéma a toujours été une affaire de fantômes, que ce soit pour des raisons techniques (projection lumineuse, fondus enchaînés), généalogiques (influences de la fantasmagorie et de la lanterne magique), ou surtout poé‑
tiques (les personnages à l’écran meurent et ressuscitent à chaque projection). En enregistrant et en conservant les traces des corps, le cinéma devient ainsi un moyen de faire revivre les morts à travers l’écran, réveillant l’âme des corps inertes3.”
Dans son film Somniculus (2017) tourné à Paris, Ali Cherri s’emparait de cette dimension spectrale de la pellicule en remplaçant les corps des acteurs par des œuvres d’art et des objets filmés dans des musées vides.
Prenant à rebours l’analogie récurrente entre musées et cimetières, spécialement dans le contexte postcolonial (Les statues meurent aussi, d’Alain Resnais, Chris Marker et Ghislain Cloquet, 1953), Ali Cherri préfère considérer ces objets comme temporairement endormis—somniculus en latin signifie sommeil léger—, et le musée comme un dortoir 4.
3—Note d’intention du projet par Ali Cherri (août 2024).
4— Cette image est également à l’œuvre dans le film Dahomey (2024) de Mati Diop, qui donne la parole à l’une des vingt-six œuvres restituées par la France au Bénin. Jean Cocteau, dans la voix off du Sang d’un poète (1932),
emploie la même métaphore en 1930, en s’en méfiant:
«N’est-il pas fou de réveiller les statues en sursaut après leur sommeil séculaire?» (11’25 »).






Poursuivant ce projet, des sculptures et artefacts arrangés à la manière
de tableaux vivants miniatures sommeillent ou se réveillent dans chacune des vitrines de la Bourse de Commerce. […]
Mêlant trouvailles archéologiques et ses propres créations, il crée des chimères.
“Les greffes que j’opère dans ma série de sculptures sont une forme de
solidarité entre corps brisés, fragmentés, violentés, qui, en se soudant, créent une communauté”, dit-il. Ces objets, ressuscités ou survivants de passés tumultueux, rebuts que les musées n’ont pas jugé dignes d’être conservés, témoignent d’innombrables échanges et pérégrinations: yeux arrachés des sarcophages égyptiens, contrefaits quand ils deviennent à la mode dans les collections européennes, fausses curiosités et copies d’après l’Antique
fusionnent, comme des civilisations éloignées cohabitent et prennent racines l’une dans l’autre.» Jean-Marie Gallais








Biographie
ALI CHERRI
Né en 1976 à Beyrouth (Liban), Ali Cherri a grandi pendant la guerre civile qui a plongé le pays dans un contexte de crise permanente. Il vit désormais
à Paris (France). Sculpteur et vidéaste, il explore les déphasages temporels entre des mondes anciens et des sociétés contemporaines, privilégiant
une lecture incarnée des événements historiques où mémoires intime et collective s’enchevêtrent sensiblement. Ainsi, ses travaux sur les liens entre
archéologie, narration historique et patrimoine prennent leur source dans les procédés d’excavation, de délocalisation et de muséification des restes
funéraires qui font violence à des pratiques culturelles intemporelles et au sens même des sites archéologiques.
Informations pratiques
Bourse de Commerce François Pinault
2 rue de Viarmes, 75001 Paris
Horaires
Du lundi au dimanche de 11h à 19h
Nocturne le vendredi jusqu’à 21h
Fermeture le mardi et le 1er mai
Nocturne gratuite tous les premiers samedis du mois de 17h à 21h
Métro
1 station Louvre — Rivoli
4 station Les Halles
7 11 14 station Châtelet
Bus
74 85 arrêt Bourse de commerce
21 67 arrêt Louvre — Rivoli
70 arrêt Pont Neuf — Quai du Louvre
69 72 arrêt Louvre — Rivoli / Pont des Arts
38 47 58 76
arrêt Châtelet
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