Françoise Saur, La mémoire des murs, texte Luc Maechel, Médiapop Editions, 2024
Mené en 2021 et 2022 auprès des habitants du quartier Bel Air, à Cernay, le projet La mémoire des murs, de Françoise Saur, est de nature mémorielle.
Il s’agit de documenter la fin d’un monde, les espaces vidés d’habitations promises à la démolition d’immeubles populaires de cette commune proche de Mulhouse.
L’auteure de Femmes du Gourara, Les années Combi et Prises de vie, autres livres publiés par Médiapop Editions, s’attache à rendre compte avec beaucoup de grâce, à travers des traces de vie laissées dans les appartements, de l’existence d’habitants ayant été relogés (dernière section de l’ouvrage).
©Françoise Saur
Ce sont d’abord des lés de papiers peints, sortes de découpages involontaires à la Magritte donnant une impression d’abstraction.
Peu à peu, la vie apparaît, des dessins sur le plâtre, des inscriptions, des verres de vin posés sur le sol entourés de fils bleu, blanc, rouge, symboles de la République.
En effet, tout ici est de l’ordre du tissage, de la capacité à construire des liens, à débrouiller les fils pour penser de nouveaux nouages.
Des plafonniers, le carrelage mural d’une salle de bain, un fauteuil fuchsia dans une chambre rose bonbon.
©Françoise Saur
Le temps s’est arrêté, qu’il soit chrétien ou musulman, ici on vit ensemble, la mixité se voit, se partage, comme les difficultés quotidiennes.
Il y a quelquefois de petites mises en scène, des constructions de natures mortes, une façon de se déprendre de la nostalgie tout en la soulignant.
Des enfants ont vécu en ces lieux, y ont rêvé, y ont joué.
©Françoise Saur
Tout était beau et neuf à la fin des années 1960 lorsque furent construites les tours d’habitation, nécessaires pour y accueillir des habitants au sortir de la guerre, les travailleurs venus de Pologne ou d’Italie, puis ceux issus des anciennes colonies, oeuvrant à la prospérité de la France (les usines Peugeot ne sont pas loin).
Dans la deuxième partie de son bel ouvrage triste mais sans pathos, la photographe très sensible à la condition féminine – Françoise Saur est par ailleurs la première femme à avoir reçu le prix Niepce en 1979 – et au sort des moins nantis, fait poser des locataires dans leur ancien lieu de résidence.
Les visages sont graves, les yeux peuvent être mouillés, la vie a passé là, très vite.
©Françoise Saur
Un quartier populaire, c’est un summum de contacts, beaucoup de passages, des travailleurs de toutes sortes, des femmes voilées ou non, des interactions incessantes.
Que sont les habitants expulsés devenus ?
Les voici dans de nouveaux intérieurs, proprets, soignés, décorés de neuf.
Le chat s’est-il habitué à son nouveau environnement ?
Et toi mamie ?
Et vous qui riez et venez probablement des Comores ?
©Françoise Saur
A la télé, ce sont les mêmes programmes, mais sûrement en pire.
Le téléphone portable sonne, c’est l’heure de la prière, des retrouvailles, des nouveaux départs.
En juin 2013, un jeune de dix-huit ans, Nabil, s’est fait poignarder en bas de son immeuble.
Ce livre lui est dédié, on n’oublie pas, mais on avance, entourés de fantômes.
Livre à glisser sous le sapin de Noël
Ce livre est un voyage dans l’histoire d’un quartier populaire sorti de terre en pleine crise du logement dans les années soixante-dix. Le BTP, l’automobile, les filatures sont gourmandes en main-d’œuvre et attirent des populations d’origine maghrébine ou rurale qui quittent les fonds de vallées. Les baraques édifiées dans la hâte de l’après-guerre laissent la place à un grand ensemble en béton. Ainsi commence l’aventure du quartier Bel-Air. extrait …
Luc Maechel
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