La Dentellière
1669 / 1670 (3e quart du XVIIe siècle)
Vermeer, Johannes
Pays Bas, École de
MI 1448
« Il faudrait presque faire mettre des chaussons aux visiteurs pour venir voir Vermeer. On ne peut pas voir Vermeer en faisant du bruit. Ce n’est pas pensable. »
Vermeer, Hockney, Basquiat et Warhol, les expos à ne pas manquer cette année
Vermeer, Hockney, j’ai eu la chance de voir les 2 premiers, Basquiat et Warhol, ce sera pour la fin du mois. L’année culturelle est riche en belles expositions, de Paris à Amsterdam en passant par Londres et Aix-en-Provence.
Celle consacrée à Vermeer à Amsterdam est sans nul doute la plus emblématique. Certains visiteurs attentifs ont pu y admirer son chef-d’oeuvre,
« La Jeune Fille à la perle ». Elle a regagné le musée Mauritshius de La Haye dès le 30 mars.
Désormais seulement 34 (35 ?) oeuvres de l’artiste, redécouvert à la fin du XIXe siècle par l’expert clairvoyant, un français du nom de Etienne- Joseph-Théophile Thoré sont attribuées à Vermeer. Le Rijksmuseum accomplit le grand miracle d’en réunir 28. (27) et ceci jusqu’au 4 juin 2023
Jeune Fille au turban, Johannes Vermeer (1665)
« Quand on regarde de près, on voit qu’il n’y a pas de contour. C’est la lumière qui sculpte la forme. »
A lire et à écouter :
Histoires de peintures de Daniel Arasse : Vermeer fin et flou
Un Vermeer découvert dans un musée à Philadelphie ?
Lors d’un symposium à Amsterdam à l’occasion de l’exposition Vermeer du Rijksmuseum, un spécialiste a affirmé que la Femme jouant de la guitare, conservée au Philadelphia Museum of Art aux États-Unis, était un tableau du sphinx de Delft. Depuis des années, l’œuvre est considérée par le musée comme une copie tardive.
Un tableau à énigmes
« Les tableaux de Vermeer ne racontent pas vraiment une histoire. On n’est pas devant un tableau de Le Brun, de Raphaël ou de Michel-Ange où il existe des récits simultanés qui s’emboîtent les uns dans les autres et qui construisent une narration. Là on est plutôt dans une saisie d’un moment qui n’est pas temporalisé. En revanche ce qui est temporalisé c’est la découverte de l’œuvre. Il y a un premier moment qui vise à capter l’attention du spectateur. Cela peut passer par un regard comme dans le tableau La jeune fille à la perle qui semble se tourner vers nous pour que nous nous tournions vers elle. Ensuite l’enjeu est de conserver l’attention du spectateur, que ce ne soit pas un coup de foudre sans lendemain. Il faut que le lendemain puisse être construit. Ce que Vermeer fait de façon très méticuleuse, c’est d’organiser les conditions de rétention de l’attention du spectateur par la mise en scène d’énigmes au sein de ses œuvres. »
Jan Blanc
Le mystère Vermeer
Le mystère de Vermeer est double : c’est d’abord celui de la vie et de la renommée d’un peintre qui fut à tour de rôle célèbre, oublié, et redécouvert comme l’un des plus illustres peintres du 17ème siècle. Mais c’est aussi les énigmes posées par ses tableaux eux-mêmes : que se trame-t-il dans ses scènes d’intérieur, toujours éclairées par un extérieur inaccessible ? Par un long travail de corrections et précisions successives, Vermeer nous donne à voir le quotidien d’une Hollande mise en scène et fantasmée.
Ma visite
Le visite se déroule dans un sentiment de respect, les tableaux sont disposés à des distances assez importantes, quelquefois un seul, dans une salle. Cela permet de s’imprégner du sujet, de regarder attentivement et intensément,
d’en comprendre l’histoire, d’en voir la profondeur, le contraste des couleurs,
d’en étudier la lumière, de voir l’harmonie des formes, d’en étudier la structure,
de lire le texte du cartel, cartel en anglais et en néerlandais, un traduction est possible avec le smartphone (tout est expliqué à l’entrée, il suffit de scanner le code barre) des bancs sont disposés à l’écart des toiles, ce qui permet de se poser pour lire les textes, et évite de trop longues stations devant les toiles avec l’audio-guide collé à l’oreille (voire partagé avec son compagnon), et permet à chacun de prendre sa photo s’il le souhaite. Il faut être attentif au numéro des salles, pour ne pas en rater. Parfois on discute avec les visiteurs, on échange nos « savoirs ». J’ai entendu aussi des jeunes personnes dirent « c’est tout le temps la même chose ». Bien sûr, Vermeer représente des intérieurs, mais avec quel talent, avec la même carafe, la même tapisserie qui sert de nappe, presque la même fenêtre, mais quelle merveilleuse fenêtre ! la même chaise, le même parquet ou carrelage, le même vêtement d’intérieur pour les dames. C’est une veste jaune, bordée d’hermine, un cartel dit que c’est en réalité du lapin tacheté ! Il dit aussi que les perles ne sont pas des vraies, mais du verre coloré. Je préfère ne pas le croire. Presque toutes les dames en portent si naturellement. Il y a aussi une profusion d’instruments de musique, luth, guitare, piano, flûte, des lettres dont on peut deviner l’expéditeur ou pas, des verres de vins, des fenêtres entrouvertes, toujours à gauche, des rideaux et des nappes avec des drapés magiques, quelques hommes, bien plus souvent des femmes (servantes et maîtresses) une seule fois des enfants. A nous de raconter l’histoire en regardant les indices que Vermeer a disposé comme un rébus pour nous emmener dans la vie les personnages. Des points de lumière parcourent les tableaux, à des endroits où on ne les attend pas, qui permettent de deviner l’heure de l’instantané, du quotidien représenté.
J’y suis allée 2 fois, à des dates espacées, pour être sûre de ne rien manquer …
Ah Vermeer et sa lumière ….
La Dentellière
Le motif de la dentellière au travail est traditionnellement un signe de vertu domestique, teintée de moralisme religieux (le livre, à droite, est sans doute une petite Bible ou un livre de prières). Soit une femme d’intérieur et de haut niveau social (aucune preuve qu’il s’agisse de l’épouse du peintre) et non une dentellière professionnelle. À gauche, un sac à couture ressemblant à un coussin d’où s’échappent des fils de couleur, fort bien rendus, vision rapprochée presque trouble renforçant le rendu très précis du deuxième plan. La lumière arrive de la droite, ce qui est plutôt rare chez Vermeer. Dessin-calque de la fin du XVIIIe s. au musée Boymans, Rotterdam, insérant le personnage de la dentellière de Vermeer dans une niche (cf. Van Gelder, 1972), reprenant une aquarelle de Jan Stolker (1724-1785) qui est responsable de cette fiction : on doit exclure évidemment que le M.I. 1448 ait été coupé (cf. Blankert, 1986). – À dater assez tard dans l’œuvre de l’artiste, vers 1669-1670.
Inscriptions
Signature :
S.h.d. : I Meer (les deux premières lettres entrelacées).
Biographie
lu sur connaissances des arts
Un peintre parcimonieux
Né en 1632 à Delft, Johannes Vermeer est le fils d’un ancien tisserand devenu aubergiste, qui exerçait occasionnellement une activité de marchand de tableaux. Il est reçu maître à la guilde de Saint-Luc le 23 décembre 1653, condition pour pouvoir exercer le métier de peintre. La même année, il a épousé Catharina Bolnes, issue d’une famille catholique aisée. Lui calviniste s’est converti au catholicisme afin de pouvoir l’épouser. Les époux vivront chez la mère de cette dernière, Maria Thins, pendant quinze ans, dans le quartier catholique de Delft, et donneront naissance à onze enfants, dont sept ont survécu.
Père fécond, Vermeer se révélera un peintre beaucoup plus parcimonieux. En vingt ans, il aurait peint quelque quarante-cinq tableaux, soit deux par an en moyenne, dont un peu plus de trente sont aujourd’hui conservés. Bénéficiant des rentes de sa belle-famille, l’artiste pratiquait en outre le commerce de l’art, autant de sources de revenus qui le rendaient peu dépendant de la vente de ses tableaux. Ceux-ci étaient acquis à des prix relativement élevés par une poignée de riches amateurs, au premier rang desquels figure Pieter Claesz. van Ruijven. Lorsque sa collection fut vendue en 1696 à Amsterdam, elle comptait vingt et un Vermeer, soit près de la moitié de la production du peintre.
Le choix de la scène de genre
Les archives, en revanche, sont restées muettes sur sa formation et les spécialistes débattent encore de l’identité de son maître. Le plus hollandais des peintres commence paradoxalement sa carrière sous le signe de l’Italie. Ses premières œuvres, Le Christ chez Marthe et Marie et Diane et ses nymphes, explorent une veine religieuse et mythologique qui sera rapidement abandonnée au profit de la scène de genre principalement.
Sur ces toiles relativement grandes, les figures monumentales sont dépeintes dans des coloris voluptueux, proches de l’école d’Utrecht. Enclave catholique dans un pays calviniste, cette cité était le principal foyer italianisant aux Pays-Bas ; Dirck van Baburen ou Hendrick ter Brugghen notamment avaient fait le voyage dans la Péninsule et contribué à propager la leçon du Caravage, réinterprétée dans un esprit plus coloré et trivial. L’Entremetteuse de 1656 s’inscrit dans leur sillage. Plus ancienne œuvre datée et signée de Vermeer, c’est aussi sa première scène de genre. En dépit de l’intention morale évidente, le peintre souligne avec complaisance le caractère équivoque de la situation. Entre regards égrillards et gestes licencieux, les personnages s’agglutinent dans une trouble promiscuité tandis que la palette chaude, dominée par les rouges et les bruns, souligne la sensualité de la scène. André Malraux dit dans ses écrits, que le personnage de gauche pourrait être un autoportrait de Vermeer.
Daté de l’année suivante, Le Soldat et la jeune fille souriant marque une inflexion majeure dans son travail et voit se dessiner un regard singulier. Soudain l’espace s’ouvre, la lumière inonde la pièce dans laquelle deux personnages se font face, ou plutôt s’opposent comme l’ombre et la lumière. Les connotations grivoises n’ont pas disparu et émaillent encore La Jeune Fille au verre de vin et Un verre de vin, peints peu après. Dans ces scènes s’élabore un dispositif autour duquel l’artiste composera de délicates variations. Un certain nombre d’accessoires emblématiques reviennent périodiquement dans son œuvre, faisant l’objet de combinaisons et de dispositions multiples : la fenêtre aux verres plombés, la chaise sculptée de têtes de lion, le clavecin, les cartes de géographie ou encore les lourdes tapisseries utilisées en nappe ou en rideau.
Une intimité qui se dérobe
Un jeu de variations se dessine aussi dans l’iconographie, sur le thème de la lettre, celle qu’on écrit ou celle qu’on lit, ou sur celui de la musique, qu’on la joue ou qu’on l’écoute. Les deux, parfois, se mêlent, comme dans La Lettre. Autre élément décisif de la peinture de Vermeer, la place des personnages dans l’espace. Les scènes de genre donnent à voir la plupart du temps une ou deux figures, saisies à mi-corps ou représentées en pied et mises en scène dans une pièce vue en perspective. Au sein de cet univers bien réglé, l’artiste parvient pourtant à surprendre et s’aventure dans le champ religieux avec son Allégorie de la foi catholique.
Si la peinture était, dans la théorie classique, une fenêtre ouverte sur le monde, elle se résume, dans l’œuvre de Vermeer, à une porte ouverte sur l’intérieur – à deux sublimes exceptions près que sont la Vue de Delft et La Ruelle. Une tenture pendant au premier plan, un encadrement de porte matérialisent un seuil depuis lequel le spectateur observe l’intimité des personnages. Ou plutôt a l’illusion d’observer, car cette intimité se dérobe, à l’image de ces regards absorbés par quelque tâche domestique, par la lecture d’une missive, quand le modèle ne nous tourne pas simplement le dos.
L’approche synthétique du peintre renforce ce caractère impénétrable des visages. S’éloignant des modèles caravagesques, il évite les mines explicites, les grimaces outrées et évacue tous les indices susceptibles de révéler de façon univoque et certaine les pensées du personnage ou le sens allégorique du sujet traité. Certes, nombre de détails semblent avoir été disposés à dessein pour éclairer le spectateur quant à la signification du tableau, mais leur relative ambivalence engendre une déroutante polysémie contrastant avec leur apparente simplicité.
L’exploration de la lumière
Ces anomalies s’expliqueraient par l’usage d’une camera oscura, instrument optique permettant de projeter une scène sur une plaque de verre à travers une lentille. Les artistes hollandais, à l’instar de Samuel van Hoogstraten, ont été nombreux à employer cet accessoire, mais Vermeer semble l’avoir sciemment déréglé pour obtenir ce type d’effets, selon l’hypothèse de l’historien de l’art Arthur Wheelock. Quelle qu’en soit l’origine, ces tâches lumineuses donnent furtivement substance à la lumière qui irradie ses toiles. Plus que dans les énigmes iconographiques, la peinture de Vermeer trouve sa singularité et sa justification dans cette exploration de la lumière : celle-ci vient souligner l’ovale parfait des visages, découper le profil de L’Astronome, ou encore nimber les figures d’une délicate atmosphère.
En même temps, la lumière génère une relative indéfinition des formes car, si Vermeer est apparié à la catégorie des Fijnschilders [peintres fins], « c’est un peintre fin qui peint flou », selon l’heureuse expression de Daniel Arasse. Là réside le paradoxe d’une peinture apparemment descriptive, mais dont la stylisation met le réel à distance.
Cette vision synthétique s’exprime aussi bien dans la simplification des drapés que dans la franchise du coloris et contribue à éloigner le sujet de l’anecdote. Singulier dans sa production, La Jeune Fille à la perle n’en est pas moins caractéristique de sa manière de faire : aucun trait ne vient marquer les transitions entre l’arête du nez et la joue, entre la paupière et l’œil, ni cerner la perle pendant à son oreille. Tout est fluide, sans aspérités, et pourtant incroyablement présent.
À la fin de sa vie, Vermeer est accablé par les problèmes financiers. Les guerres de 1672 ont tari les revenus fonciers de sa belle-famille, mais aussi provoqué la chute brutale du marché de l’art. Si l’on en croit le témoignage de sa veuve, l’accumulation de ces déboires a eu raison de la santé de l’artiste, mort en 1675 à l’âge de quarante-trois ans.
Après son décès, sa femme et sa belle-mère ont tout fait pour empêcher la saisie et la vente du tableau connu sous le nom de L’Atelier du peintre ou L’Art de la peinture, auquel elles semblaient, avec l’artiste, attacher une valeur particulière. Vermeer y représente, dans son cadre familier, un peintre vêtu à la mode du XVIe siècle, travaillant à son chevalet. Devant lui un modèle arbore les attributs de Clio, la muse de l’Histoire. Comme le souligne l’incertitude de la dénomination, cette œuvre lance un authentique défi aux historiens de l’art qui ont cherché dans les détails iconographiques, parfois insolites, la clé d’une interprétation définitive. Scène de genre, image réflexive de son propre travail, théorie en acte de la peinture, ce tableau emblématique est tout cela à la fois et plus encore.
texte CDA
Pratique
Jusqu’au 4 juin au Rijkmseum Amsterdam
Quelques liens
Closer to Vermeer : https://www.rijksmuseum.nl/en/johannes-vermeer
Présentation et motif de l’exposition
https://youtu.be/kXmW2ppAtW8
https://youtu.be/jOTQLJrgjgc
Quelques livres
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