Edvard Munch. Un poème de vie, d’amour et de mort

Vampire, 1895,
huile sur toile, 91 × 109 cm Oslo, Munchmuseet © Munchmuseet

Jusqu’au 22 janvier 2023 au Musée d’Orsay à Paris
Commissariat : Claire Bernardi, directrice du musée de l’Orangerie
Avec la collaboration d’Estelle Bégué, chargée d’études documentaires
au musée d’Orsay

En collaboration avec le musée Munch d’Oslo, le musée d’Orsay consacre une exposition au célèbre peintre norvégien Edvard Munch (1863-1944) dont l’œuvre dans son ampleur – soixante ans de création – et sa complexité demeure pourtant en partie méconnu.

De l’intime au symbole

« Nous voulons autre chose que la simple
photographie de la nature. Nous ne voulons pas non plus
peindre de jolis tableaux à accrocher aux murs du salon.
Nous voudrions un art qui nous prend et nous émeut,
un art qui naîtrait du coeur. »

(Journal, 1889)

Edvard Munch est initié dès l’enfance au dessin et à la peinture par sa tante Karen Bjølstad, qui l’élève depuis le décès prématuré de sa mère. À l’âge de
dix-sept ans, il entre au Collège royal de dessin de Kristiana (actuelle Oslo) mais ne suit pas de formation artistique à proprement parler, la Norvège n’étant pas pourvue d’une véritable académie.

En 1885, il séjourne à Paris une première fois grâce à l’aide financière du peintre Frits Thaulow. Il visite les musées français et découvre les oeuvres des artistes
naturalistes mais également celles des impressionnistes qui faisaient alors scandale en France. Il leur emprunte notamment leur facture rapide et leur traitement libre des couleurs.
Munch se détourne cependant très rapidement de la peinture de paysage pour peindre des portraits sensibles de ses proches, principalement ses soeurs Inger et Laura, ou ses amis de la bohème de Kristiania. Au tournant des années 1890, la dimension symbolique de ces scènes intimes devient déterminante, apportant à son oeuvre toute sa singularité.

Explorer l’âme humaine

« On ne doit plus peindre d’intérieurs, de gens qui lisent et de femmes qui tricotent. Ce doit être des personnes vivantes qui respirent et s’émeuvent,
souffrent et aiment. Je vais peindre une série de tableaux de ce genre – Les gens en comprendront la dimension sacrée et ils enlèveront leur chapeau
comme à l’église. » (Carnet de notes, 1889-1890)

Puberté occupe une place à part : elle débute un questionnement majeur sur le passage entre deux âges, sur cet état d’instabilité caractéristique des moments

                                                             L’enfant malade
déterminants de la vie. Dans Désespoir, le peintre livre avec une intensité rare l’une des clés de compréhension de son oeuvre : la projection du sentiment humain sur la nature environnante. Enfin, dans L’Enfant malade, écho
à la mort précoce de sa soeur aînée, il affirme la vocation universelle de ses oeuvres, qui dépassent par leur force l’évocation d’un événement personnel.

La Frise de la vie

« La frise de la vie a été pensée comme une série cohérente de tableaux,
qui doivent donner un aperçu de la vie. J’ai ressenti cette fresque comme un poème

de vie, d’amour, de mort… ». (La Frise de la vie, 1919)

                                   Edward Munch, la Frise de la vie croquis

Soucieux de se faire comprendre, le peintre invente une nouvelle
manière de présenter son art pour en souligner la cohérence. Il regroupe ainsi ses principaux motifs dans un vaste projet qu’il finit par intituler La Frise de
la vie. Initiée au cours des années 1890, cette série de tableaux fait l’objet de plusieurs grandes expositions. 
   Celle de Berlin en 1902 est un jalon important : pour la première fois, Munch pense l’accrochage de ses oeuvres comme un véritable discours, insistant sur le cycle perpétuel de la vie et de mort.
Ce projet est si crucial à ses yeux qu’il pourrait résumer l’essentiel de sa carrière. Il travaille tout au long de sa vie sur les toiles qui le composent et en explore les possibilités. Dans les années 1900 et 1910, il se tourne par ailleurs vers des projets liés au théâtre ou au décor architectural dans lesquels il intègre certains thèmes de La Frise de la vie.

Les vagues de l’amour

« J’ai symbolisé la communication entre les êtres séparés à l’aide de longs        cheveux ondoyants.
La longue chevelure est une sorte de fil téléphonique. »
(Projet de lettre à Jens Thiis, vers 1933-1940)

                                                                   Métabolisme

Parallèlement à ses peintures, Munch décline les motifs de La Frise de la vie dans de nombreux dessins et gravures. Il commence à les exposer comme
ses toiles, les intégrant pleinement à son discours, dès 1897 à Kristiania ou en 1902 à Berlin. Cette salle est organisée autour du lien, sentimental
ou spirituel, qui unit les êtres humains entre eux ; Munch le symbolise par la chevelure de la femme, qui relie, attache ou sépare. Ce motif matérialise
les relations entre les personnages et rend visibles leurs émotions. Dans ses évocations du sentiment amoureux, l’artiste projette une vision complexe et
toujours ambigüe de la femme. Les figures sensuelles sont toujours chez Munch une source de danger ou de souffrance potentielle. Alors qu’il fait de sa Madone
une icône, un sujet de dévotion, il l’associe pourtant souvent au macabre.

Reprises et mutations du motif

« Il y a toujours une évolution et jamais la même – je construis un tableau à partir d’un autre. »
(Projet de lettre à Axel Romdahl, 1933)
Munch, comme beaucoup d’artistes de son temps, pratique l’art de la reprise. Il décline autant les motifs que la composition générale de ses oeuvres : on peut
ainsi considérer de nombreuses toiles ou gravures comme des variations de productions antérieures.
Cette pratique ne se limite pas à une question formelle mais est pleinement intégrée à la nature cyclique de son oeuvre. Les éléments communs d’une composition à une autre créent une continuité entre ses oeuvres, quelle que
soit leur date de création ou la technique utilisée.

Par ailleurs, cet art de la variation lui permet d’approcher à chaque fois un peu plus l’émotion qu’il cherche à provoquer. Grâce aux multiples versions de ses oeuvres, il peut de plus garder près de lui un souvenir de sa production, inspiration pour de futures réalisations.
Afin de diffuser toujours plus largement son art, Munch s’initie à la gravure
au milieu des années 1890.Cette technique devient un véritable terrain d’exploration qu’il s’approprie rapidement pour produire des oeuvres
toujours plus expressives.

Le drame du huis-clos

Munch n’a de cesse de se confronter au théâtre de ses contemporains, à la fois comme source d’inspiration littéraire mais aussi en s’intéressant à la mise en scène moderne et son nouveau rapport à l’espace de la scène.
Ses premières expériences dans ce domaine datent de sa rencontre en 1894 avec Aurélien Lugné-Poe, directeur du nouveau Théâtre de l’OEuvre. Il réalise en 1896 et 1897, à l’occasion d’un séjour en France, les programmes illustrés de deux pièces du dramaturge norvégien Henrik Ibsen, Peer Gynt et John Gabriel
Borkman.

Dix ans plus tard, Munch s’investit dans la production d’une pièce, entamant sa première véritable collaboration avec un metteur en scène, l’Allemand
Max Reinhardt, fondateur des Kammerspiele (« théâtre de chambre »), une salle berlinoise où le sentiment d’intimité est renforcé par une atmosphère simple et dépouillée. Munch réalise ainsi, en 1906, le décor d’une autre pièce d’Ibsen, Les Revenants. Les deux artistes poursuivent leur collaboration avec la pièce Hedda Gabler. Ces expériences ont un impact immédiat dans l’oeuvre de Munch : son regard sur la construction de l’espace en est transformé, notamment dans la série de toiles qu’il réalise en 1907, La Chambre verte.

                                                             Les Revenants

Mise en scène et introspection

« La maladie, la folie et la mort étaient les anges noirs qui se sont penchés sur mon   berceau. »
(Carnet de notes, non daté)

                                                                 Solitude
Certains thèmes du théâtre d’Henrik Ibsen mais aussi du dramaturge suédois August Strindberg, comme la solitude ou l’impossibilité du couple, font directement écho à l’univers de Munch. Celui-ci va jusqu’à emprunter des scènes précises de leurs pièces pour certains de ses autoportraits. Il se représente ainsi à plusieurs reprises dans l’attitude de John Gabriel Borkman : ce personnage d’Ibsen reste cloîtré dans sa chambre pendant de longues années, emprisonné dans ses pensées obsédantes. Cette identification trouve d’autant plus de sens depuis que l’artiste vit dans un certain isolement suite à son installation à Ekely, au sud d’Oslo, à partir de 1916.

                                                            Autoportrait en enfer

La pratique de l’autoportrait chez Munch ne se limite pas à cette dimension théâtrale et s’étend sur l’ensemble de sa carrière. Au-delà de l’introspection, s’y exprime un certain rapport de l’artiste aux autres et au monde, oscillant entre implication dans le monde extérieur et retrait intérieur. Les portraits de Munch expriment également une conscience aiguë de la souffrance de
la vie, de la difficulté à créer, du caractère inéluctable de la mort.

Le grand décor

« C’est moi, avec la frise Reinhardt il y a trente ans, et l’aula et la frise Freia, qui ai initié l’art décoratif moderne. »
(Lettre de Munch à la communauté des travailleurs d’Oslo, 6 septembre 1938)

Dans les premières années du xxe siècle, Munch participe à plusieurs grands projets décoratifs et se confronte à la question de la peinture monumentale.
Les programmes qu’il élabore s’intègrent pleinement à ses réflexions en reprenant des thèmes et des motifs déjà présents dans son oeuvre. En 1904, il répond à une commande de son mécène, Max Linde, par une série de peintures pour décorer la chambre de ses enfants.
Il y reprend certains sujets constitutifs de La Frise de la vie et ajoute des évocations plus directes de la nature. Les oeuvres lui sont finalement rendues par le commanditaire qui les juge, à regret, inappropriées.


Entre 1909 et 1916, Munch réalise son grand oeuvre en matière
de décoration architecturale pour la salle d’honneur de l’université d’Oslo, en réponse à un concours national.

Details from Universitetets Aula

L’artiste joue dans ce projet très politique une grande part de sa renommée internationale. Il met de nombreuses années à convaincre le jury et réalise
de nombreux essais avant d’arriver au résultat final, toujours en place aujourd’hui.

Informations pratiques

Horaires, accès et tarifs

Lundi
Fermé
Mardi
9h30 – 18h00
Mercredi
9h30 – 18h00
Jeudi
9h30 – 21h45
Vendredi
9h30 – 18h00
Samedi
9h30 – 18h00
Dimanche
9h30 – 18h00

Musée d’Orsay
Esplanade Valéry Giscard d’Estaing 75007 Paris

Métro : ligne 12, station Solférino
RER : ligne C, station Musée d’Orsay
Bus : 63, 68, 69, 73, 83, 84, 87, 94

 

Auteur/autrice : elisabeth

Pêle-mêle : l'art sous toutes ses formes, les voyages, mon occupation favorite : la bulle.