Alice Neel, « Marxist Girl » (Irene Peslikas), 1972 Daryl and Steven Roth © The Estate of Alice Neel Courtesy The Estate of Alice Neel, David Zwirner, and Victoria Miro, London/Venice
Au Centre Pompidou Jusqu’au lundi 16 janvier 2023
commissaire : Angela Lampe Conservatrice, service des collections modernes, Musée national d’art moderne
Alice Neel, 1984 Robert Mapplethorpe
Quelques semaines avant sa mort, la peintre déclare :
« En politique comme dans la vie j’ai toujours aimé
Alice Neel
les perdants, les outsiders. Cette odeur de succès je
ne l’aimais pas. »
Précurseure d’une approche intersectionnelle, la peintre américaine Alice Neel, disparue en 1984, a toujours su lier la cause de la femme à la question des origines et de la classe sociale. Avec Angela Lampe, voyons le parcours d’une femme farouchement indépendante, source d’inspiration pour nombre d’artistes, dont Robert Mapplethorpe, Jenny Holzer ou encore Kelly Reichardt.
La lutte des classes
Tout au long de sa vie, cette femme radicale, membre du parti communiste, ne cesse de peindre les marginaux de la société américaine, ceux et celles qui sont écartés en raison de leurs origines, la couleur de leur peau, leur excentricité, leur orientation sexuelle ou encore de la radicalité de leur engagement politique. Même si, grâce à une notoriété grandissante à partir des années 1960, Neel élargit le spectre de ses modèles aux milieux plus favorisés, elle reste toujours fidèle à ses convictions de gauche. Communiste engagée, Alice Neel fut un temps fichée par le FBI : un événement qui fut une source d’inspiration pour l’artiste conceptuelle américaine.
Son goût pour l’art et la liberté, la sienne comme celle des autres, a été sa boussole.
Elle passe son enfance dans la petite ville étriquée
de Colwyn, en Pennsylva nie. Père fonctionnaire dans les chemins de fer, mère femme au foyer. Intelligente, cultivée, qui fait découvrir à sa fille le théâtre et le ballet. Alice Neel décide d’étudier la peinture à la Philadelphia
School of Design for Women. Au cours de sa formation, elle décroche les meilleures notes en classe de portrait et apprécie les classes de nus pour lesquelles posent, miracle dans l’Amérique puritaine,
femmes et hommes. Lors d’une université d’été, elle rencontre un jeune
peintre cubain, Carlos Enríquez Gómez. Coup de foudre.
Aquarelle 1936, West Street
Ils se marient et partent vivre dans sa belle famille à La Havane.
À Cuba, Alice Neel découvre, une pauvreté qu’elle n’a jamais imaginée, d’autant
plus choquante qu’elle contraste avec la richesse des élites locales,
dont sa belle famille. Dans sa belle maison aux sols de marbre,
Alice Neel peint les mendiants des rues. Inéluctablement, les relations du jeune couple avec le clan familial se détériorent. En 1927, ils s’installent, vivres coupés, à New York. L’artiste n’a jamais divorcé. Elle a vécu avec plusieurs
hommes, mariés ou non, avec lesquels elle a souvent des relations douloureuses.
Mère et fille Alice Neel
La lutte des genres
Anticipant les débats actuels, elle expliquait en 1971 :
J’ai toujours pensé que les femmes devaient s’indigner et cesser d’accepter les insultes gratuites que les hommes leur infligent
Alice Neel
Ses nus féminins sont très éloignés du canon traditionnel façonné par le regard masculin, ainsi que ses femmes enceintes dans leur plus simple appareil, sans aucun sentimentalisme. Elle a même eu le courage de portraiturer une victime de violences conjugales. Pour cela, Neel est devenue une icône du féminisme militant.
J’ai cherché dans toute l’expo, l’autoportrait nu, il n’y est pas !
voici un extrait du film
Traversant les périodes de l’abstraction triomphante, du pop art, de l’art minimal et conceptuel, Alice Neel, une femme libre et indépendante, est restée avec sa peinture figurative à contre-courant des avant-gardes qui marquent la scène de New York où elle avait élu domicile au début des années 1930. Habitant dans les quartiers populaires et multiethniques – Greenwich Village d’abord, Spanish Harlem ensuite – Neel, vivant des aides sociales et mère célibataire, se sent proche de ses modèles, auxquels elle cherche à s’identifier. Son engagement n’est jamais abstrait, mais nourri de vraies expériences. Peindre l’histoire sans le filtre d’une proximité intime ne l’intéresse pas. À l’instar de l’œil de la caméra, Neel fait entrer dans notre champ de vision des personnes qui auparavant restaient dans l’obscurité et tombaient dans l’oubli. C’est son premier geste politique. Le second réside dans son choix de cadrage – une frontalité qui interpelle. L’artiste nous place droit devant ses modèles.
Avec une grande puissance picturale, Neel nous les impose : regardez-les !
Informations
Place Georges-Pompidou
75004 Paris
Métro :
Rambuteau
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Châtelet
RER :
Châtelet Les Halles
Bus :
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