Amuse-bouche. Le Goût de l’art.
Au Musée Tinguely de Bâle jusqu’au 20 juillet 2020
Commissaire de l’exposition : Annja Müller-Alsbach
Une exposition ludique, qui vous engage à participer.
L’art a-t-il un goût sucré, salé, acide, amer ou umami ?
Quel rôle joue le sens du goût comme matériau artistique et dans les relations sociales ? Le Musée Tinguely poursuit le cycle consacré aux cinq sens à travers les arts. Après les expositions thématiques « Belle Haleine » (2015) et « Prière de toucher » (2016), l’exposition collective « Amusebouche. Le goût de l’art » présente, du 19 février au 17 mai 2020, des œuvres d’art d’environ quarante-cinq artistes internationaux du baroque jusqu’à l’époque contemporaine qui envisagent le sens gustatif comme une possibilité de perception esthétique. L’exposition rompt avec la pratique muséale habituelle qui sollicite avant tout la vue du public et lui propose une série de rencontres en histoire de l’art et en phénoménologie autour du sens du goût. Dans le cadre de visites interactives, de performances et d’ateliers, les visiteurs et visiteuses peuvent, en outre, se joindre à une expérience participative spéciale où il est possible de goûter à certains travaux.
Les différentes saveurs, de sucré à amer
Dans l’enseignement traditionnel des saveurs, la perception du goût est déterminée par le contact physique direct. Nous percevons immédiatement le monde qui nous entoure grâce à notre corps, à travers l’expérience gustative à l’aide de notre bouche et de notre langue. Le concept ainsi que le parcours de l’exposition « Amuse-bouche » s’orientent selon les saveurs courantes que nous percevons grâce à nos récepteurs gustatifs : sucré, salé, acide, amer et umami – saveur découverte en 1908 par le scientifique japonais Kikunae Ikeda que l’on peut définir en français comme
« savoureux épicé » et « goûteux ».
L’exposition au Musée Tinguely soulève de nombreuses questions autour de nos expériences gustatives : Comment percevons-nous l’art à partir d’aliments et de leurs saveurs spécifiques ? Que se passe-t-il lorsque l’expérience de l’art passe principalement par notre bouche ou notre langue ? Des œuvres d’art peuvent-elles aussi s’adresser au sens du goût de l’observateur en l’absence de contact physique direct ? Est-il possible de décrire et de traduire des expériences gustatives en images ? Les arômes peuvent-ils servir de médium à l’expression artistique et à la créativité ?
« Amuse-bouche. Le goût de l’art » donne à voir des représentations allégoriques du sens du goût remontant à l’époque baroque, des œuvres d’artistes appartenant à l’avant-garde du début du XXe siècle ainsi que des pièces des années 1960 et 1970. Toutefois, l’exposition met avant tout l’accent sur une sélection d’images, de photographies, de sculptures, de travaux vidéo et d’installations des trente dernières années qui explorent différentes manières d’ingérer et de goûter des aliments grâce à la bouche et à la langue. Dans les œuvres présentées, les artistes utilisent des aliments et des matériaux naturels comme vecteurs de goût sous différentes formes.
À certaines dates, il est ainsi possible de goûter des plantes comestibles dans le cadre du projet Hortus Deliciarum, une installation performative de l’artiste portugaise Marisa Benjamim, ou bien les essences végétales du projet Tastescape de la Suissesse Claudia Vogel.
Goosebump, œuvre monumentale de l’artiste australienne Elizabeth Willing composée de pains d’épices, figure également à la dégustation. L’installation réalisée par Slavs and Tatars, collectif d’artistes installé à Berlin, comprend du jus de choucroute estampillé
« Brine and Punishment ». Cette boisson énergétique à la saveur aigre constitue une expérience sensorielle au sein d’une étude intellectuelle et philosophique menée par les artistes sur la langue ainsi que sur la polysémie et la pluri-interprétation du mot fermentation et de l’expression « tourner au vinaigre ». D’autres œuvres abordent des sujets de société épineux en gravitant autour de contextes et de niveaux de signification complexes du « Goût de la nature » ou du
« Goût de l’étranger ». Des œuvres ou concepts artistiques-performatifs à l’instar de Contained Measures of a Kolanut d’Otobong Nkanga
présentent un univers d’arômes oubliés ou à redécouvrir. Ils s’accompagnent souvent d’identités et de préférences gustatives marquées très différemment selon la subjectivité et la culture.
Tel est aussi le cas de Sufferhead Original, projet en cours développé par Emeka Ogboh, artiste nigérian vivant à Berlin. Dans la dernière édition conçue pour Bâle à partir de sa marque de bière stout, la Sufferhead, dont le goût ne cesse d’évoluer, il demande, non sans provocation :
« Qui a peur du noir ? ».
Par ailleurs, l’exposition présente des œuvres d’art à travers différents médiums se contentant d’évoquer des expériences gustatives dans l’imagination du visiteur et de la visiteuse.
Du plaisir au dégoût
Les œuvres et les concepts artistiques de l’exposition proposent un éventail d’évocations allant du plaisir au dégoût. De nombreuses expressions langagières réfèrent de manière métaphorique au goût : « être tout miel » ou « tourner au vinaigre ». Le parcours de l’exposition aborde également d’autres niveaux de signification autour du goût, en insistant sur les arômes au sens large comme médium servant à l’expression artistique et à la créativité. Plusieurs œuvres d’art exposées sont « sans goût » et induisent en erreur notre perception sensorielle. Un arôme particulier peut être à notre goût bien qu’extrêmement sucré, ou à l’inverse nous écœurer et faire naître des images de dégoût et de décomposition. Dans le langage courant,
« goûter » englobe un large spectre de codes de signification.
Il existe des liens intéressants entre la perception sensorielle de certaines saveurs et des images linguistiques et métaphoriques valables également lorsqu’on fait l’expérience de l’art. Souvent, le recours aux stimuli gustatifs dans l’art ne se fait pas sans subversion, ni sans briser de nombreux tabous. Les artistes en profitent pour se confronter aux grandes questions sociétales de notre temps. Tout en tenant compte que les expériences gustatives éveillent des souvenirs et des associations également soumis aux bouleversements historiques. Comme dans l’existence, la section « sucrée » de l’exposition nous propose de rencontrer des changements gustatifs à la fois subtils et radicaux, perçus de manière totalement différente selon les individus. Des œuvres réalisées à partir de sucre cristallisé ou de glaçage peuvent également entraîner un glissement de sens gustatif de « sucré », goût plutôt agréable, à « doux-amer », plutôt désagréable. Citons, à titre d’exemple, les travaux minimalistes de Mladen Stilinović, artiste conceptuel yougoslave, qui utilisa le sucre comme médium artistique pour leur conception. Dans un premier temps, un sentiment de douceur enveloppante submerge spontanément l’observateur.
Mais pour l’artiste qui réalisa ces œuvres au début des années 1990 pendant la guerre de Croatie, le monochrome blanc symbolise le vide, la perte et la douleur.
Le chapitre thématique « amer » réunit des pièces qui – réalisées à partir des objets représentés ou à travers les matériaux périssables utilisés – traitent de processus de dégradation et suscitent le dégoût. Extrême gravité et poison renvoient ici à la mort.
Leurre gustatif
En nous promenant à travers l’exposition, nous rencontrons également des « leurres gustatifs ». Les artistes des avant-gardes du début du XXe siècle, à l’instar des futuristes italiens et des surréalistes, portent déjà un intérêt à tromper notre sens gustatif.
Une salle de l’exposition « Amuse-bouche » est consacrée à Daniel Spoerri, fondateur du Eat Art dans les années 1960 et du Nouveau Réalisme avec Jean Tinguely et Niki de St Phalle.
Jusqu’à aujourd’hui, celui-ci traque volontairement ce qui est singulier, renversé et anormal pour jouer avec notre vision habituelle sur les choses et les questionner. Ici, c’est le palais qui affronte l’œil. Dans sa nouvelle expérimentation intitulée Nur Geschmack anstatt Essen – un menu en quatre plats composés de dés en gelée de la même couleur – il s’attache également à déstabiliser nos sens (à découvrir les 27.3. | 28.3. | 25.4. | 25.4. | 26.4. | 16.5. | 17.5.2020).
Un art multisensoriel et gustatif basé sur l’action depuis les années 1960 Depuis les années 1960 en particulier, de nombreux artistes se sont intéressés au soi corporel et aux possibilités d’un art multisensoriel et gustatif basé sur l’action. Les extensions multimédias d’expérimentations menées autour du goût suscitent l’intérêt. Certaines œuvres exposées mettent en évidence des questions relatives à la société multiculturelle et à la recherche de nouveaux modes d’alimentation ainsi qu’à l’écart considérable entre le naturel et l’artificiel. Il s’agit de montrer qu’une perception plus sensible de l’environnement et de ses fragiles ressources au moyen du sens du goût est plus actuelle que jamais au XXIe siècle.
Un programme riche et varié accompagne l’exposition « Amuse-Bouche. Le goût de l’art » de manière discursive et performative. Outre les visites guidées, des événements exceptionnels sont proposés : performances d’artistes, dimanches en famille, discussions, ateliers, dégustations,
« une journée consacrée à la saucisse » avec Stefan Wiesner, chef étoilé suisse, dans le parc de la Solitude, etc.
L’exposition présente des œuvres des artistes suivant.e.s : Sonja Alhäuser, Farah Al Qasimi, Janine Antoni, Marisa Benjamim, Joseph Beuys, George Brecht, Pol Bury, Costantino Ciervo, Jan Davidsz. de Heem, Bea de Visser, Marcel Duchamp, Hans-Peter Feldmann, Urs Fischer, Fischli/Weiss, Karl Gerstner, Damien Hirst, Roelof Louw, Sarah Lucas, Opavivará!, Filippo Tommaso Marinetti, Cildo Meireles, Alexandra Meyer, Antonio Miralda-Dorothée Selz, Nicolas Momein, Anca Munteanu Rimnic, Otobong Nkanga, Emeka Ogboh, Dennis Oppenheim, Meret Oppenheim, Tobias Rehberger, Torbjørn Rødland, Dieter Roth, Roman Signer, Cindy Sherman, Shimabuku, Slavs and Tatars, Daniel Spoerri, Mladen Stilinović, Sam Taylor-Johnson, André Thomkins, Jorinde Voigt, Claudia Vogel, Andy Warhol, Tom Wesselmann, Elizabeth Willing, Erwin Wurm, Rémy Zaugg.
Musée Tinguely | Paul Sacher-Anlage 1 | 4002 Bâle
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