Lee Ufan, la peinture ensevelie
Jusqu’au 30 septembre 2019, le Centre Pompidou-Metz présente une exposition monographique consacrée à Lee Ufan (vidéo)
Ma première rencontre avec les oeuvres de Lee Ufan date de 2004, présentées à la Fondation Fernet Branca, grâce à Jean-Michel Wilmotte, architecte de renommée internationale et grand connaisseur de la culture coréenne, qui a réussi la rénovation et transformation des anciennes usines, en centre d’art contemporain. Dans l’intimité du lieu, elles dégageaient une sérénité contagieuse.
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Le parcours a été conçu par l’artiste et le commissaire de l’exposition comme un cheminement d’expérience en expérience, à la manière d’une initiation à un nouveau langage, en dehors des codes et des références traditionnelles de l’art contemporain. À chaque « station » du chemin, une sélection d’œuvres révèle un concept, une façon d’envisager l’art. Certaines salles sont aussi la déclinaison de ce concept à partir d’un matériau en particulier.
Jean-Marie Gallais, commissaire de l’exposition, explique : « Ce n’est pas une rétrospective au sens classique du terme, il s’agit plutôt d’une traversée de l’œuvre dans sa quête de redéfinition de l’art. Nous n’avons pas cherché à montrer « tout » Lee Ufan, ni à suivre un parcours chronologique, mais plutôt à montrer comment l’artiste a élaboré des concepts et des principes. On retrouve dans l’exposition la plupart des typologies d’œuvres et de matériaux déployés par Lee Ufan, mais aussi des moments de transition, des pièces charnières qui dévoilent comment une réflexion mène à une autre. Le lien entre une idée, une pensée et une forme ou une expérience, est particulièrement rendu sensible. Ce choix d’œuvres a été fait en concertation et en dialogue constant avec l’artiste, qui a veillé à un équilibre entre peintures, sculptures et installations, œuvres anciennes et récentes. »
La notion de doute, fondamentale pour Lee Ufan, lui permet d’interroger le principe même de la peinture et de la sculpture, et de dépasser la question de l’ego de l’artiste. Les œuvres présentées au Centre Pompidou-Metz révèlent aussi cet aspect du travail, répondant à la volonté d’atteindre le
« non-peint », le « non-sculpté », comme le dit Lee Ufan, afin de créer une relation la plus pure possible entre l’intérieur et l’extérieur de l’œuvre, entre l’énergie et l’immobilité, suggérant différentes façons d’
« habiter le temps. »
Lee Ufan naît en 1936 au sud de la Corée, dans une famille imprégnée d’une morale stricte aux idéaux confucéens.
« Lorsque j’essaie de vivre en tant que Coréen, ma vie créatrice s’appauvrit et, si je tente de vivre en tant qu’artiste, je m’éloigne des Coréens » (Lee Ufan, Tension précaire)
Face à ce dilemme, il cherchera à trouver un équilibre en prenant à rebours la pratique artistique, afin d’atteindre un langage universel non auto-référencé, un « au-delà » de l’art, une pratique de l’humilité où l’artiste disparaît derrière son œuvre.
Le départ de Lee Ufan pour le Japon, après sa première année à l’université, est une étape importante dans la construction de son identité. Il rejoint son oncle et va y apprendre le japonais et suivre des cours de philosophie contemporaine à partir de 1957.
Lee Ufan cherche alors refuge dans la pratique artistique, mêlée à une lecture phénoménologique de l’existence inspirée de ses lectures de philosophes occidentaux, notamment de l’analyse de la perception par Maurice Merleau-Ponty, mais aussi les écrits d’Heidegger ou Foucault.
Traditionnellement, la perception est définie comme l’activité de l’esprit par laquelle un sujet prend conscience d’objets et de propriétés présents dans son environnement, sur le fondement d’informations délivrées par les sens.
La phénoménologie est en effet fondatrice dans la naissance du mouvement Mono-ha au Japon en 1968, dont Lee Ufan est l’un des principaux théoriciens et représentants. Cette « Ecole des choses » sonde les relations qui naissent de la rencontre entre des éléments naturels et industriels, sur lesquels les artistes n’interviennent presque pas, dans des installations éphémères au vocabulaire ascétique. Mono-ha établit des connexions entre l’art et la philosophie, dans un esprit anticonsumériste. On trouve dans le travail de Lee Ufan, jusqu’aux œuvres les plus récentes, ce parti pris d’économiser le geste pour critiquer l’hyper productivité et la saturation des images de la société et du monde de l’art contemporains.
Lee Ufan développe ensuite sa pensée au fil des expositions, faisant évoluer ses gestes d’une série à l’autre, glissant toujours aussi allègrement entre la peinture, la sculpture ou l’installation. L’exposition du Centre Pompidou-Metz dresse un portrait par les œuvres de cet artiste qui s’efforce à travers ses créations, de considérer l’art comme un moyen d’appréhender notre rapport au monde. L’œuvre de Lee Ufan est une invitation à ralentir, à quitter le monde du déferlement des images et de la représentation, pour se recentrer sur la perception. Un chemin de méditation qui peut autant partir d’un détail insignifiant comme de l’infini :
« Ce n’est pas l’univers qui est infini, c’est l’infini qui est l’univers. » rappelle l’artiste.
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