La Bougie – Museum Frieder Burda jusq’au 29 janvier 2017
Cette exposition s’ordonne autour du tableau « Die Kerze »
« La Bougie » de Gerhard Richter et réunit plus de 50 tableaux,
sculptures, installations, vidéos et photographies réalisés
notamment par Marina Abramović, Georg Baselitz,
Christian Boltanski, Thomas Demand, Urs Fischer,
Eric Fischl, Peter Fischli et David Weiss, Jörg Immendorff,
Karin Kneffel, Jeff Koons, Alicja Kwade, Nam June Paik,
A. R. Penck, Andreas Slominski et Thomas Ruff,
oeuvres qui témoignent de l’actualité de ce thème dans
l’art contemporain. Une bougie bien droite – symbole de la durée d’une vie,
lumière apportée par la raison, lueur d’espoir à l’horizon,
mais aussi expression latente du désir sexuel.
De la luminescence matérielle à la transcendance spirituelle,
des vanités à l’Eros : le motif de la bougie possède de multiples
significations.
Avec ce tableau de Gerhard Richter, qui a acquis un caractère iconique
au fil du temps, le Musée Frieder Burda possède une oeuvre centrale
sur ce thème; elle est ici prétexte à mettre en lumière la complexité du sujet et à en explorer l’actualité dans l’art contemporain.
Frieder Burda déclare au sujet de l’exposition:
La “Bougie“ de Gerhard Richter fait partie des tableaux-phares
de ma collection. Nombre de visiteurs et amis de notre institution
vont jusqu’à identifier l’idée de cette oeuvre à l’essence même de la collection.
Ma satisfaction n’en est que plus grande devant l’exposition de grande tenue, protéiforme, parfois même provocante, que nous avons réussi
à mettre sur pied. »
Helmut Friedel, commissaire de l’exposition poursuit:
«Le thème de la bougie exerce une véritable fascination sur
le spectateur en raison des questions existentielles élémentaires
auxquelles il renvoie, sur la vie, l’amour et la mort. Ses contenus
et niveaux d’expression complexes permettent au tableau de
Richter qui appartient à la collection Frieder Burda de former
le point de départ d’une exploration d’oeuvres d’art contemporaines
s’étant emparé du même sujet.»
La bougie, motif familier dans la peinture
Du baptême à la chambre mortuaire, la bougie nous accompagne
toute une vie, elle brûle sur les couronnes de l’Avent
et les gâteaux d’anniversaire, dans les églises et lors de
rassemblements politiques silencieux ou de dîners romantiques.
Après les attentats de Paris et Bruxelles,
des milliers de gens allumèrent des bougies non seulement sur les lieux
du drame mais aussi partout ailleurs dans le monde. Ils exprimaient
ainsi leur douleur et leur solidarité avec les victimes. Depuis toujours
les bougies sont indissociables des pratiques religieuses –
et tout particulièrement de celles qui touchent à la frontière
entre la vie et la mort, l’éternité divine et la fragilité de l’homme:
elles incarnent l’immatériel ou la transcendance et symbolisent
le lien entre l’esprit et la matière.
Genèse du motif
Dès la fin du Moyen Âge, la bougie est ancrée dans le répertoire
iconographique religieux, conférant un caractère symbolique
aux scènes de la vie du Christ ou de la Vierge.
Chez Le Caravage et ses successeurs, la lumière des chandelles
plonge les intérieurs dans une atmosphère dramatique –
et constitue un renvoi crypté à un message sous-jacent lourd de sens.
L’idée du caractère éphémère de toute vie exprimée par la bougie
est particulièrement présente dans les natures mortes des peintres hollandais.
Au siècle des Lumières, la bougie symbolise l’acquis scientifique,
tandis que l’époque romantique l’utilise, elle, pour évoquer des désirs
profonds, enfouis et vagues. Les expressionnistes quant à eux en font un moyen d’expression plein de force. Max Beckmann, par exemple, reprend dans
de nombreux tableaux des schémas de signification traditionnels
en les associant à son renouvellement pictural révolutionnaire.
Pablo Picasso a lui aussi recours à la multiplicité symbolique du thème
de la bougie dans certaines de ses natures mortes, et peut l’interpréter
de manière toute personnelle, comme dans l’un de ses tableaux
de 1952 où la bougie représenterait la
fin de ses amours avec Françoise Gilot.
La «Bougie» de Gerhard Richter
De tous ces faits Gerhard Richter est sans nul doute conscient
lorsqu’ en 1982 il se tourne intensivement vers le thème de la bougie,
même si c’est pour lui la simplicité même du motif qui l’attire.
Il explique son inclination envers les natures mortes (à la bougie)
en ces termes:
«Parce qu’elle nous entoure. Nous en avons tous besoin. Mon travail, c’est aussi d’essayer de faire quelque chose qui peut être compris aujourd’hui.»
L’artiste renvoie ici à une qualité particulière intrinsèque de la bougie:
elle est pour nous un objet symbolique familier.
Jusqu’à ce jour, Gerhard Richter a réalisé 29 tableaux sur le sujet,
l’un d’eux fait partie de la collection Frieder Burda; un autre («Crâne et bougie»), ainsi que trois éditions de la bougie et quatre panneaux de l’atlas,
que l’artiste utilisera pour préparer le cycle consacré à la bougie, sont exposés ici en point de référence visuel.
Un intense rayonnement Karin Kneffel, élève de Gerhard Richter, a en outre réalisé tout spécialement pour cette exposition une nouvelle série de tableaux faisant référence à son motif emblématique de la bougie.
Kneffel y reprend le format propre à Richter, la composition, l’organisation du tableau. Mais son univers est celui des réflexions, des reflets, de l’impossibilité de réaliser. La froideur et le traitement tout en nuances du caractère dominateur de ce motif à tous égards chargé de sens, caractérisent ces tableaux. La bougie en tant que motif présent dans les moyens d’expression les plus divers de l’art contemporain Karin Kneffel n’est pas la seule artiste contemporaine à s’être penchée sur ce sujet, d’autres l’ont fait en passant par moyens d’expression les plus variés, avec à leur tête la phalange des grands peintres allemands des années 80.
Aux côtés de Markus Lüpertz et A.R. Penck, il convient d’évoquer Georg Baselitz et Jörg Immendorff. Sous le titre aux allures de jeu de mots
«Kerzenfriedenfreud» (BougiePaixJoie), Baselitz provoque quasiment le spectateur pour le contraindre à un possible déchiffrage, – Freud(e) étant aussi le mot allemand pour «joie»-, et la bougie est ici le symbole d’une sexualité refoulée et de la concupiscence. Intitulé «Négrillon à la bougie» par l’artiste lui-même, l’oeuvre de
Jörg Immendorff est une pure provocation.
C’est la représentation exagérément débonnaire d’un Noir qui souffle une bougie en gonflant les joues –
un commentaire révélateur autant que corrosif de toute forme
de racisme petit-bourgeois. Plus flamboyant – quoique gardant ses distances
par rapport au pop art- le grand artiste américain des années 80: Jeff Koons.
Bikinis et sous-vêtements, peau nue, fleurs pareilles à des morceaux
de paysages pleins de montagnes et de lacs sont rassemblés en un collage
exubérant dans le tableau «Candle». Il est question ici de la sexualisation
du monde marchand par la publicité, laquelle génère des biens de consommation
en dégénérant d’innocents symboles d’une quête du bonheur inatteignable.
Robert Gober joue lui aussi avec la prétendue banalité et familiarité du sujet.
Sa composition faite d’un morceau de cire d’abeille aplati sur lequel
sont collés des poils humains et dont émerge une chandelle semble
parfaitement insolite. Bien que cette bougie soit «vierge» – elle n’est pas allumée
et ne doit pas l’être-, elle a pourtant perdu toute innocence, tant est évidente son identification avec un phallus. Ce travail a été réalisé à l’époque de la crise
du SIDA en Amérique, lorsque le débat chargé de peurs autour du VIH
envahit aussi l’univers artistique. Il est aussi un hommage silencieux
à tous ceux qui furent victimes de l’épidémie.
Le duo d’artistes Fischli/Weiss confronte le spectateur avec une bougie
décorative noire, une imitation coulée en résine acrylique d’une laideur pathétique. Fischli/Weiss, durant leur période de création commune (jusqu’à la mort de David Weiss en 2012) aspirèrent à dé-hiérarchiser le monde des objets. Ils se moquèrent
ainsi méthodiquement de la folle aspiration ambiante à l’originalité en lui
opposant une autre manière d’expliquer l’univers, toute simple, avec beaucoup
d’humour et d’ironie. Urs Fischer, un autre artiste suisse qui vit maintenant
à New York, enflamme les oeuvres d’art de ses collègues artistes.
Sa réplique coulée dans de la cire dans les dimensions originales de la sculpture de Giambologna, présentée à la Biennale de Venise en 2011 où elle fondit
peut à peu de manière spectaculaire, est restée inoubliable.
Le Musée Frieder Burda lui fait rencontrer
«Monument 1 for V. Tattin» de Dan Flavin, une installation faite de tubes fluorescents blancs. Fischer la traduit dans la matière contraire, la cire.
Tandis que Flavin permet à la sculpture d’exister par la lumière (électrique)
même, chez Fischer, c’est la lumière (de la bougie) qui déclenche sa
destruction. Le processus même de cette lente fonte est ici l’élément
le plus important de sa sculpture, comme il le déclare lui-même:
«la nature est tout simplement belle, et c’est pourtant la déliquescence
qui constitue véritablement sa beauté».
Dans une tout autre perspective, solidement ancrée dans la tradition de la
méditation et du recueillement extrême-orientaux, l
a célèbre installation aux bougies réalisée en 1989 par Nam June Paik
porte le titre de «Bouddha». En combinant la technologie occidentale et la pensée orientale, Paik crée un lien entre la croyance bouddhiste en la réincarnation et la reproduction infini du même objet par un outil électronique.
Aussi Paik se trouva-il en 1989 au coeur du débat autour des théories sur les médias. Dans sa vidéo tout aussi spectaculaire «One Candle» que Nam June Paik réalisa en 1989 au Portikus de Francfort, une captivante relation s’engage entre la simple flamme d’une bougie et une technologie vidéo complexe.
Christan Boltanski choisit lui-aussi le motif de la bougie,
d’autant plus expressif qu’il est réduit à son minimum, dans nombre de ses travaux.
«Les Ombres» est l’une de installations les plus connues de sa série
«Théâtre d’Ombres». Six petites silhouettes découpées dans de la tôle, éclairées par les flammes de petites bougies chauffe-plats, renvoient leur reflet tremblotant sur le mur, délicates autant qu’étrangement inquiétantes. Son théâtre d’ombres permet à Boltanski de transporter son thème du travail de mémoire sur le terrain de l’allégorie, où s’exprime la puissante interaction de la vie et de la mort.
«Candle Box», réalisé en 2013 par Jeppe Hein a lui aussi un caractère spirituel.
La bougie placée derrière un miroir sombre renvoie à la croyance spirituelle
en un oeil intérieur capable de percevoir l’univers au-delà d’une acuité visuelle
habituelle et qui permettrait d’accéder à un état particulier d’illumination
spirituelle. De même, la flamme qui brille à hauteur de la tête rappelle le miracle de la Pentecôte qui permit aux Apôtres de parler d’autres langues afin qu’ils puissent être entendus de tous les hommes, indépendamment de leur nationalité ou de leur ethnicité. En analogie avec cette iconographie, la «lumière se fait» également chez le spectateur de «Candle Box», tenu de «se regarder dans le miroir» qui lui est tendu.
Mais les hommes ne sont pas les seuls à se consacrer à ce sujet complexe:
Marina Abramović, qui a exploré dans ses performances les limites du supportable physiquement et moralement, contraint quasiment le spectateur,
avec son autoportrait «Artist Portrait With a Candle» appartenant à la série
«With Eyes Closed I See Happiness», à accéder à un état méditatif
de calme intérieur au travers de l’observation d’une bougie qui se consume.
Sa jeune con-soeur Alicja Kwade, a «téléporté» dans un travail du même
nom trois bougies qui brûlent posées sur le sol, en les plaçant de telle manière le long d’une paroi de verre articulée comme un paravent, qu’elles se reflètent à plusieurs reprises dans les murs opposés, semblant passer d’un côté à l’autre; c’est la possibilité de transporter la lumière ou l’énergie qui est questionnée ici.
La célèbre artiste conceptuelle Louise Lawler joue avec les moyens d’expression que sont le dessin et la photographie. Son travail «Still life (Candle)» remonte à une photographie en couleurs de 2003 qui montre ce que l’on appelle un
«date painting» de l’artiste japonais On Kawara sur le mur d’un intérieur privé.
Tout comme le tableau sur le mur, la table placée dessous parle elle aussi du temps
qui s’écoule implacablement: des verres á vin vides, les bougies, un cendrier plein et une serviette froissée rappellent que peu de temps auparavant, la table a été le théâtre d’un repas animé.
La photographie est également le fait de Thomas Ruff. Ce travail est
une photo en noir et blanc floue, une scène prise dans une salle de séjour
des années 1980 au centre de laquelle trône un téléviseur démodé en marche.
Sur la télévision elle-même se dresse une pyramide en forme de sapin faite
de bougies allumées. Entre 1981 et 1991, l’artiste collectionna quelque
2 500 photos relevées dans des journaux germanophones avant de sélectionner
400 d’entre elles, qu’il photographiera à nouveau, numérotera et restituera sans leur donner de titre explicatif. Les travaux qui en résultent sont l’occasion de se demander dans quelle mesure les photos restent compréhensibles lorsqu’elles sont sorties de leur contexte d’origine – contraignant le spectateur à se glisser dans la peau d’un détective. Au-delà de ses déclinaisons dans les arts plastiques, l’exposition élargit le regard porté sur la bougie en évoquant son rôle dans le film. Une compilation filmée,
«Die Kerze im Scheinwerferlicht» (Pleins feux sur la bougie) a parcouru toute l’histoire du cinéma pour en extraire divers critères de forme et de contenu, et donner de la visibilité à l’espace dans lequel évoluent et se croisent l’image et le film.
Le catalogue d’exposition contient des essais portant sur l’histoire du motif de la bougie, sur la signification des tableaux de Gerhard Richter consacrés à ce thème, ainsi que sur les représentations de la bougie au cinéma.
Publié par la maison d’édition de la librairie Walther König.
Prix spécial au musée 38 euros.
Horaires:
du mardi au dimanche 10h à 18 h, ouvert tous les jours fériés
www.museum-frieder –burda.de
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